Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RTL le 3 mai 1999, sur les frappes aériennes au Kosovo et sur la suspension du colonel Mazéres après l'incendie d'une "paillote" en Corse.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Olivier MAZEROLLE
Victor Tchernomyrdine arrive aujourdhui à Washington, au lendemain de la libération des trois soldats américains qui étaient prisonniers. Du coup, certains sénateurs importants aux Etats-Unis, Robert Hue en France, dautres personnalités en Grèce et en Italie, élèvent la voix pour demander la paix.
Alain RICHARD
Oui, mais il faut examiner - et ceci va être fait entre les diplomaties des pays de lAlliance vraisemblablement aujourdhui - la teneur du message que, daprès Jessie Jackson, Milosevic a adressé au président Clinton. Sil y a des ouvertures, on les saisira. Cest notre politique depuis le début.
Olivier MAZEROLLE
Mais nest-ce pas lheure des diplomaties plutôt que celle des bombardements ?
Alain RICHARD
Nous avons essayé, dans la décennie, de trouver à plusieurs reprises des accords corrects et équitables avec Milosevic sans rapport de force. On sait ce que cela a donné. Les diplomates ont dabord constaté après Rambouillet que, sans emploi de la force, on nirait pas plus loin. Nous en sommes à ce point. Mais il ne faut pas être nerveux et assumer la durée. Nous guettons le moment où lemploi de la force amènera la Yougoslavie à accepter des principes simples et européens qui sont le droit des Kosovars à vivre au Kosovo en sécurité. Si cest le cas maintenant, réjouissons-nous en et saisissons loccasion. Sinon, continuons.
Olivier MAZEROLLE
Durant ces derniers jours, les bavures, que vous appelez des erreurs de tirs, se sont amplifiées en Serbie. Cela veut-il dire que les pilotes de lAlliance Atlantique sont invités à être un peu moins prudents que par le passé ?
Alain RICHARD
Non. Je crois que cest vraiment un effet de circonstance. Les consignes de préservation de tout ce qui touche à la population restent strictes. Mais on voit bien que, dans laffaire du pont par exemple, cela est lié au délai de quelques dizaines de secondes que met une bombe larguée à plusieurs milliers de mètres daltitude pour atteindre lobjectif, ce qui peut faire quun véhicule arrive pendant ce délai. Ce type daccident est inévitable. Jinsiste simplement pour dire que ces drames et ces erreurs mortelles sont la vérification par labsurde que notre impératif est de faire la guerre de manière extrêmement limitée, de façon à ne pas atteindre la population. Mais quand jentends des personnes employer le terme de « bombardements « alors que nous employons celui de « frappes « , je sais très bien ce quils cherchent à glisser dans lesprit du public. Ils veulent faire naître limage de villes écrasées sous les bombes, comme cela a été le cas pendant le dernier conflit mondial. Or, cest le contraire que nous avons choisi.
Olivier MAZEROLLE
Hier soir, au Grand Jury RTL - Le Monde - LCI, Robert Hue a laissé entendre que la France avait averti ses alliés quelle ne participera jamais à une offensive terrestre au Kosovo.
Alain RICHARD
Robert Hue na pas accès aux informations concernant lemploi de la force. Mais il a parfaitement perçu ce quétaient les arguments importants, exprimés par le Premier ministre en accord avec le Président de la République pour dire toutes les réticences et les précautions que nous voulions mettre.
Olivier MAZEROLLE
A-t-on dit « jamais « aux Américains ?
Alain RICHARD
Bien sûr que non. Nous sommes en discussion pour chercher les moyens darriver à la solution politique. Nous navons pas au sein de lAlliance les mêmes positions sur tous les domaines, mais nous trouvons des consensus.
Olivier MAZEROLLE
Parlons de la Corse maintenant. Dans les six jours qui ont suivi lincendie de la paillote « Chez Francis « , le colonel Mazères qui commandait les forces de gendarmerie en Corse est venu à deux reprises à Paris pour rencontrer ses supérieurs hiérarchiques. Que leur a-t-il dit ?
Alain RICHARD
Non. La première fois, il est venu rendre compte de sa version au directeur de la gendarmerie et à son principal collaborateur. Lorsquils ont entendu sa description des faits, le directeur général et le major général lui ont dit de se mettre à la disposition de la justice.
Olivier MAZEROLLE
Il navait pas tenu tout à fait le même discours en Corse avant sa venue à Paris.
Alain RICHARD
Ce nest pas exact.
Olivier MAZEROLLE
Il a dit la même chose les deux fois ?
Alain RICHARD
Absolument.
