Texte intégral
Au nom du Président de la République et de lensemble du Gouvernement, jai lhonneur de saluer à vos côtés louverture de la Maison des enfants cachés et des Justes, lieu de mémoire, dhistoire et déducation qui rend hommage au village du Chambon-sur-Lignon.
Ce village, le seul en France à être honoré, en tant que village, du titre de "Juste parmi les nations", sest distingué, au cours du second conflit mondial, par la générosité et le courage collectifs de ses milliers dhabitants.
De tous milieux, de toute confession, les habitants du Chambon et du Plateau se sont organisés et se sont mis en danger pour protéger des enfants juifs venus trouver ici un abri les mettant à lécart de la barbarie qui déferlait alors sur lEurope et sur la France, et dont ils étaient les premières cibles. Jai dailleurs apprécié la déclaration de ce pasteur à la question "sil y avait des juifs", a répondu quil ne voyait que des hommes.
Lengagement des hommes et des femmes dici ne sest pas improvisé ; il ne venait pas de nulle part. Il sest construit à partir dune longue tradition daccueil et dasile. Il sest fondé sur la mémoire des anciens conflits qui ont marqué notre société, lors des oppositions entre catholiques et protestants, ces conflits dont on oublie quils ont ensanglanté longtemps notre pays.
Tout au long des premières années du XXe siècle, les gens du Chambon ont reçu des enfants : ceux des ouvriers des grandes villes, ceux des républicains espagnols...
Jy vois un message que nous devons porter toujours et partout : la solidarité, lassistance apportée à ceux qui en ont besoin, ce nest pas, ou pas seulement, une affaire dexception.
Nous ne devons pas attendre que lapocalypse sabatte sur nous pour aider les plus vulnérables. Ce nest que si nous sommes, au plus profond de nous-mêmes, disposés à porter secours chaque fois que loccasion se présente, que nous pourrons être "à la hauteur de lhistoire" lorsquelle prend un tour tragique.
Pour nous aider à être à la hauteur de lhistoire, nous devons, bien entendu, nous souvenir de ceux qui lont été.
Cest le sens de la création de ce nouveau lieu de mémoire, qui honorera le souvenir du village tout entier, dun village qui constitue un exemple remarquable de la Résistance civile.
Cultiver la mémoire, ce nest pas seulement commémorer, sémouvoir en pensant au passé. Cest aussi et surtout transmettre un récit qui, en montrant comment des valeurs ont inspiré des actions remarquables, fait vivre en nos curs ces valeurs.
Souvent dans nos lieux de mémoire, nous évoquons le côté obscur de lhistoire, les drames et les manquements, mais il est aussi hautement important de rappeler ces héros du quotidien qui ont eu à cur de faire vivre en toute simplicité les principes fondateurs de notre idéal républicain. En ces heures tragiques, en nacceptant pas le préjugé, la distinction entre les hommes, et plus encore les enfants, en raison de leur origine ou de leur religion, ils ont, avec dautres anonymes, sauvé lhonneur du peuple de ce pays.
Se souvenir des noms des héros nest pas une fin en soi, mais ce doit être le point de départ dune méditation, dune réflexion sur les valeurs qui les ont poussés à agir et sur les conditions dans lesquelles leur action sest accomplie.
Souhaitons que lexemple du Chambon soit profitable pour les enfants d'autres pays, qui souffrent parfois pour ce quils sont au lieu de ce quils font, afin quils bénéficient de la protection de tous les adultes.
Pour que la mémoire ne soit pas seulement un culte du passé, il faut quelle soit articulée à lhistoire, qui est lexamen et le questionnement sur ce dont nous avons gardé la mémoire.
Cest pourquoi je salue votre choix de faire de cette maison un lieu de mémoire et dhistoire.
En tant que ministre déléguée auprès du ministre de léducation nationale, je ne peux quêtre sensible à la dimension pédagogique du projet qui se réalise aujourdhui.
Le rôle de lÉcole, cest de transmettre les valeurs qui fondent notre pacte républicain, des valeurs qui nous sont communes à tous, comme la dignité, légalité, la solidarité, la laïcité, lesprit de justice, le respect et labsence de toutes formes de discrimination. Cet enseignement ne saurait demeurer simplement théorique. Il est donc particulièrement significatif de pouvoir le transmettre par lexemple et celui incarné par ce village savère éminemment éclairant.
Le rôle de lécole cest aussi de donner aux générations qui viennent les outils pour écrire leur propre histoire, pour quils puissent se réapproprier activement la mémoire dont ils héritent.
Cest pourquoi léducation doit prendre appui sur les lieux de mémoire, qui sont autant doccasion pour les enseignants de faire réfléchir les élèves.
Mais cest aussi pourquoi la fréquentation de ces lieux de mémoire doit toujours être tournée vers le savoir, létude, lÉcole, et ne pas sen tenir à la commémoration et à lémotion.
LÉcole nest pas seulement le lieu de transmission de certaines valeurs. Elle est aussi le lieu où les consciences apprennent à sinterroger, à questionner les valeurs qui ont cours, à découvrir les notions de devoir et de liberté, de résistance à loppression et à linjustice.
Et ce nest sans doute pas un hasard si lun des personnages éminents de lhistoire du Chambon était le directeur de son école publique, Roger Darcissac.
(Il est toujours délicat de désigner un homme au sein dun collectif héroïque, mais disons que jy suis, en loccurrence, autorisée par mes attributions ministérielles).
Les hommes et les femmes qui font lécole sont sans doute parmi ceux qui sont amenés à traduire en acte les valeurs sur lesquelles ils invitent leurs élèves à réfléchir et donc à faire preuve de courage. Et je veux ici rendre hommage à tous ces enseignants français qui, dans le secret, ont protégé tant denfants sous loccupation.
Jai dailleurs appris que cétait la famille de Monsieur Darcissac qui avait remis à votre commune une part importante du fonds qui permettra de faire vivre la mémoire de ce lieu, avec notamment de nombreuses photographies et films, qui sont autant de moments de vie qui ressurgissent du fond de ces temps sombres.
Cest le signe que la volonté dêtre témoin, de transmettre ce que lon a vu et ce que lon a fait habitait cet homme, éminemment digne des valeurs de léducation nationale.
Je souhaite à cette nouvelle institution la reconnaissance quelle mérite.
Je ne doute pas quelle sera visitée par de très nombreux groupes scolaires, qui y seront bouleversés par lhistoire de ces enfants et émus (à la fois touchés et mis en mouvement) par la grandeur de ces hommes et de ces femmes.
Je forme enfin le vu que cette émotion soit, pour chacun, le point de départ dune authentique réflexion sur le courage et la solidarité et quelle leur donne la force demain de lutter pour faire toujours et avant tout, vivre les valeurs de la République qui nous rassemblent tous.
Source http://www.education.gouv.fr, le 12 juin 2013