Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé à France-Inter le 19 juin 2013, sur la Conférence sociale et la réforme des retraites.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Ce sont des syndicats très remontés que vous allez accueillir demain pour la Conférence sociale. En annonçant hier le maintien du gel du point d’indice dans la Fonction publique, une quatrième année blanche pour les fonctionnaires, on ne peut pas dire que le gouvernement ait fait beaucoup pour le climat social. C’était concerté, prémédité ?
MARISOL TOURAINE
La ministre de la Fonction publique travaille très régulièrement, évidemment, avec les organisations syndicales. Nous sommes dans une situation difficile sur le plan économique et des efforts collectifs sont appelés. Dans le même temps, je veux souligner que des discussions sont déjà engagées, par la Fonction publique, pour l’évolution des carrières, en particulier de ceux que l’on appelle les catégories C, c'est-à-dire ceux qui ont les rémunérations les plus faibles, dans la Fonction publique hospitalière, dans la Fonction publique d’Etat et dans la Fonction publique territoriale. Mais cela…
PATRICK COHEN
Mais vous ne pouviez pas attendre 2 jours pour le dire directement aux syndicats lors de la Conférence sociale ? Laurent BERGER ce matin, le numéro 1 de la CFDT, se dit scandalisé par l’annonce de cette décision, il estime que c’est très très grave d’avoir été annoncé sans concertation avec les organisations syndicales.
MARISOL TOURAINE
Une concertation a eu lieu, mais, vous savez, cela permet aussi de montrer que, contrairement à ce que l’on entend trop souvent en ce moment, les fonctionnaires ne sont pas des privilégiés, ils sont comme l’ensemble des Français, confrontés à une situation difficile, et on leur demande des efforts, l’ensemble de ces sujets feront évidemment l’objet de débats pendant la Conférence sociale.
PATRICK COHEN
Là vous êtes en train de nous annoncer que les fonctionnaires seront exonérés de réforme des retraites, Marisol TOURAINE ?
MARISOL TOURAINE
Personne ne dit cela, et je suis frappée de voir que, soit l’on considère qu’il faudrait que la réforme porte exclusivement sur les fonctionnaires, soit l’on considère qu’il devrait en être totalement exonérés. La vérité elle est que nous engageons une réforme des retraites, cette réforme elle va concerner l’ensemble des Français et les fonctionnaires y participeront comme l’ensemble des Français. Mais puisque vous évoquez le débat sur les retraites, qui va être un débat important, au fond, quel est le sens de la réforme que nous voulons porter, parce que, au fond, nous avons en France la chance d’avoir un bon système de retraite, les Français y tiennent, et donc nous voulons le sauver. Et pour cela nous devons faire en sorte qu’il puisse passer le cap des défis auquel il est aujourd’hui confronté, et nous devons faire en sorte que les générations, les jeunes générations, celles qui ont 30, 40 ans, se disent qu’au moment où viendra leur tour de partir en retraite, elles pourront elles aussi compter sur une retraite solidaire. Et c’est pour cela que nous engageons un travail qui a pour volonté, pour exigence, d’inscrire dans la durée notre système de retraite par répartition, c'est-à-dire par solidarité, parce que sinon c’est la porte ouverte à la privatisation. Et donc, je le dis très fortement, notre ambition n’est pas d’en rester à une réforme purement financière, trouver des ressources pour équilibrer à court terme, même si c’est aussi un objectif, c’est d’inscrire dans la durée, donner de la perspective, à ce régime de retraite, et réparer des injustices qui existent et qui sont importantes.
PATRICK COHEN
On a entendu ce discours à chaque réforme des retraites, Marisol TOURAINE…
MARISOL TOURAINE
Non.
PATRICK COHEN
Même si c’était la droite qui les a menées ces réformes.
