Déclaration de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, sur le positionnement de la France sur le partenariat transatlantique (Union européenne - Etats Unis), Paris le 11 septembre 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies (RAMSES)(édition 2014), à l'Institut français de retlations internationales (IFRI), Paris le 11 septembre 2013

Texte intégral

Cher Thierry de MONTBRIAL
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les chefs d’entreprise,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens d’abord à vous remercier, Thierry de MONTBRIAL, de votre invitation. Je l’apprécie d’autant plus que nous ne serons pas nécessairement d’accord. J’ai lu avec intérêt vos perspectives introductives au rapport Ramsès.
Si j’en ai apprécié beaucoup des idées développées, notamment celle soulignant que les entreprises étaient, d’une certaine façon, même privées, même mondialisées, un bien public des citoyens d’une Nation, ou votre analyse, remarquable de justesse à mon sens, du « containment » américain par rapport à la Chine, je n’ai pas votre vision négative du traité de partenariat transatlantique.
Je souhaite, pour éclairer mon propos, replacer ces négociations dans leur contexte historique. Ce n’est pas, en effet, la première fois qu’un accord de ce type est mis sur le tapis. A la fin des années 90, la France s’était radicalement opposée à un projet similaire (le « new Transatlantic Marketplace ») pour au moins deux raisons : l’agriculture et le risque de destruction d’un tout jeune système commercial multilatéral, l’OMC ayant été créée en 1996.
De fait, ce contexte a changé. Sur le plan agricole, les réformes successives de la PAC, la forte progression de la demande mondiale qui tire à la hausse sur le moyen/long terme les marchés, rendent possibles une discussion, même si le résultat n’en est pas acquis, loin s’en faut. Mais surtout, les négociations multilatérales sont dans une impasse. L’OMC est en panne. Malgré un mécanisme de règlement des différends qui a fait ses preuves et l’engagement et l’énergie de son précédent Directeur Général Pascal Lamy qui a permis malgré la crise, le protectionnisme soit contenu, le système ne fonctionne pas. Sa gouvernance basée sur le consensus ne le permet pas. Il y a trop d’acteurs puissants aux intérêts contradictoires .Le fait chinois est là. Et si je partage avec vous, Thierry de MONTBRIAL, des interrogations réelles sur la Russie ou le Brésil, il n’en demeure pas moins que les émergents pèsent sur la scène commerciale mondiale. Alors à défaut de multilatéralisme, il faut chercher ailleurs d’autant que a crise frappe l’Union Européenne et nous impose de rechercher des relais de croissance à l’étranger, dans des pays plus dynamiques.
Ceci explique, je le crois, la montée en puissance des projets bilatéraux et l’espèce d’enthousiasme, parfois suspect d’ailleurs, avec lequel la Commission européenne s’y engage tout azimut.
Il était évident qu’après la signature d’accord avec la Corée du Sud et Singapour, des négociations plus qu’avancées avec le Canada, leur lancement avec le Japon, le bal s’ouvrirait avec les Etats-Unis. Et ce d’autant plus que la Commission souhaitait l’inscrire à son bilan et qu’Angela MERKEL, en campagne, voulait s’en prévaloir.
C’est donc sous la pression européenne, cher Thierry de MONTBRIAL, que les Etats-Unis ont démarré ces négociations. Autant je partage votre avis sur l’importance, pour l’administration Obama, de l’accord transpacifique dans sa politique chinoise, autant je crois que les Américains s’intéressent moins à l’Europe : son marché est déjà très largement ouvert à leurs entreprises qui y ont de solides positions. Il manque d’allant –c’est un euphémisme- depuis la crise. De plus, l’Europe n’est pas et ne sait pas être, sans doute par manque de solidarité, une grande puissance politique. Leur perspective est peut-être différente : ils discutent avec l’Europe, ils pensent à la Chine.
Nous sommes donc entrés dans des négociations le 14 juin, au terme d’une bataille gagnée pour l’exception culturelle mais aussi, avec le Royaume-Uni, pour exclure la défense des discussions.
L’enjeu, chacun doit s’en convaincre, est énorme. Nous parlons de 40% du commerce, et des deux tiers des dépenses de Recherche et Développement dans le monde. Si cet accord aboutissait, ses conclusions s’imposeraient au reste du monde. Il écrirait, de fait, les règles du commerce mondial.
Je ne vais pas ici énumérer les intérêts offensifs que nous avons dans ces négociations, chimie, textile, pharmacie, marchés publics et autres, pas plus que les défensifs. Simplement je rappellerai que si nous tenons compte des chaines de valeurs, les Etats-Unis sont notre premier partenaire commercial.
