Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le projet de loi de programmation militaire, au Sénat le 3 septembre 2013.

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Circonstance : Intervention devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 3 septembre 2013

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Nous nous retrouvons dans un moment de gravité. Sans revenir en détail sur les derniers développements de la crise syrienne, qui feront l’objet d’une session extraordinaire du Parlement demain, je crois que l’actualité met en évidence, une fois de plus, la nécessité de disposer d’une défense forte et de moyens garantissant notre autonomie stratégique, appuyée en particulier sur des capacités au meilleur niveau. De cette manière, nous serons en mesure, à tout moment, de faire face aux impératifs de notre sécurité et aux responsabilités internationales qui sont celles de la France.
C’est bien l’enjeu du projet de loi de programmation militaire que j’ai présenté en Conseil des ministres le 2 août dernier et que je viens détailler avec vous aujourd’hui.
Ce projet, vous le savez, est la déclinaison concrète des orientations que le Président de la République a approuvées, le 29 avril dernier, à travers le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Là où le Livre blanc fixait un cap sur quinze ans, la loi définit un cadre précis et annualisé pour l’évolution de nos forces dans les six ans qui viennent.
En ouvrant mon propos, je veux insister sur la prise en compte de notre environnement international de sécurité dans les arbitrages que le Président de la République a rendus. C’est parce que le niveau des risques et des menaces qui pèsent sur la sécurité collective de la France et de l’Europe ne baisse pas, parce que nous avons des responsabilités internationales devant lesquelles nous ne saurions nous dérober, comme le Président de la République l’a tout récemment rappelé dans le cadre de la conférence des ambassadeurs, qu’il importe de maintenir à bon niveau notre effort de défense. Voilà ce que nous vous proposons.
Le contexte immédiat ne fait que renforcer cette analyse. J’ai parlé de la Syrie aujourd’hui ; nous pourrions penser à d’autres théâtres demain, y compris au Moyen-Orient ; mais je voudrais évoquer le Mali. De ces derniers mois, on peut retenir quelques enseignements, sur la nécessité d’être capables d’anticiper grâce au renseignement, de disposer d’options à présenter au chef de l’Etat grâce au travail de planification et ciblage des états-majors, d’être réactifs par nos moyens en alerte permanente, sur la nécessité aussi d’assurer une présence au plus près des zones de crise. Ici, je n’ai pas besoin de vous rappeler la célérité de nos armées, qui ont porté les premiers coups aux groupes djihadistes quelques heures seulement après la décision du Président de la République. Je n’ai pas besoin non plus d’évoquer toute la part que nos forces pré-positionnées ont pris à la réussite de SERVAL. Comment ne pas souligner également les risques concrets de la prolifération et des agressions cyber – tous deux sont au cœur de la crise syrienne, comme l’attaque chimique sans précédent du 21 août dernier ou le piratage de grands sites d’information qui a suivi viennent encore de le rappeler.
Aujourd’hui, le principal risque serait de sous-estimer ces menaces. De fait, quand il faut intervenir, au bout du compte, il n’y a que peu de puissances qui soient en mesure de le faire. Il y en a moins encore s’il s’agit de le faire en préservant la marge d’autonomie politique et militaire nécessaire dans l’appréciation, la préparation et l’exécution des opérations et dans le dialogue qui les accompagnent avec les grandes puissances comme les Etats-Unis. Comme elle l’a montré dans les crises récentes, comme elle peut le faire dans le cas de la Syrie, la France peut s’honorer d’en être.
Le projet de LPM doit être examiné à la lumière de ces éléments.
Je voudrais d’abord revenir sur le cadre financier de cette programmation.
Les chiffres sont maintenant connus : ce projet de loi de programmation maintient notre budget au niveau actuel, c’est-à-dire 31,4 milliards d’euros courants, cela pendant trois ans. Dans un deuxième temps, entre 2016 et 2019, ce budget augmentera progressivement, pour atteindre 32,5 milliards d’euros courants. Les crédits budgétaires progresseront en valeur dès 2016, puis en volume à compter de 2018. Les ressources programmées sur la période 2014-2019 atteignent ainsi 190 milliards exprimés en euros courants.
