Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, notamment sur la situation dans les pays arabes, à l'Assemblée nationale le 9 juillet 2013.

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Circonstance : Audition du ministre des affaires étrangères devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le 9 juillet 2013

Texte intégral

Notre attention est aujourd'hui surtout mobilisée par la situation égyptienne. Nous n'en oublions pas la Syrie, l'Iran... Il y a aussi l'affaire Snowden. Si vous n'y voyez pas d'objection, je ne traiterai pas dans mon propos liminaire de cette affaire. J'aurai certainement l'occasion d'y revenir en réponse à vos questions.
Je me concentrerai sur la situation au Proche et au Moyen-Orient. Bien que la situation soit très différente dans chacun des pays de cette zone, il est néanmoins possible de tirer quelques enseignements généraux et d'avoir une analyse d'ensemble.
Le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont aujourd'hui dans une situation éruptive. On pense d'abord bien sûr à l'Égypte, à la Syrie, où la situation est absolument dramatique avec le siège d'Homs, les conséquences du conflit dans les pays voisins, le Liban en particulier où ont eu lieu des attentats, la Jordanie, mais aussi l'Irak qui tous connaissent des difficultés. Des leçons sont également à tirer de ce qui s'est passé en Tunisie, où la situation n'a heureusement rien à voir. Dans toute cette région du monde, des tensions graves se font sentir entre chiites et sunnites, et partout, le consensus national est extrêmement fragile.
Un point commun à tous ces pays, à l'exception de la Turquie, est qu'ils connaissent une situation économique et sociale très dégradée. Souvenons-nous qu'en Tunisie, ce qu'on a appelé «le printemps arabe» a commencé avec le désespoir d'un vendeur ambulant, M. Mohamed Bouazizi, qui, sans aucune perspective économique, souffrant de la corruption et de l'arbitraire, trouvait sa situation insupportable et s'est sacrifié dans les conditions que l'on sait. Son geste a été le point de départ des émeutes qui ont concouru à la révolution tunisienne, avant que la vague ne se propage dans d'autres pays.
La situation économique est également très difficile en Égypte où, sur quatre-vingt millions d'habitants, vingt-cinq millions vivaient du tourisme, lequel s'est complètement effondré. Les difficultés de la vie quotidienne expliquent d'ailleurs en partie le retournement de l'opinion à l'égard du président Morsi. Une partie de la population aujourd'hui dans la rue avait voté pour lui l'an passé.
La Jordanie également, dans un contexte tout à fait différent, connaît de graves difficultés économiques.
Dans tous ces pays, la pauvreté s'aggrave. Et alors que les artisans des révolutions souhaitaient que les changements permettent d'améliorer la situation économique, il n'en a rien été. C'est une évidence en Egypte. C'est vrai aussi en Syrie et même dans les pays de la région potentiellement riches. Les millions de manifestants du 30 juin en Égypte protestaient aussi contre la pénurie d'essence, les pannes d'électricité... Tout cela pour dire que la situation économique et sociale est déterminante. Nous ne pourrons pas aider ces peuples - car il s'agit d'aider des peuples, plutôt que des gouvernements - si nous n'évaluons pas à sa juste mesure l'aide économique qu'il faut leur apporter.
Dans tous ces pays, qui tous connaissent de profondes évolutions sociologiques, l'apprentissage de la transition démocratique est difficile. Beaucoup d'entre eux achèvent juste leur transition démographique. Les femmes sont de plus en plus nombreuses, il faut s'en féliciter, à vouloir entrer sur le marché du travail et participer à la vie politique. Le niveau d'éducation, en tout cas la demande d'éducation, s'élève. Un rapport nouveau à la politique se fait jour : on observe une volonté, parfois maladroite, très souvent contrariée, d'affirmation d'un citoyen arabe. Les Égyptiens, les Syriens, les Iraniens sont nombreux aujourd'hui à souhaiter un État pluraliste, efficace, moderne, améliorant leurs conditions de vie et garantissant le respect des libertés publiques et individuelles.
Les deux années qui viennent de s'écouler ont permis une certaine appropriation du jeu démocratique et une confrontation avec les mécanismes de la démocratie qui, on le vérifie encore, reposent sur des élections mais ne s'y réduisent pas. Le passage de systèmes autoritaires figés à un système démocratique garantissant les droits est très délicat.
