Déclaration de M. Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, sur les relations franco-britanniques dans le cadre de l'Union européenne, à Londres le 17 juillet 2013.

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Circonstance : Déplacement à Londres (royaume-Uni) à l'occasion du 40ème anniversaire du Conseil franco-britannique, le 17 juillet 2013

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Madame la Présidente de la section britannique du Conseil Franco-britannique,
Monsieur le Président de la section française du Conseil Franco-britannique,
Mesdames et Messieurs,
Face à une frontière, qu'elle soit géographique ou politique, il y a deux possibilités : soit la laissez nous séparer, comme une limite infranchissable ; soit vous bâtissez un ouvrage pour relier les deux côtés du rivage. Et cet ouvrage peut très bien être un tunnel ! Nous en savons quelque chose, alors que nous sommes reliés par le plus long tunnel sous-marin du monde, tunnel dont nous nous apprêtons à fêter le 20ème anniversaire.
Choisir entre ériger un mur ou relier deux pays par delà leur frontière est un acte éminemment politique. Créer un lien, une ouverture, ou se replier sur soi constituent les deux alternatives possibles. Alors que l'heure semble être au développement des populismes et de l'euroscepticisme sur la majorité des territoires des pays européens, il est plus que jamais décisif de réaffirmer le fait que s'unir est nécessaire pour avancer et pour être plus efficace face aux difficultés que nous traversons depuis 2008.
À cet égard, je suis heureux que la célébration du 40ème anniversaire du Conseil Franco-britannique et l'hospitalité du Foreign Office me donnent l'occasion de me rendre à Londres.
Cette année du 40ème anniversaire du Conseil franco-britannique me permet de saluer aujourd'hui le rôle de «pont» joué par cette institution : pont entre nos classes politiques ; pont entre nos acteurs économiques ; et surtout, pont entre nos deux sociétés civiles.
Cette année aura été ponctuée d'événements marquants, qui auront enrichi la relation franco-britannique et effectivement rapproché la société civile des deux pays. Telle est en effet la mission essentielle du Conseil, voulu par Georges Pompidou et Edward Heath pour dynamiser notre relation bilatérale et accompagner l'entrée du Royaume-Uni dans ce qui s'appelait alors la Communauté européenne. Je retiendrai deux moments forts: la tenue, en décembre dernier à Newcastle, d'un séminaire consacré à la crise financière et aux questions économiques. L'initiative en revient à la Baronne Joyce Quin, qui concluait ainsi une brillante présidence de la section britannique du Conseil. Je souhaite ici lui rendre hommage. L'autre moment fort fut la conférence annuelle sur les questions de défense, le 16 mai dernier à la résidence de France à Londres, avec la présence cette année des ministres de la Défense de nos deux pays et de nombreuses autres personnalités éminentes, venues des deux côtés de la Manche.
Faire ce bilan très positif conduit aussi à réaliser que la célébration d'un anniversaire n'est pas un exercice exclusivement tourné vers le passé, mais au contraire une incitation à agir plus et mieux ensemble. En s'appuyant sur le travail remarquable déjà effectué, sous forme d'analyses, de réflexions et de mise en relation des responsables concernés et de ce que l'on appelle «les forces vives» de nos sociétés, la nouvelle co-présidence du Conseil Franco-britannique va donner une nouvelle impulsion aux activités du Conseil. Je saisis l'occasion pour saluer la Baronne Tessa Blackstone et le Pr. Christian de Boissieu, ici présents ce soir.
De manière générale, l'activité du Centre franco-britannique atteste de la richesse exceptionnelle de notre relation bilatérale : c'est très loin des clichés que le Royaume-Uni et la France entretiennent une relation intense, que l'on pourrait qualifier d'alliance. La densité de nos relations bénéficie d'une impulsion au plus haut niveau de nos États. Le président de la République française est ainsi venu à quatre reprises au Royaume-Uni depuis qu'il a été élu l'an dernier, la dernière fois en juin à l'occasion du Sommet du G8 de Lough Erne.