Cet arbitrage est une décision politique forte. Comme le Président l’a souligné à la veille du 14 juillet, « les crédits de la défense seront donc, et j’insiste sur ce point, à la différence de la plupart des ministères, préservés dans leur intégrité. C’est un effort que la Nation fait, non pas pour les armées, mais pour sa propre sécurité. »
Dans le même temps, d’ailleurs, la Défense consent un effort significatif pour le redressement des comptes publics. Cet effort passe notamment par la stabilisation des ressources programmées entre 2014 et 2016, stabilisation qui égale l’inflation, et par une diminution importante de nos effectifs.
Pour atteindre le niveau de ressources que je viens d’évoquer, mais aussi pour que la Défense participe au redressement des comptes publics, des ressources exceptionnelles viennent compléter les ressources budgétaires à hauteur de 6,1 Md€ sur la période, c’est-à-dire 3% des ressources totales.
L’engagement du Président de la République – je veux y insister – a aussi porté sur la transparence de nos choix dans le domaine, que je sais délicat, des ressources exceptionnelles. C’est pourquoi le rapport annexé au projet de loi expose de façon précise, à la différence du précédent, les différentes origines de ces ressources, ambitieuses mais réalistes. Je les rappelle brièvement : il s’agit de l’intégralité du produit de cession d’emprises immobilières utilisées par le ministère de la défense ; d’un nouveau PIA, financé par le produit de cessions de participations d’entreprises publiques, au profit de l’excellence technologique des industries de défense ; du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences comprise entre les fréquences 694 MHz et 790 MHz, fréquences de très haute valeur pour les opérateurs en raison de ses caractéristiques techniques ; des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquence déjà réalisées lors de la précédente loi de programmation ; enfin, le cas échéant, du produit de cessions additionnelles de participations d’entreprises publiques qui se révèleraient nécessaires pour compléter ces moyens.
L’évaluation de produits de cessions étant par nature délicate, une clause de sauvegarde a été prévue. Elle permettra de mobiliser d’autres ressources exceptionnelles, si le produit ou le financement de celles que je viens d’évoquer s’avère insuffisant. C’est une garantie supplémentaire pour la défense. En sens inverse, si le montant des ressources disponibles devait excéder les 6,1 Md€ prévus, la Défense pourra en bénéficier à hauteur de 0,9 Md€ supplémentaires.
Concernant le cadre financier de cette programmation, je voudrais ajouter quelques mots sur le financement des opérations extérieures. Une dotation prévisionnelle annuelle de 450 M€ figure désormais dans le budget de la mission « Défense », en adéquation avec les priorités stratégiques et les nouveaux contrats opérationnels définis dans le Livre blanc. Cette dotation est un peu inférieure à la précédente, mais il s’agit de tenir compte de la nouvelle définition de nos contrats opérationnels, qui n’est pas celle du Livre blanc et de la Programmation précédente. Là encore, une clause de sauvegarde a été mise en place. L’enjeu est de garantir la soutenabilité budgétaire d’éventuelles décisions d’engagement militaire de la France. Ces décisions relevant du chef de l’Etat et, derrière lui, de l’ensemble du Gouvernement, il est précisé, dans des termes voisins de ceux de la loi précédente, que les surcoûts résultant soit de nouvelles opérations, soit du renforcement des opérations existantes en 2013, seraient couverts par un financement interministériel ad hoc.
Vous le comprenez, nous avons voulu garantir à notre Défense un niveau de ressources ambitieux et réaliste à la fois. Ambitieux, par la trajectoire que le Président de la République a arrêtée. Réaliste, par les différentes assurances que nous avons voulu prendre, en diversifiant les ressources et en élaborant plusieurs mécanismes de sauvegarde pour garantir, in fine, la sincérité de cette programmation. C’était d’ailleurs, Monsieur le Président, le vœu formulé par votre commission dans le cadre d’un travail préparatoire qui prouve une fois de plus combien il a été précieux.
Pour en revenir maintenant à une perspective plus large, mais évidemment en lien avec la sanctuarisation budgétaire que je viens d’évoquer, je voudrais souligner combien ce projet de loi de programmation est celui du maintien de notre rang stratégique.
L’ambition du Gouvernement s’énonce clairement : garantir à la France sa capacité à intervenir dans l’ensemble des situations où ses intérêts de sécurité, ses responsabilités internationales, pourraient être mis en jeu.
