Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à RTL le 21 juin 2013, sur le chômage des jeunes et la Conférence sociale réunissant le Gouvernement et les partenaires sociaux.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


JEAN-MICHEL APHATIE
La Conférence sociale, gouvernement + partenaires sociaux, ouverte hier à Paris, se poursuit aujourd'hui, vous y présidez la table ronde sur l’emploi, un défi qui nous concerne tous, a dit hier le président de la République, mais un défi perdu, si on en croit l’INSEE, qui dans une prévision, rendue publique elle aussi hier, pronostique, contrairement aux propos du président, l’augmentation du chômage jusqu’à la fin de l’année. L’INSEE voit-elle juste, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Eh bien l’INSEE fait des prévisions.
JEAN-MICHEL APHATIE
Etayées, hein, ce n'est pas…
MICHEL SAPIN
Mais évidemment, étayées…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ce n'est pas le doigt mouillé, c'est construit.
MICHEL SAPIN
Evidemment, c'est normal, c'est un organisme qui est sérieux, il fait des prévisions, un peu comme ici on a l’habitude de faire des prévisions sur le résultat d’un match.
JEAN-MICHEL APHATIE
Euh… oui.
MICHEL SAPIN
Et pour autant, on n'est pas forcement certain que sa prévision, c'est le résultat, et donc c'est toute la différence entre…
JEAN-MICHEL APHATIE
Je n’aurais pas pris les matchs comme référence, voyez, par exemple…
MICHEL SAPIN
Non, mais je prends ça, parce qu’on est…
JEAN-MICHEL APHATIE
On essaie de prévoir l’évolution des marchés publicitaires et on se dit « on ne peut pas être optimiste cette année, parce que ça ne va pas », et donc on essaie d’être sincère.
MICHEL SAPIN
Mais il vous arrive aussi de vous tromper dans votre prévision, de faire des prévisions, comment dirais-je, modestes, pour éviter d’avoir une mauvaise nouvelle, donc c'est un peu ce qui se passe aujourd'hui, mais la grande différence entre ceux qui font des prévisions, et c'est leur travail, je le respecte totalement, et un gouvernement, c'est que les uns prévoient et les autres agissent. Et l’objectif d’un gouvernement, et c'est l’objectif d’ailleurs de la Conférence ouverte hier, qui se continue aujourd'hui c'est de voir quelles sont les actions de décision, qui vont peser sur la réalité, qui vont faire bouger la réalité. Si nous ne faisions rien, oui la prévision se réaliserait, si nous accélérons, si nous mettons le turbo dans la lutte contre le chômage, oui, la courbe du chômage s’inversera.
JEAN-MICHEL APHATIE
On va parler des décisions ou des mesures, mais juste avant, il faut que la parole publique soit crédible, un individu, fut-il président de la République, ne peut pas dire, seul contre tous, « le chômage va baisser à la fin de l’année ».
MICHEL SAPIN
Je pense que c'est le rôle d’un président de la République que de n’être pas, les bras ballants, à regarder couler l’eau dans le fleuve.
JEAN-MICHEL APHATIE
Nous sommes d’accord.
MICHEL SAPIN
Et c'est…Eh oui, en sens inverse…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais il faut qu’il soit crédible. Il faut qu’il soit crédible.
MICHEL SAPIN
Jean-Michel APHATIE, un président de la République qui vous dirait : « Quoi qu’on fasse, quoi qu’on décide, quoi que vous vouliez, le chômage va augmenter et va augmenter sans cesse », que diriez-vous de ce président de la République ? Que diriez-vous de ce gouvernement ? Que diriez-vous de cette majorité ? Et vous auriez raison de dire…
JEAN-MICHEL APHATIE
On saluerait son discours de vérité, peut-être.
MICHEL SAPIN
Non, on dirait : « A quoi ça sert qu’il soit là ? Pourquoi est-ce qu’on l’a élu ? ». Bien. Donc, nous sommes là pour agir et faire bouger les lignes, et faite bouger les réalités et c'est ce que nous faisons.
