Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, à "France Inter" le 12 septembre 2013, sur la relance de la politique industrielle par le développement de formations adaptées aux besoins de projets industriels d'avenir.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
La France doit redevenir, va redevenir une grande nation industrielle en créant les objets du futur : train, voiture, textile, biocarburant, objets connectés. Une reconquête qui pourrait créer près de 500 000 emplois en 10 ans, voilà ce qu’on va entendre ce matin à l’Elysée, par la voix de François HOLLANDE et celle de son ministre Arnaud MONTEBOURG. Et à cela vous n’y croyez pas du tout, bonjour, Augustin LANDIER. Vous êtes professeur à l’école d’économie de Toulouse, vous signez avec un autre prof d’économie David THESMAR, « 10 idées qui coulent la France. » Vous allez nous en exposer quelques-unes. Et puis la ministre qui vous fait face, Fleur PELLERIN vous donnera la réplique. Première idée fausse, donc selon vous, celle qui consiste à penser que la France a encore un avenir industriel. Et pour reprendre le mot de Louis GALLOIS, il ne peut y avoir d’économie forte sans industrie forte. Pourquoi ce n’est pas vrai ?
AUGUSTIN LANDIER
Alors ça dépend ce que l’on appelle « industrie » mais pour ce qui est de fabriquer des vrais objets matériels, là, on pense que vraiment on marche sur la tête. Cette idée qu’on va se remettre à fabriquer des objets, que c’est ça qui va créer des emplois. Ce n’est pas du tout ce que l’on voit dans les tendances, dans les donnée. Et la France n’est pas du tout pathologique là-dessus. Toutes les économies développées se désindustrialisent. C’est le cas aussi bien de la France que de l’Allemagne, que des Etats-Unis, que de l’Angleterre, que de la Suède.
PATRICK COHEN
L’Angleterre ne se réindustrialise pas un petit peu, il y a JAGUAR, des voitures…
AUGUSTIN LANDIER
Il y a des phénomènes à la marge, mais il faut dézoomer, il ne faut pas regarder des tendances sur trois mois. Quand on regarde les grandes tendances sur les 20 dernières années, il n’y a aucune ambiguïté, tous ces pays suivent à peu près le même trend, la même tendance, et il n’y a pas du tout de quoi s’en inquiéter. C'est-à-dire l’immatériel occupe une place de plus en plus importantes dans nos vies et donc exactement comme il y a un siècle. L’agriculture a basculé dans l’industrie, et beaucoup de ministres s’en inquiétaient, Jules MELINE à l’époque a écrit « le retour à la terre » et il voulait faire des trains pour ramener les ouvriers à la terre. Il avait très, très peur de ce qui allait se passer et on ne voyait pas où ça allait, où ça allait finir cette histoire de basculement de l’agriculture dans l’industrie. Aujourd’hui l’industrie bascule dans les services, dans le monde de l’immatériel, il y a de la technologie derrière. Ce n’est pas que les emplois non qualifiés, il y a beaucoup de technologies, il y a du numérique, il y a du big data, mais ce n’est pas de l’industrie au sens traditionnel, au sens où on ne fabrique pas des objets, matériels, pas toujours…
PATRICK COHEN
Oui, vous soulignez qu’aujourd’hui, les secteurs des services et de l’industrie sont très imbriqués l’un dans l’autre. Et que la plus-value dans le secteur industriel elle vient des services, c'est-à-dire expliquez-nous ?
AUGUSTIN LANDIER
Exactement ! Exactement ! Et le problème, alors le problème de la France, pour ce qui est de la création d’emploi, c’est surtout des emplois non qualifiés, ces emplois-là, ils sont très, très massivement dans les services. Là, il n’y a aucune ambiguïté là-dessus, l’industrie se robotise de plus en plus, s’automatise. On peut espérer qu’on va rapatrier quelques sites de production, moi, je ne dis pas du tout, il faut euthanasier les usines etc. il y a certainement quelques rapatriations, quelques relocalisations de sites qui auront lieu, on en voit quelques-unes substantielles aux Etats-Unis, vous parliez de l’Angleterre, très bien, mais ce qu’il y a d’arrière, en fait, c’est une seconde vague de robotisation très efficace, qui permet d’automatiser intégralement des processus de fabrication…
PATRICK COHEN
Et là-dessus, on n’est pas très en avance sur les robots ?
AUGUSTIN LANDIER
Alors il y a beaucoup à faire et donc c’est très bien de rattraper ce retard, mais il ne faut pas se raconter d’histoire. Ce n’est pas un retour aux usines fumantes, avec des quantités énormes d’emplois peu qualifiés à la clef. Ce n’est pas du tout vers ça qu’on se dirige.
PATRICK COHEN
Pour vous, ces appels qui sont lancés aujourd’hui, par l’Etat, par le gouvernement, ça représente une forme de nostalgie et le fantasme de la planification vous écrivez ?
