Interview de M. François Lamy, ministre de la ville, à France Inter le 8 juillet 2013, sur la politique en faveur des banlieues et les propositions du rapport Bacqué - Mechmache sur la politique de la ville.

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Média : France Inter

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Un gros plan ce matin sur la ou les politiques des banlieues. De plans d'urgence en plans Marshall, la France a-t-elle vraiment tout essayé pour ses quartiers, comment redonner enfin la parole à ceux qui y vivent ? C'est le sens d'un rapport aux propositions parfois détonantes, on va en parler dans un instant, qui sera remis au gouvernement ce matin. Pour en parler jusqu'à 8H50 trois invités, le ministre de la Ville François LAMY, qui défendra dans quelques jours un projet de loi sur les banlieues, bonjour à vous et bienvenue.
FRANÇOIS LAMY
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Face à vous l'un de vos prédécesseurs à ce ministère de la Ville, ancien député UMP, maire du Raincy en Seine-Saint-Denis, Eric RAOULT, bonjour et bienvenue.
ERIC RAOULT
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Et Mohamed MECHMACHE, le fondateur du collectif AC LeFeu, collectif né dans la foulée des violences urbaines de 2005, qui est l'un des auteurs de ce rapport et qui nous rejoindra dans quelques instants, puisque pour tout vous dire il est lui aussi coincé dans les bouchons. Je vais donc donner la parole aux deux ministres, ou ex-ministre de la Ville, qui sont ce matin dans le studio de FRANCE INTER. Qu'est-ce qu'on n'a pas encore essayé aujourd'hui pour les banlieues en France et qu'on devrait essayer pour enfin tenter de régler la situation, François LAMY ?
FRANÇOIS LAMY
Moi je pense que ce qu'on n'a pas essayé c'est d'agir sur le fond et dans la durée. C'est vrai que les gouvernements ont souvent eu tendance à essayer, justement comme vous le disiez, de faire des plans Marshall, des plans d'urgence, et ainsi de suite, alors que la situation est difficile dans ces quartiers, elle est encore plus difficile à cause de la crise, et je crois qu'il y a trois évolutions culturelles, je vais dire culturelles majeures, à réaliser dans notre pays, c'est ce que je m'efforce de faire. La première c'est qu'on reconnaisse qu'il y a des fractures urbaines, et donc que les politiques publiques mènent des politiques différenciées à l'intérieur de ces quartiers. C'est ce que je suis en train de faire actuellement avec… où je signe des conventions, ça c'est une première de l'histoire de la République, je conventionne avec chacun de mes collègues, sur le thème « qu'est-ce que ton ministère peut faire de plus pour les quartiers ? » La deuxième chose, c'est qu'il faut qu'on travaille sur des politiques de peuplement, sur la mixité sociale, et donc cela ça suppose d'augmenter l'offre de logements, et d'avoir une offre de logements qui soit suffisamment diversifiée pour que tout d'un coup cette mixité s'installe. Et la troisième chose c'est de mettre le citoyen au coeur des politiques de la ville, en faire un acteur, c'est le sens du rapport d'aujourd'hui.
MARC FAUVELLE
C'est le sens du rapport qui vous est remis ce matin, on va en parler avec Mohamed MECHMACHE dans quelques instants, quand il nous aura rejoints. Eric RAOULT, il y a plusieurs politiques des banlieues aujourd'hui ? Il y a une politique de droite, une politique de gauche, ou il y a une forme de consensus, d'abord pour dire que ça ne marche pas depuis 30 ans en France, et puis peut-être…
FRANÇOIS LAMY
Il ne faut pas dire que ça ne marche pas.
MARC FAUVELLE
Le rapport de la Cour des comptes publié l'an dernier était au vitriol, disant qu'on avait absolument tout essayé, dispersé des aides dans toute la France…
FRANÇOIS LAMY
Oui, c'est vrai qu'il y a des problèmes, mais ce que disent les élus surtout c'est, qu'est-ce qui se serait passé s'il n'y avait pas eu de politique de la ville justement dans ces quartiers.
MARC FAUVELLE
Eric RAOULT, il y a une politique de droite et une politique de gauche ? Et on accueille Mohamed MECHMACHE à qui on va laisser le temps de s'installer, bienvenue à vous dans ce studio. Eric RAOULT.
ERIC RAOULT
Non, je ne pense pas qu'il y ait de politique de gauche, ou de droite, sur la ville, il y a d'abord une continuité, et moi je voudrais avoir un mot tout particulier pour celui qui avait redonné l'espoir, et que ses amis lâchent allégrement, il s'appelait Bernard TAPIE. Il avait, sous l'autorité de François MITTERRAND…
MARC FAUVELLE
C'était il y a 20 ans !
ERIC RAOULT
Oui, mais il avait, sous l'autorité de François MITTERRAND, après Michel DELEBARRE, marqué un certain nombre de points sur lesquels les uns et les autres avons travaillé. C'est une politique consensuelle, faire plus pour ceux qui ont été remisés là, parce qu'ils ont beaucoup moins que les autres. Et je crois que, si je peux faire simplement un petit reproche à François LAMY, parce qu'il est convivial et puis tout…
MARC FAUVELLE
Il demande l'autorisation avant !
