Texte intégral
Cette énumération peut sembler fastidieuse, à lévidence ! Et pourtant, elle dit quelque chose : la possibilité de travailler tous à une même cause, la lutte contre lillettrisme dont le plan régional qui va être signé tout à lheure est le fruit.
Alors, oui, je me réjouis de voir ainsi mobilisés pour cette grande cause :
- les services de lEtat (DIRECCTE, DRJSCS, DRAAF, Rectorats ),
- les acteurs de la région (Conseil régional, conseils généraux, URML),
- Pôle Emploi,
- des organismes de la protection sociale comme les CAF,
- les acteurs de lentreprise (OPCA, branches professionnelles, structures dinsertion par lactivité économique,
- les partenaires sociaux
- des acteurs associatifs impliqués dans la prévention ou la lutte contre lillettrisme, et des fondations qui nous rejoignent (SNCF, Areva ),
- Et, bien entendu, lAgence Nationale de Lutte contre lIllettrisme.
Chacun a sa part dans cet effort national contre lillettrisme.
Il y a autour de nous des bataillons dinvisibles, des gens discrets qui se dissimulent dans le décor pour cacher une souffrance terrible, pour cacher quils ne savent pas lire ou écrire. Rarement, on en prend conscience. Daprès lINSEE et lANLCI (Agence Nationale de Lutte contre lIllettrisme), environ 2,5 millions de personnes sont aujourdhui en situation dillettrisme et ne maîtrisent pas la lecture, ou le calcul, les savoirs fondamentaux.
Dabord, il faut aller au-delà des idées reçues.
57 % ont un emploi, ce qui démontre que lillettrisme ne saurait se confondre avec lexclusion.
La moitié des personnes en situation dillettrisme vit à la campagne ou dans les zones faiblement peuplées, donc pas uniquement dans les banlieues des grandes villes et les zones urbaines sensibles.
Enfin, 74% des personnes illettrées utilisaient exclusivement le français à la maison à lâge de 5 ans.
En tant que ministre du travail, de lemploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, je ne peux être que fortement interpellé par le fait que 8% des travailleurs sont confrontés à lillettrisme et que 15% des demandeurs demploi sont dans ce cas.
Lillettrisme est donc une réalité diffuse, et hélas encore tenace.
De fait, les salariés illettrés occupent les métiers les moins qualifiés et les plus pénibles. Évoluer fait rarement partie de leur horizon. Il faudrait pour cela avoir suffisamment confiance en soi et « sortir du bois » en quelque sorte. Ils sont donc bien souvent immobiles même sils ne se plaignent pas forcement de leur sort et souvent même lacceptent, comme une « faute » à porter. Comme individu, comme parent, comme travailleur, cest une situation difficile : ne pas pouvoir aider ses enfants à faire leurs devoirs, ne pas savoir lire une consigne de travail, être incapable de compter la monnaie, ne pas pouvoir déchiffrer la prescription dun médicament ; voilà les difficultés à la fois très quotidiennes et très fondamentales auxquelles on se heurte lorsquon ne maîtrise pas la lecture, lécriture et le calcul. Lillettrisme percute de nombreuses facettes de la vie ; cest un problème éducatif, de santé publique, professionnel, culturel Il entrave à la fois linsertion sociale des personnes et la compétitivité de léconomie.
Mais il ne sagit pas den rester à la compassion avec une vision par trop misérabiliste. Ces personnes sont aussi pleines de vie, dotées dune volonté formidable pour déjouer les pièges de la société de linformation qui nous entoure. Elles peuvent affirmer une volonté quaucun obstacle ne retient. Et elles sont, pour beaucoup en demande dapprendre et de progresser. Il faut saluer la détermination de ces personnes quand on sait à quel point lapprentissage est plus difficile quand on est un adulte.
Mais une chose est sûre et cest une conviction essentielle : il est possible de progresser à tout âge.
Faire de lillettrisme une grande cause nationale ainsi que le Premier ministre la décidé en février dernier, cest se donner les moyens daider et de soutenir toutes ces personnes qui en ont tant besoin et souvent tant envie. En 1998, le Gouvernement alors dirigé par Lionel Jospin, avait défini, dans la loi dorientation relative à la lutte contre les exclusions, le combat contre lillettrisme comme une priorité nationale. Il avait fait de cette cause une compétence partagée. Je souhaite aujourdhui avec vous confirmer le caractère prioritaire de ce combat et vivifier lesprit partenarial qui lanime.
Des résultats encourageants couronnent déjà lengagement de lensemble des acteurs représentés à loccasion de ces Assises régionales. En 2004, nous comptions, selon les estimations les plus solides 3,1 millions de personnes illettrées, soit près de 600 000 de plus quaujourdhui. Il faut se réjouir de ce progrès et je veux saluer lengagement des différents acteurs en faveur de la formation contre lillettrisme : lEtat, à travers les DIRRECTE, et le programme « compétences clefs » ; les Conseils régionaux déjà investis mais qui, suite à la nouvelle étape de décentralisation à venir, vont devenir pleinement compétents pour ce qui concerne les demandeurs demploi ; les partenaires sociaux qui, à travers le Fonds paritaire de sécurisation des parcours, consacrent des fonds croissants à ce combat légitime. Mais il convient de ne pas baisser la garde, particulièrement dans une société de la connaissance où la lecture, lécriture sont toujours plus importantes.
