Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement à France-Inter le 2 juillet 2013, sur l'égalité entre les femmes et les hommes et la réforme du congé parental.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour, Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
PATRICK COHEN
Vous présentez demain en conseil des ministres un projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est le terme officiel. Tous les journaux parlent de l’égalité homme/femme, vous renversez les termes…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bravo !
PATRICK COHEN
C’est la priorité aux femmes, c’est ça ? Les femmes d’abord !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, c’est aussi la priorité orthographique, l’ordre de l’alphabet, c’est le F avant le H.
PATRICK COHEN
D’accord ! Donc les femmes et les hommes. Principale nouveauté de ce projet, la réforme du congé parental, vous voulez inciter les pères à prendre ce congé dès le premier enfant, pourquoi ? Comment ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce que pour deux raisons en réalité, d’abord quand on s’intéresse à l’égalité professionnelle stricto sensu, entre les hommes et les femmes. On comprend vite que l’un des freins à une réelle égalité entre les hommes et les femmes, dans la carrière, c’est le temps que consacre les femmes à s’interrompre pour s’occuper des enfants, pendant de plus ou moins longues années. Et que ça, ça veut dire un décrochage salarial pour elle, ça veut dire passer à côté d’opportunité de promotion, de carrière etc. et donc il faut réduire cet éloignement des femmes du marché du travail. Et puis la deuxième raison, c’est qu’on voit qu’on est dans une société qui évolue et dans laquelle les pères veulent aussi participer, à l’éducation de leurs enfants, veulent prendre part dans ce beau moment que sont les premiers mois de l’enfant. Et donc nous voulons leur permettre cela. Or, aujourd’hui, encore il y a une forme de stigmatisation sociale qui pèse sur les hommes, lorsqu’ils vont voir leur employeur et qu’ils demandent à prendre quelques semaines ou mois de congés parental. Nous devons lever cette stigmatiser sociale.
PATRICK COHEN
Alors ça c’est le pourquoi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D’où cette réforme dans laquelle nous instaurons une période de 6 mois, donc nous considérons qu’elle doit être prise par le deuxième parent. Aujourd’hui, les congés parentaux sont pris à 97 % par les femmes seules. Et donc il faut que ce soit un peu plus équilibré, un peu mieux partagé, donc quand dans un ménage, il y aura un enfant, nous donnons la possibilité au couple de prendre 6 mois de plus que l’existant. C'est-à-dire 6 mois.
PATRICK COHEN
C’est 6 mois chacun ? Chacun des deux parents prend 6 mois.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà ! Donc 6 mois chacun.
PATRICK COHEN
A la suite, l’un de l’autre, c’est ça ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Exactement ! Et quand il y a deux enfants et plus, dans un couple, aujourd’hui, la loi prévoit qu’un parent peut prendre jusqu’à 3 ans de congés parental, eh bien, nous, nous disons, sur ces 3 ans, il faut qu’il y ait 6 mois qui soit réservé au second parent, donc au père généralement.
PATRICK COHEN
Mais alors avec quel type d’indemnité, vous ne touchez pas au CLCA, le complément de libre choix d’activité ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, on n’y touche pas. C’est une indemnité dont la plupart des observateurs considèrent et à juste titre, qu’elle n’est pas très élevée, que c’est un peu plus de 500 euros.
PATRICK COHEN
573 euros par mois.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, c’est vrai qu’elle est assez faible. Mais en même temps, on est dans un pays qui a opté depuis plusieurs décennies, pour un congé parental assez long. Quand on compare avec nos voisins européens par exemple, vous prenez un pays comme la Suède, ou d’autres pays, vous avez des congés parentaux d’un an. Là où nous, nous allons jusqu’à 3 ans. Et donc l’indemnisation est bien, est relativement faible, mais elle permet de prendre plus longtemps.