FRANÇOIS LAMY
Oui…
ERIC RAOULT
Mais il a oublié, il a oublié l'adresse de ses prédécesseurs.
FRANÇOIS LAMY
Pas du tout.
ERIC RAOULT
Et donc en fonction de ça…
MARC FAUVELLE
Allez, on va laisser Bernard TAPIE de côté pour une fois, on en parle beaucoup…
FRANÇOIS LAMY
Oui, surtout qu'il n'est resté qu'1 mois, la première fois, donc…
ERIC RAOULT
Eh bien oui, vous l'avez viré après. En fonction de ça, la particularité de la politique de la ville, il peut y avoir de l'autorité, de l'activité, mais il faut quand même ne pas oublier une chose, c'est que ce n'est pas des territoires, ce sont des communes, et ces communes doivent mener une politique en accord avec l'Etat, donc il y a l'Etat et la mairie, et puis d'autre part je crois qu'il faut bien voir qu'il y a eu beaucoup de points communs, entre les uns et les autres, et on n'a pas à faire du révisionnisme urbain, à oublier ce que les autres ont fait, sur un certain nombre de quartiers. Sur Clichy-Montfermeil, merci SARKOZY.
MARC FAUVELLE
On va en venir justement au… alors, on va laisser l'hommage à Bernard TAPIE et le cas de Nicolas SARKOZY pour s'intéresser aux propositions qui sont donc dans le rapport que vous co-rédigez Mohamed MECHMACHE. Je vais vous demander, je simplifie évidemment, je grossis le trait, qu'on donne ou qu'on redonne enfin la parole aux populations concernées. Vous dites, depuis des années on plaque des politiques venues d'en haut, il faut redonner la parole, vous faites pas mal de propositions, vous créez notamment une Autorité qui serait financée - c'est là où on va en parler avec les deux politiques qui sont sur ce plateau – financée grâce à l'argent public donné aux partis politiques et grâce à la réserve parlementaire des députés et des sénateurs. Expliquez-nous.
MOHAMED MECHMACHE
Bonjour. Tout à fait.
ERIC RAOULT
Tu penses au Parti communiste là, ou au Parti socialiste ?
MOHAMED MECHMACHE
Si je peux démarrer, Monsieur RAOULT…
MARC FAUVELLE
C'était une intervention d'Eric RAOULT.
MOHAMED MECHMACHE
Voilà. Donc oui effectivement, on fait ces propositions en se disant qu'on ne rajoute pas de l'argent, on ne va pas chercher de l'argent, on va créer de l'argent en plus, c'est récupérer de l'argent qui existe déjà. Donc on a estimé que c'était important, effectivement, que cet argent soit reversé en direction des habitants des quartiers populaires, mais au-delà des quartiers populaires, parce qu'on ne va pas toujours se refermer sur les quartiers populaires, sachant qu'aujourd'hui, dans la politique de la ville, il y a aussi des quartiers ruraux qui ont aussi besoin effectivement qu'on ait autant d'attention que ceux des quartiers populaires et sensibles. Donc voilà. C'est effectivement créer, avec ces financements, d'aller les récupérer, parce que c'est aussi de l'argent public, qu'on puisse réinjecter en direction des habitants pour effectivement créer et pouvoir avoir une autonomie sur des contre-expertises, sur des projets qui seraient menés contre leur gré si une municipalité décide, à un moment donné ou à un autre. On a pris des exemples comme la rénovation urbaine, ou on aurait pu, peut-être aussi, il y avait un collectif d'habitants ou d'associations qui se serait organisé autour d'une table, parce que c'est une des propositions qu'on fait aussi, pouvoir peut-être, avec cet argent, créer une contre-expertise en disant que, voilà, pour peut-être améliorer le quotidien de ces habitants il y aurait peut-être besoin d'avoir des financements et d'apporter une analyse différente.
MARC FAUVELLE
Et l'idée c'est vraiment qu'on entende ces populations plutôt, donc, que de décider par – je rappelais tout à l'heure – les plans Marshall, on a entendu ça depuis 20 ans en France, les plans banlieue, le dernier a d'ailleurs été enterré il y a quelques mois par François HOLLANDE. On ne les entend pas aujourd'hui les populations des quartiers défavorisés ?
MOHAMED MECHMACHE
Non, je trouve qu'on a été un peu oubliés, ça c'est clair. Pendant la campagne présidentielle… il a fallu, souvenez-vous, qu'on crée un ministère de la crise des banlieues pour que du coup la question des quartiers populaires revienne sur le débat politique. Là je trouve que c'est quand même une première pour nous, qu'on nous ait permis, avec Marie-Hélène BACQUE et moi-même, avec un regard croisé, d'une universitaire sociologue urbaniste et d'un du tissu associatif, de pouvoir travailler autour d'un projet, d'un rapport. Enfin, de ma personne, je n'ai jamais connu ça depuis 30 ans.