Grâce au niveau de ressources que je viens d’évoquer, nous resterons l’un des rares pays dans le monde à pouvoir assumer simultanément les trois missions fondamentales que sont la protection du territoire et de la population, la dissuasion nucléaire, appuyée sur deux composantes distinctes et complémentaires, et l’intervention sur des théâtres extérieurs, pour des missions aussi bien de gestion de crise que de guerre. Je ne reviens pas ici sur le détail de l’ambition politique portée par le Livre blanc ; elle est désormais connue ; mais je voudrais insister sur la manière dont elle se décline concrètement dans ce projet de LPM.
La répartition des crédits traduit naturellement les priorités que le Président de la République a assignées à notre Défense. J’en évoquerai deux : la préparation opérationnelle et l’équipement des forces.
Nous reconnaissons tous d’abord que, sans préparation opérationnelle efficace et suffisante, nous ne saurions disposer de capacité militaire ni d’armée professionnelle crédible. La valeur des hommes et des femmes de la défense, qui a plusieurs fois trouvé à s’exprimer ces derniers mois, en découle directement. Vous savez que c’est une de mes préoccupations personnelles depuis mon entrée en fonction.
Depuis 2011-2012 en particulier, nous observons pourtant un fléchissement des activités opérationnelles. Ce fléchissement peut s’expliquer de diverses manières : l’épuisement des stocks dans lesquels nos armées ont puisé ces dernières années sans que le financement de leur complétement ne soit prévu, le vieillissement des parcs, mais aussi l’arrivée de matériels de nouvelle génération dont le coût moyen d’utilisation et d’entretien est considérablement plus élevé, tout cela se cumule. D’une façon générale, le contexte financier a pesé sur l’activité et l’entraînement, alors même qu’ils revêtent un caractère prioritaire.
Parce que cette évolution n’est pas acceptable, nous avons cherché à maintenir puis redresser progressivement le niveau de préparation opérationnelle dans ce projet de LPM. Sur la période 2014-2015, les efforts conduits permettront d’obtenir une stabilité globale de l’activité à un niveau comparable à celui de 2013. Ensuite, nous travaillerons à relever les taux d’activité.
Cette priorité accordée à l’entraînement de nos forces se traduit par un effort financier conséquent. Ainsi, les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur pour s’établir à un niveau moyen de 3,4 Mds€ courants par an sur la période, contre 2,9 en LFI 2013.
Dans le domaine des équipements, je veux d’abord souligner l’effort conséquent qui va être réalisé, puisque ce projet de loi de programmation prévoit que les crédits d’équipements soient en hausse constante au cours de la période 2014-2019. En 2013, 16 Mds€ ont été consacrés aux équipements ; ce montant sera en constante progression pour atteindre 18,2 Mds € en 2019. Grâce à ce niveau de crédits, le renouvellement de nos équipements sera assuré et notre base industrielle préservée, conformément aux principes de la stratégie militaire exposés dans le Livre blanc. Vous me permettrez de les rappeler ici, car ces quatre principes sont au fondement des choix d’équipement qui figurent dans cette loi de programmation militaire.
Pour préserver notre autonomie stratégique, ce projet de LPM prévoit d’abord de garantir la pérennité de la dissuasion. La livraison du M51.2, la mise en service du laser Mégajoule, le lancement des travaux d’élaboration du futur SNLE de 3e génération, ou encore dans le domaine du renseignement avec le satellite CERES, entièrement développé dans cette période pour un lancement en 2020 y contribueront directement. Toujours pour satisfaire cette exigence d’autonomie stratégique, nous renforcerons les capacités permettant de prendre l’initiative dans les opérations, qu’il s’agisse du renseignement (avec la livraison de deux satellites MUSIS, de drone MALE et de drones tactiques), de nos forces spéciales, ou bien encore des capacités qui sont engagées au contact de l’ennemi (ce sont ici les programmes Rafale, FREMM, missiles MMP, et Scorpion). Enfin, nous consoliderons notre capacité à fédérer et à entraîner nos alliés au sein d’une coalition. Pour ce faire, nous développerons notamment nos moyens de frappes précises dans la profondeur (avec la livraison de 250 missiles de croisière) et notre aptitude à planifier et entrer en premier sur un théâtre de guerre (grâce, par exemple, à la livraison des premiers MRTT et à la réalisation des Barracuda).
