Texte intégral
Cher Thierry de MONTBRIAL
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les chefs dentreprise,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens dabord à vous remercier, Thierry de MONTBRIAL, de votre invitation. Je lapprécie dautant plus que nous ne serons pas nécessairement daccord. Jai lu avec intérêt vos perspectives introductives au rapport Ramsès.
Si jen ai apprécié beaucoup des idées développées, notamment celle soulignant que les entreprises étaient, dune certaine façon, même privées, même mondialisées, un bien public des citoyens dune Nation, ou votre analyse, remarquable de justesse à mon sens, du « containment » américain par rapport à la Chine, je nai pas votre vision négative du traité de partenariat transatlantique.
Je souhaite, pour éclairer mon propos, replacer ces négociations dans leur contexte historique. Ce nest pas, en effet, la première fois quun accord de ce type est mis sur le tapis. A la fin des années 90, la France sétait radicalement opposée à un projet similaire (le « new Transatlantic Marketplace ») pour au moins deux raisons : lagriculture et le risque de destruction dun tout jeune système commercial multilatéral, lOMC ayant été créée en 1996.
De fait, ce contexte a changé. Sur le plan agricole, les réformes successives de la PAC, la forte progression de la demande mondiale qui tire à la hausse sur le moyen/long terme les marchés, rendent possibles une discussion, même si le résultat nen est pas acquis, loin sen faut. Mais surtout, les négociations multilatérales sont dans une impasse. LOMC est en panne. Malgré un mécanisme de règlement des différends qui a fait ses preuves et lengagement et lénergie de son précédent Directeur Général Pascal Lamy qui a permis malgré la crise, le protectionnisme soit contenu, le système ne fonctionne pas. Sa gouvernance basée sur le consensus ne le permet pas. Il y a trop dacteurs puissants aux intérêts contradictoires .Le fait chinois est là. Et si je partage avec vous, Thierry de MONTBRIAL, des interrogations réelles sur la Russie ou le Brésil, il nen demeure pas moins que les émergents pèsent sur la scène commerciale mondiale. Alors à défaut de multilatéralisme, il faut chercher ailleurs dautant que a crise frappe lUnion Européenne et nous impose de rechercher des relais de croissance à létranger, dans des pays plus dynamiques.
Ceci explique, je le crois, la montée en puissance des projets bilatéraux et lespèce denthousiasme, parfois suspect dailleurs, avec lequel la Commission européenne sy engage tout azimut.
Il était évident quaprès la signature daccord avec la Corée du Sud et Singapour, des négociations plus quavancées avec le Canada, leur lancement avec le Japon, le bal souvrirait avec les Etats-Unis. Et ce dautant plus que la Commission souhaitait linscrire à son bilan et quAngela MERKEL, en campagne, voulait sen prévaloir.
Cest donc sous la pression européenne, cher Thierry de MONTBRIAL, que les Etats-Unis ont démarré ces négociations. Autant je partage votre avis sur limportance, pour ladministration Obama, de laccord transpacifique dans sa politique chinoise, autant je crois que les Américains sintéressent moins à lEurope : son marché est déjà très largement ouvert à leurs entreprises qui y ont de solides positions. Il manque dallant cest un euphémisme- depuis la crise. De plus, lEurope nest pas et ne sait pas être, sans doute par manque de solidarité, une grande puissance politique. Leur perspective est peut-être différente : ils discutent avec lEurope, ils pensent à la Chine.
Nous sommes donc entrés dans des négociations le 14 juin, au terme dune bataille gagnée pour lexception culturelle mais aussi, avec le Royaume-Uni, pour exclure la défense des discussions.
Lenjeu, chacun doit sen convaincre, est énorme. Nous parlons de 40% du commerce, et des deux tiers des dépenses de Recherche et Développement dans le monde. Si cet accord aboutissait, ses conclusions simposeraient au reste du monde. Il écrirait, de fait, les règles du commerce mondial.
Je ne vais pas ici énumérer les intérêts offensifs que nous avons dans ces négociations, chimie, textile, pharmacie, marchés publics et autres, pas plus que les défensifs. Simplement je rappellerai que si nous tenons compte des chaines de valeurs, les Etats-Unis sont notre premier partenaire commercial.