Olivier MAZEROLLE
Parce que dans un premier temps, les gendarmes ont dit quil y avait eu un acte malveillant.
Alain RICHARD
Ce nest pas exact non plus.
Olivier MAZEROLLE
Ont-ils toujours dit avoir été présents ?
Alain RICHARD
La version du colonel Mazères na pas changé entre le moment où il est venu à Paris et celui où il la quitté. Jinsiste beaucoup sur ce point. La deuxième fois, il est simplement venu pour répondre à une convocation de linspecteur qui avait été chargé dune mission. Entre-temps, puisque cela se passait pendant le week-end, le juge dinstruction a donné comme instruction à linspecteur qui avait été chargé de lenquête judiciaire, de présenter la mise en examen au colonel Mazères. Il ny a donc pas eu dentretien.
Olivier MAZEROLLE
Vous avez suspendu les quatre gendarmes concernés parce quils nont pas rendu compte. Pour linstant, en létat actuel des choses, le fait de ne pas rendre compte signifie-t-il que la suspension est suffisante ?
Alain RICHARD
Non, pas du tout. La suspension est une mesure administrative provisoire.
Olivier MAZEROLLE
Le fait de ne pas rendre compte doit-il conduire à la radiation ?
Alain RICHARD
Une personne ne doit pas continuer à exercer son commandement ou sa responsabilité quand son rôle est mis en cause. Quelle était, de mon point de vue, la mise en cause que je pouvais légalement retenir ? Le fait quaprès un incident grave, ils navaient pas rendu compte de cet événement sérieux.
Olivier MAZEROLLE
Est-ce la première étape vers une radiation ?
Alain RICHARD
Je prendrai les décisions disciplinaires en fonction des certitudes que fournira lenquête judiciaire. Je ne peux pas le faire avant.
Olivier MAZEROLLE
Vous avez dit hier soir sur France 3 que, jusquau 19 avril, jour de lincendie, rien danormal navait été perçu dans les activités du GPS. Mais celui-ci détenait-il, comme laffirment des policiers, de moyens découte sophistiqués.
Alain RICHARD
Je ne connais pas de policiers qui, en signant leurs affirmations, disent cela.
Olivier MAZEROLLE
Ce sont donc des rumeurs ?
Alain RICHARD
Bien sûr. Mais vous savez bien faire la différence : cest pour cette raison que vous avez dit « comme laffirment des policiers « puisque, si quelquun sétait engagé sur cette question, vous lauriez cité. Il sagit donc dune rumeur. Et jai vérifié quil ny avait pas de moyen découte spécifique au GPS. Il y a dailleurs eu très peu découtes réalisées à partir de demandes de la Corse ces derniers mois. Mais de toute façon, les écoutes réalisées lont été selon la procédure normale, cest-à-dire sur demande de mon directeur de cabinet ou du directeur du cabinet du Premier ministre.
Olivier MAZEROLLE
Lorsque les policiers nous disent avoir été écoutés par les gendarmes...
Alain RICHARD
Aucun policier ne vous dit ceci ou il sagit daffabulations. Mais cela vous amuse de citer ce genre de rumeurs parce quelles ajoutent un peu de piment à lactualité, même si elles savèrent fausses. Je vous affirme que ces allégations sont fausses.
Olivier MAZEROLLE
Quand François Hollande dit quil faut revenir durgence au droit commun en Corse parce que, quand on fait appel à des unités spéciales, elles se comportent spécialement, que lui répondez-vous ?
Alain RICHARD
Il y a en effet un problème, mais dès linstant où jaurai le rapport du général Capdepont qui me le rendra à la fin de la semaine, nous apprécierons autour du Premier ministre si la question de la réorganisation est justifiée.
Olivier MAZEROLLE
Peut-on rétablir lEtat de droit en Corse en faisant appel à une unité spéciale ?
Alain RICHARD
Une unité spéciale, nexagérons pas ! De toute manière, quelque soit lendroit, lorsquil y a des situations de cet ordre, il faut protéger les personnalités, parce quil y a des gens qui sont gravement menacés en Corse, faire des interpellations difficiles parce quil y a beaucoup de gens armés en Corse et faire du renseignement parce quil nous manque des données pour atteindre les véritables délinquants et les véritables criminels en Corse. Si nous changeons lorganisation, nous le ferons comme partout ailleurs sur le territoire français : des unités de gendarmerie seront chargées de ces missions.
Olivier MAZEROLLE
Il y a des unités spéciales en Corrèze ?
Alain RICHARD
Non, mais il y a des dispositions différentes suivant les départements et suivant leur niveau de criminalité.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 6 mai 1999)