Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Cest pour moi un plaisir et un honneur de pouvoir mexprimer devant vous. Il y a cinq mois, jaccompagnais le Président de la République française, François Hollande, pour sa visite dEtat en Inde. Cétait sa première visite bilatérale en Asie. Pour nous, le choix était fait : lInde est une priorité majeure de notre diplomatie. Nous tenions donc à marquer avec éclat le 15ème anniversaire du Partenariat stratégique franco-indien, conclu en 1998. A loccasion de cette visite, des paroles fortes ont été prononcées, de part et dautre. Ces paroles sont dautant plus importantes quelles reflètent une réalité politique et humaine profonde, une confiance exceptionnelle entre nos deux pays. Quinze ans, cest encore ladolescence. Tout indique que le partenariat franco-indien va encore grandir, en taille, en maturité, en force.
Nous partageons la même vision politique. Nous partageons de nombreuses valeurs communes : la démocratie, lEtat de droit, la liberté individuelle, le respect des droits fondamentaux et des droits de lhomme. Nous sommes profondément attachés à notre indépendance nationale et à notre autonomie stratégique. Nous voulons un monde en paix et en sécurité, conformément à la Charte des Nations-Unies.
Nos deux pays se consultent sur tous les grands sujets internationaux. Nous le faisons dans un esprit de compréhension mutuelle, de respect, de confiance et même de soutien, en prenant en compte nos intérêts de sécurité respectifs. Je peux vous dire quen dehors de nos Alliés et partenaires européens, il ny a que peu de pays, à travers le monde, avec lesquels nous sommes prêts à aller aussi loin quavec lInde.
Aujourdhui, le concept de partenariat stratégique a eu tendance à se diluer dans un usage immodéré des mots. Ma conviction est quavec lInde, ce concept a gardé tout son sens : parce quils ont confiance lun dans lautre, nos deux pays avancent ensemble dans des coopérations intenses, dans des domaines sensibles comme la défense, le nucléaire civil, lespace, la sécurité et le contre-terrorisme.
Jajoute enfin que nous avons la chance, dans nos deux démocraties, que cette relation exemplaire soit assise sur un socle politique et populaire, qui dépasse les divisions partisanes. La continuité est donc la règle. En France comme en Inde, nous avons connu des alternances politiques et des situations institutionnelles qui pouvaient être complexes. Nous avons signé le partenariat stratégique en janvier 1998, entre une France dont le Président et le gouvernement nappartenaient pas à la même orientation politique, et le gouvernement du « Front uni » du Premier Ministre I.K. Gujral, qui se dirigeait vers sa fin. Cest donc le gouvernement indien suivant, celui dAtal Behari Vajpayee qui a posé les bases du partenariat, portées ensuite par les deux gouvernements de Manmohan Singh.
Je souhaite rendre un hommage particulier à ces trois grands Premiers Ministres de lInde, qui ont partagé une même vision de la relation avec la France. De notre côté, trois Présidents et trois majorités politiques différentes ont construit, avec la même détermination, une même politique vis-à-vis de lInde. Cette continuité est notre force. Elle se poursuivra à lavenir.
Je me suis entretenu ce matin avec lhonorable Ministre de la Défense de lInde, Monsieur A.K. Antony. Nous nous reverrons ce soir pour approfondir ces échanges. Cest notre troisième rencontre en treize mois.
Comme je veux aussi aller à la rencontre des hommes et des femmes qui assurent la défense de lInde, je me rendrai demain à Gwalior, pour visiter la base aérienne de lIAF. Cest là que sont basés les Mirage 2000 fournis par la France dans les années 1980 et qui sont en cours de rénovation, pour les mettre aux meilleurs standards actuels. Je noublie pas que ces avions ont joué un rôle majeur dans la victoire indienne pendant le conflit de Kargil, en 1999, dont cest aujourdhui lanniversaire.
Comme vous pouvez le voir, nous avons donc une base solide pour aller de lavant, en particulier dans le domaine de la défense. Je men félicite avec vous.
[La stratégie française de défense et de sécurité nationale]
Je suis aussi venu exposer aux autorités indiennes et à vous-mêmes, qui représentez la communauté politico-militaire à Delhi, les grands axes de notre nouvelle stratégie de défense. Le Président de la République française, qui est, comme ici en Inde, le chef des Armées, vient dapprouver le document que nous appelons le « Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale ». Ce Livre blanc est disponible en anglais. Il est le résultat de plusieurs mois de réflexions et de débat, qui ont associé lEtat, des chercheurs, des personnalités politiques, des acteurs économiques ainsi que des contributions de nos partenaires étrangers, y compris de lInde.
Je tiens à dire que je trouve tout à fait naturel de venir exposer ici les principes, les missions et les moyens que nous allons mettre en oeuvre au cours des prochaines années. Cest aussi le signe du développement de notre relation de défense. LInde est bien en droit de savoir comment son partenaire français organise sa sécurité et sa défense. Au cours des dernières semaines, jai dailleurs fait une présentation de notre Livre blanc à Washington et à Londres, les Etats-Unis et le Royaume-Uni étant aussi pour nous, bien sûr, des partenaires de défense essentiels. Je me suis aussi exprimé à Singapour, dans le cadre du dialogue de Shangri La, car lAsie revêt une importance majeure dans notre politique de défense et de sécurité.
Le précédent Livre blanc datait de 2008. Depuis, notre environnement stratégique a profondément évolué, de même que notre environnement économique. Il fallait concilier deux impératifs de souveraineté : notre autonomie stratégique et notre souveraineté financière, alors que le niveau des menaces na pas baissé mais que la crise en Europe a fragilisé nos finances publiques.
Le Président de la République a fixé le cap : nous aurons une nouvelle stratégie militaire et industrielle qui garantira notre autonomie stratégique. Ainsi, leffort de défense actuel de la France sera maintenu : de 2014 à 2019, nous engagerons 190 milliards deuros. En moyenne, cela représente un effort de défense de 1,8% du PIB de la France jusquen 2020, selon les normes de lOTAN. Malgré la crise économique, la France se donne donc les moyens de rester lune des principales puissances militaires du monde.
Notre cadre daction a un nom : lautonomie stratégique. Cest un objectif permanent, que nous partageons dailleurs avec lInde. Cest un principe que nous appliquons dans nos relations avec nos alliés de lOTAN et nos partenaires européens au sein de lEurope de la défense.
Cette autonomie stratégique, voici ce quelle veut dire pour nous.
La souveraineté nationale repose sur lautonomie dappréciation, de décision et daction de lEtat. Cela ne veut pas dire que nous soyons drapés dans lisolement ou lunilatéralisme. Au contraire, nous entendons coopérer avec nos partenaires et nos alliés pour la sécurité du monde. Nous respectons le droit international. Cest un choix et une nécessité à la fois. Mais nous entendons rester maîtres de nos décisions et de nos actions en matière de défense et de sécurité.
La mission première qui structure nos forces est bien sûr la protection du territoire et de la population française. Cette capacité de protection est intimement liée à notre capacité de dissuasion nucléaire et dintervention extérieure. Elle s??enrichit depuis plusieurs années dune posture de cyberdéfense qui va prendre une importance croissante.
Notre dissuasion nucléaire indépendante repose sur un total de moins de 300 armes nucléaires, susceptibles dêtre lancés à partir de deux composantes : une composante sous-marine océanique permanente organisée autour de quatre sous-marins à propulsion nucléaire, équipés de missiles balistique intercontinentaux ; une autre composante qui est aéroportée, avec deux escadrons davions de chasse Mirage 2000N et Rafale. Le Rafale, embarqué sur le porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle, peut participer aussi à la dissuasion nucléaire.
Cette force de dissuasion protège la France de toute agression ou menace dorigine étatique contre ses intérêts vitaux. Elle garantit donc aussi notre autonomie daction et de décision, notamment à lencontre des tentatives de chantages contre nos intérêts vitaux. Elle est strictement défensive et son emploi ne serait concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense. Elle est la garantie ultime de la sécurité, de la protection et de lindépendance de la France. Mais elle contribue aussi à la sécurité de nos Alliés. Le format de la dissuasion nucléaire respecte un principe de stricte suffisance, la France nayant jamais participé à une course aux armements nucléaires. La fiabilité et la sécurité de nos armes est assurée par un programme de simulation dessais nucléaires, depuis que nous avons ratifié le Traité dinterdiction des essais nucléaires.