Pour aller plus loin il faut positionner la maîtrise des savoirs de base au cur du droit à la formation tout au long de la vie.
Je pense en particulier aux demandeurs demplois qui doivent mettre à profit, lorsque cela est nécessaire, leur période de recherche demploi afin de pouvoir apprendre ou ré-apprendre les fondamentaux = dont ils nont pas la maîtrise. Lire, écrire, compter sont des conditions essentielles pour réussir son parcours dinsertion professionnelle. Cet enjeu doit être bien pris en compte par le service public de lemploi.
Je pense tout autant aux salariés. Tout à lheure, au sein de lorganisme de formation ALPES, jai pu dialoguer avec certains dentre eux. Chaque situation individuelle est différente. Pour certains dentre eux, scolarisés en France, la formation permet de se relancer sur le plan professionnel. Pour dautres, scolarisés à létranger ou qui nont pu suivre de scolarité, lire, écrire, compter, est fondamental pour linsertion professionnelle mais cest aussi un facteur de cette intégration républicaine dont le Gouvernement veut consolider le modèle.
Dans tous les cas, et à tous les niveaux, le français est la première pierre de la promotion professionnelle, sociale, et culturelle ; il représente la possibilité daccéder pleinement à ses droits ou de faire face à ses obligations citoyennes ou administratives.
Voilà le cur du sujet. Maîtriser la lecture et lécriture, cest une parcelle de liberté, la possibilité dêtre de mois en moins dépendant et donc de plus en plus citoyen.
A lapproche de la réforme de la formation professionnelle, dont le coup denvoi sera donné lors de la prochaine grande conférence sociale des 20 et 21 juin prochains, je veux délivrer un message. Au-delà de la technique, de la tuyauterie complexe des financements, de larchitecture des dispositifs et de la configuration de loffre de formation, ou du pilotage de celle-ci qui sont des sujets en soi et quil faudra traiter il y en a un plus fondamental et qui dépasse les autres : celui de faire de la formation professionnelle un levier plus fort de lémancipation humaine.
Voilà le vrai enjeu. Car il nest pas vrai que lon soit pleinement libre si lon doit dissimuler ses carences auprès de ses collègues, faire semblant, ne pas comprendre son environnement et du coup se priver de se former, de changer de travail, tout simplement davoir un projet professionnel.
Tout commence par lire, écrire, compter. Telle est la base, ce sur quoi on peut ensuite construire. Et sur ce premier étage peuvent se bâtir les premières compétences professionnelles : se repérer (lire des plans, des schémas techniques, des plannings) ; calculer (des quantités, des distances, des tarifs, des réductions) ; communiquer (entre collègues, avec la hiérarchie, avec les usagers dun service public, avec la clientèle) ; raisonner (comprendre rapidement, anticiper sur le déroulement dune tâche).
Il nous reste beaucoup à faire, à commencer par vaincre le déni, linvisibilité, voire la honte ressentie par les personnes concernées. Et ce, alors que beaucoup de parcours et de témoignages individuels, souvent émouvants ceux dAngélique, Corinne et Patrick il y a quelques minutes par exemple démontrent quil ny a aucune fatalité, que réapprendre est toujours possible, quon peut même passer de lautre côté du miroir en travaillant pour lorganisme de formation qui vous a formé !
Voilà le message que je suis venu vous délivrer. Je vois votre mobilisation, je la soutiens, je lencourage. Les 65 structures organisations syndicales, associations de léconomie sociale et solidaire, associations de parents délèves, entreprises, je ne peux toutes les citer qui ont soutenu la candidature de lillettrisme pour en faire la grande cause nationale 2013 ont remporté un premier succès. Désormais et tout au long de cette année, lorganisation sur chaque territoire dassises régionales va permettre de mieux faire connaître les enjeux, de mobiliser les acteurs, de faire émerger de nouvelles initiatives innovantes, déchanger les bonnes pratiques Au niveau national nous venons de demander, avec Vincent Peillon, au Conseil national de la formation tout au long de la vie de créer un groupe de travail comprenant les partenaires sociaux, les ministères, les Régions, pour redéfinir une stratégie nationale de lutte contre lillettrisme. Il sera rendu compte de ces travaux le 22 novembre prochain à loccasion des assises nationales de clôture auxquelles vous participerez tous. Cette feuille de route nourrira, pour les années qui viennent, le beau travail de lAgence nationale de lutte contre lillettrisme.
Mais tout cela resterait vain si les acteurs locaux que vous êtes ne se mobilisent pas sur chacun des territoires. Tel est lobjet du plan régional que vous allez renouveler en ma présence dans quelques instants. Ce plan donne un cadre indispensable à la coordination des acteurs et des financements. Il permet dappréhender la question de lillettrisme dans sa globalité, de la prévention à la formation et dans tous les secteurs, de lécole à la santé en passant par le travail.
Je vous le dis lire, écrire, compter sont des droits fondamentaux de la personne humaine. La possibilité de progresser ne saurait être un privilège et la société de la connaissance doit être ouverte à tous. Merci pour votre implication : chaque initiative est utile, chaque personne aidée constitue une victoire. Poursuivons notre engagement en profitant de la dynamique de la grande cause nationale !
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 12 juin 2013