Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, dans le quotidien vietnamien «Tuôi Tre» du 2 août 2013, sur les relations entre la France et le Vietnam.

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Circonstance : Déplacement en Indonésie et au Vietnam, du 31 juillet au 6 août 2013

Média : Tuôi Tre

Texte intégral

Q - Pourriez-vous nous donner des éléments sur l'objectif et le contenu de votre visite au Vietnam ?
R - L'année 2013, celle des célébrations des 40 ans de l'établissement de nos relations diplomatiques et celle de l'Année France-Vietnam, est l'occasion d'ouvrir un nouveau chapitre de notre relation. C'est l'objet de ma venue dans votre pays.
Ma visite s'inscrit dans une dynamique de renforcement des contacts politiques de haut niveau. Le président François Hollande et le Premier ministre Nguyen Tân Dung se sont rencontrés en novembre 2012 à Vientiane. Une rencontre est ensuite intervenue entre les deux Premiers ministres français et vietnamien, à Phnom Penh en février 2013. J'ai moi-même accueilli à Paris, le 27 mars, mon homologue M. Pham Binh Minh. Ces rencontres annoncent de nouvelles échéances d'importance au cours des prochains mois, tant en France qu'au Vietnam.
Cette visite sera l'occasion d'aborder, avec mon homologue et avec les plus hautes autorités vietnamiennes, l'élaboration d'un partenariat stratégique entre nos deux pays et la dynamisation de notre coopération dans tous les domaines. J'aurai à coeur d'évoquer le renforcement des échanges économiques, qui ne sont pas à la hauteur de nos ambitions.
Q - La France et le Vietnam entendent porter leurs relations bilatérales au niveau d'un partenariat stratégique en 2013. À votre avis, pour la France, quel est le caractère «stratégique» de ses relations avec le Vietnam ? Quels sont les facteurs justifiant l'importance de ce partenariat stratégique ?
R - Le Vietnam est pour la France un partenaire politique important, une économie dynamique ouverte vers l'Europe et un membre actif de la Francophonie.
Depuis des décennies, nous avons élaboré ensemble de nombreux accords et mécanismes de coopération dans des domaines variés : politique, défense, commerce et investissement, culture, sciences et technologies, formation. La France est l'un des premiers bailleurs d'aide publique au développement, avec plus d'1,3 milliards d'euro engagés au Vietnam par l'Agence française de développement. La France accueille plus de 6.000 étudiants vietnamiens, dont c'est la troisième destination au monde.
Nous souhaitons aujourd'hui, grâce à l'élaboration d'un partenariat stratégique, approfondir ces liens, tout en donnant une nouvelle impulsion à notre relation.
C'est en particulier sur le domaine économique, où notre relation n'est pas à la hauteur de l'ambition du partenariat stratégique, que nous devons faire porter nos efforts. Bien que près de 300 entreprises françaises soient implantées au Vietnam, les produits français ne représentent qu'une très faible part de marché. Le partenariat stratégique est l'occasion de faciliter les conditions d'investissement et d'approfondir les coopérations industrielles dans des domaines stratégiques pour le développement du Vietnam.
Dans le domaine politique, le Vietnam joue un rôle croissant sur la scène internationale, avec notamment la décision de contribuer à partir de 2014 aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. C'est l'occasion de porter plus loin notre dialogue sur les grands dossiers internationaux, ainsi que sur les questions de sécurité et de défense, mais aussi les enjeux globaux, comme le changement climatique auquel le Vietnam est particulièrement vulnérable. J'attache également de l'importance au maintien d'un dialogue franc et respectueux sur les questions relatives à la gouvernance, la liberté d'expression et l'État de droit.
Q - À l'heure actuelle, les entreprises françaises participent activement aux projets d'infrastructures d'envergure au Vietnam, on peut citer à titre d'exemple, EDF dans la construction de la centrale électrique de Phu My, Alstom dans le projet de métro de Hanoi, Sanofi avec sa participation dans le domaine de la vaccination... Cependant, les investissements français semblent moins visibles que ceux du Japon et de la Corée du Sud. Dans ce contexte, quelles sont vos évaluations sur les investissements privés français au Vietnam ?
R - Vous avez raison de souligner le dynamisme des investissements français au Vietnam. La France est le deuxième investisseur européen dans le pays avec un stock de plus de 3,2 Md USD et un montant en augmentation qui témoigne de la priorité que les entreprises françaises accordent au Vietnam au sein de l'ASEAN.
Les besoins du Vietnam correspondent parfaitement aux points forts de l'offre française. Les beaux succès d'EDF, d'Alstom, de Sanofi le prouvent.
Pour aller au-delà, il est important que les entreprises françaises accroissent encore leur présence au Vietnam et s'engagent sur la durée, condition du succès. Il est également essentiel que les gouvernements facilitent ces investissements. Cela passe notamment par une amélioration du cadre juridique des affaires au Vietnam et par une levée des obstacles à l'accès au marché. Nous y sommes attentifs dans le cadre des négociations en cours en vue d'un accord de libre-échange entre le Vietnam et l'UE.
Q - Les entreprises vietnamiennes cherchent maintenant à élargir leurs frontières de commercialisation. À votre avis, la France constituerait-elle une terre potentielle du développement commercial vietnamien ? Si oui, quels sont les secteurs propices pour les investissements et les exportations vietnamiens ?
R - Pas seulement une terre potentielle, mais déjà bien réelle. L'Union européenne est aujourd'hui le premier marché d'exportation du Vietnam ; en 2012, la France a importé pour plus de 2,7 Md euros de biens du Vietnam, un montant quatre fois supérieur à celui de ses exportations vers votre pays. Par le biais de divers programmes (par exemple en faveur de la mise en place d'indications géographiques d'origine dans le secteur agroalimentaire), la France aide la montée en gamme de vos exportations. Quant aux investissements internationaux, la France y est ouverte : elle est le pays européen qui compte le plus de sociétés étrangères implantées sur son territoire. Les sociétés vietnamiennes sont les bienvenues. Nous sommes prêts à nous mobiliser pour faciliter leur installation.
Q - De nombreuses entreprises françaises qui opèrent au Vietnam doivent recourir à l'anglais comme langue de communication. Il s'agit d'une réalité décourageante pour le Vietnam, qui avait un rôle actif au sein de la Francophonie. Comment d'après vous améliorer cette situation ?
R - C'est un point important. Nous sommes très attentifs à l'engagement du Vietnam dans la Francophonie. Dans un monde globalisé, l'anglais est la langue internationale des affaires, c'est un fait, en particulier dans l'ASEAN. Mais son usage n'est pas exclusif des autres langues, français ou vietnamien. Nous adoptons désormais une approche plurilingue. Grâce à l'apprentissage du français, les étudiants se distinguent de ceux qui ne maîtrisent que l'anglais, ils gagnent l'accès, au-delà de la France, à un monde francophone africain dont le dynamisme démographique et économique ouvre de nouveaux horizons aux entreprises françaises et vietnamiennes. Le français est également un outil d'accès aux formations d'excellence. L'immense majorité des étudiants qui ont choisi le français suivent des cursus d'excellence et obtiennent des emplois de haut niveau, même s'ils ne sont pas amenés à utiliser le français tous les jours.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 août 2013