JEAN-MICHEL APHATIE
Parmi les actions, si on regarde bien, et de ce point de vue, la Conférence sociale ne semble pas apporter grand-chose, pour remplacer par exemple les emplois industriels, qui sont détruits, on utilise la vielle méthode des emplois aidés, subventionnés. Ce n'est pas un peu déprimant, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Mais non ce n'est pas déprimant. Dans toutes les périodes où il y a eu beaucoup de chômage, ça a été vrai avec la gauche, lorsque nous avons passé les 3 millions de chômeurs, ça a été fait avec la droite, au moment de la grande crise de 2008/2009, dans toutes ces situations, il est du devoir de l’Etat d’offrir des possibilités d’emploi pour un certain nombre de gens, particulièrement les jeunes, qui sont en très grandes difficultés. Ce qu’il faut, c'est que le système soit intelligent, que ce ne soit pas faire pour faire baisser les statistiques du chômage, mais que ce soit fait pour redonner une chance. Une chance, c'est quoi ? C’est une expérience professionnelle et c'est une formation. La formation, c'est décisif, parce que c'est le capital de chacun, celui qui a une meilleure formation…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais on ne crée plus d’emploi, l’industrie ne crée plus d’emploi, c'est ça qui nous manque aujourd'hui.
MICHEL SAPIN
Mais il n’y a pas que l’industrie en France…
JEAN-MICHEL APHATIE
Les services…
MICHEL SAPIN
Il y a aussi les services.
JEAN-MICHEL APHATIE
Tout le monde détruit des emplois.
MICHEL SAPIN
Mais, tout le monde détruit des emplois, mais d’autres en créent. L’objectif c'est de faire en sorte qu’il y ait plus de créations d’emploi qu’il n’y a de destructions d’emploi. Aujourd'hui il y a plus de destructions que de créations. C'est une politique industrielle, c'est une politique d’encouragement à l’emploi, c'est l’utilisation du Crédit impôt compétitivité emploi, qui doit permettre aux entreprises, si elles ont une opportunité, de prendre une décision rapidement, plus rapidement qu’avant, et plus fortement qu’avant, et ce sont ces politiques dites politiques de l’emploi, on peut les appeler traitement social du chômage, ça ne me gêne pas, parce que nous sommes dans une urgence social, et il faut répondre aussi à cette urgence sociale. Mais ce dispositif, il n'est pas encore suffisant, et la grande conférence, elle travaille là-dessus, elle travaille avec tous, pour donner un coup de turbo à l’ensemble de nos politiques, en faveur de l’emploi.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous allez débloquer des crédits supplémentaires ?
MICHEL SAPIN
Il y aura des crédits supplémentaires, et si…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous pouvez les chiffrer ?
MICHEL SAPIN
Nous sommes en train de discuter de cela avec le ministre du Budget, qui lui a aussi d’autres équations parfaitement légitimes, mais disons les choses simplement, comme l’a dit le président de la République, le budget de l’emploi sera un budget prioritaire. Moi je ne demande qu’une seule chose, c'est que les moyens du budget de l’emploi diminuent, parce que ça voudra dire ce jour-là que le chômage aura diminué.
JEAN-MICHEL APHATIE
En mai, on connaitra les chiffres du chômage la semaine prochaine, la tendance sera toujours mauvaise ?
MICHEL SAPIN
Le président de la République a dit un discours de vérité, le chômage va continuer à augmenter, et augmenter jusque vers la fin de l’année, au moment où à la fois une meilleure situation économique, une capacité à recréer des emplois, et une montée en puissance de l’ensemble de nos dispositifs en faveur de la lutte contre le chômage, aura provoqué des effets.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc vous répondez à la question du mois de mai, ça ne sera pas un bon chiffre.
MICHEL SAPIN
Non, ça ne sera pas un bon chiffre, et le président de la République l’a dit hier, pendant encore plusieurs mois, le chômage va augmenter, même s’il n’augmentera peut-être pas aussi fortement qu’il a pu augmenter par le passé.
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi le Crédit d’impôt ne marche pas ?
MICHEL SAPIN
Il ne faut pas dire qu’il ne marche pas, mais…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il marche mal, moins que vous ne le pensiez.
MICHEL SAPIN
Il date d’il y a quelques semaines. J’adore tous ceux qui voudraient que des décisions prises il y a quelques semaines ou il y a quelques mois, aient des résultats avant même qu’elles ne soient appliquées. Donc, que voulez-vous, il faut qu’une politique soit conçue, qu’elle soit appliquée, qu’elle soit connue, et qu’elle porte à ce moment-là ses fruits. C'est ce qui se passe.