PATRICK COHEN
En Allemagne, c’est 67 % du salaire.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà ! Parce qu’en Allemagne, le choix a été fait d’une indemnisation proportionnelle au salaire, là où nous, nous avons une indemnisation forfaitaire. Le problème de l’indemnisation proportionnelle au salaire, parce qu’on a évidemment passé en revue, toutes les options possibles de réformes. C’est qu’au fond, elle favorise ceux qui ont les salaires les plus élevés. Et donc aujourd’hui…
PATRICK COHEN
Le système actuel aussi, non !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non…
PATRICK COHEN
Parce qu’avec 573 euros par mois, il faut que l’autre parent qui ne bénéficie pas dans le lapse de temps du congé parental puisse faire vivre le ménage avec son seul salaire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce que je veux dire par « elle favorise les salaires les plus élevés » c’est qu’au fond, l’argent public est ainsi utilisé essentiellement pour venir donc compenser des salaires très élevés. Parce que quand c’est proportionnel, évidemment, plus le salaire est élevé, puisque l’argent public versé est élevé. Plutôt que de servir à créer des places de crèches par exemple. Eh bien, nous en France, nous faisons le choix inverse, nous considérons qu’il nous faut plutôt investir dans les places de crèches, dans l’accueil collectif, et plutôt désinciter d’une certaine façon, les ménages à prendre des congés parentaux, trop longs, car cela leur porte préjudice et en particulier aux femmes.
PATRICK COHEN
Ceux qui prendront des congés parentaux, auront un accès prioritaire aux places en crèche, ai-je lu. Ca veut dire quoi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est-à-dire qu’à partir du moment où nous introduisons, cette réforme, dans laquelle nous changeons, d’une certaine façon les habitudes et les comportements des ménages. Admettons que vous soyez dans un ménage dans lequel, décidément le père ne peut pas prendre, ces 6 mois, donc pour compléter les fameux 3 ans. Nous ne voulons pas non plus, mettre en difficulté la famille. Ce n’est pas du tout l’objectif pour nous. Donc plutôt que de la laisser sans solution, nous lui assurons qu’elle sera particulièrement suivie pour trouver un mode de garde collectif. Au fond, c’est les premiers temps, les premières années de la mise en oeuvre, de cette réforme. Il faut faire attention à ce qu’elle ne plonge pas les familles dans la difficulté.
PATRICK COHEN
Autre aspect de ce projet, vous vous attaquez au non-paiement des pensions alimentaires. C’est un gros problème.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, c’est un autre gros sujet, cela étant, ces deux sujets sont liés d’une certaine façon. Parce qu’ils nous permettent à nous, pouvoir public, de nous intéresser à des dimensions qui avaient été souvent occultés. Qui sont en réalité la vraie vie des couples. Et notamment des couples qui sont amenés à se séparer, aujourd’hui, les séparations sont très fréquentes, dans notre société, 40 % de divorce. Jusqu’à présent, les pouvoirs publics s’en étaient, d’une certaine façon désintéressée, chacun se débrouille une fois séparé. Or une fois séparé j’allais dire, c’est au moment de la séparation est le révélateur des inégalités entre les hommes et les femmes. Révélateur à deux égards, pour les femmes, il révèle combien les inégalités économiques se sont creusées pendant leur vie de couple, elle tombe très souvent dans une forme de précarité économique. Et pour les hommes, ce moment de séparation révèle à quel point, le lien père/enfant, est vulnérable. Et très souvent, les hommes finissent après quelques années, de séparation par ne plus voir leur enfant. Et donc moi, j’ai décidé que les pouvoirs publics devaient s’intéresser à ce moment de la séparation et à ses conséquences.
PATRICK COHEN
Oui, mais ce n’est pas l’Etat, c’est les CAF, c’est les Caisses d’Allocations Familiales, qui sont devoir s’occuper de récupérer de l’argent.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je vais vous expliquer. S’agissant des pensions alimentaires, dans quelle situation sommes-nous ? Nous sommes dans une situation de trop nombreux impayés de pensions alimentaires. 40 % des pensions alimentaires sont soit pas payées, soit payées de façon irrégulière. Ça plonge un nombre de femme infini, dans la précarité. Une femme monoparentale avec une femme à sa tête sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Donc c’est la faille, et les enfants…
PATRICK COHEN
Avec des pères souvent considérés comme insolvables.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Avec des pères soit considérés comme insolvables, soit qui organisent leur propre insolvabilité. Ça, c’est un vrai sujet. Donc…
PATRICK COHEN
Qu’est-ce qu’on peut y faire oui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Aujourd’hui, la situation, c’est que la femme en gros, la mère isolée doit se débrouiller toute seule. Aller de procès en procès pour récupérer son dû, elle a mille choses à faire entre son travail, ses gamins etc. il nous faut sortir de ça. Il ne faut pas laisser les femmes seules face à cette situation, donc nous avons décidé de créer un écran. L’écran, c’est la CAF. La CAF servira de garantie publique contre les impayés de pension alimentaire. Dès lors qu’une pension n’est pas versée, et ce dès le premier mois, c’est ça la nouveauté, la CAF s’y substituera en versant à la mère isolée une allocation au soutien familial.