Lintervention des forces à lextérieur du territoire national, cest-à-dire la projection de puissance, confère à la France la profondeur stratégique indispensable à sa sécurité. Nous navons pas, à ce jour, de menace directe aux frontières terrestre de la France. Mais notre sécurité, dans le monde actuel, ne sarrête pas à nos frontières. Notre histoire na dailleurs jamais cessé dêtre mêlée à celle du monde. Il sagit pour nous de protéger les Français établis hors de France, parfois dans des zones dangereuses, de défendre nos intérêts stratégiques et dexercer nos responsabilités internationales, au service de la paix et de la sécurité dans le monde. A ce sujet, je souhaite rendre hommage aux forces armées indiennes qui assurent, sous commandement de lONU, des missions essentielles de maintien de la paix dans plusieurs pays en crise, en particulier en Afrique et au Liban, souvent en payant le prix du sang, comme encore récemment au Soudan.
La France entend ne laisser aucun doute sur sa volonté et sa capacité dagir, dans le respect du droit international. Cest ce que notre engagement au Mali cette année, contre des terroristes affiliés à Al Qaida, a amplement démontré. Les zones prioritaires sont pour nous la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, lAfrique du Sahel à lAfrique équatoriale, le Golfe arabo-persique et lOcéan indien, mais aussi plus loin en Asie, comme la rappelé notre engagement en Afghanistan.
Il est clair que nous navons plus besoin, face aux menaces actuelles, de capacités massives comme celles que nous déployions pendant la guerre froide face à la menace soviétique. Nous avons en revanche besoin de moyens robustes, rapides, mobiles, professionnels.
Au-delà des capacités que nous consacrons par ailleurs à la protection permanente du territoire, nous serons donc prêts à engager pour des missions de stabilisation et de gestion des crises, dans toute leur diversité, un total de 7000 hommes sur trois théâtres, et les unités aériennes et navales associées.
Tout en conservant une partie des responsabilités exercées sur des théâtres déjà ouverts, nous disposerons aussi, pour une action de coercition majeure, dune force interarmes capable dentrer en premier sur le théâtre dopérations. Composée denviron 15000 hommes des forces terrestres, cette force pourra associer 45 avions et un groupe aéronaval, dont des bâtiments de projection et de combat et un sous-marin nucléaire dattaque. Il sagit de capacités autonomes, formées et entraînées pour ces théâtres dopération, appuyées par des équipements performants. Cette force incorporera également des capacités de renseignement et de cyberdéfense renforcées, car ce sont des priorités pour nous, ainsi que des forces spéciales, des drones et du ravitaillement en vol pour les forces aériennes. Le Livre blanc est précis : en cas de crise ouverte en Asie, la France, en fonction de ses responsabilités internationales, apporterait, aux côtés de ses alliés, une contribution politique et militaire pour y répondre.
Lexpérience montre en effet que dans la plupart des situations, nous serons conduits à agir dans le cadre dopérations collectives multinationales, associant nos alliés et nos partenaires. La France veut être en mesure dexercer les responsabilités de Nation-cadre, avec les moyens de commandement et de contrôle correspondants. Bien sûr, en priorité, nous serons associés à nos principaux alliés de lOTAN, ou à nos partenaires européens, dont nous souhaitons quils prennent une responsabilité croissante en matière de défense. Cest le sens des initiatives que nous prenons avec eux, en développant de manière pragmatique des projets concrets, pour renforcer lEurope de la Défense et optimiser lusage de ressources financières contraintes.
Concernant les capacités militaires proprement dites, je voudrais souligner quelques-unes des priorités définies par notre Livre blanc.
La cyberdéfense dabord. Déjà bien identifiée dans le Livre blanc de 2008, elle est devenue une priorité majeure. Nous nous équipons de capacités techniques de renseignement dans ce domaine, pour identifier lorigine des attaques, évaluer les capacités offensives des adversaires potentiels, et pouvoir les contrer. Ces capacités didentification et daction offensive sont essentielles pour la riposte. Nous allons consentir un effort financier marqué, avec une organisation de la cyberdéfense intégrée aux forces armées, et aussi des capacités offensives et défensives pour préparer et accompagner les opérations militaires.
Le renseignement ensuite. Connaître et anticiper est un impératif pour apprécier par nous-mêmes les situations et prendre les décisions en connaissance de cause. Nous allons donc continuer de développer nos capacités spatiales, nationales ou partagées avec des partenaires européens, de renseignement électromagnétique et dimagerie. Elles doivent servir pour la préparation et la conduite dopérations militaires, mais aussi pour la dissuasion, et face à la menace balistique qui nécessite des capacités dalerte précoce.
En arrière-plan, nous réaffirmons bien sûr notre ambition industrielle. Elle est une part intégrante de notre autonomie stratégique. Au fil des décennies, nous avons construit une base industrielle nationale comme peu de pays en ont. Elle couvre les principaux domaines dactivités. Vous connaissez les grands industriels français : Dassault, Eurocopter, MBDA, Nexter, Safran, Thalès, et dautres encore. Ils sont tous présents en Inde. La situation économique en Europe nest pas satisfaisante. Mais nous ferons tout pour préserver et même développer lindustrie de défense dans cette période difficile.
La priorité de la décennie à venir ira donc à la recherche et au développement. Elle ira aussi à la compétitivité et au renforcement de notre base industrielle et technologique, en France et en Europe. Leffort déquipement et de modernisation de nos forces contribuera à cet objectif.
Notre ambition est claire. Nous entendons maintenir à un niveau dexcellence mondiale les compétences de lindustrie française, pour être en mesure de continuer de développer de nouvelles technologies et de nouveaux types darmement, en intégrant toutes les technologies innovantes, civiles ou militaires. Pour cela, la veille technologique et le financement détudes en amont revêtiront un caractère stratégique. Les exportations sont un élément bien sûr important de cette stratégie industrielle. Le développement de coopérations en Europe sera favorisé, avec pour objectif le développement de pôles de compétences spécialisés et complémentaires. Jajoute que cest aussi ce que nous pourrons faire avec lInde, si elle le souhaite. Jy reviendrai plus tard.
[Les menaces pour la France et lInde]
Notre analyse a été conduite avec réalisme. La politique de défense qui en découle nous permettra de répondre aux menaces daujourdhui et de nous préparer à celles de demain. Ces menaces, certaines sont connues et immédiates, comme le terrorisme ou les cyberattaques. Dautres sont en gestation mais nous pouvons les prévoir : ce serait par exemple lIran si ce pays se dotait de larme nucléaire. Notre histoire nous a appris aussi quune surprise stratégique est toujours possible. Surprise militaire, avec lémergence dune menace imprévue, ou bouleversement politique ou économique qui modifie radicalement notre environnement de sécurité. Qui avait prévu ou pu anticiper les crises financières de 2008 et 2011, ou encore les révolutions arabes qui ont suivi ?
La géographie et lhistoire font que lInde et la France ne vivent pas dans les mêmes contextes sécuritaires. Mais la mondialisation, lévolution technologique, le caractère transversal de nombreuses menaces actuelles ou à venir font que nous sommes exposés bien plus quhier à des menaces similaires à bien des égards.
De plus, lAsie est aujourdhui une des régions les plus dynamiques du monde. Sa stabilité et sa croissance sont devenus essentiels à la prospérité des économies occidentales. Les grands groupes français ont beaucoup investi en Asie, en particulier en Inde où 350 sociétés détiennent un stock dinvestissement de quelque 18 milliards de dollars accumulé en quelques années. Ce mouvement va continuer. Votre stabilité et votre sécurité garantissent aussi nos intérêts économiques.