JEAN-MICHEL APHATIE
Les chefs d’entreprise disent : « C’est trop compliqué ».
MICHEL SAPIN
Non, c'est pas vrai, parce que les chefs d’entreprise qui l’ont utilisé, et j’en ai vu plein autour de la table hier…
JEAN-MICHEL APHATIE
5 000, jusqu’à présent, c'est pas beaucoup.
MICHEL SAPIN
Les chefs d’entreprise qui l’ont utilisé, ou les responsables de grandes organisations représentant les employeurs, disent : c'est simple. Monsieur ROUBAUD, président de la CGPME, il représente ces Petites et moyennes entreprises, il dit, il répète et il le fait publiquement, qu’il n’a jamais connu un dispositif aussi simple que celui-ci. Simplement, il faut avoir le besoin de l’utiliser. Ils ne vont pas mobiliser de l’argent pour redéposer l’argent en banque. Ils vont mobiliser de l’argent s’il y a un investissement, s’il y a un emploi à créer, et c'est cela aussi qu’il faut aider.
JEAN-MICHEL APHATIE
L’autre grand chantier, ce sont les retraites, le président de la République a évoqué, hier, pas de surprise, l’allongement de la durée des cotisations. On se dit : tiens, Nicolas SARKOZY disait la même chose, allongement de la durée des cotisations.
MICHEL SAPIN
Non, la grande différence c'est que…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah, il y en a une ?
MICHEL SAPIN
Oui, il y en beaucoup d’autres, mais il y en a une sur ce point, c'est que Nicolas SARKOZY disait : « Il faut reporter l’âge de départ à la retraite », ce qui a comme conséquence, chacun le voit bien, que ce sont ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt qui en feront les frais. Donc Nicolas SARKOZY avait typiquement, dans ce domaine-là, une politique qu’on qualifierait d’injuste. Il est juste d’allonger les durées de cotisations…
JEAN-MICHEL APHATIE
Les durées de cotisations.
MICHEL SAPIN
Il est injuste de bouger l’âge des départs à la retraite. Vous le savez bien, il y a plein de Français qui ont la totalité de leurs trimestres, et qui ne peuvent pas partir à la retraite parce qu’on a repoussé l’âge de départ à la retraite. En sens inverse, il y en a d’autres qui ont commencé à 22, 23, 24 ans, et qui ne demandent qu’une seule chose, souvent, souvent, pas toujours, mais souvent, c'est de continuer à travailler.
JEAN-MICHEL APHATIE
J’allais vous poser la question, oui, 24 + 44 ça fait combien ?
MICHEL SAPIN
Eh bien vous avez fait le calcul vous-même.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça fait 68, donc 24, c'est l’âge auquel beaucoup de Français rentrent sur le marché du travail…
MICHEL SAPIN
Oui, mais j’entends beaucoup ce chiffre-là.
JEAN-MICHEL APHATIE
44 années de cotisations.
MICHEL SAPIN
Mais il ne faut pas toujours oublier qu’il y a un autre chiffre, c'est qu’à 67 ans, on peut toujours partir avec la totalité de la pension à laquelle on a droit.
JEAN-MICHEL APHATIE
Si vous étiez, Michel SAPIN, électeur à Villeneuve-sur-Lot, dimanche, vous voteriez UMP ?
MICHEL SAPIN
Oui, évidemment, sans aucune hésitation, et sans même me poser la question que vous venez de me poser.
JEAN-MICHEL APHATIE
Quel échec pour le Parti socialiste, d’en arriver là.
MICHEL SAPIN
C'est un échec, évidemment. C'est un échec, donc on voit bien qu’il est principalement l’échec moral, local, l’échec…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et pas que ça. Pas que ça.
MICHEL SAPIN
Bien entendu, c'est dans un contexte politique, mais vous voyez bien aussi, je crois qu’on peut le dire, très honnêtement, que si le contexte politique n'est pas porteur aujourd'hui pour la gauche et pour le Parti socialiste, il y a eu un fait aggravant, un fait terrible, dans cette circonscription, où évidemment les électeurs, y compris les électeurs de gauche, peuvent se poser des questions sur ce qu’est un homme politique honnête.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 juin 2013