MARISOL TOURAINE
Non Patrick COHEN, parce que je n’ai pas le souvenir, pour avoir d’ailleurs combattu fortement la dernière réforme portée par le gouvernement de monsieur SARKOZY, je n’ai pas le souvenir que des propositions aient été faites et des mesures aient été prises pour réduire l’écart entre la retraite des femmes et celle des hommes. Je n’ai pas le souvenir de mesures pour prendre en considération ceux qui ont eu des travaux pénibles. J’ai, au contraire… il n’y a pas de mesure pour la pénibilité.
PATRICK COHEN
Il y a eu un dispositif longue carrière.
MARISOL TOURAINE
Il y a eu un dispositif qui portait sur l’invalidité, pas sur la pénibilité, les organisations syndicales l’ont indiqué. Et donc, pour nous, il y a une double exigence, une exigence de responsabilité financière, une exigence de justice, et c’est d’ailleurs pour répondre à cette exigence de justice que nous avons, dès notre arrivée aux responsabilités, permis à celles et ceux qui ont commencé à travailler jeunes et qui étaient particulièrement touchés, pénalisés par la réforme SARKOZY, que nous leur avons permis de partir dès 60 ans.
PATRICK COHEN
Vous avez rappelé que vous aviez fortement combattu effectivement cette réforme SARKOZY, que fondamentalement vous ne remettez pas en cause, et, d’une certaine façon, vous vous inscrivez dans les pas de vos prédécesseurs avec cette réforme, « réforme paramétrique » disent beaucoup d’observateurs. Vous allez sans doute vous contenter d’augmenter les cotisations et les durées de cotisation. Ce n’est pas vrai ?
MARISOL TOURAINE
Nous ne nous inscrirons pas dans les pas, comme vous dites, de la réforme SARKOZY, qui reposait sur une chose et une seule, le relèvement de l’âge légal, et d’ailleurs ça devient le leitmotiv de la droite, et à entendre votre interlocuteur hier matin ici, l’ancien ministre des Affaires sociales…
PATRICK COHEN
C’était Xavier BERTRAND.
MARISOL TOURAINE
Au fond, il n’a qu’un mot à la bouche, « relevons l’âge légal », à droite certains ont dit il faut que ce soit 65 ans, qu’on ne puisse pas partir avant 65 ans en 2015. C’est une mauvaise démarche, une mauvaise mesure.
PATRICK COHEN
D’autres disent système à points, on remet à plat tout le système et on fait un système à points qui permet… universel, où chaque Français aurait les mêmes droits, cotiserait sur ses revenus du travail avec un taux unique.
MARISOL TOURAINE
Ce sont des réformes qui prennent énormément de temps. La Suède, par exemple, qui sert souvent de référence en la matière…
PATRICK COHEN
C’est un bon exemple, non ?
MARISOL TOURAINE
L’a fait en 15 ans. aujourd’hui, au fond, ce qu’il s’agit de faire de façon prioritaire, c’est de donner du souffle, de la perspective, à notre système de retraite, et donc, je le dis, nous n’en resterons pas à une réforme paramétrique, comme vous l’avez indiqué. Il s’agit, bien sûr, de faire face au déficit pour les années qui viennent, mais il s’agit aussi, au-delà de 2020, de conforter notre système de retraite et donc de lui donner de la force avec des mesures qui permettront de l’inscrire dans la durée, et puis, j’insiste, mettre en place des mesures de justice qui vont permettre de rééquilibrer notre système, qui n’est pas aussi juste que ce que certains pourraient espérer ou pourraient imaginer.
PATRICK COHEN
Est-ce que les mesures de justice ça passe par un rapprochement du mode de calcul des pensions, et notamment ce mode de calcul qui est très différent depuis 93 entre la Fonction publique et le secteur privé ?
MARISOL TOURAINE
Il y a un mode de calcul différent, mais la question qui doit être posée est celle de savoir si les retraites, le taux de remplacement, comme on dit techniquement, c'est-à-dire retraite sur laquelle on peut compter par rapport au salaire que l’on avait auparavant, est si différent que cela. Des propositions ont été faites, elles vont être examinées, mais moi je voudrais insister sur le fait qu’il y a beaucoup moins de différences que ce que certains disent, entre les retraites du privé, du secteur privé, et les retraites du secteur public, pour des raisons…
PATRICK COHEN
En taux de remplacement, mais pas en valeur absolue, vous le savez.
