Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec la télévision mexicaine "Televisa" le 15 juillet 2013, sur les relations entre la France et le Mexique.

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Circonstance : Déplacement au Mexique, les 14 et 15 juillet 2013

Média : Televisa

Texte intégral


Q - Monsieur le Ministre, je vous remercie de nous avoir accordé cette interview. Ma première question porte sur les relations bilatérales. J'aimerais savoir si ces relations ont retrouvé leur intensité qu'elles connaissaient avant le cas de Florence Cassez ?
R - Maintenant on peut dire oui. Ce n'était pas évident parce que cette affaire a évidemment paralysé un peu nos relations pendant un certain temps. Mais la volonté du président Peña Nieto et du président Hollande, maintenant que la justice mexicaine a pris sa décision, est de passer à une nouvelle étape. Et ma visite marque une nouvelle page dans les relations entre le Mexique et la France qui vont se développer d'une manière extrêmement positive.
Q - Le président François Hollande pense-t-il, comme son prédécesseur Nicolas Sarkozy, qu'une affaire comme celle de Florence Cassez est une raison suffisante pour mettre entre parenthèses notre relation bilatérale ?
R - Nous n'avons aucune intention de revenir sur le passé. Cette question appartient au passé, la décision judiciaire a été prise. Maintenant, nous regardons le futur. J'étais présent lorsque, à la fin de l'année dernière, le président Peña Nieto est venu à l'Élysée ; nous avions discuté de ce cas et il avait été décidé que, dès que cette affaire aurait été réglée - c'est maintenant fait -, on lancerait une nouvelle étape.
Ma visite, qui a lieu le 14 juillet, c'est-à-dire le jour de la Fête nationale, est là pour symboliser cette nouvelle étape. D'ailleurs, l'année prochaine le président François Hollande viendra au Mexique. Il sera reçu en visite officielle. Ce sera le 50e anniversaire du fameux voyage du général de Gaulle, lorsqu'il avait dit «Mano en la mano con el pueblo mexicano». Et, à son tour, le président Peña Nieto viendra en France.
Puis, nous avons lancé des initiatives en matière économique et dans d'autres domaines, ce qui fait que maintenant les choses se présentent sous un jour extrêmement positif.
Q - Il existe d'autres cas similaires à celui de Florence Cassez et qui pourraient représenter une menace pour les relations bilatérales. Ainsi le cas de Maud Versini qui est une citoyenne française mariée avec un homme politique mexicain de premier plan et que la justice mexicaine, de manière injuste, a empêchée de voir ses enfants depuis plus de deux ans. La relation entre la France et le Mexique peut-elle connaître à nouveau des difficultés avec des cas similaires à celui de Florence Cassez ?
R- Non, je ne crois pas. Dans le cas que vous citez, à ma connaissance, il s'agit d'une affaire privée et il y a une procédure judiciaire au Mexique et nous n'avons pas l'intention de nous en mêler.
Q - Quel est l'avenir pour les relations entre la France et le Mexique ?
R - On a décidé vraiment de faire de cette relation une relation stratégique. Pourquoi ? Le Mexique et la France ont toutes les raisons de très bien s'entendre. Nous avons des valeurs communes, nous avons une culture commune, il y a une histoire commune et je crois que la France aime beaucoup le Mexique et les Mexicains sont attachés à la culture française.
Simplement, il y a eu quelques difficultés et nos relations économiques ne sont pas encore au niveau où elles devraient être. La décision que nous avons prise c'est d'augmenter massivement ces relations économiques.
Le président Nieto et le président Hollande ont décidé de créer un Conseil stratégique avec des personnalités mexicaines et des personnalités françaises. Nous l'avons installé lors de ma visite et déjà un premier fonds de plusieurs centaines de millions de dollars sur des fonds privés a été réuni pour développer notre coopération en matière aéronautique puisque il y a une coopération très étroite entre la France et le Mexique sur l'aéronautique (Airbus, EADS, etc.). C'est un point qui va fonctionner.
Nous voulons faire la même chose dans d'autres domaines, comme ceux des transports, de l'énergie, du développement durable et de l'agroalimentaire. Il y a les vins français et il y a les produits agricoles mexicains. Sur le plan économique, les choses vont se développer.
Sur le plan culturel, cela a toujours bien marché. Nous avons beaucoup d'admiration pour la civilisation mexicaine et les Mexicains connaissent bien la civilisation française. Il va y avoir des expositions comme, par exemple, d'ici quelques mois en France une magnifique exposition Frida Khalo et puis l'année prochaine une magnifique exposition sur les Mayas et, symétriquement, des expositions françaises au Mexique.
Nous allons développer tout ce qui concerne l'accès à la santé, parce que vous réfléchissez à la manière d'assurer des services sociaux et puis nous réfléchissons aussi en matière d'ingénierie. Nous allons couvrir tout le secteur et j'ai rencontré plusieurs entrepreneurs mexicains qui sont volontaires pour aider à renforcer cette relation. J'ai rencontré le président mexicain qui est absolument enthousiaste et je sais que c'est la même chose du côté français. On va donc vraiment passer à une nouvelle étape.