Pour garantir la cohérence du modèle avec la diversité des missions dans lesquelles la France est susceptible d’engager ses forces armées, ce projet de LPM prévoit différents types d’équipement. Premièrement, pour répondre aux menaces d’emploi de la force par des Etats, il y a, au-delà des programmes liés à la dissuasion que je viens d’évoquer, les FREMM, les SNA, les avions Rafale, le lancement de la rénovation du char Leclerc, l’hélicoptère NH90 et l’adaptation des Tigre. Deuxièmement, pour conduire dans la durée les opérations de gestion de crise, ce projet de LPM prévoit la prolongation des Mirage 2000, la rénovation des frégates légères furtives et le remplacement de nos VAB, comme de nos AMX10 RC. Nos forces auront ainsi les moyens adaptés de conduire ces opérations qui sont récurrentes, longues et exigeantes. Troisièmement, toujours au titre de la cohérence du modèle, les programmes SCCOA, plusieurs programmes de moyens navals de surveillance et d’intervention, ainsi que des investissements dans le domaine NBC, renforceront nos capacités de protection du pays et de ses intérêts de sécurité.
J’en viens au principe de différenciation, qui conduit à distinguer les forces et leur entraînement en fonction des missions qu’elles sont appelées à remplir. On distinguera les forces de dissuasion, les forces de protection, des forces de gestion de crise et des forces de coercition. Les forces terrestres seront ainsi organisées en brigades adaptées à l’entrée en premier qui seront notamment équipées de chars Leclerc et de VBCI, brigades multi-rôles destinées à la gestion de crise avec des VAB pour les premiers VBMR, et brigades légères adaptées à l’action d’urgence. Dans le domaine naval, les capacités de combat pour les opérations de haute intensité se verront renforcées par les 6 premières FREMM, par le premier SNA de type Barracuda, ainsi que par la rénovation des frégates légères furtives ; en parallèle, l’armement de nouveaux patrouilleurs et la transformation des avions de surveillance contribuera à renouveler notre aptitude au contrôle et à l’intervention dans de vastes espaces maritimes, qu’il s’agisse de nos côtes ou bien de l’outre-mer. Concernant les forces aériennes enfin, la livraison de 26 Rafale supplémentaires, et l’arrivée des A400M et MRTT renforceront leurs capacités dans l’hypothèse d’un conflit majeur. Ces forces conserveront par ailleurs un nombre d’aéronefs suffisants, grâce au prolongement d’avions plus anciens, à l’instar des Mirage 2000, notamment pour remplir les missions de gestion de crise ou de protection de l’espace aérien national.
La mutualisation, enfin, dernier principe, consiste en premier lieu à affecter un noyau de capacités polyvalentes et rares à plusieurs missions. Elle a aussi contribué aux choix d’équipements en permettant de définir des cibles pour les Rafale, les MRTT, les SNA, les FREMM dotées de capacités anti-sous-marines ou encore les Missiles de croisière navals : ces capacités sont en effet multimissions. Mais la mutualisation peut et doit s’entendre à une autre échelle. Dans le cadre d’une relance pragmatique de l’Europe de la défense, ce principe nous incite en effet à envisager ensemble certaines capacités critiques. C’est pour cette raison que ce projet de loi, d’une part préserve tous les grands programmes conduits en coopération (FREMM, A400M, NH90, TIGRE, MUSIS, SAMP/T), d’autre part lance plusieurs autres programmes (on peut citer l’Antinavire léger – l’ANL – ou le SLAMF). Dans le domaine du renseignement enfin, un principe majeur d’économie et de coordination impose la mutualisation de certaines capacités techniques entre nos services.
Si un ajustement du calendrier des programmes est nécessaire, compte-tenu des contraintes financières, l’effort consenti pour l’équipement de nos forces, qui s’élève à 17,1 Mds€ en moyenne annuelle sur l’ensemble de la période, pour 16 Mds€ en 2013, je le rappelle, est particulièrement significatif. Le tour d’horizon des programmes que je viens de faire est là pour en témoigner. Cet effort en matière d’équipements, en s’appliquant à nos forces, bénéficie aussi directement à nos industries de défense. J’y reviendrai tout à l’heure.