MARISOL TOURAINE
Si, pour des raisons qui tiennent au fait que les fonctionnaires ont souvent des primes, que ces primes ne comptent pas dans le calcul de la retraite, et donc quand vous regardez ce qui est en moyenne versé à un salarié du privé et à un fonctionnaire, on est dans des niveaux équivalents. Je peux vous donner des exemples précis. Si vous prenez par exemple un fonctionnaire de catégorie B, c'est-à-dire quelqu’un qui travaille dans une préfecture, il a 2400 euros de revenu, 2000 euros de salaire + 400 euros de prime, il va avoir une retraite autour de 75%, ça représentera 1500 euros. De la même façon, quelqu’un dans le privé qui gagne 2400 euros, eh bien aura une retraite qui sera calculée de façon différente, mais qui aboutira à 1500 euros de retraite aussi. Donc on voit qu’il y a des calculs différents, mais des résultats qui sont proches, et en tout cas il ne me semble pas que ce soit une bonne façon de commencer une réforme que d’opposer les uns aux autres, il faut que les efforts consentis soient identiques.
PATRICK COHEN
Clientélisme, dit l’UMP, la gauche ne voudra pas s’attaquer aux fonctionnaires.
MARISOL TOURAINE
Oui, mais manifestement la droite, elle, est adepte de je ne sais pas quoi, du « fonctionnaire bashing. » Il suffirait, pour elle, de montrer du doigt les fonctionnaires pour être un grand réformateur, nous, nous avons l’ambition de réformer dans la concertation et dans la cohésion. Parce que, ce qui fait la force de notre système de retraite, et de notre pacte social de façon plus large, ce qui fait la force de notre système de retraite, c’est qu’il est un élément de cohésion sociale, de cohésion entre les générations, si on commence par réformer un système de cohésion en opposant les uns aux autres, on est sûr, alors, que c’est la fin de notre modèle social.
PATRICK COHEN
Mais c’est la situation actuelle qui oppose les uns aux autres, avec des modes de calcul ou des âges de départ qui sont différents, vous le savez Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
Non, les âges de départ sont maintenant identiques…
PATRICK COHEN
Sauf dans les régimes spéciaux.
MARISOL TOURAINE
Sont identiques, et les durées de cotisation sont aujourd’hui identiques dans la Fonction publique et dans le secteur privé, et pour ce qui est des régimes spéciaux, un mécanisme de convergence est en place, qui aboutira à ce que ces durées de cotisation soient les mêmes dans quelques années.
PATRICK COHEN
Donc, si je vous demande, de façon un peu triviale, qui va payer ? Vous me répondrez tout le monde, les salariés du privé, les retraités, les entreprises, tout le monde sera mis à contribution, et les fonctionnaires y compris.
MARISOL TOURAINE
Je l’ai dit, il y aura des efforts, notre réforme, évidemment, supposera des efforts, ces efforts devront être consentis par l’ensemble des Français, ils devront être justement répartis, personne ne doit rester à l’écart de la réforme, mais personne ne doit être montré du doigt. Encore une fois je veux aussi dire qu’il y a un effet un peu inquiétant dans la présentation de certaines propositions, ces derniers jours il y a eu un rapport qui liste toutes les options possibles. Alors, certains en déduisent que c’est tout ce qui va être fait, moi je veux rassurer nos auditeurs, il y aura évidemment des choix, des options qui seront prises. Encore une fois, les efforts à réaliser son à notre portée parce que le déficit à combler, à court terme, est significatif, 1 milliard d’euros à horizon 2020, mais pas hors de portée, et dans le même temps nous avons la volonté de faire en sorte que chacun contribue de façon juste et en fonction de ses possibilités.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 juin 2013