Au final, on constate des avancées, comme en Tunisie, mais aussi des reculs, souvent brutaux, dans la violence, comme en Égypte.
La place et l'évolution de l'islam politique seront déterminantes pour l'avenir. La religion continue d'avoir un rôle majeur dans ces pays. Dans le même temps, elle est parfois le support d'extrémismes qui conduisent à des violences intolérables. Et beaucoup de citoyens ne souhaitent pas ou ne souhaitent plus qu'elle s'immisce de manière massive dans le champ politique. Les Frères musulmans et les mouvements voisins sont une composante de ces sociétés qui ne disparaîtra pas et qu'il n'est donc pas possible d'ignorer, sans pour autant accepter l'inacceptable. L'enjeu est de faire en sorte que ces forces, à condition qu'elles acceptent de ne pas recourir à la violence, s'intègrent progressivement au jeu politique et se recentrent sur les préoccupations principales des populations, l'économique, le social et l'État de droit.
La France a incontestablement un rôle particulier à jouer dans ces pays. Lors de la révolution tunisienne, le gouvernement de l'époque n'avait pas perçu ce qui se passait - c'est un euphémisme. Il est significatif que le discours du président de la République au peuple tunisien lors de son déplacement dans le pays la semaine dernière, dans lequel il réaffirmait les valeurs de la France tout en reconnaissant l'identité tunisienne, ait été très bien reçu.
Vous savez quelle est la position de la France en Syrie. Nous souhaitons une Syrie pluraliste et soutenons les aspirations du peuple syrien face à la répression féroce du régime. Nous pensons que la seule solution possible est de nature politique, après un rééquilibrage des forces sur le terrain. Il est heureux à cet égard que la Coalition nationale syrienne, qui a perdu son premier ministre, se soit dotée d'un président. Parce qu'elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi de par ses positions générales, la France a un rôle à jouer en Syrie.
En Égypte, dès l'annonce de la destitution du président Morsi, le président de la République et moi-même avons appelé les autorités à s'engager dans une transition rapide et ordonnée pour organiser des élections et confier démocratiquement le pouvoir aux civils. Il faut que cessent les violences - nous les avons condamnées et les condamnons, d'où qu'elles viennent - et que les droits de l'Homme soient respectés. Toute la lumière doit être faite sur les événements qui ont conduit aux graves violences perpétrées devant les bâtiments de la Garde nationale. Nous venons d'apprendre qu'un Premier ministre a été désigné et, selon les renseignements qui viennent de nous parvenir et demandent à être confirmés, M. El Baradei serait vice-président chargé des affaires étrangères.
Au Liban, nous soutenons la volonté du président Sleimane de déconnecter autant qu'il est possible la situation libanaise de la situation syrienne. Mais le conflit syrien devient un conflit régional, et même, hélas, international.
Dans un autre contexte, nous devons rester attentifs à ce qui se passe en Libye. Pays riche, où il n'existait traditionnellement pas d'État, la Libye est en proie à de graves problèmes de sécurité. Il nous faut l'aider à se protéger de toutes les agressions extérieures, en particulier des risques terroristes.
Je ne dis rien de la Turquie où les problèmes sont d'une autre nature. Gardons-nous des amalgames.
Je termine d'un mot sur l'Iran, Madame la Présidente. La situation actuelle du pays est paradoxale. Le président Rohani n'aurait pas pu être élu si la population n'avait pas manifesté son refus d'un certain système car parmi les quelques candidats dont la candidature avait été acceptée, M. Rohani était présenté comme le plus hostile à certaines pratiques. Dans le même temps, l'Iran étant ce qu'il est, M. Rohani n'aurait pas pu être élu, ni même candidat, s'il n'avait pas été adoubé, ou du moins accepté, par le Guide suprême. Il y a donc là pour le moins une ambivalence. La France sera heureuse si des changements interviennent dans la politique iranienne et saura saisir l'occasion. Il faut toutefois être réaliste et exiger que les évolutions se concrétisent vraiment. Pour le moment, au-delà des portraits, souvent flatteurs, qui sont faits du président Rohani, dont on vante la maîtrise de la dialectique, l'Iran n'a fait aucune déclaration augurant d'une évolution. Nous verrons ce qu'il en sera, une fois désigné le négociateur sur la question nucléaire.