L’exigence de sincérité sans laquelle il n’est pas de programmation crédible m’incite à tenir, comme sur le Livre blanc, un discours de vérité. Cette programmation est ambitieuse. Elle n’en sera pas moins difficile. Les efforts qui figurent dans le projet de loi s’entendent dans un double sens : effort de la Nation pour sa propre sécurité, effort de la Défense pour le redressement des comptes publics. S’il y a donc des priorités – j’en ai évoqué quelques-unes – il y a donc aussi des mesures d’économies qui rendent crédible la programmation que nous présentons dans le contexte financier actuel.
Sur un plan budgétaire d’abord, je l’ai dit tout à l’heure, je n’y insiste pas, la reconduite du budget en valeur jusqu’en 2016 constitue un effort conséquent. Ce n’était pas la progression prévue par mes prédécesseurs, mais je crois avoir souligné, lors d’auditions précédentes, combien cette progression était jugée par tous, désormais, irréaliste.
Concernant les ressources humaines, vous le savez également, la déflation des effectifs va devoir se poursuivre, en cohérence avec les contraintes financières et le nouveau modèle d’armées porté par le Livre blanc. 10 175 emplois vont être supprimés au titre de la précédente programmation, et 23 500 le seront au titre de la présente LPM. La définition de cette déflation, sa répartition au sein du ministère, sera guidée par trois priorités. D’abord, préserver les forces opérationnelles et le soutien opérationnel. Les forces de combat ne supporteront donc qu’environ un tiers des déflations d’effectifs nouvelles envisagées, c’est-à-dire 8 000 postes + 1 100 dans les forces pré-positionnées. Deuxième priorité, maîtriser la masse salariale. Vous savez que c’est un enjeu de crédibilité majeur pour notre ministère et j’entends que nous soyons à la hauteur. Le taux d’encadrement va donc diminuer après cinq années qui l’ont vu connaître une évolution significative à la hausse. Cet effort de dé-pyramidage se traduira par des réductions touchant le nombre d’officiers sur la période 2014-2019. Enfin, dernière priorité, amorcer un certain rééquilibrage des effectifs globaux du ministère au profit du personnel civil dans les secteurs non opérationnels, en cohérence avec les besoins croissants en experts que le Livre blanc a exprimés dans différents domaines, notamment le renseignement et la cyberdéfense.
Je mesure bien le prix de ces nouvelles réductions, après celles que le ministère a déjà connues. J’ai donc tenu à ce qu’un nouvel esprit inspire les évolutions à venir, sur la base d’une analyse attentive et proche. La valeur que les hommes et les femmes de la défense montrent au quotidien les honore et nous oblige. Parce que leur engagement peut aller jusqu’au sacrifice ultime, nous leur devons le plus grand respect. Ce respect, il doit inspirer chacun des aspects de notre politique de ressources humaines. C’est pour moi une préoccupation profonde et je continuerai d’y veiller personnellement.
Concrètement, pour conduire cette action difficile, le projet de LPM prévoit d’abord un large plan de mesures d’accompagnement des personnels appelés à quitter le service. Ce plan reposera sur trois leviers : le renforcement de la politique de reconversion pour le personnel militaire, le reclassement dans les fonctions publiques et l’aide à la mobilité externe pour les agents du ministère, et des outils financiers d’incitation au départ et à la mobilité, selon un plan financé à hauteur de 933M€ sur la durée de la programmation. Quatre mesures seront proposées en particulier au personnel militaire : la « promotion fonctionnelle », la pension afférente au grade supérieur, le pécule d’incitation au départ et la « disponibilité rénovée ». Je me tiens à votre disposition pour revenir au moment des questions sur telle ou telle de ces mesures.
Il n’y aura donc ni dégagement des cadres ni mesures brutales. La déflation des effectifs sera obtenue par les départs naturels, les départs incités et un ajustement des recrutements, l’impact sur ces derniers étant limité au maximum pour tenir compte des impératifs opérationnels qui réclament un personnel jeune et physiquement apte.
