Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la lutte contre l'illettrisme et l'exclusion sociale, le 10 juin 2013

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Circonstance : Assises régionales Rhône-Alpes de lutte contre l'illettrisme le 10 juin 2013

Texte intégral


Cette énumération peut sembler fastidieuse, à l’évidence ! Et pourtant, elle dit quelque chose : la possibilité de travailler tous à une même cause, la lutte contre l’illettrisme dont le plan régional qui va être signé tout à l’heure est le fruit.
Alors, oui, je me réjouis de voir ainsi mobilisés pour cette grande cause :
- les services de l’Etat (DIRECCTE, DRJSCS, DRAAF, Rectorats…),
- les acteurs de la région (Conseil régional, conseils généraux, URML),
- Pôle Emploi,
- des organismes de la protection sociale comme les CAF,
- les acteurs de l’entreprise (OPCA, branches professionnelles, structures d’insertion par l’activité économique,
- les partenaires sociaux
- des acteurs associatifs impliqués dans la prévention ou la lutte contre l’illettrisme, et des fondations qui nous rejoignent (SNCF, Areva…),
- Et, bien entendu, l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme.
Chacun a sa part dans cet effort national contre l’illettrisme.
Il y a autour de nous des bataillons d’invisibles, des gens discrets qui se dissimulent dans le décor pour cacher une souffrance terrible, pour cacher qu’ils ne savent pas lire ou écrire. Rarement, on en prend conscience. D’après l’INSEE et l’ANLCI (Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme), environ 2,5 millions de personnes sont aujourd’hui en situation d’illettrisme et ne maîtrisent pas la lecture, ou le calcul, les savoirs fondamentaux.
D’abord, il faut aller au-delà des idées reçues.
57 % ont un emploi, ce qui démontre que l’illettrisme ne saurait se confondre avec l’exclusion.
La moitié des personnes en situation d’illettrisme vit à la campagne ou dans les zones faiblement peuplées, donc pas uniquement dans les banlieues des grandes villes et les zones urbaines sensibles.
Enfin, 74% des personnes illettrées utilisaient exclusivement le français à la maison à l’âge de 5 ans.
En tant que ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, je ne peux être que fortement interpellé par le fait que 8% des travailleurs sont confrontés à l’illettrisme et que 15% des demandeurs d’emploi sont dans ce cas.
L’illettrisme est donc une réalité diffuse, et hélas encore tenace.
De fait, les salariés illettrés occupent les métiers les moins qualifiés et les plus pénibles. Évoluer fait rarement partie de leur horizon. Il faudrait pour cela avoir suffisamment confiance en soi et « sortir du bois » en quelque sorte. Ils sont donc bien souvent immobiles même s’ils ne se plaignent pas forcement de leur sort et souvent même l’acceptent, comme une « faute » à porter. Comme individu, comme parent, comme travailleur, c’est une situation difficile : ne pas pouvoir aider ses enfants à faire leurs devoirs, ne pas savoir lire une consigne de travail, être incapable de compter la monnaie, ne pas pouvoir déchiffrer la prescription d’un médicament ; voilà les difficultés à la fois très quotidiennes et très fondamentales auxquelles on se heurte lorsqu’on ne maîtrise pas la lecture, l’écriture et le calcul. L’illettrisme percute de nombreuses facettes de la vie ; c’est un problème éducatif, de santé publique, professionnel, culturel… Il entrave à la fois l’insertion sociale des personnes et la compétitivité de l’économie.
Mais il ne s’agit pas d’en rester à la compassion avec une vision par trop misérabiliste. Ces personnes sont aussi pleines de vie, dotées d’une volonté formidable pour déjouer les pièges de la société de l’information qui nous entoure. Elles peuvent affirmer une volonté qu’aucun obstacle ne retient. Et elles sont, pour beaucoup en demande d’apprendre et de progresser. Il faut saluer la détermination de ces personnes quand on sait à quel point l’apprentissage est plus difficile quand on est un adulte.
Mais une chose est sûre et c’est une conviction essentielle : il est possible de progresser à tout âge.
Faire de l’illettrisme une grande cause nationale ainsi que le Premier ministre l’a décidé en février dernier, c’est se donner les moyens d’aider et de soutenir toutes ces personnes qui en ont tant besoin et souvent tant envie. En 1998, le Gouvernement alors dirigé par Lionel Jospin, avait défini, dans la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, le combat contre l’illettrisme comme une priorité nationale. Il avait fait de cette cause une compétence partagée. Je souhaite aujourd’hui avec vous confirmer le caractère prioritaire de ce combat et vivifier l’esprit partenarial qui l’anime.
Des résultats encourageants couronnent déjà l’engagement de l’ensemble des acteurs représentés à l’occasion de ces Assises régionales. En 2004, nous comptions, selon les estimations les plus solides 3,1 millions de personnes illettrées, soit près de 600 000 de plus qu’aujourd’hui. Il faut se réjouir de ce progrès et je veux saluer l’engagement des différents acteurs en faveur de la formation contre l’illettrisme : l’Etat, à travers les DIRRECTE, et le programme « compétences clefs » ; les Conseils régionaux – déjà investis – mais qui, suite à la nouvelle étape de décentralisation à venir, vont devenir pleinement compétents pour ce qui concerne les demandeurs d’emploi ; les partenaires sociaux qui, à travers le Fonds paritaire de sécurisation des parcours, consacrent des fonds croissants à ce combat légitime. Mais il convient de ne pas baisser la garde, particulièrement dans une société de la connaissance où la lecture, l’écriture sont toujours plus importantes.