La question, pour moi, va bien au-delà de ce qui sera, au bout du compte, une discussion de marchands de tapis conduite par des négociateurs commerciaux habités par un mélange contradictoire de foi naïve dans les vertus du libre-échange et de raisonnements mercantilistes.
Elle est, pour lessentiel, politique et stratégique. Et là, Thierry de MONTBRIAL, vous avez raison : ce nest pas ce que nous vend la Commission Européenne en termes demplois et de croissance à moyen terme qui compte (puisquà long terme, disait Keynes, nous serons tous morts), cest ce quun tel accord peut changer, ou non, au monde.
Signifie-t-il, ainsi, la fin du système multilatéral ? A ce jour, je nen sais rien. Cest, pour moi, comme la langue dEsope, à la fois la meilleure ou la pire des choses, ce qui le tuera ou ce qui le sauvera.
Si cet accord aboutit sans pousser les pays émergents ou nouveaux entrants sur la scène mondiale à sorganiser, sans contraindre les BRIC à prendre leurs responsabilités de puissances régionales, y compris géopolitiques, et donc le leadership dans leur zone au-delà de leurs propres intérêts immédiats, alors sen sera sans doute fini du multilatéralisme. 40% du commerce mondial simposeront à des zones régionales morcelées.
Si, en revanche, inquiets de voir surgir une nouvelle entité commerciale si puissante, dautant que le Canada sy joindra, les autres pays sorganisent, si la Chine assume ses responsabilités de grande puissance déquilibre du monde, si les émergents reprennent le chemin de lOMC pour y jeter les bases dun commerce juste et y écrire les règles dune nécessaire réciprocité, alors cet accord peut être le premier acte dune renaissance du multilatéralisme.
Le partenariat peut aussi, cest ma certitude, ouvrir une ère nouvelle entre la Chine et lEurope. Si nous nacceptons pas, comme le voudraient les Américains, denfermer la Chine entre le TPP et le TTIP, si nous refusons den faire un OTAN économique dirigé contre la puissance chinoise, alors nous serons en capacité dêtre un point déquilibre entre les deux grandes puissances.
A la Chine, l'Europe doit proposer un dialogue stratégique, avec des discussions sur un projet d'accord d'investissement UE-Chine, ou la conclusion d'un accord sur les marchés publics empreint de réciprocité.
Ainsi, nécessairement, un trilogue sengagerait qui permettrait enfin daboutir à une régulation mondiale nouvelle.
Vous le voyez, cet accord nest pas encore en vue, loin sen faut. Nous pouvons échouer ; cest même sans doute, si lEurope ne cède pas tout en rase campagne, lhypothèse la plus probable.
Pour aboutir, ce partenariat devra être respectueux des choix de sociétés et réaliste car il est illusoire de vouloir harmoniser des normes régies par nos choix en matière de protection de l'environnement et des consommateurs. Enfin, il faudra que lEurope soit solidaire, ce quelle nest plus, et ferme, ce quelle na jamais été. Il faudra aussi quil comporte une dimension vraiment partenariale. La relation économique et commerciale ne résume pas à la concurrence. Elle est aussi affaire de coopérations technologiques, de projets menés en commun, de valeurs partagées et dimplications de toutes les parties-prenantes. Ladhésion des opinions publiques sera ici décisive. Cest lenjeu de la transparence.
Mais au fond, en étant un brin provocatrice, je dirai que le plus important nest pas quil échoue ou réussisse. Même si je crois que ce partenariat pourrait être positif pour la France, jai aussi la conviction que louverture même de négociations, leur progrès, sont de nature à faire bouger les lignes. Elle est aussi une manifestation de la confiance que la France doit avoir en elle-même, en son avenir. La France nest pas naïve. Elle défendra ses intérêts et ses valeurs. Je lai montré le 14 juin. Mais elle na pas peur.
Et cest bien là lessentiel. Car si lon a un peu à coeur de penser la mondialisation, si on fait preuve dintelligence du monde (et la date daujourdhui nous y pousse), alors lévidence simpose : le commerce est devenu un élément déterminant de la politique mondiale. Nous renouons avec le temps où les grandes routes des foires bâtissaient les puissances féodales, un temps davant les Nations.
Le comprendre, cest prendre le partenariat transatlantique pour ce quil est : un moyen, fondamentalement politique, de transformer le monde.
Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 13 septembre 2013
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les chefs dentreprise,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens dabord à vous remercier, Thierry de MONTBRIAL, de votre invitation. Je lapprécie dautant plus que nous ne serons pas nécessairement daccord. Jai lu avec intérêt vos perspectives introductives au rapport Ramsès.
Si jen ai apprécié beaucoup des idées développées, notamment celle soulignant que les entreprises étaient, dune certaine façon, même privées, même mondialisées, un bien public des citoyens dune Nation, ou votre analyse, remarquable de justesse à mon sens, du « containment » américain par rapport à la Chine, je nai pas votre vision négative du traité de partenariat transatlantique.
Je souhaite, pour éclairer mon propos, replacer ces négociations dans leur contexte historique. Ce nest pas, en effet, la première fois quun accord de ce type est mis sur le tapis. A la fin des années 90, la France sétait radicalement opposée à un projet similaire (le « new Transatlantic Marketplace ») pour au moins deux raisons : lagriculture et le risque de destruction dun tout jeune système commercial multilatéral, lOMC ayant été créée en 1996.
De fait, ce contexte a changé. Sur le plan agricole, les réformes successives de la PAC, la forte progression de la demande mondiale qui tire à la hausse sur le moyen/long terme les marchés, rendent possibles une discussion, même si le résultat nen est pas acquis, loin sen faut. Mais surtout, les négociations multilatérales sont dans une impasse. LOMC est en panne. Malgré un mécanisme de règlement des différends qui a fait ses preuves et lengagement et lénergie de son précédent Directeur Général Pascal Lamy qui a permis malgré la crise, le protectionnisme soit contenu, le système ne fonctionne pas. Sa gouvernance basée sur le consensus ne le permet pas. Il y a trop dacteurs puissants aux intérêts contradictoires .Le fait chinois est là. Et si je partage avec vous, Thierry de MONTBRIAL, des interrogations réelles sur la Russie ou le Brésil, il nen demeure pas moins que les émergents pèsent sur la scène commerciale mondiale. Alors à défaut de multilatéralisme, il faut chercher ailleurs dautant que a crise frappe lUnion Européenne et nous impose de rechercher des relais de croissance à létranger, dans des pays plus dynamiques.
Ceci explique, je le crois, la montée en puissance des projets bilatéraux et lespèce denthousiasme, parfois suspect dailleurs, avec lequel la Commission européenne sy engage tout azimut.
Il était évident quaprès la signature daccord avec la Corée du Sud et Singapour, des négociations plus quavancées avec le Canada, leur lancement avec le Japon, le bal souvrirait avec les Etats-Unis. Et ce dautant plus que la Commission souhaitait linscrire à son bilan et quAngela MERKEL, en campagne, voulait sen prévaloir.
Cest donc sous la pression européenne, cher Thierry de MONTBRIAL, que les Etats-Unis ont démarré ces négociations. Autant je partage votre avis sur limportance, pour ladministration Obama, de laccord transpacifique dans sa politique chinoise, autant je crois que les Américains sintéressent moins à lEurope : son marché est déjà très largement ouvert à leurs entreprises qui y ont de solides positions. Il manque dallant cest un euphémisme- depuis la crise. De plus, lEurope nest pas et ne sait pas être, sans doute par manque de solidarité, une grande puissance politique. Leur perspective est peut-être différente : ils discutent avec lEurope, ils pensent à la Chine.
Nous sommes donc entrés dans des négociations le 14 juin, au terme dune bataille gagnée pour lexception culturelle mais aussi, avec le Royaume-Uni, pour exclure la défense des discussions.
Lenjeu, chacun doit sen convaincre, est énorme. Nous parlons de 40% du commerce, et des deux tiers des dépenses de Recherche et Développement dans le monde. Si cet accord aboutissait, ses conclusions simposeraient au reste du monde. Il écrirait, de fait, les règles du commerce mondial.
Je ne vais pas ici énumérer les intérêts offensifs que nous avons dans ces négociations, chimie, textile, pharmacie, marchés publics et autres, pas plus que les défensifs. Simplement je rappellerai que si nous tenons compte des chaines de valeurs, les Etats-Unis sont notre premier partenaire commercial.