Au-delà même de ce plan d’accompagnement il faudra suivre une méthode à laquelle j’attache beaucoup de prix : celle de l’écoute, celle de la concertation, celle de l’analyse fonctionnelle. Le ministère a trop connu de réformes appliquées de manière brutale pour qu’il puisse envisager cette déflation de la même manière. Au contraire, je veux prendre le temps. Une période de concertation, d’écoute et d’analyse fonctionnelle précèdera donc les réductions. J’en ai confié la responsabilité au Secrétaire général pour l’administration et au directeur des ressources humaines, en lien avec les états-majors. L’objectif n’est pas de rechercher des coupes purement arithmétiques dans les effectifs ; c’est d’atteindre un modèle simplifié, davantage cohérent ; et bien sûr de supprimer les doublons.
De la même façon, le dialogue et la concertation doivent permettre de faire émerger des évolutions positives de la condition du personnel et de la condition militaire en particulier. Celle-ci, le rapport annexé l’énonce avec force, est à mes yeux un élément constitutif de la capacité opérationnelle elle-même de nos armées. Un plan ministériel, prévu par la programmation, permettra d’établir et de financer des pistes de facilitation sur ce sujet, dans les domaines du logement, de l’aide sociale et du soutien familial en particulier.
Sur les restructurations qui découlent de ces déflations d’effectifs, j’aurai la même méthode associant analyse, écoute, concertation. Là encore, je veux prendre le temps. Pour ce qui concerne les restructurations de l’année 2014, qui sont pour la plupart liées à la précédente programmation, nous annoncerons les sites concernés à la fin de ce mois.
En matière de restructurations, je connais toute l’importance du dialogue avec les élus. A la tête du ministère de la défense, je dois dire que je n’oublie pas ma vie et mon expérience d’élu local dans un site de défense, qui a connu deux restructurations. J’ai déjà commencé à recevoir les parlementaires et élus locaux qui ont souhaité me rencontrer. Je vais bien évidemment continuer et nous définirons avec le Premier ministre l’ensemble des mesures d’accompagnement nécessaires.
Pour nous, l’objectif est de préserver au maximum les liens qui unissent les armées et les territoires – j’aurai donc une attention toute particulière à ce que la Défense reste, dans la mesure du possible, largement présente sur le territoire national. Mais notre objectif est aussi, pour les sites que nous serons amenés à fermer, de permettre une transition dans les meilleures conditions possibles. J’avancerai en tout cas dans ce domaine avec le souci constant du contexte territorial, économique et social des mesures qui seront décidées. A cette fin, un accompagnement économique est prévu par ce projet de LPM. Cet accompagnement tire les enseignements des précédentes restructurations et notamment du risque d’éparpillement des fonds publics. Désormais, les actions de l’Etat seront donc davantage concentrées, et recentrées sur un nombre limité d’actions, parmi les plus efficaces pour la redynamisation des bassins d’emploi. 150 M€ seront au total consacrés à l’accompagnement économique des territoires les plus affectés. Ce plan, en outre, sera complété par un dispositif d’aide au profit des PME, appuyé sur la Banque publique d’investissement. Un préfet sera à mes côtés pour le suivi de ces mesures. Je sais que sa longue expérience des politiques territoriales le rendra particulièrement attentif aux enjeux du dialogue qui doit rassembler le ministère et les élus locaux en particulier.
Enfin, je voudrais souligner combien ce projet de loi de programmation militaire, au-delà des éléments que j’ai déjà évoqués, se consacre à la préparation de l’avenir, en permettant l’adaptation de l’armée d’aujourd’hui aux guerres de demain.
C’est pour moi l’occasion d’évoquer notre politique industrielle de défense. Les chiffres sont connus mais on gagne à les rappeler : 4 000 entreprises, dont une majorité de PME/ETI ; 165 000 emplois directs, qui sont autant d’emplois hautement qualifiés et donc peu délocalisables ; un chiffre d’affaire global d’environ 15 Mds€, dont 30 à 40 % réalisé à l’export.
Pour la France, c’est un outil exceptionnel. D’abord parce que notre industrie de défense concourt à notre autonomie stratégique – on peut d’ailleurs raisonnablement considérer que derrière chaque succès des armes de la France, comme tout récemment au Mali, il y a des réussites technologiques et industrielles. Préparer nos futurs engagements, c’est donc aussi s’assurer que nous pourrons disposer des équipements au meilleur niveau. Mais notre industrie de défense concourt aussi au dynamisme de notre économie. A cet égard, c’est l’une des premières du monde, comme les grands contrats obtenus aux Emirats viennent encore de le rappeler. Elle doit le demeurer.