Je ne souhaite pas recenser ici l'ensemble des composantes de notre relation, tant leur champ est immense, des questions de défense aux sujets économiques, culturels et sociaux, comme je l'ai déjà dit. Mais je pourrais trouver de nombreuses illustrations de ce que nous représentons l'un pour l'autre :
- Tout d'abord, nous sommes liés par l'attirance de nos peuples et de nos cultures. Ainsi, chaque année 10 millions de touristes britanniques viennent en France, et 3,5 millions de Français séjournent en Grande-Bretagne. Le montagnard que je suis ne manquera pas de souligner que les Britanniques sont les premiers skieurs étrangers dans les stations françaises !
- Il faut également souligner combien notre coordination est étroite sur la quasi-totalité des grands dossiers internationaux du moment, du Mali (sur lequel nous avons reçu, immédiatement, le soutien sans faille de la Grande Bretagne), à la Syrie en passant à l'Égypte, ainsi qu'à la lutte contre le terrorisme. Notre collaboration au sein du Conseil de sécurité des Nations unies est précieuse : 75 % des propositions qui y sont examinées sont rédigées pat la France et par le Royaume-Uni.
- Pour ce qui est de la défense, l'adoption de notre Livre blanc et l'engagement de dépense annuel qui y est contenu constitueront, en particulier, d'utiles repères pour garantir la montée en puissance de nos projets communs, dans l'esprit des Traités de Lancaster House.
- Je pourrais également évoquer le commerce et l'entreprenariat : 1600 sociétés françaises sont actuellement implantées ici, et la France et le premier pays d'accueil des investissements britanniques en Europe ; ou les équipements sur lesquels nous coopérons : l'Airbus A400, les avions de combats du futur, les missiles anti navires légers pour nos bateaux de guerre. L'échange de nos savoir-faire de part et d'autre de la Manche est une source de richesse indéniable pour nos développements économiques et technologiques.
Ces sujets fondamentaux, qui touchent aux intérêts vitaux de nos pays, comme les grands dossiers industriels seront, comme c'est de tradition, à l'ordre du jour du Sommet franco-britannique, qui pourrait se tenir à l'automne prochain ou au début de l'année 2014. Mais l'on peut aussi songer à élargir le champ de nos réflexions et projets communs et y intégrer de nouveaux thèmes.
Cette année du 40ème anniversaire nous projette donc très rapidement vers d'autres perspectives pour oeuvrer en commun et bâtir. Je le disais, l'année 2014 sera marquée par de grandes de commémorations, car le poids de l'histoire est toujours présent dans la relation franco-britannique : début des commémorations du centenaire de la Première guerre mondiale, qui sera l'occasion de rappeler l'importance essentielle du dialogue pour surmonter les antagonismes nationaux, démarche qui est à l'origine même de la construction européenne. 2014 sera marquée aussi par le 70ème anniversaire du Débarquement sur les plages de Normandie et, plus près de nous, par le 20ème anniversaire de l'entrée en service du tunnel sous la Manche, que j'évoquais en introduction.
Ces jalons prouvent que l'on ne peut évoquer l'Europe sans la conscience du poids de l'Histoire et de la géographie qui forgent notre destin. Cela me conduit à évoquer en particulier le thème donné par le Conseil franco-britannique à notre rencontre : «Making the case for Europe».
Mesdames et Messieurs, comme pour David Lidington, c'est bien là le coeur de ma préoccupation. C'est surtout tout le sens de la politique européenne menée inlassablement par le président de la République depuis mai 2012.
Car pour réconcilier les citoyens avec l'Europe, il est impératif que cette dernière apparaisse comme répondant à leurs préoccupations et à leurs aspirations quotidiennes. Il est en effet essentiel de montrer à nos concitoyens, frappés par la crise et le chômage, que l'Union européenne agit pour améliorer leur situation et prend des initiatives pour accompagner les efforts des États membres en faveur du retour à la croissance.
C'est ce que nous nous efforçons de faire, et nous avons déjà obtenu des avancées importantes. Le Pacte européen pour la croissance et l'emploi, adopté en juin 2012, a constitué une première étape : nous suivons sa mise en oeuvre et, notamment celles des 120 milliards d'euros de «mesures à effet rapide». Le Conseil européen de la fin-juin dernier a constitué une seconde étape, avec les mesures en faveur de l'emploi des jeunes, le plan d'investissement et les mesures en faveur du financement de l'économie, en particulier des PME.