Mais le fait est que la stabilité et la sécurité de lAsie ne sont pas assurées. Les structures de sécurité collective ne sont pas encore parvenues à maturité. Nos alliés américains en ont tiré les conséquences, avec leur « pivot » ou « rééquilibrage » vers lAsie. Nous pensons que cela peut être un développement positif. Notre engagement renforcé en Asie, en particulier avec lInde, et dans les zones de lOcéan indien et du Golfe qui lui sont adjacentes, va dans le même sens. Les partenariats de défense que nous nouons avec de nombreux pays lillustrent : Japon, Australie, Malaisie, Vietnam. Et avant tout lInde, bien sûr, je vais y revenir.
A échéance de dix ans, nous identifions trois grands types de menaces.
Ce que nous appelons dabord les « menaces de la force ». Elles sont toujours présentes et prennent de nouvelles formes. La résurgence de conflits entre Etats demeure plausible. Certains Etats poursuivent à cet égard des politiques de puissance, et la croissance de leurs budgets de défense en est un bon indicateur.
Dans la région en plein bouleversement du Moyen-Orient, ce que vous appelez lAsie de louest, lIran cherche à acquérir les moyens qui lui permettront daccéder à larme nucléaire. Ce serait une menace pour la stabilité et la sécurité du Golfe, et donc pour celles de tous les pays dépendants des hydrocarbures de cette région. Les Etats les plus menacés risquent de recourir à la force pour prévenir cette évolution dangereuse, ouvrant la possibilité dune crise de grande ampleur. Dautres seront tentés de sengager dans une course à la garantie nucléaire, ce qui déclencherait une grave crise de prolifération.
La France a souscrit des accords de défense avec plusieurs Etats arabes du Golfe et a mis en place une base permanente à Abou Dhabi, avec des forces terrestres, navales et aériennes. Elle apportera toute sa contribution à la sécurité du Golfe si elle est menacée. Mais nous espérons encore que lIran comprendra que son refus de négocier sincèrement ne le mènera nulle part, si ce nest à léchec et à des sanctions toujours plus sévères. LInde, qui a de grands intérêts dans le Golfe, peut jouer un rôle très important à cet égard.
Il y a, deuxièmement, les « risques de la faiblesse » des Etats. Certains qui sont défaillants ne peuvent plus exercer leurs responsabilités. Cela devient un phénomène stratégique dampleur nouvelle. Il est clair que le terrorisme en est le premier bénéficiaire.
Cest vrai en Afrique, et cest ce qui a justifié notre intervention au Mali au début de lannée. Lenjeu dépassait largement le salut de ce pays ami. La sécurité de lEurope aurait été directement touchée si Al Qaida avait établi tel un sanctuaire au Sahel. Et toute la mouvance terroriste internationale en aurait été renforcée, de lAfrique de lOuest jusquen Asie du sud. Après la victoire sur le terrain, il faut maintenant stabiliser et reconstruire le pays. Je tiens à remercier à nouveau nos amis indiens pour leur soutien dans toute cette phase de combat et dans celle qui souvre aujourdhui. Nous sommes prêts à partager avec lInde les enseignements militaires de cet engagement contre le terrorisme. Au-delà du Mali, des risques élevés existent dans les autres pays de la région du Sahel et sur tout laxe géographique qui va du Pakistan à lAtlantique Nord. Cest dire que nous nen avons pas fini avec le terrorisme dans cette région.
Cest vrai aussi en Asie du sud. Je pense bien sûr à lAfghanistan, où nous avons été engagés pendant plusieurs années dans des zones très difficiles, situées en direction de la frontière pakistanaise. Nous avons passé le témoin aux forces afghanes quand la situation sur le terrain la permis. Avec la transition et la nouvelle mission de lOTAN en 2014, une nouvelle phase souvrira où les Afghans devront prendre en main leur sécurité. Nous resterons à leurs côtés, à travers des coopérations civiles et la formation des forces de sécurité. Les élections auront lieu la même année. Les autorités afghanes qui en seront issues auront une lourde responsabilité. Elles pourront compter sur le soutien des amis de lAfghanistan, pour assurer que le terrorisme et le fanatisme ne reprendront pas pied dans ce pays, dont le peuple cherche le chemin de la paix et de la démocratie.
Enfin, comment ne pas exprimer ici notre préoccupation face à certaines évolutions au Pakistan. Chacun sait que des terroristes restent présents au Pakistan et que des réseaux terroristes internationaux bénéficient de certains relais. Les organisateurs présumés de lattentat de Bombay sont toujours en liberté. Cette prégnance déléments terroristes est dautant plus préoccupante quelle intervient dans un pays disposant de moyens nucléaires. Le différend qui vous oppose à Islamabad sur le Cachemire sert parfois de prétexte à des actions déstabilisatrices contre lInde. Dans ce contexte, la France encourage le dialogue entre lInde et le Pakistan, car cest là la seule façon de résoudre les différends.
Troisièmement, enfin, il y a les menaces liées à la mondialisation, comme les cyberattaques ou la piraterie qui frappent ce que lon appelle les « global commons ». Ce sont les deux extrémités du spectre : dun côté des réseaux criminels et des Etats puissants qui maîtrisent des technologies qui constituent, entre leurs mains, des menaces pour le monde entier. De lautre, des groupes utilisant des moyens rudimentaires mais efficaces, qui menacent par exemple la sécurité de routes maritimes essentielles pour léconomie internationale. La France et lInde coopèrent sur cette question.
Je voudrais insister ici sur la sécurité du cyberespace. Nos Etats, nos sociétés, nos économies vivent largement aujourdhui grâce aux infrastructures numériques. Trop souvent mal protégées, elles font lobjet de pénétrations à des fins despionnage. Plus grave encore, ces attaquent visent désormais à leur destruction ou à leur prise de contrôle à distance. Des infrastructures vitales pour le fonctionnement de nos sociétés et de nos Etats, voire des systèmes darmes, peuvent être concernés. Des Etats, des réseaux criminels sont derrières ces attaques. Disons les choses comme elles sont : le cyberespace est désormais un champ de confrontation à part entière. Des informations sont méthodiquement collectées pour rendre possible, dans une situation de conflit, des attaques de grande envergure. Des attaques pourraient paralyser des pans entiers de lactivité dun pays ou de son économie et entraîner des catastrophes. De telles attaques pourraient donc constituer de véritables actes de guerre. Nous devons nous protéger et nous préparer à identifier les assaillants et à leur répondre. La coopération entre les pays proches qui partagent les mêmes valeurs est nécessaire. Le Livre blanc français de 2013 reconnaît pleinement cette situation et en tire toutes les conséquences. A cet égard, je me réjouis que lors de la visite dEtat, nous ayons ouvert un nouveau dialogue franco-indien sur la cyber-sécurité, qui sest concrétisé récemment.
[La France et lInde : une coopération de défense pour notre autonomie stratégique]
Je voudrais mattarder sur la place importante de lInde au sein de notre Livre blanc. Cette place est importante, parce quen effet, nous pensons quen dehors de nos plus proches alliés occidentaux et de lEurope, il ny a pas dautres pays qui soient cités dans les mêmes termes, à différents endroits. Le Livre blanc relève lémergence économique de lInde, et la relation bilatérale privilégiée, actée dans le partenariat stratégique noué en 1998, qui nous permet une coopération dans des domaines qui touchent à des intérêts majeurs des deux pays. Dans la région de lAsie du sud, lInde apparaît à nos yeux comme un facteur de stabilité. Nous soutenons une réforme du Conseil de sécurité qui ferait place à de nouveaux membres permanents, dont lInde.
Les relations de défense entre nos deux pays remontent bien au-delà du partenariat stratégique de 1998, même sil constitue le cadre contemporain de nos relations de défense, avec laccord de défense de 2006.
Je pense bien sûr aux militaires français en Inde qui, au XVIIIe et au début du XIXe siècle, ont apporté leur savoir-faire, ont combattu aux côtés de grands princes indiens, face aux Anglais. Je pense bien sûr à Tippu Sultan, ou aux Scindia, de Gwalior ville que je visiterai demain, ou encore au Maharaja Ranjit Singh. Lhistoire du monde aurait été différente si le sort des armes avait été différent. Mais le monde a changé, les Britanniques ont quitté lInde depuis 1947 et sont nos plus proches partenaires de défense en Europe.