C’est pour cet ensemble de raisons que l’industrie de défense est au cœur du projet de loi de programmation. Les crédits consacrés à l’investissement et à l’équipement au profit de nos forces, qui seront comme je l’ai dit tout à l’heure de 17,1 Mds€ en moyenne annuelle sur les six ans à venir, concernent chacun des neufs secteurs majeurs de l’industrie de défense.
En matière de préparation de l’avenir, l’ambition dont vont aussi bénéficier nos industries de défense concerne le maintien d’un effort substantiel de recherche et technologie. C’est un objectif majeur de la présente loi, avec des crédits consacrés aux études amont qui représenteront plus de 730 M€ en moyenne annuelle sur la période 2014-2019, en hausse par rapport à la période précédente.
Ces crédits d’études amont bénéficieront au renouvellement des deux composantes de la dissuasion, à l’avenir de l’aéronautique de combat, à la lutte sous-marine, dans le domaine terrestre à la poursuite des efforts sur la protection des véhicules, des équipages et des combattants, mais aussi au renseignement, à la montée en puissance de la cyberdéfense ou encore à l’espace, pour ne citer que quelques exemples. D’une façon générale, l’effort de coopération avec la recherche civile sera poursuivi, notamment par l’augmentation du soutien aux PME-PMI-ETI innovantes que permet le pacte défense PME. Dans la même perspective, le dispositif RAPID (régime d’appui aux PME pour l’innovation duale) sera pérennisé et renforcé avec 50 M€ par an, contre 40M€ en 2013.
La préparation de l’avenir, c’est aussi l’évolution du cadre juridique de notre défense. Il me faut dire quelques mots ici des novations normatives contenues dans ce projet de loi de programmation, d’autant que plusieurs sont particulièrement importantes.
J'insisterai particulièrement sur trois domaines pour lesquels le projet de loi innove réellement, d’une part en adaptant le droit aux défis d'aujourd'hui et d’autre part en le préparant à ceux de demain.
Dans le domaine du renseignement d'abord, il renforce, autant que le permettait la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la séparation des pouvoirs, le rôle et les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement. Ce contrôle accru permettra d’ouvrir ou de sécuriser certains dispositifs de collecte de données et de consultation de fichiers existants, qui sont offerts aux services de renseignement. Ces derniers ont en effet besoin d'avoir accès à une information riche et diversifiée pour repérer les signaux faibles et détecter suffisamment tôt les risques, notamment terroristes, mais plus généralement d'atteinte à nos intérêts fondamentaux.
Le projet de loi innove aussi dans le domaine de la cyberdéfense. Sont précisées, pour la première fois, les obligations que l'Etat peut imposer aux opérateurs d'importance vitale pour la France en matière de sécurisation de leurs systèmes d'information. Pour la première fois aussi, le droit prend en compte les besoins des services de l'Etat de défendre efficacement les systèmes d'information les plus sensibles contre les attaques informatiques. Y compris par des procédés qui, s'ils ne répondaient à cet objectif légitime de préservation de la sécurité nationale, seraient pénalement répréhensibles.
Enfin, comme le Président de la République l'avait expressément demandé, le projet de loi met en place divers outils juridiques permettant d'éviter une judiciarisation inutile de l'action des militaires engagés en opération extérieure. L'objectif n'est pas de consacrer une quelconque immunité pénale au profit des militaires, qu'il s'agisse du commandement ou des hommes et des femmes du rang. Il s'agit plus simplement de faire prendre en compte par le droit pénal la réalité de ce qu'est un conflit armé ; il s’agit de trouver un compromis entre un droit pénal d'exception qui est celui du temps de guerre, qui n'a heureusement plus servi en France depuis le dernier conflit mondial, et le droit commun qui est adapté au temps de paix. Sur certains aspects, ce droit commun peut en effet être en décalage, voire franchement inadapté aux réalités des conflits dans lesquels nos militaires sont engagés et sont prêts à donner leur vie comme d'ailleurs à donner la mort.
Je veillerai par ailleurs, mais cela n'avait pas sa place dans le projet de loi, à ce que les mécanismes d'information, d'accompagnement et d'indemnisation des familles des militaires blessés ou tués au combat, soient encore amélioré.
