Déclaration de Mme George Pau-Langevin, ministre de la réussite éducative, sur la lutte contre l'illettrisme et l'échec scolaire, Toulouse le 2 juillet 2013.

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Circonstance : Assises régionales de prévention et de lutte contre l'illettrisme à Toulouse le 2 juillet 2013

Texte intégral


Nous sommes aujourd’hui réunis pour coordonner nos efforts dans la lutte contre l’illettrisme et je suis heureuse de m’associer au travail déjà engagé par l’agence. La lutte contre l’illettrisme suppose notre mobilisation à tous. C’est cela qui a présidé au choix par le premier ministre d’en faire la grande cause pour 2013.
* Illettrisme, définition et enjeu
L’illettrisme qualifie la situation de personnes qui ne maîtrisent pas la lecture, l’écriture, le calcul, les compétences de base pour être autonome dans des situations simples de la vie quotidienne, alors même qu’elles ont été scolarisées en France.
L’illettrisme est un enjeu qui est à la fois social et éducatif.
- Il est social parce que si les difficultés de lecture, d’écriture et de calcul ne constituent pas une barrière infranchissable à l’accès à l’emploi, elles réduisent les débouchés à des emplois dits non qualifiés, elles constituent un obstacle à la progression professionnelle, à la responsabilité et à la sécurisation des parcours professionnels. En 2004, près de 45% des personnes en situation d’illettrisme étaient au chômage ou sans activité.
- Il est éducatif parce que nous sommes dans un pays où l’éducation nationale joue un rôle central dans la construction des individus, des citoyens, dans la construction de sa nation, mais qui produit de l’illettrisme, qui produit de l’échec.
C’est parce qu’il est social et éducatif que cet enjeu doit réunir un maximum d’acteurs. C’est ce qui a présidé à la création de l’agence : faire travailler un maximum d’acteurs ensemble, coordonner leur action, donner une dynamique et faire émerger le sujet.
* L’illettrisme, ampleur du phénomène
Puisque vous êtes engagés dans un combat au quotidien pour faire émerger le sujet, vous savez plus que tout autre que c’est un phénomène difficile à appréhender car il est :
- difficile à détecter : être en situation d’illettrisme est difficile à assumer, vis-à-vis de ses collègues comme de sa hiérarchie. Les personnes concernées ont donc tendance à employer des stratégies de contournement afin de dissimuler ce handicap.
- difficile à quantifier : la journée d'appel de préparation à la défense (JAPD) mesure les compétences de base des Français à l’âge de 16 ans, c'est-à-dire au sortir de la scolarité obligatoire. Les facteurs de l’illettrisme peuvent alors être détectés, mais pas l’illettrisme en lui-même puisque, par nature, il concerne ceux qui ne sont plus dans leur formation initiale. C’est pour cela qu’on s’en réfère peu. L’enquête IVQ a été menée en 2004, auprès de 10 000 personnes. C’est un travail scientifique et universitaire de grande ampleur qui a été d’une grande utilité dans la connaissance du phénomène. Une seconde étude a été menée en 2011.
Selon l’enquête Information et Vie Quotidienne (IVQ), réalisée en 2004 par l’Insee, l’illettrisme touche 3,1 millions de personnes, soit 9% de la population de 18 à 65 ans. Si l’on ajoute à ce chiffre les personnes qui n’ont pas été scolarisées, on arrive à 4,5millions (12%). Le taux d’illettrisme a également été mesuré outre mer : 14% en Martinique (2006) ; 21% à la Réunion (2007).
Une deuxième enquête IVQ a été menée en 2011, qui a permis d’apprécier l’évolution de la situation : 16% des 18-65 résidant en France éprouvent des difficultés dans les domaines fondamentaux de l’écrit. Pour 11% d’entre eux, ces difficultés sont graves ou fortes. Parmi celles qui ont été scolarisées en France, 7% sont considérées comme étant en situation d’illettrisme (contre 9% en 2004).
Ce progrès relatif résulte d’une prise en compte du phénomène par la collectivité, sous l’impulsion de l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Nous devons prendre ces résultats pour ce qu’ils sont : un premier succès et un encouragement.
- Un premier succès qui vient signifier que la méthode proposée est la bonne : fédérer au sein d’une même entité toutes les forces qui agissent, pour donner une cohérence à leur action est la bonne solution.
- Un encouragement, qui doit nous engager à poursuivre cette lutte : évidemment la grande cause 2013 permet de focaliser l’attention sur ce sujet, de mener une importante campagne de sensibilisation du grand public.
Mais la réponse des pouvoirs publics ne peut pas se borner à une campagne de communication. Nous devons aller plus loin.
* Prévention de l’illettrisme et éducation nationale
Vincent Peillon et Michel Sapin ont déjà saisi le Conseil national de la formation tout au long de la vie qui fera les propositions pour réorienter la stratégie nationale de lutte contre l’illettrisme. Ce rapport sera présenté à Lyon lors des Assises nationales en novembre prochain.