Pour aller plus loin il faut positionner la maîtrise des savoirs de base au cœur du droit à la formation tout au long de la vie.
Je pense en particulier aux demandeurs d’emplois qui doivent mettre à profit, lorsque cela est nécessaire, leur période de recherche d’emploi afin de pouvoir apprendre ou ré-apprendre les fondamentaux = dont ils n’ont pas la maîtrise. Lire, écrire, compter sont des conditions essentielles pour réussir son parcours d’insertion professionnelle. Cet enjeu doit être bien pris en compte par le service public de l’emploi.
Je pense tout autant aux salariés. Tout à l’heure, au sein de l’organisme de formation ALPES, j’ai pu dialoguer avec certains d’entre eux. Chaque situation individuelle est différente. Pour certains d’entre eux, scolarisés en France, la formation permet de se relancer sur le plan professionnel. Pour d’autres, scolarisés à l’étranger ou qui n’ont pu suivre de scolarité, lire, écrire, compter, est fondamental pour l’insertion professionnelle mais c’est aussi un facteur de cette intégration républicaine dont le Gouvernement veut consolider le modèle.
Dans tous les cas, et à tous les niveaux, le français est la première pierre de la promotion professionnelle, sociale, et culturelle ; il représente la possibilité d’accéder pleinement à ses droits ou de faire face à ses obligations citoyennes ou administratives.
Voilà le cœur du sujet. Maîtriser la lecture et l’écriture, c’est une parcelle de liberté, la possibilité d’être de mois en moins dépendant et donc de plus en plus citoyen.
A l’approche de la réforme de la formation professionnelle, dont le coup d’envoi sera donné lors de la prochaine grande conférence sociale des 20 et 21 juin prochains, je veux délivrer un message. Au-delà de la technique, de la tuyauterie complexe des financements, de l’architecture des dispositifs et de la configuration de l’offre de formation, ou du pilotage de celle-ci – qui sont des sujets en soi et qu’il faudra traiter – il y en a un plus fondamental et qui dépasse les autres : celui de faire de la formation professionnelle un levier plus fort de l’émancipation humaine.
Voilà le vrai enjeu. Car il n’est pas vrai que l’on soit pleinement libre si l’on doit dissimuler ses carences auprès de ses collègues, faire semblant, ne pas comprendre son environnement et du coup se priver de se former, de changer de travail, tout simplement d’avoir un projet professionnel.
Tout commence par lire, écrire, compter. Telle est la base, ce sur quoi on peut ensuite construire. Et sur ce premier étage peuvent se bâtir les premières compétences professionnelles : se repérer (lire des plans, des schémas techniques, des plannings) ; calculer (des quantités, des distances, des tarifs, des réductions) ; communiquer (entre collègues, avec la hiérarchie, avec les usagers d’un service public, avec la clientèle) ; raisonner (comprendre rapidement, anticiper sur le déroulement d’une tâche).
Il nous reste beaucoup à faire, à commencer par vaincre le déni, l’invisibilité, voire la honte ressentie par les personnes concernées. Et ce, alors que beaucoup de parcours et de témoignages individuels, souvent émouvants – ceux d’Angélique, Corinne et Patrick il y a quelques minutes par exemple – démontrent qu’il n’y a aucune fatalité, que réapprendre est toujours possible, qu’on peut même passer de l’autre côté du miroir en travaillant pour l’organisme de formation qui vous a formé !
Voilà le message que je suis venu vous délivrer. Je vois votre mobilisation, je la soutiens, je l’encourage. Les 65 structures – organisations syndicales, associations de l’économie sociale et solidaire, associations de parents d’élèves, entreprises, je ne peux toutes les citer … – qui ont soutenu la candidature de l’illettrisme pour en faire la grande cause nationale 2013 ont remporté un premier succès. Désormais et tout au long de cette année, l’organisation sur chaque territoire d’assises régionales va permettre de mieux faire connaître les enjeux, de mobiliser les acteurs, de faire émerger de nouvelles initiatives innovantes, d’échanger les bonnes pratiques … Au niveau national nous venons de demander, avec Vincent Peillon, au Conseil national de la formation tout au long de la vie de créer un groupe de travail comprenant les partenaires sociaux, les ministères, les Régions, pour redéfinir une stratégie nationale de lutte contre l’illettrisme. Il sera rendu compte de ces travaux le 22 novembre prochain à l’occasion des assises nationales de clôture auxquelles vous participerez tous. Cette feuille de route nourrira, pour les années qui viennent, le beau travail de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme.
Mais tout cela resterait vain si les acteurs locaux que vous êtes ne se mobilisent pas sur chacun des territoires. Tel est l’objet du plan régional que vous allez renouveler en ma présence dans quelques instants. Ce plan donne un cadre indispensable à la coordination des acteurs et des financements. Il permet d’appréhender la question de l’illettrisme dans sa globalité, de la prévention à la formation et dans tous les secteurs, de l’école à la santé en passant par le travail.
Je vous le dis lire, écrire, compter sont des droits fondamentaux de la personne humaine. La possibilité de progresser ne saurait être un privilège et la société de la connaissance doit être ouverte à tous. Merci pour votre implication : chaque initiative est utile, chaque personne aidée constitue une victoire. Poursuivons notre engagement en profitant de la dynamique de la grande cause nationale !
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 12 juin 2013