La France n'est pas fermée. Mais nous regarderons les éléments concrets et ne nous laisserons pas abuser par des proclamations théoriques. L'affaire nucléaire sera décisive. L'Iran, qui est un grand pays, a droit à l'énergie nucléaire civile, mais la France - par la voix de ce gouvernement comme du gouvernement précédent d'ailleurs - a fait savoir que, comme la communauté internationale, elle juge inacceptable qu'il se dote de l'arme nucléaire. Dans ces conditions, une double approche a été retenue consistant d'un côté à prévoir des sanctions, de l'autre à négocier. Nous verrons si l'Iran fait des propositions sérieuses et se met en conformité avec les résolutions internationales. Nous ne lui faisons aucun procès d'intention et serions heureux, pour la paix dans cette région du monde, si sa position évoluait. Mais cela demande à se concrétiser.
L'autre principe de notre action est de nous concerter étroitement avec nos partenaires, qui sont en cette affaire les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité auxquels s'adjoint l'Allemagne pour former le groupe dit du P 5 + 1. Jusqu'à présent, la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l'Allemagne ont été unis. Si nous sommes ouverts à tout élément concret, nous sommes attachés à la préservation de cette unité qui fait notre force, et qui est nécessaire pour amener l'Iran à changer de position.
Je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions, sur quelque sujet qu'elles portent. J'ai tenu à cette introduction générale sur la situation au Proche et au Moyen-Orient, car trop de choses superficielles sont dites sur le sujet et trop d'amalgames sont faits. La Syrie n'est pas la Tunisie, et pourtant il est possible de tirer des leçons générales des évolutions dans tous ces pays.
Q - (Sur le sort de deux évêques syriens, Mgr Paul Yazigui et Mgr Yohanna Ibrahim)
R - Lors de ma rencontre avec le Patriarche de Jérusalem, je lui ai indiqué que nous faisions tout notre possible pour obtenir des nouvelles de ces deux évêques. Si nous parvenons à en avoir, je les lui transmettrai en priorité.
Q - (Sur les élections au Mali)
R - M. Mamère et M. Loncle m'ont interrogé sur la date prévue des élections au Mali. Tout d'abord, ce n'est pas le gouvernement français qui en décide. Cette prérogative appartient aux autorités maliennes, et à elles seules. La France ne peut éventuellement que donner son sentiment. De larges consultations ont eu lieu. Après une étude technique ayant permis de voir ce qui était possible et ce qui ne l'était pas, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a pris position de façon nette.
Il est absolument essentiel que des élections aient lieu et qu'elles ne soient pas repoussées aux calendes grecques. En effet, le gouvernement de transition n'a qu'une faible légitimité. Ensuite, dans certains milieux à Bamako, d'aucuns ne seraient pas mécontents que les élections ne se tiennent pas - ces gens, chacun sait ici qui ils sont. Enfin, même si le problème de Kidal a trouvé une solution magistrale sur le plan juridique - trouver un accord avec le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) en vingt-cinq points, permettant, ce qui est le cas actuellement, que les forces armées maliennes montent jusqu'à Kidal et que le MNLA soit cantonné à l'extérieur de la ville, qui eût pu penser ce tour de force possible ? -, il ne peut y avoir de solution durable avec les Touaregs qu'avec un président et un gouvernement nouveaux. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont poussé le MNLA à signer cet accord. Il serait en effet contradictoire de la part des Touaregs de revendiquer décentralisation et autonomie et, dans le même temps, de faire tout pour que les élections ne se tiennent pas, puisque seul un nouveau pouvoir pourra discuter avec eux et éventuellement leur donner satisfaction.