Pendant la Première Guerre mondiale, des milliers de soldats indiens sont venus se battre sur le théâtre européen, sur le sol français notamment, pour la liberté de la France. A loccasion de lanniversaire du déclenchement de la guerre, la France rendra un hommage spécifique à ces soldats indiens. Ce matin, jétais particulièrement ému en allant mincliner à India gate. Je pense aussi aux citoyens français des anciens Etablissements français de lInde, Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Mahé et Yanaon, qui ont combattu et donné leurs vies lors des deux guerres mondiales et des autres opérations militaires dans lesquelles la France a été engagée. Nos forces armées comptent encore bon nombre de Français de lInde dans leurs rangs, où ils font honneur à notre pays, tout comme à lInde dont ils sont issus.
Depuis lindépendance de lInde, notre coopération de défense a pris bien sûr une nouvelle dimension. Pendant les premières années de la République indienne, la France a été parmi les premiers partenaires de défense, dans les domaines terrestre et aérien. En 1953 cétait il y a 60 ans Dassault a signé son premier accord avec lInde pour la fourniture de lavion Ouragan. Depuis, il y a toujours eu dans lIndian Air Force des avions Dassault, sans discontinuer. Et il y a de bonnes chances que cela continue encore plusieurs décennies, comme vous le savez. Le moment venu, je pense que nous pourrions coopérer pour la mise en place dun lieu destiné à rappeler la mémoire des relations militaires franco-indiennes.
Aujourdhui, nous poursuivons une coopération militaire multiforme. Son ambition est dautant plus grande que notre confiance mutuelle est élevée et que nous sommes deux nations qui veulent préserver leur autonomie stratégique tout en voulant la paix.
Ensemble, nous conduisons régulièrement des exercices terrestres (Shakti), navals (Varuna) et aériens (Garuda). Année après année, avec aussi les échanges dofficiers dans nos écoles militaires, nos forces armées apprennent à se connaître, à travailler de concert, à échanger leurs savoir-faire. Les exercices gagnent en densité. Jai proposé à mon homologue indien lorganisation dun grand exercice aéronaval dans lOcéan indien, avec le porte-avions Charles de Gaulle et les bâtiments que la marine indienne souhaitera associer. Prochainement, nous poursuivrons en France les exercices terrestre de combat en montagne lancés dans lHimalaya en 2012 et nous organiserons un important exercice aérien en Inde, qui pourrait inclure le déploiement de Rafale. A terme, si la situation internationale lexigeait et que nos deux pays décidaient un engagement commun nous serions ainsi mieux préparés.
Notre coopération industrielle et technologique est en bonne voie. Elle retient beaucoup lattention. La société DCNS construit actuellement six sous-marins Scorpène dans le chantier MDL à Bombay, avec un transfert complet de technologie et des coopérations très importantes avec lindustrie indienne. Plusieurs autres pays ont choisi le Scorpène pour développer leur flotte sous-marine. Le premier bateau sera mis à leau en 2014. Jai visité en février le chantier MDL. Jai constaté les progrès du projet, le dévouement et la compétence des équipes indienne et française qui travaillent ensemble depuis 2005. LInde disposera demain avec MDL dun outil performant pour construire des sous-marins supplémentaires.
Les industriels français travaillent aussi actuellement à la rénovation des Mirage 2000 acquis par lInde dans les années 1980. Au terme de cette rénovation, les avions seront mis aux standards les plus modernes et serviront encore de très nombreuses années. Je me rendrai demain à Gwalior sur la base de lIndian Air Force, pour rencontrer les officiers et les pilotes des Mirage.
Pour lavenir, nous avons plusieurs grands projets en préparation, qui ont été passés en revue par le Président Hollande et le Premier Ministre Manmohan Singh en février et que jai examiné avec M. Antony ce matin. Ces projets progressent bien.
Bien sûr, le projet MMRCA est la priorité. Au risque de vous décevoir, je ne vais pas annoncer la date de la signature du contrat. Sachez que les négociations se déroulent bien et que jai pleine confiance dans leur aboutissement positif. Ce contrat sera encadré par un Accord intergouvernemental franco-indien qui apportera toutes les garanties nécessaires de lEtat français.
Je tiens à vous dire quen sélectionnant le Rafale sur ses qualités et son prix, lInde a fait le meilleur choix. Elle ne le regrettera pas. Présenté encore cette année à lAir show de Bangalore, cest un avion omni-rôles magnifique, qui a fait ses preuves en Afghanistan, en Libye, au Mali et ailleurs. Il assurera pour des décennies la sécurité de lInde. La France garantit le transfert de technologie. Lavion fera l???objet, au fil des années à venir, de toutes les améliorations que les évolutions technologiques permettront. De nombreuses entreprises indiennes bénéficieront des offsets prévus dans le contrat ; je sais dailleurs quelle sy préparent activement.
Au-delà de lavion, cest donc une coopération sans précédent, industrielle et technologique, entre nos deux pays qui sengagera. Des jeunes ingénieurs et techniciens seront formés. Nos entreprises shabitueront à travailler ensemble et pourront le faire sur dautres projets industriels. Et tout cela dans un véritable esprit de partenariat, et de respect mutuel, comme nos deux pays savent le faire quand ils ont un projet commun.
En février, le Premier Ministre indien et le Président français avaient évoqué la finalisation prochaine dun autre projet important : le SRSAM, un système de missiles de courte portée que nous allons développer en commun, entre le DRDO et la société française MBDA. Cest important car il sagit cette fois dun co-développement. Nos deux pays vont donc bientôt mobiliser leurs énergies et leurs talents pour réaliser un nouveau missile.
Le MMRCA comme le SRSAM montreront que notre relation de défense est en plein essor. Cest dans le même esprit que nous abordons dautres projets en Inde, à des stades plus ou moins avancés, quil sagisse des hélicoptères légers, de lartillerie, de BPC, de sous-marins ou dautres types de missiles.
En résumé, les principes qui fondent cette coopération de défense sont aujourdhui bien établis. Je crois que lon peut les définir ainsi : La France et lInde sont engagées dans un partenariat de long terme, de nature stratégique. La France en tire toutes les conséquences. Notre dialogue de défense, entre nos forces armées, se tient, comme le dialogue stratégique, dans un esprit de compréhension mutuelle, de respect, de confiance et de soutien, en tenant compte de nos intérêts respectifs. Cest un point que nous avons tenu à affirmer avec M. Antony dans le communiqué publié ce matin.
De toute évidence, nous avons dépassé la relation client/fournisseur. Nos projets de coopération doivent encore améliorer nos bases industrielles et technologiques de défense respectives et contribuer à renforcer la sécurité de nos deux pays.
Dans cette perspective, la France est prête à engager des projets conjoints de co-développement et de co-production, y compris à lavenir pour lexportation des équipements produits sur des marchés tiers lorsque nous le décideront ensemble.
De la même façon, la France est prête à partager avec lInde un niveau croissant de technologie de défense, en lien avec le développement des projets communs.
Dans la même logique de partenariat, la France assure à lInde la continuité de fourniture des équipements acquis.
Dans le respect de notre législation et de nos intérêts nationaux, nous sommes prêts à encourager le moment venu les investissements dans le secteur de la défense que pourraient souhaiter les entreprises concernées.
Les entreprises de défense françaises respectent la législation française sur linterdiction de la corruption. Cela va de soi, mais je crois quil est bon de le rappeler, car tous les pays nont pas les mêmes obligations.
La France encourage lInde à se rapprocher des régimes internationaux de contrôles des exportations de défense, comme le MTCR pour les missiles et larrangement de Wassenar pour les armes conventionnelles, en vue dune adhésion.