La question, pour moi, va bien au-delà de ce qui sera, au bout du compte, une discussion de marchands de tapis conduite par des négociateurs commerciaux habités par un mélange contradictoire de foi naïve dans les vertus du libre-échange et de raisonnements mercantilistes.
Elle est, pour lessentiel, politique et stratégique. Et là, Thierry de MONTBRIAL, vous avez raison : ce nest pas ce que nous vend la Commission Européenne en termes demplois et de croissance à moyen terme qui compte (puisquà long terme, disait Keynes, nous serons tous morts), cest ce quun tel accord peut changer, ou non, au monde.
Signifie-t-il, ainsi, la fin du système multilatéral ? A ce jour, je nen sais rien. Cest, pour moi, comme la langue dEsope, à la fois la meilleure ou la pire des choses, ce qui le tuera ou ce qui le sauvera.
Si cet accord aboutit sans pousser les pays émergents ou nouveaux entrants sur la scène mondiale à sorganiser, sans contraindre les BRIC à prendre leurs responsabilités de puissances régionales, y compris géopolitiques, et donc le leadership dans leur zone au-delà de leurs propres intérêts immédiats, alors sen sera sans doute fini du multilatéralisme. 40% du commerce mondial simposeront à des zones régionales morcelées.
Si, en revanche, inquiets de voir surgir une nouvelle entité commerciale si puissante, dautant que le Canada sy joindra, les autres pays sorganisent, si la Chine assume ses responsabilités de grande puissance déquilibre du monde, si les émergents reprennent le chemin de lOMC pour y jeter les bases dun commerce juste et y écrire les règles dune nécessaire réciprocité, alors cet accord peut être le premier acte dune renaissance du multilatéralisme.
Le partenariat peut aussi, cest ma certitude, ouvrir une ère nouvelle entre la Chine et lEurope. Si nous nacceptons pas, comme le voudraient les Américains, denfermer la Chine entre le TPP et le TTIP, si nous refusons den faire un OTAN économique dirigé contre la puissance chinoise, alors nous serons en capacité dêtre un point déquilibre entre les deux grandes puissances.
A la Chine, l'Europe doit proposer un dialogue stratégique, avec des discussions sur un projet d'accord d'investissement UE-Chine, ou la conclusion d'un accord sur les marchés publics empreint de réciprocité.
Ainsi, nécessairement, un trilogue sengagerait qui permettrait enfin daboutir à une régulation mondiale nouvelle.
Vous le voyez, cet accord nest pas encore en vue, loin sen faut. Nous pouvons échouer ; cest même sans doute, si lEurope ne cède pas tout en rase campagne, lhypothèse la plus probable.
Pour aboutir, ce partenariat devra être respectueux des choix de sociétés et réaliste car il est illusoire de vouloir harmoniser des normes régies par nos choix en matière de protection de l'environnement et des consommateurs. Enfin, il faudra que lEurope soit solidaire, ce quelle nest plus, et ferme, ce quelle na jamais été. Il faudra aussi quil comporte une dimension vraiment partenariale. La relation économique et commerciale ne résume pas à la concurrence. Elle est aussi affaire de coopérations technologiques, de projets menés en commun, de valeurs partagées et dimplications de toutes les parties-prenantes. Ladhésion des opinions publiques sera ici décisive. Cest lenjeu de la transparence.
Mais au fond, en étant un brin provocatrice, je dirai que le plus important nest pas quil échoue ou réussisse. Même si je crois que ce partenariat pourrait être positif pour la France, jai aussi la conviction que louverture même de négociations, leur progrès, sont de nature à faire bouger les lignes. Elle est aussi une manifestation de la confiance que la France doit avoir en elle-même, en son avenir. La France nest pas naïve. Elle défendra ses intérêts et ses valeurs. Je lai montré le 14 juin. Mais elle na pas peur.
Et cest bien là lessentiel. Car si lon a un peu à coeur de penser la mondialisation, si on fait preuve dintelligence du monde (et la date daujourdhui nous y pousse), alors lévidence simpose : le commerce est devenu un élément déterminant de la politique mondiale. Nous renouons avec le temps où les grandes routes des foires bâtissaient les puissances féodales, un temps davant les Nations.
Le comprendre, cest prendre le partenariat transatlantique pour ce quil est : un moyen, fondamentalement politique, de transformer le monde.
Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 13 septembre 2013