Tous ceux qui souhaitent que la démocratie triomphe au Mali et que la sécurité y soit de nouveau assurée ne peuvent qu'être attachés à la tenue d'élections. Reste la question de leur date. Après des études approfondies menées par les ministères maliens compétents, la décision de ne pas revenir, en dépit de leurs lacunes, sur les listes électorales établies en 2009, a été prise à l'unanimité des forces politiques. Il faudrait en effet plus que des mois pour établir de nouvelles listes, le risque étant alors que ne soit dilapidé l'acquis des six derniers mois. Les cartes électorales ont été éditées. La campagne a maintenant commencé, avec ses 28 candidats. Plusieurs réunions ont déjà eu lieu, dont l'une a réuni 80.000 personnes, preuve de l'engouement que suscitent ces élections. Nul ne nierait qu'il peut subsister des problèmes, et il n'est pas anormal que tel ou tel candidat en pointe. Mais les personnes déplacées à l'intérieur du pays, pourront voter, selon des modalités pratiques qui ont été définies. Les personnes réfugiées dans les pays voisins le pourront également pour la présidentielle : des dispositions ont été prises, en lien avec les pays concernés, pour qu'il soit possible de voter à proximité des camps de réfugiés. Quant aux Maliens vivant en situation régulière sur notre territoire, ils pourront eux aussi voter. Si en région parisienne il ne devrait pas y avoir de difficultés sur la base des listes électorales de 2009, il n'en va toutefois pas de même en province où il semble que des personnes qui auraient pu voter ne le pourront pas car n'étant pas inscrites sur les listes.
Les autorités maliennes et la CEDEAO estiment que les conditions sont réunies pour qu'un vote régulier ait lieu. Notre souhait à tous est que la mobilisation soit massive. La participation devait être beaucoup plus forte qu'aux scrutins précédents et les conditions du vote incomparablement plus démocratiques. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali, M. Koenders, accomplit son travail de façon remarquable, les autorités maliennes également. La France a fait savoir qu'elle était disposée à apporter son aide et nous avons en effet mis à disposition des moyens. Il faut être pragmatique et chacun doit rechercher à ce que cela se passe le mieux possible. J'entends bien vos observations, Monsieur Mamère et Monsieur Loncle, mais il ne faut pas oublier d'où l'on revient au Mali et ne pas tomber dans des errements.
Q - (Sur la Syrie)
R - J'en viens à la Syrie. Tous, nous condamnons les agissements de Bachar Al-Assad qui, il est vrai, a pu compter sur des forces puissantes, au premier rang desquelles au plan international, la Russie et l'Iran - il sera intéressant de voir si l'attitude de l'Iran évolue. Les drames qui ont lieu actuellement en Syrie sont, pour une grande part, liés à des interventions extérieures. Ainsi le massacre de Qousseir est-il imputable essentiellement aux combattants du Hezbollah, lesquels ont d'ailleurs enregistré des pertes importantes à cette occasion. Les aides que re??oit la Coalition sont moindres : plusieurs pays arabes lui fournissent des armes, mais il n'y a pas, à ma connaissance, de forces organisées extérieures combattant sur le terrain. Se pose la question des organisations terroristes : c'est l'une des raisons pour lesquelles nous soutenons la Coalition, en particulier le général Salim Idriss, commandant en chef de l'Armée syrienne libre. Il n'est pas question de soutenir des groupes terroristes ni d'accepter d'être mêlé si peu que ce soit à leurs agissements. Nous avons fait inscrire le Front Al Nostra sur la liste internationale des organisations terroristes. En effet, si une organisation comme celle-là peut ponctuellement lutter contre Bachar Al-Assad, elle se réclame toujours d'Al-Qaïda. Nous ne pouvons pas entrer dans une telle spirale d'autant qu'une fois la situation pacifiée en Syrie, comme nous l'espérons tous, on s'interroge sur ce que feront les membres de ces organisations. Nous ne pouvons pas encourager des terroristes.
Si aucune solution n'était trouvée, le risque est que les extrémistes de l'un ou l'autre bord prennent le dessus, d'un côté, la mouvance chiite, de l'autre côté, les mouvements se réclamant d'Al-Qaïda. Cela signifierait non seulement l'implosion de la Syrie mais aussi de très graves difficultés pour le Liban, la Jordanie, l'Irak, sans compter que, à supposer que l'Iran ait permis le succès des extrémistes chiites, il deviendrait incontournable dans cette région du monde, ce que la Russie elle-même ne souhaiterait pas.