Lautonomie stratégique est au coeur de nos politiques de défense et de nos diplomaties. Il est pour moi évident que notre relation de défense doit y concourir. Dans quelques années je forme le voeu que, grâce aux coopérations quelles lancent aujourdhui, la France et lInde se sentent plus fortes, plus en sécurité, plus proches lune de lautre, ayant conforté ensemble leur autonomie stratégique. Alors, nous pourrons être fiers du travail accompli.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.ambafrance-in.org, le 29 juillet 2013
Cest pour moi un plaisir et un honneur de pouvoir mexprimer devant vous. Il y a cinq mois, jaccompagnais le Président de la République française, François Hollande, pour sa visite dEtat en Inde. Cétait sa première visite bilatérale en Asie. Pour nous, le choix était fait : lInde est une priorité majeure de notre diplomatie. Nous tenions donc à marquer avec éclat le 15ème anniversaire du Partenariat stratégique franco-indien, conclu en 1998. A loccasion de cette visite, des paroles fortes ont été prononcées, de part et dautre. Ces paroles sont dautant plus importantes quelles reflètent une réalité politique et humaine profonde, une confiance exceptionnelle entre nos deux pays. Quinze ans, cest encore ladolescence. Tout indique que le partenariat franco-indien va encore grandir, en taille, en maturité, en force.
Nous partageons la même vision politique. Nous partageons de nombreuses valeurs communes : la démocratie, lEtat de droit, la liberté individuelle, le respect des droits fondamentaux et des droits de lhomme. Nous sommes profondément attachés à notre indépendance nationale et à notre autonomie stratégique. Nous voulons un monde en paix et en sécurité, conformément à la Charte des Nations-Unies.
Nos deux pays se consultent sur tous les grands sujets internationaux. Nous le faisons dans un esprit de compréhension mutuelle, de respect, de confiance et même de soutien, en prenant en compte nos intérêts de sécurité respectifs. Je peux vous dire quen dehors de nos Alliés et partenaires européens, il ny a que peu de pays, à travers le monde, avec lesquels nous sommes prêts à aller aussi loin quavec lInde.
Aujourdhui, le concept de partenariat stratégique a eu tendance à se diluer dans un usage immodéré des mots. Ma conviction est quavec lInde, ce concept a gardé tout son sens : parce quils ont confiance lun dans lautre, nos deux pays avancent ensemble dans des coopérations intenses, dans des domaines sensibles comme la défense, le nucléaire civil, lespace, la sécurité et le contre-terrorisme.
Jajoute enfin que nous avons la chance, dans nos deux démocraties, que cette relation exemplaire soit assise sur un socle politique et populaire, qui dépasse les divisions partisanes. La continuité est donc la règle. En France comme en Inde, nous avons connu des alternances politiques et des situations institutionnelles qui pouvaient être complexes. Nous avons signé le partenariat stratégique en janvier 1998, entre une France dont le Président et le gouvernement nappartenaient pas à la même orientation politique, et le gouvernement du « Front uni » du Premier Ministre I.K. Gujral, qui se dirigeait vers sa fin. Cest donc le gouvernement indien suivant, celui dAtal Behari Vajpayee qui a posé les bases du partenariat, portées ensuite par les deux gouvernements de Manmohan Singh.
Je souhaite rendre un hommage particulier à ces trois grands Premiers Ministres de lInde, qui ont partagé une même vision de la relation avec la France. De notre côté, trois Présidents et trois majorités politiques différentes ont construit, avec la même détermination, une même politique vis-à-vis de lInde. Cette continuité est notre force. Elle se poursuivra à lavenir.
Je me suis entretenu ce matin avec lhonorable Ministre de la Défense de lInde, Monsieur A.K. Antony. Nous nous reverrons ce soir pour approfondir ces échanges. Cest notre troisième rencontre en treize mois.
Comme je veux aussi aller à la rencontre des hommes et des femmes qui assurent la défense de lInde, je me rendrai demain à Gwalior, pour visiter la base aérienne de lIAF. Cest là que sont basés les Mirage 2000 fournis par la France dans les années 1980 et qui sont en cours de rénovation, pour les mettre aux meilleurs standards actuels. Je noublie pas que ces avions ont joué un rôle majeur dans la victoire indienne pendant le conflit de Kargil, en 1999, dont cest aujourdhui lanniversaire.
Comme vous pouvez le voir, nous avons donc une base solide pour aller de lavant, en particulier dans le domaine de la défense. Je men félicite avec vous.
[La stratégie française de défense et de sécurité nationale]
Je suis aussi venu exposer aux autorités indiennes et à vous-mêmes, qui représentez la communauté politico-militaire à Delhi, les grands axes de notre nouvelle stratégie de défense. Le Président de la République française, qui est, comme ici en Inde, le chef des Armées, vient dapprouver le document que nous appelons le « Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale ». Ce Livre blanc est disponible en anglais. Il est le résultat de plusieurs mois de réflexions et de débat, qui ont associé lEtat, des chercheurs, des personnalités politiques, des acteurs économiques ainsi que des contributions de nos partenaires étrangers, y compris de lInde.
Je tiens à dire que je trouve tout à fait naturel de venir exposer ici les principes, les missions et les moyens que nous allons mettre en oeuvre au cours des prochaines années. Cest aussi le signe du développement de notre relation de défense. LInde est bien en droit de savoir comment son partenaire français organise sa sécurité et sa défense. Au cours des dernières semaines, jai dailleurs fait une présentation de notre Livre blanc à Washington et à Londres, les Etats-Unis et le Royaume-Uni étant aussi pour nous, bien sûr, des partenaires de défense essentiels. Je me suis aussi exprimé à Singapour, dans le cadre du dialogue de Shangri La, car lAsie revêt une importance majeure dans notre politique de défense et de sécurité.
Le précédent Livre blanc datait de 2008. Depuis, notre environnement stratégique a profondément évolué, de même que notre environnement économique. Il fallait concilier deux impératifs de souveraineté : notre autonomie stratégique et notre souveraineté financière, alors que le niveau des menaces na pas baissé mais que la crise en Europe a fragilisé nos finances publiques.
Le Président de la République a fixé le cap : nous aurons une nouvelle stratégie militaire et industrielle qui garantira notre autonomie stratégique. Ainsi, leffort de défense actuel de la France sera maintenu : de 2014 à 2019, nous engagerons 190 milliards deuros. En moyenne, cela représente un effort de défense de 1,8% du PIB de la France jusquen 2020, selon les normes de lOTAN. Malgré la crise économique, la France se donne donc les moyens de rester lune des principales puissances militaires du monde.
Notre cadre daction a un nom : lautonomie stratégique. Cest un objectif permanent, que nous partageons dailleurs avec lInde. Cest un principe que nous appliquons dans nos relations avec nos alliés de lOTAN et nos partenaires européens au sein de lEurope de la défense.
Cette autonomie stratégique, voici ce quelle veut dire pour nous.
La souveraineté nationale repose sur lautonomie dappréciation, de décision et daction de lEtat. Cela ne veut pas dire que nous soyons drapés dans lisolement ou lunilatéralisme. Au contraire, nous entendons coopérer avec nos partenaires et nos alliés pour la sécurité du monde. Nous respectons le droit international. Cest un choix et une nécessité à la fois. Mais nous entendons rester maîtres de nos décisions et de nos actions en matière de défense et de sécurité.
La mission première qui structure nos forces est bien sûr la protection du territoire et de la population française. Cette capacité de protection est intimement liée à notre capacité de dissuasion nucléaire et dintervention extérieure. Elle s??enrichit depuis plusieurs années dune posture de cyberdéfense qui va prendre une importance croissante.
Notre dissuasion nucléaire indépendante repose sur un total de moins de 300 armes nucléaires, susceptibles dêtre lancés à partir de deux composantes : une composante sous-marine océanique permanente organisée autour de quatre sous-marins à propulsion nucléaire, équipés de missiles balistique intercontinentaux ; une autre composante qui est aéroportée, avec deux escadrons davions de chasse Mirage 2000N et Rafale. Le Rafale, embarqué sur le porte-avions à propulsion nucléaire Charles de Gaulle, peut participer aussi à la dissuasion nucléaire.
Cette force de dissuasion protège la France de toute agression ou menace dorigine étatique contre ses intérêts vitaux. Elle garantit donc aussi notre autonomie daction et de décision, notamment à lencontre des tentatives de chantages contre nos intérêts vitaux. Elle est strictement défensive et son emploi ne serait concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense. Elle est la garantie ultime de la sécurité, de la protection et de lindépendance de la France. Mais elle contribue aussi à la sécurité de nos Alliés. Le format de la dissuasion nucléaire respecte un principe de stricte suffisance, la France nayant jamais participé à une course aux armements nucléaires. La fiabilité et la sécurité de nos armes est assurée par un programme de simulation dessais nucléaires, depuis que nous avons ratifié le Traité dinterdiction des essais nucléaires.
