Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement à I Télé le 7 juin 2013, sur la mort de Clément Méric et la violence des groupuscules d'extrème droite.

Prononcé le

Média : Itélé

Texte intégral


CHRISTOPHE BARBIER
François HOLLANDE exige la libération des deux journalistes français disparus en Syrie. Avez-vous la confirmation qu’ils sont entre les mains du régime de Bachar EL-ASSAD ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, nous n’avons pas cette confirmation, la seule chose que nous pouvons dire, et le président de la République l’a dit, c'est que nous sommes sans nouvelle de ces deux journalistes…
CHRISTOPHE BARBIER
On peut agir ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D’abord, il faut la plus grande des prudences, parce que, en la matière la discrétion est souvent gage de réussite. Donc, le président de la République a dit à quel point il était préoccupé, et donc nous allons prendre nos dispositions, mais dans la discrétion.
CHRISTOPHE BARBIER
La mort de Clément MERIC domine encore l’actualité. Faut-il dissoudre les groupuscules qui pourraient être impliqués dans cette affaire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, dès lors qu’il est avéré que des groupuscules, en effet, ont porté un message de violence et de haine et ont appelé à ce type d’abomination à laquelle on a assisté avant-hier soir, oui, je crois que cela justifie leur dissolution. Le ministre de l’Intérieur est en train d’y travailler, juridiquement, pour voir dans quelles conditions cela est possible.
CHRISTOPHE BARBIER
Les experts considèrent que c'est inutile, on change de nom et on se retrouve 15 jours après. Est-ce qu’il ne faut pas changer les règles, durcir les règles de dissolution ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Là où je suis d’accord, c'est que la simple dissolution ne peut pas suffire à régler le problème, et la question qu’on doit se poser, collectivement, d’ailleurs, cela vaut pour les responsables politiques comme pour les médias, c'est notre part, finalement, de responsabilités dans la façon dont ce type de discours de haine, et donc de passage à l’acte, derrière, de la part d’un certain nombre d’esprits influençables, prospère dans notre société. Et donc, nous, les responsables politiques, nous devons dénoncer et condamner avec la plus grande fermeté, chaque fois qu’il y a une dérive et un dérapage, même simplement l’engager, et vous, me semble-t-il, les médias, eh bien, vous devez veiller à ne pas donner plus d’audience que de raison, à des groupuscules, justement, qui en profitent pour faire passer des idées insupportables pour la démocratie.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est de la publicité que d’inviter Serge AYOUB, mais ça montre aussi aux Français, la réalité de cette violence-là.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C’est de la publicité, me semble-t-il, pour les idées du JNR, que de donner en effet une tribune à Serge AYOUB. C'est extrêmement dangereux que de donner la possibilité à ce monsieur, de faire passer des idées auprès de jeunes qui les prennent pour argent comptant. C'est de la publicité que d’offrir à Alexandre GABRIAC, que vous connaissez bien, qui est conseillé général en Rhône Alpes, qui a été même évincé du Front national, pour avoir posé sur une photo, avec un salut nazi, et qui aujourd'hui est devenu une espèce de vedette médiatique, que l’on n’arrête pas de retrouver à la télévision ici ou là, pour déverser un flot de paroles de haine et de violence et d’appel à la violence.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais, si les propos sont dangereux…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, c'est de la publicité, je pense qu’il faut éviter, en effet, quand on est responsable éditorial d’un magazine…
CHRISTOPHE BARBIER
D’un média.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
…d’un magazine, d’un journal, d’un média quelconque, qu’il faut se poser la question de sa part de responsabilités et du recul que l’on prend aussi à l’égard de ces propos auxquels on donne cette audience.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais est-ce que ce n'est pas au législateur, si les propos sont dangereux, de dire : non, quand on tient ces propos, on va en prison ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bien sûr, mais si vous voulez, les choses sont beaucoup plus compliquées que cela, comme vous le savez, c'est-à-dire que le législateur peut intervenir, par exemple, pour dissoudre, c’était votre première question, mais la question c'est aussi celle de la banalisation de ces propos. Et lorsque les propos empruntent des voies plus détournées, qui restent des appels à la violence ou des appels à la haine, de l’homophobie, du racisme, de l’antisémitisme, mais en empruntant des mots un peu plus policés, est-ce que pour autant ils sont acceptables ? Et donc, c'est là, me semble-t-il, que les responsables médiatiques ont un rôle à jouer, en faisant la part entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ou du moins, même si on donne la parole à ces gens, en tout cas à l’accompagnant d’un discours un peu citoyen, pour remettre les chose en exergue et préciser qu’il y a des choses qui sont intolérables.
CHRISTOPHE BARBIER
Avec la liberté d’expression.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Avec la liberté d’expression qui s’arrête là où commence celle des autres, par exemple, et qui, je crois, vraiment dans notre démocratie, la liberté d’expression est à la fois protégée, et en même temps doit être de protéger les individus, et vous voyez bien que lorsqu’on laisse la liberté d’expression à tout crin, à tout champ, eh bien on arrive aussi à des dérives, des dérapages et des passages à l’acte.
CHRISTOPHE BARBIER
Pour vous, est-ce que les manifs pour tous, contre le mariage pour tous, ont servi d’incubateur à cette violence ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