Quid de la conférence Genève II, initialement prévue en juin, puis repoussée en juillet, avant que sa perspective ne s'éloigne encore ? La France soutient l'organisation de cette conférence qui doit mettre en application Genève I, laquelle avait été voulue par les États-Unis et la Russie et à laquelle notre pays avait participé. Plusieurs réunions ont eu lieu qui ont fait apparaître des blocages, au point qu'aucune date ne peut être aujourd'hui avancée. Je ne peux que réaffirmer l'attachement de la France à une solution politique, qui passe nécessairement par la tenue de cette nouvelle conférence - à laquelle la France participera.
Mais pour qu'une solution politique soit possible, il faut un certain rééquilibrage sur le terrain. Si la Coalition est en grande difficulté, pourquoi accepterait-elle de se rendre à une conférence qui acterait cette situation et conclurait qu'il n'y a rien à faire ? Rappelons l'objectif précis de Genève II : constituer par consentement entre les parties un gouvernement de transition doté de l'ensemble du pouvoir exécutif (full executive power). Les Russes en ont accepté le principe, et l'ont même réaffirmé dans le communiqué final du G8. Encore faudrait-il qu'ils en soient pleinement d'accord. Lorsqu'il est dit que le gouvernement de transition aura «tout le pouvoir exécutif», il est clair que ce pouvoir n'appartiendra plus à Bachar Al Assad, il ne peut y avoir aucune ambiguïté. Sur ce point, est-ce bien ce qu'ont compris la Russie ou l'Iran ? L'Iran n'a pour l'instant fait aucune déclaration en ce sens - si tel était le cas, cela pourrait changer la donne.
Quelle est la position de la France ? Nous souhaitons bien sûr la paix dans une Syrie pluraliste, d'où aurait été éradiqué le terrorisme, et la mise en oeuvre d'une solution politique, avec bien entendu toute l'aide humanitaire nécessaire. Tous les efforts de notre diplomatie, parfois visibles, parfois plus discrets, vont en ce sens.
En Syrie, nous ne jouons pas l'Iran contre l'Arabie saoudite, ni l'inverse. Ce sont deux pays très importants dans la région, que chiisme et sunnisme opposent fortement. La montée partout dans la région de ces oppositions de nature religieuse ne laisse d'ailleurs pas de nous préoccuper.
Quant au «flanc Sud», il est vrai que notre diplomatie doit s'en préoccuper...
Monsieur Bacquet, est-on passé d'une stratégie où l'on escomptait le renversement de Bachar Al-Assad à une stratégie où on se demande comment traiter avec lui ? Ainsi posée, la question est excessive. Mais il est vrai que, pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure et d'autres encore, Bachar Al-Assad, et ses soutiens, la Russie, l'Iran et le Hezbollah, ont montré une forte capacité de résistance. Nous ne pouvons pour autant accepter les agissements de M. Al-Assad. N'oublions pas comment tout a commencé en Syrie. Dans le contexte du printemps arabe, certaines fractions de la population syrienne ont réclamé plus de droits et de libertés. Une féroce répression s'en est suivie, qui a conduit à ce qu'on dénombre aujourd'hui plus de 100.000 morts, dont le premier responsable est bien Bachar Al-Assad. Vu la composition de la population syrienne et les craintes qu'expriment certains Syriens que la situation ne soit encore pire après son départ, il est très important de militer pour qu'une solution politique soit trouvée dans le cadre de la conférence de Genève II, permettant le retour à une Syrie apaisée et pluraliste, où chacun aurait sa place. Cela donne une idée du travail qui reste à faire.
Q - (Sur l'Égypte)
R - Je terminerai par l'Égypte. Nul ne peut nier qu'il y a eu une intervention militaire mais il est vrai aussi que des millions et des millions d'Égyptiens, y compris parmi ceux qui avaient voté pour le président Morsi l'année dernière, réclamaient un changement, ce qui ne signifie pas qu'ils aient approuvé les massacres perpétrés par la suite. La situation est donc complexe car de même, l'armée ne souhaite pas conserver durablement le pouvoir. Il est vrai, Monsieur Mamère, que nous n'avons pas employé le terme de «coup d'État». Et ce n'est pas là question seulement de sémantique. En effet, si la qualification de coup d'État était retenue, cela emporterait de multiples conséquences en matière d'aide internationale. Or, dans la situation très difficile que connaissent les Égyptiens, stopper l'aide économique serait dramatique.