Lintervention des forces à lextérieur du territoire national, cest-à-dire la projection de puissance, confère à la France la profondeur stratégique indispensable à sa sécurité. Nous navons pas, à ce jour, de menace directe aux frontières terrestre de la France. Mais notre sécurité, dans le monde actuel, ne sarrête pas à nos frontières. Notre histoire na dailleurs jamais cessé dêtre mêlée à celle du monde. Il sagit pour nous de protéger les Français établis hors de France, parfois dans des zones dangereuses, de défendre nos intérêts stratégiques et dexercer nos responsabilités internationales, au service de la paix et de la sécurité dans le monde. A ce sujet, je souhaite rendre hommage aux forces armées indiennes qui assurent, sous commandement de lONU, des missions essentielles de maintien de la paix dans plusieurs pays en crise, en particulier en Afrique et au Liban, souvent en payant le prix du sang, comme encore récemment au Soudan.
La France entend ne laisser aucun doute sur sa volonté et sa capacité dagir, dans le respect du droit international. Cest ce que notre engagement au Mali cette année, contre des terroristes affiliés à Al Qaida, a amplement démontré. Les zones prioritaires sont pour nous la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, lAfrique du Sahel à lAfrique équatoriale, le Golfe arabo-persique et lOcéan indien, mais aussi plus loin en Asie, comme la rappelé notre engagement en Afghanistan.
Il est clair que nous navons plus besoin, face aux menaces actuelles, de capacités massives comme celles que nous déployions pendant la guerre froide face à la menace soviétique. Nous avons en revanche besoin de moyens robustes, rapides, mobiles, professionnels.
Au-delà des capacités que nous consacrons par ailleurs à la protection permanente du territoire, nous serons donc prêts à engager pour des missions de stabilisation et de gestion des crises, dans toute leur diversité, un total de 7000 hommes sur trois théâtres, et les unités aériennes et navales associées.
Tout en conservant une partie des responsabilités exercées sur des théâtres déjà ouverts, nous disposerons aussi, pour une action de coercition majeure, dune force interarmes capable dentrer en premier sur le théâtre dopérations. Composée denviron 15000 hommes des forces terrestres, cette force pourra associer 45 avions et un groupe aéronaval, dont des bâtiments de projection et de combat et un sous-marin nucléaire dattaque. Il sagit de capacités autonomes, formées et entraînées pour ces théâtres dopération, appuyées par des équipements performants. Cette force incorporera également des capacités de renseignement et de cyberdéfense renforcées, car ce sont des priorités pour nous, ainsi que des forces spéciales, des drones et du ravitaillement en vol pour les forces aériennes. Le Livre blanc est précis : en cas de crise ouverte en Asie, la France, en fonction de ses responsabilités internationales, apporterait, aux côtés de ses alliés, une contribution politique et militaire pour y répondre.
Lexpérience montre en effet que dans la plupart des situations, nous serons conduits à agir dans le cadre dopérations collectives multinationales, associant nos alliés et nos partenaires. La France veut être en mesure dexercer les responsabilités de Nation-cadre, avec les moyens de commandement et de contrôle correspondants. Bien sûr, en priorité, nous serons associés à nos principaux alliés de lOTAN, ou à nos partenaires européens, dont nous souhaitons quils prennent une responsabilité croissante en matière de défense. Cest le sens des initiatives que nous prenons avec eux, en développant de manière pragmatique des projets concrets, pour renforcer lEurope de la Défense et optimiser lusage de ressources financières contraintes.
Concernant les capacités militaires proprement dites, je voudrais souligner quelques-unes des priorités définies par notre Livre blanc.
La cyberdéfense dabord. Déjà bien identifiée dans le Livre blanc de 2008, elle est devenue une priorité majeure. Nous nous équipons de capacités techniques de renseignement dans ce domaine, pour identifier lorigine des attaques, évaluer les capacités offensives des adversaires potentiels, et pouvoir les contrer. Ces capacités didentification et daction offensive sont essentielles pour la riposte. Nous allons consentir un effort financier marqué, avec une organisation de la cyberdéfense intégrée aux forces armées, et aussi des capacités offensives et défensives pour préparer et accompagner les opérations militaires.
Le renseignement ensuite. Connaître et anticiper est un impératif pour apprécier par nous-mêmes les situations et prendre les décisions en connaissance de cause. Nous allons donc continuer de développer nos capacités spatiales, nationales ou partagées avec des partenaires européens, de renseignement électromagnétique et dimagerie. Elles doivent servir pour la préparation et la conduite dopérations militaires, mais aussi pour la dissuasion, et face à la menace balistique qui nécessite des capacités dalerte précoce.
En arrière-plan, nous réaffirmons bien sûr notre ambition industrielle. Elle est une part intégrante de notre autonomie stratégique. Au fil des décennies, nous avons construit une base industrielle nationale comme peu de pays en ont. Elle couvre les principaux domaines dactivités. Vous connaissez les grands industriels français : Dassault, Eurocopter, MBDA, Nexter, Safran, Thalès, et dautres encore. Ils sont tous présents en Inde. La situation économique en Europe nest pas satisfaisante. Mais nous ferons tout pour préserver et même développer lindustrie de défense dans cette période difficile.
La priorité de la décennie à venir ira donc à la recherche et au développement. Elle ira aussi à la compétitivité et au renforcement de notre base industrielle et technologique, en France et en Europe. Leffort déquipement et de modernisation de nos forces contribuera à cet objectif.
Notre ambition est claire. Nous entendons maintenir à un niveau dexcellence mondiale les compétences de lindustrie française, pour être en mesure de continuer de développer de nouvelles technologies et de nouveaux types darmement, en intégrant toutes les technologies innovantes, civiles ou militaires. Pour cela, la veille technologique et le financement détudes en amont revêtiront un caractère stratégique. Les exportations sont un élément bien sûr important de cette stratégie industrielle. Le développement de coopérations en Europe sera favorisé, avec pour objectif le développement de pôles de compétences spécialisés et complémentaires. Jajoute que cest aussi ce que nous pourrons faire avec lInde, si elle le souhaite. Jy reviendrai plus tard.
[Les menaces pour la France et lInde]
Notre analyse a été conduite avec réalisme. La politique de défense qui en découle nous permettra de répondre aux menaces daujourdhui et de nous préparer à celles de demain. Ces menaces, certaines sont connues et immédiates, comme le terrorisme ou les cyberattaques. Dautres sont en gestation mais nous pouvons les prévoir : ce serait par exemple lIran si ce pays se dotait de larme nucléaire. Notre histoire nous a appris aussi quune surprise stratégique est toujours possible. Surprise militaire, avec lémergence dune menace imprévue, ou bouleversement politique ou économique qui modifie radicalement notre environnement de sécurité. Qui avait prévu ou pu anticiper les crises financières de 2008 et 2011, ou encore les révolutions arabes qui ont suivi ?
La géographie et lhistoire font que lInde et la France ne vivent pas dans les mêmes contextes sécuritaires. Mais la mondialisation, lévolution technologique, le caractère transversal de nombreuses menaces actuelles ou à venir font que nous sommes exposés bien plus quhier à des menaces similaires à bien des égards.
De plus, lAsie est aujourdhui une des régions les plus dynamiques du monde. Sa stabilité et sa croissance sont devenus essentiels à la prospérité des économies occidentales. Les grands groupes français ont beaucoup investi en Asie, en particulier en Inde où 350 sociétés détiennent un stock dinvestissement de quelque 18 milliards de dollars accumulé en quelques années. Ce mouvement va continuer. Votre stabilité et votre sécurité garantissent aussi nos intérêts économiques.