La question, pour moi, va bien au-delà de ce qui sera, au bout du compte, une discussion de marchands de tapis conduite par des négociateurs commerciaux habités par un mélange contradictoire de foi naïve dans les vertus du libre-échange et de raisonnements mercantilistes.
Elle est, pour l’essentiel, politique et stratégique. Et là, Thierry de MONTBRIAL, vous avez raison : ce n’est pas ce que nous vend la Commission Européenne en termes d’emplois et de croissance à moyen terme qui compte (puisqu’à long terme, disait Keynes, nous serons tous morts), c’est ce qu’un tel accord peut changer, ou non, au monde.
Signifie-t-il, ainsi, la fin du système multilatéral ? A ce jour, je n’en sais rien. C’est, pour moi, comme la langue d’Esope, à la fois la meilleure ou la pire des choses, ce qui le tuera ou ce qui le sauvera.
Si cet accord aboutit sans pousser les pays émergents ou nouveaux entrants sur la scène mondiale à s’organiser, sans contraindre les BRIC à prendre leurs responsabilités de puissances régionales, y compris géopolitiques, et donc le leadership dans leur zone au-delà de leurs propres intérêts immédiats, alors s’en sera sans doute fini du multilatéralisme. 40% du commerce mondial s’imposeront à des zones régionales morcelées.
Si, en revanche, inquiets de voir surgir une nouvelle entité commerciale si puissante, d’autant que le Canada s’y joindra, les autres pays s’organisent, si la Chine assume ses responsabilités de grande puissance d’équilibre du monde, si les émergents reprennent le chemin de l’OMC pour y jeter les bases d’un commerce juste et y écrire les règles d’une nécessaire réciprocité, alors cet accord peut être le premier acte d’une renaissance du multilatéralisme.
Le partenariat peut aussi, c’est ma certitude, ouvrir une ère nouvelle entre la Chine et l’Europe. Si nous n’acceptons pas, comme le voudraient les Américains, d’enfermer la Chine entre le TPP et le TTIP, si nous refusons d’en faire un OTAN économique dirigé contre la puissance chinoise, alors nous serons en capacité d’être un point d’équilibre entre les deux grandes puissances.
A la Chine, l'Europe doit proposer un dialogue stratégique, avec des discussions sur un projet d'accord d'investissement UE-Chine, ou la conclusion d'un accord sur les marchés publics empreint de réciprocité.
Ainsi, nécessairement, un trilogue s’engagerait qui permettrait enfin d’aboutir à une régulation mondiale nouvelle.
Vous le voyez, cet accord n’est pas encore en vue, loin s’en faut. Nous pouvons échouer ; c’est même sans doute, si l’Europe ne cède pas tout en rase campagne, l’hypothèse la plus probable.
Pour aboutir, ce partenariat devra être respectueux des choix de sociétés et réaliste car il est illusoire de vouloir harmoniser des normes régies par nos choix en matière de protection de l'environnement et des consommateurs. Enfin, il faudra que l’Europe soit solidaire, ce qu’elle n’est plus, et ferme, ce qu’elle n’a jamais été. Il faudra aussi qu’il comporte une dimension vraiment partenariale. La relation économique et commerciale ne résume pas à la concurrence. Elle est aussi affaire de coopérations technologiques, de projets menés en commun, de valeurs partagées et d’implications de toutes les parties-prenantes. L’adhésion des opinions publiques sera ici décisive. C’est l’enjeu de la transparence.
Mais au fond, en étant un brin provocatrice, je dirai que le plus important n’est pas qu’il échoue ou réussisse. Même si je crois que ce partenariat pourrait être positif pour la France, j’ai aussi la conviction que l’ouverture même de négociations, leur progrès, sont de nature à faire bouger les lignes. Elle est aussi une manifestation de la confiance que la France doit avoir en elle-même, en son avenir. La France n’est pas naïve. Elle défendra ses intérêts et ses valeurs. Je l’ai montré le 14 juin. Mais elle n’a pas peur.
Et c’est bien là l’essentiel. Car si l’on a un peu à coeur de penser la mondialisation, si on fait preuve d’intelligence du monde (et la date d’aujourd’hui nous y pousse), alors l’évidence s’impose : le commerce est devenu un élément déterminant de la politique mondiale. Nous renouons avec le temps où les grandes routes des foires bâtissaient les puissances féodales, un temps d’avant les Nations.
Le comprendre, c’est prendre le partenariat transatlantique pour ce qu’il est : un moyen, fondamentalement politique, de transformer le monde.
Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 13 septembre 2013