Même si un massacre, où qu'il soit perpétré, est un massacre et s'il crève toujours le coeur que la démocratie ne règne pas dans un pays, vous avez raison, Monsieur Poniatowski, l'Égypte n'est pas la Syrie. Le problème est d'une tout autre dimension. Forte de 85 millions d'habitants, l'Égypte joue un rôle politique, économique, diplomatique et culturel sans égal dans la région. Il est essentiel pour l'équilibre régional, pour Israël, pour la Palestine, et au-delà même pour l'Europe, qu'elle retrouve la stabilité politique. D'où les initiatives, pas nécessairement publiques, que prend la France. Notre pays avait de bonnes relations avec le président Morsi et n'a aucun contentieux avec le nouveau pouvoir, d'autant que le président par intérim qui a été désigné, M. Adly Mansour, est un juriste qui a fait une partie de ses études en France. Nous travaillons bien entendu en liaison avec nos partenaires européens, mais nous avons aussi une action propre dans ce pays. J'ai eu l'occasion de faire savoir aux autorités en place, notamment au ministre des affaires étrangères intérimaire, et à la nouvelle opposition que la disponibilité de la France était entière. Nous verrons si cela peut être utile.
Monsieur Myard, des négociations sont en cours au FMI s'agissant de l'Égypte. Si la qualification de coup d'État avait été retenue, elles auraient été interrompues. En contrepartie d'un prêt de plus de cinq milliards de dollars, le FMI exigeait l'arrêt des subventions sur certains produits de base et la hausse des impôts. Cela est en débat depuis longtemps. Or, il ne faudrait pas aux graves difficultés actuelles en ajouter d'autres, qui aboutiraient à ce que la population ne puisse plus du tout se nourrir. Certes, ce n'est pas nous qui décidons au FMI mais notre position paraît de bon sens. Et ce que je dis pour le FMI vaut aussi pour l'Union européenne.
Q - (Sur le bassin méditerranéen)
R - Monsieur Amirshahi, nous avons bien l'intention de développer les projets concrets avec les pays du Maghreb. Les sommets du « 5 + 5 », plus ancien cadre de rencontre entre pays du bassin méditerranéen, qui réunissent la France, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, Malte d'un côté, et le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie de l'autre, nous paraissent un excellent vecteur.
Q - (Sur la Bolivie)
R - Je redis de la façon la plus nette que ce qui est arrivé au président bolivien est lié à un malentendu technique et administratif. Dès que le président de la République a su que le président Morales se trouvait dans l'avion en question et qu'il a été consulté, il a immédiatement autorisé le survol de notre pays. J'ai demandé à notre ambassadeur en Bolivie de l'expliquer clairement sur place. J'ai également appelé mon homologue bolivien et exprimé officiellement des regrets. La page doit maintenant être tournée au plus vite, afin que rien n'altère les bonnes relations que nous avons toujours entretenues avec la Bolivie et l'ensemble des pays de la région. L'interprétation qui a parfois été faite de l'incident est totalement erronée.
Q - (Sur le refus d'accorder l'asile à M. Snowden)
R - La France, comme les autres pays d'Europe, a refusé l'asile à M. Snowden. Après que les États-Unis ont formulé une demande d'arrêt, si M. Snowden venait en France, il devrait y être immédiatement arrêté, ce qui n'est certainement pas ce que souhaitent ses défenseurs. Il n'était donc pas opportun de lui octroyer l'asile. Quelques pays se sont déclarés prêts à l'accueillir. Je ne sais pas encore quelle sera sa décision.
Q - (Sur l'Iran)
R - M. Assouly et M. Habib ont tout deux évoqué la situation iranienne et les lignes rouges à ne pas franchir aux yeux d'Israël. Le message de la France à l'égard de l'Iran, sans être nullement belliqueux, n'en est pas moins net. Nous restons ouverts au dialogue, pour autant que les positions iraniennes évoluent.
Monsieur Lequiller, oui, nous saisirons les opportunités avec l'Iran... s'il s'en présente.