Mais le fait est que la stabilité et la sécurité de lAsie ne sont pas assurées. Les structures de sécurité collective ne sont pas encore parvenues à maturité. Nos alliés américains en ont tiré les conséquences, avec leur « pivot » ou « rééquilibrage » vers lAsie. Nous pensons que cela peut être un développement positif. Notre engagement renforcé en Asie, en particulier avec lInde, et dans les zones de lOcéan indien et du Golfe qui lui sont adjacentes, va dans le même sens. Les partenariats de défense que nous nouons avec de nombreux pays lillustrent : Japon, Australie, Malaisie, Vietnam. Et avant tout lInde, bien sûr, je vais y revenir.
A échéance de dix ans, nous identifions trois grands types de menaces.
Ce que nous appelons dabord les « menaces de la force ». Elles sont toujours présentes et prennent de nouvelles formes. La résurgence de conflits entre Etats demeure plausible. Certains Etats poursuivent à cet égard des politiques de puissance, et la croissance de leurs budgets de défense en est un bon indicateur.
Dans la région en plein bouleversement du Moyen-Orient, ce que vous appelez lAsie de louest, lIran cherche à acquérir les moyens qui lui permettront daccéder à larme nucléaire. Ce serait une menace pour la stabilité et la sécurité du Golfe, et donc pour celles de tous les pays dépendants des hydrocarbures de cette région. Les Etats les plus menacés risquent de recourir à la force pour prévenir cette évolution dangereuse, ouvrant la possibilité dune crise de grande ampleur. Dautres seront tentés de sengager dans une course à la garantie nucléaire, ce qui déclencherait une grave crise de prolifération.
La France a souscrit des accords de défense avec plusieurs Etats arabes du Golfe et a mis en place une base permanente à Abou Dhabi, avec des forces terrestres, navales et aériennes. Elle apportera toute sa contribution à la sécurité du Golfe si elle est menacée. Mais nous espérons encore que lIran comprendra que son refus de négocier sincèrement ne le mènera nulle part, si ce nest à léchec et à des sanctions toujours plus sévères. LInde, qui a de grands intérêts dans le Golfe, peut jouer un rôle très important à cet égard.
Il y a, deuxièmement, les « risques de la faiblesse » des Etats. Certains qui sont défaillants ne peuvent plus exercer leurs responsabilités. Cela devient un phénomène stratégique dampleur nouvelle. Il est clair que le terrorisme en est le premier bénéficiaire.
Cest vrai en Afrique, et cest ce qui a justifié notre intervention au Mali au début de lannée. Lenjeu dépassait largement le salut de ce pays ami. La sécurité de lEurope aurait été directement touchée si Al Qaida avait établi tel un sanctuaire au Sahel. Et toute la mouvance terroriste internationale en aurait été renforcée, de lAfrique de lOuest jusquen Asie du sud. Après la victoire sur le terrain, il faut maintenant stabiliser et reconstruire le pays. Je tiens à remercier à nouveau nos amis indiens pour leur soutien dans toute cette phase de combat et dans celle qui souvre aujourdhui. Nous sommes prêts à partager avec lInde les enseignements militaires de cet engagement contre le terrorisme. Au-delà du Mali, des risques élevés existent dans les autres pays de la région du Sahel et sur tout laxe géographique qui va du Pakistan à lAtlantique Nord. Cest dire que nous nen avons pas fini avec le terrorisme dans cette région.
Cest vrai aussi en Asie du sud. Je pense bien sûr à lAfghanistan, où nous avons été engagés pendant plusieurs années dans des zones très difficiles, situées en direction de la frontière pakistanaise. Nous avons passé le témoin aux forces afghanes quand la situation sur le terrain la permis. Avec la transition et la nouvelle mission de lOTAN en 2014, une nouvelle phase souvrira où les Afghans devront prendre en main leur sécurité. Nous resterons à leurs côtés, à travers des coopérations civiles et la formation des forces de sécurité. Les élections auront lieu la même année. Les autorités afghanes qui en seront issues auront une lourde responsabilité. Elles pourront compter sur le soutien des amis de lAfghanistan, pour assurer que le terrorisme et le fanatisme ne reprendront pas pied dans ce pays, dont le peuple cherche le chemin de la paix et de la démocratie.
Enfin, comment ne pas exprimer ici notre préoccupation face à certaines évolutions au Pakistan. Chacun sait que des terroristes restent présents au Pakistan et que des réseaux terroristes internationaux bénéficient de certains relais. Les organisateurs présumés de lattentat de Bombay sont toujours en liberté. Cette prégnance déléments terroristes est dautant plus préoccupante quelle intervient dans un pays disposant de moyens nucléaires. Le différend qui vous oppose à Islamabad sur le Cachemire sert parfois de prétexte à des actions déstabilisatrices contre lInde. Dans ce contexte, la France encourage le dialogue entre lInde et le Pakistan, car cest là la seule façon de résoudre les différends.
Troisièmement, enfin, il y a les menaces liées à la mondialisation, comme les cyberattaques ou la piraterie qui frappent ce que lon appelle les « global commons ». Ce sont les deux extrémités du spectre : dun côté des réseaux criminels et des Etats puissants qui maîtrisent des technologies qui constituent, entre leurs mains, des menaces pour le monde entier. De lautre, des groupes utilisant des moyens rudimentaires mais efficaces, qui menacent par exemple la sécurité de routes maritimes essentielles pour léconomie internationale. La France et lInde coopèrent sur cette question.
Je voudrais insister ici sur la sécurité du cyberespace. Nos Etats, nos sociétés, nos économies vivent largement aujourdhui grâce aux infrastructures numériques. Trop souvent mal protégées, elles font lobjet de pénétrations à des fins despionnage. Plus grave encore, ces attaquent visent désormais à leur destruction ou à leur prise de contrôle à distance. Des infrastructures vitales pour le fonctionnement de nos sociétés et de nos Etats, voire des systèmes darmes, peuvent être concernés. Des Etats, des réseaux criminels sont derrières ces attaques. Disons les choses comme elles sont : le cyberespace est désormais un champ de confrontation à part entière. Des informations sont méthodiquement collectées pour rendre possible, dans une situation de conflit, des attaques de grande envergure. Des attaques pourraient paralyser des pans entiers de lactivité dun pays ou de son économie et entraîner des catastrophes. De telles attaques pourraient donc constituer de véritables actes de guerre. Nous devons nous protéger et nous préparer à identifier les assaillants et à leur répondre. La coopération entre les pays proches qui partagent les mêmes valeurs est nécessaire. Le Livre blanc français de 2013 reconnaît pleinement cette situation et en tire toutes les conséquences. A cet égard, je me réjouis que lors de la visite dEtat, nous ayons ouvert un nouveau dialogue franco-indien sur la cyber-sécurité, qui sest concrétisé récemment.
[La France et lInde : une coopération de défense pour notre autonomie stratégique]
Je voudrais mattarder sur la place importante de lInde au sein de notre Livre blanc. Cette place est importante, parce quen effet, nous pensons quen dehors de nos plus proches alliés occidentaux et de lEurope, il ny a pas dautres pays qui soient cités dans les mêmes termes, à différents endroits. Le Livre blanc relève lémergence économique de lInde, et la relation bilatérale privilégiée, actée dans le partenariat stratégique noué en 1998, qui nous permet une coopération dans des domaines qui touchent à des intérêts majeurs des deux pays. Dans la région de lAsie du sud, lInde apparaît à nos yeux comme un facteur de stabilité. Nous soutenons une réforme du Conseil de sécurité qui ferait place à de nouveaux membres permanents, dont lInde.
Les relations de défense entre nos deux pays remontent bien au-delà du partenariat stratégique de 1998, même sil constitue le cadre contemporain de nos relations de défense, avec laccord de défense de 2006.
Je pense bien sûr aux militaires français en Inde qui, au XVIIIe et au début du XIXe siècle, ont apporté leur savoir-faire, ont combattu aux côtés de grands princes indiens, face aux Anglais. Je pense bien sûr à Tippu Sultan, ou aux Scindia, de Gwalior ville que je visiterai demain, ou encore au Maharaja Ranjit Singh. Lhistoire du monde aurait été différente si le sort des armes avait été différent. Mais le monde a changé, les Britanniques ont quitté lInde depuis 1947 et sont nos plus proches partenaires de défense en Europe.