La préparation de l’avenir, c’est également la réorganisation du ministère, c’est-à-dire la réforme de la gouvernance, qui fait l’objet d’une clarification et d’une simplification, et la modernisation avec le regroupement des états-majors, directions et services centraux sur le site de Balard. L’enjeu est pluriel : outre la rationalisation des effectifs de l’administration centrale et l’optimisation du coût du soutien, il devrait résulter de ces évolutions une amélioration de la gouvernance du ministère et une modernisation des conditions de travail des agents du ministère, civils et militaires.
La préparation de l’avenir, c’est encore l’effort particulier que nous consentons dans les domaines de la cyberdéfense et du renseignement. Au-delà des programmes, il convient de relever que ce projet de loi prend en compte cette nouvelle donne stratégique qu’est la cyberdéfense. En la matière, il prévoit une adaptation de notre droit, le renforcement de nos capacités, la mise en place d’une organisation et d’une chaîne opérationnelle centralisée, ainsi qu’un effort important en termes d’études amont. Le renseignement est une autre priorité, conformément au Livre blanc et aux engagements du Président de la République. J’ai déjà cité les moyens nouveaux dont nous disposerons en la matière, autant que le contrôle parlementaire renforcé.
La préparation de l’avenir, c’est enfin le renforcement du lien Armée-Nation. L’enjeu de ce renforcement, c’est à la fois la cohésion nationale, l’adhésion de la Nation à la politique de défense, mais également la reconnaissance du métier des armes, le recrutement et la résilience des populations face aux crises. Plusieurs actions vont être ici menées, dans le cadre de cette programmation. Elles concernent la réserve militaire, dans ses deux composantes opérationnelle et citoyenne, une rénovation du parcours de citoyenneté, avec notamment une réflexion qui est actuellement engagée sur la journée défense et citoyenneté. Mais l’association plus étroite de la Représentation nationale aux décisions qui concernent la politique de défense relève aussi de ce lien entre l’Armée et la Nation que nous devons promouvoir. Le renforcement de l’information des élus, en ce qui concerne notamment le suivi des dotations financières, des opérations extérieures ou encore des exportations d’armement, est pour nous un objectif de très court terme. Je viendrai d’ailleurs devant le Parlement dans les prochains jours, comme je l’avais fait l’année dernière, pour présenter le rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armement.
Je voudrais simplement conclure en disant que l’exécution quelque peu heurtée de la précédente LPM a démontré la nécessité de prévoir un dispositif de suivi et d’actualisation de la LPM, comme du Livre blanc d’ailleurs. L’exécution de la présente LPM fera donc l’objet d’un suivi annuel, au niveau du Conseil de défense. Un rapport annuel d’exécution sera également transmis aux commissions compétentes du Parlement. Dans la même logique, une première actualisation de la LPM devra avoir lieu fin 2015. Elle permettra notamment de faire le point sur l’activité opérationnelle, les équipements majeurs, les déflations d’effectifs et la mise en œuvre des réformes. Au bout de quatre ans, la présente LPM sera révisée pour conduire à l’élaboration d’une nouvelle loi de programmation.
Voilà donc dans ses grandes lignes le cadre fixé par ce projet de loi de programmation militaire. C’est un cadre équilibré, car nous avons eu le souci constant d’une répartition équitable de l’effort entre les trois armées et, au-delà, entre les différentes entités du ministère.
Pour le dire en un mot, ce cadre est le bon, parce qu’il va nous permettre d’adapter nos armées d’aujourd’hui aux menaces de demain, dans un contexte qui rendait particulièrement difficile ce travail essentiel. Nous l’avons mené et je crois que nous pouvons en être fiers.
Ce projet de LPM est l’aboutissement d’un travail de plusieurs mois qui a réuni les états-majors, la DGA, le SGA et l’ensemble des services du ministère dans une réflexion commune. Surtout, nous l’avons élaboré en ne cessant de penser à l’opération SERVAL, qui se déroulait dans le même temps, comme à la manière très professionnelle dont a été conduit notre désengagement progressif d’Afghanistan. Toujours, nous avons donc gardé à l’esprit la raison d’être de notre défense et l’engagement de celles et ceux qui la servent si bien. Je forme le vœu qu’une même pensée guide nos débats cet automne.
Je vous remercie pour votre attention et je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 5 septembre 2013