Réconcilier l'Europe avec les citoyens, c'est montrer également qu'elle répond à leurs préoccupations sociales. C'est ainsi, par exemple, que la France a beaucoup oeuvré pour le maintien du Fonds européen pour l'aide aux plus démunis, qui contribue aux banques alimentaires. Qui aurait pu comprendre, sur le terrain, que l'Union, alors que nous sommes en crise profonde, décide pour de pures raisons juridiques, de ne plus contribuer à une action que tant de personnes concernées jugent bien sûr indispensable ?
Réformer l'Europe, c'est aussi s'assurer que la zone euro ait les moyens de fonctionner de manière optimale. Nous avons avancé dans cette voie, en particulier avec les premières étapes de l'Union bancaire. Nous poursuivrons au cours des prochains mois. Au-delà, la contribution conjointe franco-allemande du 30 mai est venue donner des pistes ambitieuses pour le futur.
Nous sommes très heureux de ce que les Britanniques, bien que non membres de la zone euro (et décidés à le rester !), aient constamment indiqué partager notre opinion selon laquelle renforcer l'organisation et la gouvernance de la zone euro était nécessaire pour lui permettre de mieux résister aux crises.
Cette plus grande intégration au sein de l'Union économique et monétaire est une nécessité pour les États qui ont une monnaie commune en partage. Mais elle n'est nullement dirigée contre les États membres qui n'utilisent pas cette monnaie unique. Les sommets et conseils ministériels de la zone euro, voire un organe dédié au sein du Parlement européen, ne traiteront que des dossiers propres à la zone euro.
Il en va déjà de même pour les sommets de la zone euro : David Lidington a insisté sur le rôle moteur du Conseil européen. Nous avons aussi besoin de sommets réguliers des chefs d'État et de gouvernement de la zone euro pour donner une impulsion, mais bien sûr, non pas pour prendre des décisions qui concernent les politiques communes à 28 et, singulièrement, ce qui concerne le marché intérieur.
Je voudrais insister sur ce point, car j'entends, ici et là, que les États qui ne participeraient pas à l'euro seraient mis en minorité automatiquement sur tous les sujets. Cela n'a pas de fondement concret. D'ailleurs, nous avons noté avec intérêt que le dernier rapport de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des communes, dont j'ai rencontré le président tout à l'heure, signale que, parmi les pays avec qui le Royaume-Uni vote le plus souvent à Bruxelles, il y a des États hors de la zone euro et d'autres qui en font partie ; et que parmi ces derniers, il y a la France. Nous sommes très heureux que les Britanniques partagent notre opinion selon laquelle renforcer la zone euro était nécessaire pour lui permettre de mieux résister aux crises.
Au-delà, nous savons tous que l'Europe, comme toute création institutionnelle, doit évoluer et se remettre en question en permanence.
Je sais les débats auxquels ces questions donnent lieu au Royaume-Uni. Je sais aussi l'exercice d'audit des compétences qui a été lancé dans le cadre de vos débats internes. Il ne m'appartient pas de commenter ces réflexions : je veux seulement former le voeu qu'elles conforteront la conviction qu'a le Royaume-Uni de son intérêt d'être dans l'Union.
Car nous connaissons aussi tous, des deux côtés de la Manche, les acquis du projet européen: un vaste marché commun ; des politiques communes, qui forment un ensemble de solidarités multiples ; des valeurs partagées que le monde nous envie et qu'il nous appartient de promouvoir.
Aussi, même si la critique est parfois justifiée, sachons aussi défendre l'Europe, dans nos circonscriptions, dans le débat public, dans la réflexion universitaire, dans nos responsabilités spécifiques quotidiennes.
Voilà en quelques mots ce que je souhaitais vous dire pour la célébration de ce 40e anniversaire du Conseil franco-britannique. Il est donc, vous l'aurez compris, l'occasion de rappeler l'importance décisive de la relation franco-britannique, qui est au coeur de l'Europe. Elle sera d'autant plus décisive dans la période difficile que nous vivons. Cette période devra, comme par le passé, être traversée ensemble, côte à côte, pour bâtir une Europe au service de nos peuples!
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juillet 2013