Q - (Sur l'adresse de certaines convocations à des élections à Jérusalem)
R - Monsieur Habib, je n'étais pas au courant que la mention «Israël» avait pu être barrée dans l'adresse de certaines convocations. Je vous remercie de me communiquer les photocopies des documents que vous avez en votre possession.
Q - (Sur les majorités islamistes issues d'élections régulières)
R - Monsieur Dupré, quelle crédibilité accorder aux majorités, disons islamistes, pour faire court ? Notre déplacement en Tunisie avec le président de la République la semaine dernière a été riche d'enseignements. Le long entretien que M. Ghannouchi a accordé au Monde est également très intéressant. Beaucoup dépendra certes de ce qui va se passer en Égypte - notre visite avait lieu au moment même des événements égyptiens - mais ce que nous retenons des discussions libres et amicales que nous avons eues avec le gouvernement tunisien est que pour réussir, là où ils ont été élus de manière régulière, les islamistes doivent rassembler. Sinon, au bout d'un certain temps, ils sont rejetés. Comment peuvent-ils oeuvrer au rassemblement nécessaire ? La question n'est pas simple, d'autant que ceux qui exercent le pouvoir ne sont pas nécessairement ceux qui décident. L'une des leçons à retenir est que se refermer autour d'un groupe, au lieu de travailler au profit de l'ensemble de la population en cherchant à rassembler, handicape gravement les pouvoirs qui pratiquent ainsi. Espérons que cela soit compris.
Q - (Sur la Turquie)
R - Sur la Turquie, il y aurait beaucoup à dire. Vous avez eu raison de souligner que le problème y est tout autre que dans les pays précités. En effet, la Turquie connaît une forte croissance économique. Mais il est vrai que nous avons été surpris, déçus par les récents événements, dont il faut tirer les leçons. Cela montre que l'amélioration de la situation économique ne suffit pas ou bien encore qu'un conflit peut dégénérer à partir d'une revendication très localisée, comme cela a été le cas à Istanbul où il s'agissait au départ d'une affaire d'urbanisme. Nous n'avons surtout pas voulu jeter d'huile sur le feu après les commentaires faits par le pouvoir. Mais nous restons vigilants.
Q - (Sur Madagascar)
R - Monsieur Christ, vous avez eu raison d'évoquer Madagascar, dont on ne parle pas assez alors que la situation y est extrêmement préoccupante. Le malheur de ce pays, dont la France est restée très proche, est lié à ses gouvernants. La Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ont fait savoir que si les prochaines élections devaient se tenir avec les candidats actuels et dans les conditions prévues, non seulement aucune aide ne serait accordée mais les résultats n'en seraient pas reconnus. J'ai eu l'occasion de le dire aux intéressés eux-mêmes, qui n'ont pas voulu se rallier aux solutions plus sages qui avaient été un temps envisagées pour trouver des candidats qui n'auraient pas suscité le même embarras. Comme la SADC et l'OUA, la France ne reconnaîtra pas le résultat des élections, si celles-ci ont lieu dans les conditions actuellement prévues. Cela aura des conséquences en matière d'aide.
Q - (Sur la politique extérieure de l'Union européenne)
R - Vaste sujet que de savoir pourquoi l'Europe ne parle pas d'une seule voix ! Soit cette voix unique fait défaut, soit, lorsqu'elle existe, elle n'est pas assez forte.
Q - (Sur l'institution d'un ministre des finances européen)
R - Où en est-on de l'institution d'un ministre des finances européen ? Le ministre des finances français s'est exprimé. Le président de la République l'avait lui-même fait au sein de l'Eurogroupe, en liaison avec Mme Merkel, qui plaidait elle aussi en ce sens. Nous voulons renforcer la zone euro. C'est d'autant plus nécessaire que l'Union s'est encore élargie - après l'adhésion de la Croatie, l'Union compte 28 membres, et le mouvement ne devrait pas s'arrêter là - et que les Britanniques ont décidé d'organiser un référendum après leurs propres élections, défendant la conception d'une Europe «à la carte», très éloignée de la nôtre. Cela nous conforte, et cette position est assez largement partagée sur l'échiquier politique, dans l'idée d'une Europe différenciée, où certains pays avanceraient plus vite que d'autres, sans récuser ceux qui vont plus lentement mais sans accepter d'être freinés par eux.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2013