AUGUSTIN LANDIER
C’est la nostalgie des « 30 glorieuses » et dès que ça va mal en France, on se souvient de la dernière fois que ça allait très, très bien, c'est-à-dire les « 30 glorieuses » et cette période de rattrapage industriel qui a été très euphorisante avec des taux de croissance très élevés, où chaque année, ça allait mieux que l’année précédente, de manière très visible, très substantielle. Mais cette époque-là, elle n’est pas reproductible. Parce que quand on rattrape, quand on a une économie qui est complètement détruite, le stock de capital a été intégralement détruit, là on peut vraiment programmer, l’Etat peut programmer la reconstruction et distribuer les tâches et dire, vous vous faites les ponts, vous savez faire. Vous, vous faites les centrales nucléaires, on distribue les tâches, mais l’économie de l’innovation contemporaine, ce n’est pas une économie où on peut vraiment distribuer les tâches et dire vous vous allez faire le GOOGLE de 2030, et vous faites l’APPLE de 2050, ça, ça fonctionne pas.
(…)
PATRICK COHEN
Face à vous, une ministre, bonjour Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Bonjour.
PATRICK COHEN
Ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Economie numérique, auprès d’Arnaud MONTEBOURG, donc, dont on parlait il y a un instant. Vous êtes nostalgique des usines fumantes comme le décrivait Augustin LANDIER, tout à l’heure ?
FLEUR PELLERIN
Pas du tout, et je ne vois pas du tout dans le plan qui va être présenté tout à l’heure par le président de la République, ces usines fumantes, cet espèce de ringardise, d’un plan qui serait une sorte de gosplan, ce n’est pas du tout l’esprit de ce qui va être présenté ce matin. Et sans en dire trop, parce qu’évidemment, c’est le président de la République qui va présenter cette démarche tout à l’heure, l’idée n’est pas du tout d’administrer une stratégie industrielle ou de dire, à chacun de distribuer les rôles comme monsieur LANDIER le disait à l’instant. L’idée, c’est au contraire d’essayer d’identifier des éléments très importants, des secteurs importants qui sont déterminants pour à la fois pour l’économie de la connaissance, le développement de l’économie de la connaissance et de l’innovation dont il parlait. Donc ça peut être le big data, le traitement passif des données, le développement d’informatique en nuage, qui sont aussi importants pour le secteur traditionnel de l’industrie qui aspire à se moderniser et je pense qu’on ne peut pas tout jeter à la poubelle. Derrière les usines, l’industrie, il y a aussi des hommes, des femmes qui travaillent. On en parle de façon très désincarnée en ayant un discours un peu schumpétérien, oui à la vieille industrie. Il faut la balancer à la poubelle. Ce n’est pas comme ça, dans la réalité, aujourd’hui, l’industrie et monsieur LANDIER, le disait, elle est de plus en plus interpénétrée avec les services, mais ça, ça fait très longtemps qu’on le sait, ce n’est pas une découverte, et je ne l’ai pas appris en lisant le livre de monsieur LANDIER. Une voiture aujourd’hui, c’est 50 % de services, il y a des logiciels dedans, il y a du logiciel embarqué, il y a du GPS, il y a…
PATRICK COHEN
La commercialisation, le financement…
FLEUR PELLERIN
Il y a de la géolocalisation, il y a l’assurance, donc c’est 50 % de service, la valeur ajoutée d’une voiture et pourtant, c’est bien un produit ! Vous avez une montre connectée dedans, il y a la moitié de logiciels d’intelligence dans ces nouveaux produits. Donc aujourd’hui, l’industrie, on sait très bien qu’elle est complètement imbriquée avec les services et nous…
PATRICK COHEN
Donc il y a un malentendu sur le mot en fait. Quand vous parlez d’industrie, vous parlez d’industrie au sens large, et pour parler, pour évoquer les objets du futur.
FLEUR PELLERIN
Oui, il y a un malentendu sur le mot « plan. » C'est-à-dire qu’on n’est pas en train de dire, l’Etat va mettre tant d’argent et donner tant d’argent à tel lobby pour qu’il développe une industrie qui n’a aucune chance de trouver un marché. L’idée, c’est au contraire, d’essayer d’identifier des priorités pour justement moderniser l’ensemble de notre économie et l’aider à accomplir cette transition vers l’économie de la connaissance. Parce que c’est facile de dire, il faut aller vers une industrie de service ou une économie de la connaissance, l’Etat, ce qu’il fait, enfin le politique c’est qu’il gère la transition, évidemment ! Moi, j’aimerais bien dire aussi, il n’y a qu’à, il faut qu’on, il faut qu’on soit une industrie à forte valeur ajoutée, ou une économie à forte valeur ajoutée, et qu’on créait des emplois d’ingénieurs et que la valeur soient créer par des emplois de cette nature-là. Oui, j’aimerai bien dire ça, mais enfin, le politique, il a à gérer la transition, parce qu’on ne peut pas jeter les femmes et les hommes qui sont dans les usines et qu’on doit accompagner dans cette transition aussi, par de la formation continue, les reconversions etc. Donc voilà ! Les plans, ils ont juste, ils tracent juste une voix, pour l’économie qu’on souhaite créer pour l’avenir. On voit bien que le laisser-faire du marché a conduit aujourd’hui à ce qu’on n’ait plus finalement, un certain nombre, qu’on ne soit plus leader dans un certain nombre de domaines dans lesquels on était pourtant bien positionné. Aujourd’hui, vous constatez qu’on n’a plus du tout de fabricant de Smartphone par exemple, alors qu’aujourd’hui, on sait très bien, que dans l’économie numérique en particulier, la valeur s’est beaucoup déplacée vers les Smartphones, vers le logiciel et vers les plates-formes aussi. Mais beaucoup moins vers les infrastructures et beaucoup plus vers les Smartphones. On n’en fabrique plus un seul en France. C’est dommage, moi, je trouve que c’est dommage. Et donc moi, je pense que l’Etat stratège a un rôle à jouer pour éviter de nouvelles déconvenues de cette nature.