Je constate que sur les grands problèmes du monde, le Mexique et la France ont des positions extrêmement voisines : sur la nécessité du multilatéralisme et du respect du droit international, sur le fait qu'il faut lutter sur le plan international contre la peine de mort, respecter les droits des femmes, respecter les droits humains. On a énormément de points en commun. On va donc essayer de travailler ensemble.
Q - Lors de vos rencontres avec les dirigeants mexicains le thème de la gendarmerie a été abordé. Lors de sa visite en France, à la fin de l'année dernière, le président Peña Nieto a été intéressé par le modèle français. L'une de ses promesses faite au cours de sa campagne électorale est de créer une sorte de police dont l'organisation serait basée sur la française. Avez-vous avancé sur ce point ?
R - Vous avez tout à fait raison. Lorsque le président Nieto était venu en France, il avait dit sa grande admiration pour la gendarmerie. Alors nous lui avons dit que nous étions disponibles pour aider les Mexicains dans cette direction. Depuis il y a eu des travaux au sein du gouvernement mexicain, ce n'était pas très facile avec de nombreuses questions qui se sont posées : à qui faut-il rattacher la gendarmerie ? Faut-il commencer avec de grands noms ou d'une manière plus modeste ? Le gouvernement mexicain est en train de faire ses choix. J'ai dit à mon homologue et au président qu'à partir du moment où les choix ont été faits par le gouvernement mexicain, nous, nous les aiderons puisque nous avons l'expérience de la gendarmerie. C'est une affaire qui progresse.
Q - Le moment n'est pas encore venu pour une participation de la France ?
R - On a pris la décision que, dès que le gouvernement mexicain fera exactement son choix - on parle de 5.000 personnes, certains disent plus, d'autres disent moins - nous apporterons notre aide technique.
Q - Sur le plan économique. Vous avez évoqué l'aéronautique et le président Peña Nieto a présenté plusieurs projets dans le domaine ferroviaire. Cela fait de nombreuses années que le développement des trains au Mexique est stoppé. La France a-t-elle des projets spécifiques dans le domaine économique qui vont se concrétiser marquant ainsi le renouveau de cette relation bilatérale ?
R - Oui, par exemple il y a eu un accord, ce que l'on appelle en anglais MOU (Memorandum of Understanding) entre le président de la RATP, qui est la cinquième compagnie du monde sur la question des transports, et l'autorité de Mexico en matière de métro. Le métro de Mexico, au moment des Jeux olympiques, avait été construit par des Français. Nous voulons reprendre cette tradition-là. Cela peut fonctionner aussi pour le train, dans toute une série de domaines parce que la France est excellente en matière de transports et vous, Mexicains, voulez mettre l'accent sur les transports.
De la même façon, il y a un projet de réforme en matière d'énergie au Mexique. Une fois que le gouvernement mexicain aura pris cette décision, aura abordé les questions pétrolière, du gaz, des énergies nouvelles et, peut-être, du nucléaire, nous avons vraiment des compagnies qui sont les meilleures au niveau mondial dans ces domaines. Et nous voulons travailler avec vous mais en respectant évidemment les choix du gouvernement mexicain.
Q - À quelle date est prévue la visite du président François Hollande au Mexique ?
R - Au premier semestre de l'année prochaine parce qu'il faut que cette visite intervienne assez tôt pour que le président Peña Nieto puisse effectuer la visite de retour au deuxième semestre. Cela nous permettra de vérifier l'efficacité des décisions que nous avons prises. Il ne suffit pas de faire une visite, de réunir les uns et les autres et de faire des discours. Après il faut vérifier sur le terrain que les choses soient faites. C'est un point auquel les Mexicains sont très attachés et nous aussi. Nous aurons deux occasions de le vérifier, lors de la visite du président Hollande et lors de la visite retour du président Peña Nieto. Au mois de novembre, plusieurs ministres mexicains viendront en France pour discuter de tout cela et j'ai aussi invité le maire de Mexico, que j'ai rencontré, à venir en France.
Q - C'est un symbole que vous ayez effectué cette visite au Mexique le jour du 14 juillet. Un symbole pour marquer l'importance que vous attachez au rétablissement de la relation bilatérale et je pense que votre visite, même courte, a été un succès.
R - Je l'espère. En tout cas, j'ai été accueilli extrêmement chaleureusement et j'en garderai un formidable souvenir. Le 14 juillet c'est bien sûr la Fête nationale française mais d'une certaine manière, c'est aussi la fête des Mexicains puisque les idéaux de la révolution de 1789 «Liberté, Égalité, Fraternité» sont très proches des idéaux qui sont les vôtres.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2013