MARC FAUVELLE
Et ce n'est pas forcément qu'on aurait attendu, vous qui êtes d'habitude très critique, que ce soit contre la droite, la gauche, en tout cas pour défendre les banlieues, on vous entend depuis 2005 dans la foulée des violences urbaines.
MOHAMED MECHMACHE
Oui, bien sûr.
MARC FAUVELLE
François LAMY, je réagis à ce que dit Mohamed MECHMACHE à l'instant, la gauche a un peu oublié les banlieues, François HOLLANDE a un peu oublié les banlieues ? On va vous dire un rapport de plus sur la table, il y en a déjà eu je ne sais pas combien depuis des années.
FRANÇOIS LAMY
Je n'ai pas l'impression qu'on ait oublié les banlieues depuis 1 an, puisqu'il y a eu beaucoup de choses de faites, et vous parliez d'un projet de loi qui va être déposé prochainement sur la table du Conseil des ministres, il y a un certain nombre d'autres actions sur lesquelles je n'ai pas le temps de revenir, mais moi ce qui me semble important surtout c'est de… On ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle, on ne peut pas constater un abstentionniste plus fort à l'intérieur de ces quartiers populaires, une montée des extrémismes, montée, qu'il ne faut pas nier dans certains quartiers, d'un fondamentalisme religieux, et en même temps dire, eh bien écoutez, ce n'est pas grave, ou on laisse ces quartiers de côté. Moi je pense…
MARC FAUVELLE
Mais tout le monde est d'accord pour dire ce qui se passe aujourd'hui, tout le monde est d'accord depuis des décennies, depuis Bernard TAPIE.
FRANÇOIS LAMY
C'est pour ça que j'ai commandé ce rapport à Mohamed MECHMACHE et Marie-Hélène BACQUE, parce que je suis réellement persuadé que c'est à la fois par l'action des pouvoirs publics, par le fait que la République revienne à l'intérieur de ces quartiers d'une façon différente, mais c'est aussi par l'intervention des citoyens que tout d'un coup on peut lutter contre cet abstentionnisme. C'est vrai que, je le dis souvent sur la rénovation urbaine, qui accepterait, autour de cette table aujourd'hui, parmi vos auditeurs, qui accepterait qu'on arrive en jour en vous disant écoutez, « monsieur, madame, vous allez quitter votre appartement, votre immeuble va être démoli, on ne sait pas quand, vous allez être relogés, on ne sait pas où, on vous le dira. » Personne n'accepterait ça et pourtant on l'a fait à l'intérieur de ces quartiers, pour de bonnes raisons. Et ça, je crois que ce n'est plus possible, ce n'est pas digne vis-à-vis des habitants des quartiers populaires, et surtout, surtout ça crée un sentiment de relégation, de stigmatisation, qui est insupportable dans notre République.
MARC FAUVELLE
Eric RAOULT.
ERIC RAOULT
Je voudrais d'abord, avant qu'il soit un jour nommé au Conseil Economique et Social, dire à Mohamed MECHMACHE que, ce n'est pas tout à fait les mêmes montants, le financement des partis politiques ce n'est pas des centaines de millions d'euros, et d'autre part…
MOHAMED MECHMACHE
Surtout à l'UMP ces temps-ci !
ERIC RAOULT
Oui, voilà, et d'autre part, bon allez, on va le dire…
FRANÇOIS LAMY
C'est 70 millions.
ERIC RAOULT
Et je pense que là-dessus Mohamed il sera d'accord, il doit le voir même à Noisy-le-Sec, HOLLANDE ce n'est pas son truc les banlieues, c'est plutôt la gauche techno que la gauche populo, et donc en fonction de ça, heureusement qu'il y a un banlieusard comme LAMY pour essayer de remonter les choses, moi j'aurais voulu que ce soit plutôt quelqu'un qui ait le profil de Martine AUBRY, qui connaît, qui a vécu ça, mais l'autre il était plutôt à Tulle qu'à Mantes-la-Jolie. C'est ça le problème de la gauche aujourd'hui.
FRANÇOIS LAMY
L'autre c'est le président de la République.
ERIC RAOULT
C'est qu'ils déçoivent, ils déçoivent. Ils ont fait des promesses et ils ne les tiennent pas.
MARC FAUVELLE
Eric RAOULT, pardon je vous interromps, Eric RAOULT, ancien ministre de la Ville, François LAMY ministre de la Ville aujourd'hui, Mohamed MECHMACHE, président d'AC, fondateur, pardon, du collectif AC LeFeu, vous restez avec nous dans ce studio si vous voulez bien, avec les questions des auditeurs de FRANCE INTER à partir de 8H36, vous pouvez appeler dès à présent le standard 01.45.24.7000. Vos témoignages sur la vie en banlieue, vos solutions également, que vous pouvez soumettre à nos invités, on va continuer d'en parler jusqu'à 8H50.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 juillet 2013