Pendant la Première Guerre mondiale, des milliers de soldats indiens sont venus se battre sur le théâtre européen, sur le sol français notamment, pour la liberté de la France. A loccasion de lanniversaire du déclenchement de la guerre, la France rendra un hommage spécifique à ces soldats indiens. Ce matin, jétais particulièrement ému en allant mincliner à India gate. Je pense aussi aux citoyens français des anciens Etablissements français de lInde, Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Mahé et Yanaon, qui ont combattu et donné leurs vies lors des deux guerres mondiales et des autres opérations militaires dans lesquelles la France a été engagée. Nos forces armées comptent encore bon nombre de Français de lInde dans leurs rangs, où ils font honneur à notre pays, tout comme à lInde dont ils sont issus.
Depuis lindépendance de lInde, notre coopération de défense a pris bien sûr une nouvelle dimension. Pendant les premières années de la République indienne, la France a été parmi les premiers partenaires de défense, dans les domaines terrestre et aérien. En 1953 cétait il y a 60 ans Dassault a signé son premier accord avec lInde pour la fourniture de lavion Ouragan. Depuis, il y a toujours eu dans lIndian Air Force des avions Dassault, sans discontinuer. Et il y a de bonnes chances que cela continue encore plusieurs décennies, comme vous le savez. Le moment venu, je pense que nous pourrions coopérer pour la mise en place dun lieu destiné à rappeler la mémoire des relations militaires franco-indiennes.
Aujourdhui, nous poursuivons une coopération militaire multiforme. Son ambition est dautant plus grande que notre confiance mutuelle est élevée et que nous sommes deux nations qui veulent préserver leur autonomie stratégique tout en voulant la paix.
Ensemble, nous conduisons régulièrement des exercices terrestres (Shakti), navals (Varuna) et aériens (Garuda). Année après année, avec aussi les échanges dofficiers dans nos écoles militaires, nos forces armées apprennent à se connaître, à travailler de concert, à échanger leurs savoir-faire. Les exercices gagnent en densité. Jai proposé à mon homologue indien lorganisation dun grand exercice aéronaval dans lOcéan indien, avec le porte-avions Charles de Gaulle et les bâtiments que la marine indienne souhaitera associer. Prochainement, nous poursuivrons en France les exercices terrestre de combat en montagne lancés dans lHimalaya en 2012 et nous organiserons un important exercice aérien en Inde, qui pourrait inclure le déploiement de Rafale. A terme, si la situation internationale lexigeait et que nos deux pays décidaient un engagement commun nous serions ainsi mieux préparés.
Notre coopération industrielle et technologique est en bonne voie. Elle retient beaucoup lattention. La société DCNS construit actuellement six sous-marins Scorpène dans le chantier MDL à Bombay, avec un transfert complet de technologie et des coopérations très importantes avec lindustrie indienne. Plusieurs autres pays ont choisi le Scorpène pour développer leur flotte sous-marine. Le premier bateau sera mis à leau en 2014. Jai visité en février le chantier MDL. Jai constaté les progrès du projet, le dévouement et la compétence des équipes indienne et française qui travaillent ensemble depuis 2005. LInde disposera demain avec MDL dun outil performant pour construire des sous-marins supplémentaires.
Les industriels français travaillent aussi actuellement à la rénovation des Mirage 2000 acquis par lInde dans les années 1980. Au terme de cette rénovation, les avions seront mis aux standards les plus modernes et serviront encore de très nombreuses années. Je me rendrai demain à Gwalior sur la base de lIndian Air Force, pour rencontrer les officiers et les pilotes des Mirage.
Pour lavenir, nous avons plusieurs grands projets en préparation, qui ont été passés en revue par le Président Hollande et le Premier Ministre Manmohan Singh en février et que jai examiné avec M. Antony ce matin. Ces projets progressent bien.
Bien sûr, le projet MMRCA est la priorité. Au risque de vous décevoir, je ne vais pas annoncer la date de la signature du contrat. Sachez que les négociations se déroulent bien et que jai pleine confiance dans leur aboutissement positif. Ce contrat sera encadré par un Accord intergouvernemental franco-indien qui apportera toutes les garanties nécessaires de lEtat français.
Je tiens à vous dire quen sélectionnant le Rafale sur ses qualités et son prix, lInde a fait le meilleur choix. Elle ne le regrettera pas. Présenté encore cette année à lAir show de Bangalore, cest un avion omni-rôles magnifique, qui a fait ses preuves en Afghanistan, en Libye, au Mali et ailleurs. Il assurera pour des décennies la sécurité de lInde. La France garantit le transfert de technologie. Lavion fera l???objet, au fil des années à venir, de toutes les améliorations que les évolutions technologiques permettront. De nombreuses entreprises indiennes bénéficieront des offsets prévus dans le contrat ; je sais dailleurs quelle sy préparent activement.
Au-delà de lavion, cest donc une coopération sans précédent, industrielle et technologique, entre nos deux pays qui sengagera. Des jeunes ingénieurs et techniciens seront formés. Nos entreprises shabitueront à travailler ensemble et pourront le faire sur dautres projets industriels. Et tout cela dans un véritable esprit de partenariat, et de respect mutuel, comme nos deux pays savent le faire quand ils ont un projet commun.
En février, le Premier Ministre indien et le Président français avaient évoqué la finalisation prochaine dun autre projet important : le SRSAM, un système de missiles de courte portée que nous allons développer en commun, entre le DRDO et la société française MBDA. Cest important car il sagit cette fois dun co-développement. Nos deux pays vont donc bientôt mobiliser leurs énergies et leurs talents pour réaliser un nouveau missile.
Le MMRCA comme le SRSAM montreront que notre relation de défense est en plein essor. Cest dans le même esprit que nous abordons dautres projets en Inde, à des stades plus ou moins avancés, quil sagisse des hélicoptères légers, de lartillerie, de BPC, de sous-marins ou dautres types de missiles.
En résumé, les principes qui fondent cette coopération de défense sont aujourdhui bien établis. Je crois que lon peut les définir ainsi : La France et lInde sont engagées dans un partenariat de long terme, de nature stratégique. La France en tire toutes les conséquences. Notre dialogue de défense, entre nos forces armées, se tient, comme le dialogue stratégique, dans un esprit de compréhension mutuelle, de respect, de confiance et de soutien, en tenant compte de nos intérêts respectifs. Cest un point que nous avons tenu à affirmer avec M. Antony dans le communiqué publié ce matin.
De toute évidence, nous avons dépassé la relation client/fournisseur. Nos projets de coopération doivent encore améliorer nos bases industrielles et technologiques de défense respectives et contribuer à renforcer la sécurité de nos deux pays.
Dans cette perspective, la France est prête à engager des projets conjoints de co-développement et de co-production, y compris à lavenir pour lexportation des équipements produits sur des marchés tiers lorsque nous le décideront ensemble.
De la même façon, la France est prête à partager avec lInde un niveau croissant de technologie de défense, en lien avec le développement des projets communs.
Dans la même logique de partenariat, la France assure à lInde la continuité de fourniture des équipements acquis.
Dans le respect de notre législation et de nos intérêts nationaux, nous sommes prêts à encourager le moment venu les investissements dans le secteur de la défense que pourraient souhaiter les entreprises concernées.
Les entreprises de défense françaises respectent la législation française sur linterdiction de la corruption. Cela va de soi, mais je crois quil est bon de le rappeler, car tous les pays nont pas les mêmes obligations.
La France encourage lInde à se rapprocher des régimes internationaux de contrôles des exportations de défense, comme le MTCR pour les missiles et larrangement de Wassenar pour les armes conventionnelles, en vue dune adhésion.
Lautonomie stratégique est au coeur de nos politiques de défense et de nos diplomaties. Il est pour moi évident que notre relation de défense doit y concourir. Dans quelques années je forme le voeu que, grâce aux coopérations quelles lancent aujourdhui, la France et lInde se sentent plus fortes, plus en sécurité, plus proches lune de lautre, ayant conforté ensemble leur autonomie stratégique. Alors, nous pourrons être fiers du travail accompli.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.ambafrance-in.org, le 29 juillet 2013