(…)
PATRICK COHEN
Fleur PELLERIN vous répondez sur les Smartphones et puis sur la BPI, puisque vous êtes ministre des PME. Et puis ensuite, on marquera la pause et on reprendra le débat plus tard.
FLEUR PELLERIN
Sur les Smartphones, je citais cet exemple, pour moi désolé, mais enfin, vous constaterez tout à l’heure et très prochainement, qu’il n’y a pas de plan, justement pour dire, recréons un AIRBUS européen du Smartphone. On sait bien que cette bataille-là, elle est perdue. Donc on est très réaliste et très pragmatique dans notre approche. Ce qu’on essaie de faire aujourd’hui, c’est de bien se positionner sur des secteurs dans lesquels, il n’y a pas encore d’acteurs dominants. Les objets connectés, je le disais tout à l’heure, le big data, le traitement massif des données, nous avons en France, d’excellents ingénieurs et une excellente école de mathématiques. On a de quoi former des analystes de données etc. donc ce sont des secteurs qui seront majeurs demain, pour l’économie, qui seront vraiment structurants et dans lesquels on peut prendre des positions dominantes. Donc c’est là-dessus, c’est vers ça qu’on s’oriente. Ce n’est pas en se disant, recréons un AIRBUS des télécoms, enfin des équipements télécoms. On le sait très bien.
AUGUSTIN LANDIER
Vous voulez créer un AIRBUS du big data ?
FLEUR PELLERIN
Mais ce n’est pas un AIRBUS du big data ! On essaie de faire en sorte que la formation, l’université française, les grandes écoles françaises s’organisent pour apporter suffisamment de matières, d’intelligence et de matières grises, à ce secteur pour qu’on ait de quoi alimenter cette filière.
AUGUSTIN LANDIER
Mais ça fait au moins 5 ans que tout le monde parle de big data, toutes les entreprises se sont positionnées sur ce sujet. Donc c’est très bien de faire de la communication pour que les jeunes de 15 ans…
FLEUR PELLERIN
Mais ce n’est pas de la communication, les entreprises se positionnent, elles ne trouvent pas à recruter aujourd’hui, d’analyses de données, de data scientiste.
PATRICK COHEN
Donc c’est un problème de formation alors ?
AUGUSTIN LANDIER
Ah ! Oui, c’est dur d’embaucher.
FLEUR PELLERIN
C’est un problème de formation, mais l’Etat a un rôle à jouer en matière de formation monsieur LANDIER…
AUGUSTIN LANDIER
Oui, bien sûr, ça je suis tout à fait de votre côté.
FLEUR PELLERIN
Voilà, c’est ça la démarche. C’est ça la démarche. La démarche c’est d’essayer d’organiser et de créer le bon environnement pour que les filières puissent s’organiser et trouver la matière grise et trouver les moyens de se développer. Voilà !
PATRICK COHEN
Donc c’est un plan d’aide aux universités essentiellement, dans ce qui va être annoncé aujourd’hui ?
FLEUR PELLERIN
Ce n’est pas un plan d’aide aux universités. Vous avez évoqué tout à l’heure, le problème de financement, la BPI, vous savez que l’Etat peut intervenir et vous savez parce que vous êtes économiste, lorsqu’il y a des défaillances de marché. Le financement de l’innovation c’est un problème de, c’est un secteur qui pose un problème de défaillance des marchés, parce que c’est risqué.
PATRICK COHEN
Mais c’est pour créer de nouvelles écoles d’ingénieurs ?
FLEUR PELLERIN
Vous voyez bien que c’est le petit bout de lorgnette, votre approche. C’est à la fois créer des écoles ou des formations adapter en tout cas, le système de formation aux besoins de l’économie de la connaissance et aux besoins de l’économie de demain, mais aussi réfléchir aux problèmes de financement. C’est essayer de faire, de mobiliser tous les leviers de croissance, qui aujourd’hui, ne sont pas entièrement mobilisés dans des secteurs, dont nous pensons qui sont des secteurs d’avenir.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2013