Mais pour autant, nous ne devons pas attendre pour prendre en main la question au sein de l’éducation nationale.
Si l’illettrisme ne se traduit pas sur les bancs de l’école, sa principale cause est la non acquisition, ou l’acquisition fragile, de la maîtrise de la langue écrite à l’école.
Cette non acquisition s’explique, selon les spécialistes, par les facteurs suivants :
- conditions de vie familiales ou sociales ;
- implication ou non des parents dans l’éducation ;
- développement ou non de l’habitude de lire ;
- prise en charge ou non de l’enfant en cas de difficultés (par une association, par des membres de la famille, par un professeur particulier, etc.).
Les compétences de lecture peuvent se perdre si elles ne sont pas sollicitées, dans le cadre professionnel et dans le cadre privé et récréatif. Des personnes diplômées peuvent devenir illettrées. L’habitude de la lecture, le plaisir de la lecture participe donc de la prévention de l’illettrisme de retour : ce plaisir de lire se développe à l’école, si l’enfant s’y sent bien ; il se développe en famille ou dans le périscolaire.
L’éducation nationale a donc un rôle à jouer en matière de prévention de l’illettrisme :
- c’est sa mission classique d’apprentissage de la lecture et de l’écriture et de consolidation des apprentissages
- c’est tout le rôle des dispositifs d’accompagnement à la scolarité qui viennent aider les élèves en difficulté
- c’est le sens de son soutien, financier notamment, à toutes les associations ou mouvements d’éducation populaire qui interviennent dans ce domaine
La politique du gouvernement actuel vient renforcer cette action de transmission des savoirs de base.
La priorité au primaire, le "plus de maîtres que de classes", la formation des enseignants, l’ouverture de 60 000 postes : tout cela participe pleinement de la prévention de l’illettrisme.
* Prévention de l’illettrisme et réussite éducative
En parallèle, la question de la prévention de l’illettrisme est au cœur d’une politique de réussite éducative pour trois raisons.
- D’abord elle vient interroger l’éducation nationale sur sa capacité à tolérer en son sein près de 10% d’élèves qui traversent leur scolarité à sa marge : ceux là sont dans un "couloir de l’illettrisme" selon la formule d’Alain Bentolila.
- Ensuite, l’illettrisme s’épanouissant dans un contexte bien particulier, il convient de regarder ce qu’il se passe hors de l’école, autour de l’éducation nationale, dans l’environnement éducatif des enfants, pour dégager les outils les plus efficaces de prévention. Les associations, de terrain ou nationales, les collectivités, les familles, chacun a un rôle à jouer en la matière.
- Enfin, certains publics, par leur situation géographique ou par leur statut juridique, sont davantage touchés. Les outremers et les territoires ruraux, chacun pour des raisons particulières, sont propices au développement de l’illettrisme. La population carcérale doit aussi être une cible privilégiée d’une politique de lutte contre l’illettrisme.
Je présenterai donc, à l’automne prochain, un plan de lutte contre l’illettrisme. Il s’agit aujourd’hui de décréter la mobilisation générale de notre institution dans la lutte contre ce fléau.
La mobilisation générale suppose que notre institution se donne les moyens suffisants. Seul un fonctionnaire par académie est chargé du suivi et de la coordination des dispositifs de prévention de l’illettrisme. C’est ainsi que les dispositifs sont parfois éparpillés, souvent sans cohérence ; c’est ainsi que les enseignants n’en connaissent pas l’existence et que ceux-là ne trouvent pas preneur. Notre institution renforcera le pilotage au niveau académique et départemental des dispositifs de prévention de l’illettrisme.
Mais il ne faut pas non plus négliger un élément central : l’illettrisme ne naît pas hors sol. Il s’inscrit, s’ancre, se développe dans un contexte social donné. Dès lors, pour prévenir efficacement l’illettrisme dans l’école, il convient de regarder ce qui se passe hors de l’école, dans l’environnement éducatif des enfants, pour dégager les outils les plus efficaces de prévention.
La mobilisation générale que j’appelle de mes vœux suppose que nous devons nous donner les moyens à la fois de considérer cet environnement, mais aussi de travailler avec ses acteurs, pour trouver une cohérence à notre action commune. Les associations, de terrain ou nationales, les collectivités, les familles, chacun aura un rôle à jouer en la matière.
Enfin, la mobilisation générale c’est la mobilisation de tous. Les fondations d’entreprises sont très investies sur ce sujet et ont la volonté de travailler avec nous. Je réunirai dans le courant du mois de juillet et en lien avec l’agence l’ensemble des fondations qui sont déterminées à agir, afin de coordonner nos interventions et de donner plus de force à notre action.
Source http://www.education.gouv.fr, le 17 juillet 2013