PATRICK COHEN
Elle fera l’avance.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Une avance, vous faites bien de préciser, une avance, car il est hors de question qu’elle s’y substitue ad vitam aeternam. Puisque derrière, elle ira récupérer son dû, auprès du débiteur défaillant. Et elle aura les moyens de le faire y compris avec de la saisie sur salaire, avec la comparaison de fichiers fiscaux etc. pour lutter contre l’insolvabilité, organisée. Mais aussi avec la possibilité de prendre même sur les prestations qu’elle s’apprêtait à verser au débiteur défaillant, puisqu’elle le connait parfaitement bien. La CAF est l’institution en France, qui connait le mieux les individus.
PATRICK COHEN
Autre aspect de votre projet, enfin, il y en a beaucoup, on va essayer de les évoquer jusqu’à 9 heures moins 10 et puis on n’a pas mal de questions d’auditeurs là-dessus. Sans doute plus anecdotique, vous voulez favoriser la parité dans la parité dans les instances dirigeantes des fédérations sportives. Pour quelle raison ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça m’amuse que vous qualifiez ça, d’anecdotique. Je ne trouve pas que ce soit anecdotique.
PATRICK COHEN
Par rapport au sujet qu’on vient d’évoquer, je pense que ça peut être perçu comme anecdotique oui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En tout cas, je peux vous dire, que surmonter les résistances n’a pas été anecdotique du tout en la matière.
PATRICK COHEN
Oui, mais là, on n’est pas sur un sujet, de vie quotidienne, Najat VALLAUDBELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, en quoi c’est un sujet malgré tout de vie quotidienne. Je ne sais pas si vous-même, Patrick COHEN vous faites du sport ou si vos enfants en font. Mais vous savez que c’est évidemment un facteur d’épanouissement, le sport extraordinaire, d’épanouissement personnel. Mais aussi, j’allais dire d’apprentissage de valeurs collectives etc. donc nous devons tout faire pour attirer nos filles, comme nos garçons vers le sport, c’est une évidence. Or aujourd’hui, on a une représentation du sport, qu’il s’agisse de sa représentation médiatique où 85 % des images télévisées sportives sont consacrées au sport masculin, ou qu’il s’agisse de la représentation des instances de gouvernance où l’immense majorité des présidents de fédérations et des conseils de gouvernance sont des hommes. Tout cela est trop déséquilibré.
PATRICK COHEN
Ils ne sont pas à l’image des sportifs qu’ils représentent ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ils ne sont pas à l’image des sportifs qu’ils représentent. Je le disais l’autre jour dans un débat consacré à ce sujet, est-ce que quelqu’un sait par exemple, qu’aujourd’hui, nous avons plus de jeunes filles qui jouent au foot que de jeunes filles qui sont danseuses ! C’est extraordinaire quand même ! Vous avez des représentations comme ça, tout le monde croient qu’il y a plus de jeunes filles qui font de la danse, eh bien non ! Donc il faut être un tout petit peu plus fidèle à la réalité de la pratique sportive. Aujourd’hui, 50 % des pratiques en sport sont des femmes. Donc rendons-leur tout simplement justice, à la fois dans les images et les images, nous allons avec Valérie FOURNEYRON, ministre des Sports réformer ce fameux décret TSF qui liste les grands évènements sportifs qui doivent être obligatoirement diffusés gratuitement à la télévision, dans lequel, il n’y a quasiment que des évènements masculins. Nous allons y mettre des évènements féminins, comme par exemple les finales de football, des choses comme ça. Et puis, réformons aussi les instances de gouvernance. Car c’est toujours important, la façon dont se comporte le sommet, c’est un peu comme pour la politique, c’est important de voir, qu’au sommet vous avez la parité, parce que derrière ça enclenche une dynamique sur la base.
PATRICK COHEN
D’autres sujets à évoquer avec vous, tout à l’heure, Najat VALLAUDBELKACEM, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement. Les auditeurs nous appellent au 01.45.24.7000, ce sera après la revue de presse.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 juillet 2013