On a vu, aux marges de la manif pour tous, en effet, un certain nombre de dérapages et de dérives. Moi je ne veux pas commettre d’amalgame, je l’ai toujours dit, il y avait des manifestants dans la manifestation pour tous, qui n’ont évidemment rien à voir avec ce type d’horreurs, mais en même temps, c'est vrai qu’il se trouve que c'est en périphérie de cette manifestation pour tous, que l’on a vu réapparaitre des groupuscules, qu’on avait, d’une certaine façon, oubliés en France ces dernières décennies.
CHRISTOPHE BARBIER
La violence vient d’abord de la loi Taubira, a répondu Frigide BARJOT.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce type de propos, par exemple, lorsqu’il est présenté, médiatiquement, devrait être accompagné d’une explication, d’une prise de recul. Voilà, Frigide BARJOT, de temps en temps, devrait réfléchir avant de parler.
CHRISTOPHE BARBIER
Et quand Jean-Luc MELENCHON tweet hier « aux rassemblements, tenez-vous à l’écart du PS qui a trop comparé le Parti de gauche à l’Extrême droite », que lui répondez-vous ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Que ça n'est pas le moment de polémiquer. Vous savez… Non non, je crois que l’on est dans le temps du recueillement autour de la mémoire de Clément MERIC, moi je pense à ses parents, je pense à ses proches, je pense à ce jeune-homme, aussi, qui était engagé, qui y a laissé la vie, et je n’ai vraiment pas envie de polémiquer avec d’autres partis.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais quand Jean-Luc MELENCHON traite certains socialistes de salopards, est-ce qu’il ne participe pas au climat de violence et à cette banalisation de la violence ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est pour ça que j’invoquais la responsabilité, aussi bien des responsables politiques que des médias, c'est-à-dire que nous aussi, nous devons faire très attention aux termes que nous employons. Je pense que l’insulte, l’injure, n’a rien à faire dans le champ démocratique, en effet.
CHRISTOPHE BARBIER
Quand Jean-François COPE dit : attention, il y a de la violence à l’Extrême droite et à l’Extrême gauche, qu’il faut traiter les deux extrêmes en même temps, est-ce qu’il a raison ou tort ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il a tort il a absolument tort. Mettre dos à dos une Extrême droite et une Extrême gauche, c'est au fond atténuer la responsabilité, en l’occurrence, des agresseurs, même si c'est à la justice d’établir les faits, on a vu déjà un certain nombre de témoignages, qui démontrent que, contrairement à ce que racontait monsieur AYOUB, par exemple, sur votre plateau hier soir, qui est allé jusqu’à prétendre que l’agresseur c’était la victime, Clément MERIC, vous voyez, ce type de mise en parallèle de l’Extrême droite et de l’Extrême gauche, vous arrivez à ce type de conclusion complètement absurde, dans laquelle vous leur faites porter la même responsabilité de cette violence. Eh bien ça n'est pas le cas, ça n'est pas ce qui s'est passé vraisemblablement, donc monsieur COPE, je crois, a perdu là encore une occasion de se taire, oui.
CHRISTOPHE BARBIER
François FILLON, hier, sur FRANCE 2, a déclaré : « Il y a trop d’émigrés en France, on ne peut pas bien les accueillir, il faut faire des quotas ». Est-ce que vous partagez ce diagnostic ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi, ce que je crois, et mon gouvernement s'est engagé, d’ailleurs, en la matière, c'est que le Parlement doit avoir tout son rôle à jouer, pour régulièrement, annuellement, se prononcer sur la politique d’immigration de la France, pour dire à la fois « voilà où en est l’état économique, la situation économique du pays, voilà ce dont nous avons besoin pour notre économie, car il est des filières, des secteurs d’activités dans lesquels nous manquons de main d’oeuvre, soyons clairs, et puis en même temps, pour construire une politique d’immigration qui soit une politique aussi humaine, juste et qui accueille dans les meilleures conditions possibles, ceux que nous choisissons, que nous décidons d’accueillir. Voilà.
CHRISTOPHE BARBIER
La crèche Baby Loup, est obligée de quitter Chanteloup-les-Vignes, harcelée par les islamistes. Le regrettez-vous ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien, elle va s’installer dans de meilleures conditions, dans un meilleur cadre, je crois que c'est une…
CHRISTOPHE BARBIER
Mais on a déserté Chanteloup.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi je crois qu’il ne faut jamais déserter, en effet, aucun territoire, donc maintenant c'est à l’Etat que se pose la question du savoir comment, avec des services publics de qualité, eh bien on arrive à être présent sur l’ensemble de ces territoires, des services publics qui garantissent la laïcité, notamment mais c'est vrai que c'est un sujet aujourd'hui.
CHRISTOPHE BARBIER
Le gouvernement ne voulait verser qu’un mois d’indemnités à un ministre qui est dans le gouvernement et non plus six mois après l’affaire CAHUZAC, les députés ont décidé de maintenir les six mois. Dites-vous merci ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je crois que c’est mon collègue Alain VIDALIES, qui a eu cette expression que j’aime beaucoup, écoutez, « les députés veulent faire le bonheur des ministres malgré eux », donc, vous savez, le gouvernement, à ma connaissance, va redéposer un amendement pour refaire passer la mesure à un mois…
CHRISTOPHE BARBIER
Un mois.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
… je vous le précise. Mais sur ce projet de loi, de manière plus générale, on est dans la construction, avec les parlementaires, et il ne faut pas que ça surprenne les observateurs, c'est bien naturel que le gouvernement ait des objectifs et qu’ensuite, s’agissant des modalités, eh bien on voit ensemble ce qui convient le mieux.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 juin 2013