Texte intégral
Q - Vous avez bien dit que le système n'était plus polaire, il est devenu apolaire, vous avez dit zéro polaire. J'ai tendance à être de votre avis. Cependant, demain soir, M. Kerry sera amené à dîner avec M. Lavrov et leurs délégations à partir de vendredi seront réunies à Genève pour une réunion infinie dans le temps jusqu'à trouver une solution. Beaucoup de gens, des vieux comme moi, se rappellent un peu de Cuba. Est-ce que ce n'est pas Cuba.... Est-ce que M. Poutine ne vous a pas en réalité ramené à sinon une confrontation bipolaire à un simulacre d'une nouvelle bipolarité ? À un simulacre de guerre froide ?
R - Les appellations zéro polaire, multipolaire, etc., ont toujours un côté schématique. Nous parlons tous du monde multipolaire ; c'est vrai d'une certaine manière. En même temps, s'il y avait une véritable organisation multipolaire - nous la souhaitons - ce serait l'Organisation des Nations unies, et puis, dans chaque grand continent, des organisations régionales, ainsi que des décisions prises par les acteurs selon des règles ; on peut penser aux règles des Nations unies. Quand ces règles ne sont pas respectées, on aurait l'application d'éléments de forces qui dépendent des forces régionales. Il s'agit-là du schéma théorique, mais ce n'est pas du tout celui qui s'applique. On voit d'ailleurs à quel point notre système est mal à l'aise.
À propos de la Syrie, nous essayons de faire avancer la question syrienne à l'ONU et nous n'y arrivons pas. Pourtant, c'est l'ONU qui devrait s'en occuper. Là où la question syrienne a avancé, c'est au G20, instance qui n'est absolument pas faite pour cela. Le G20 est une organisation qui doit traiter d'économie. D'ailleurs le paradoxe, c'est que les résultats du G20 de vendredi n'étaient pas mauvais, sur le plan économique, mais personne n'y a fait la moindre allusion. Donc, ce n'est pas là où on devrait traiter les choses, qu'on en traite ; d'ailleurs, on en traite d'une façon très imparfaite, ce qui prouve que notre système - ce n'est pas une grande révélation - n'est pas satisfaisant.
Genève I est intervenue le 30 juin de l'année dernière. Nous avons vu à quel point il était important de se mettre d'accord. D'ailleurs, nous nous sommes mis d'accord puisque Genève a été signé par tous les participants. Mais à peine la porte était-elle fermée que l'interprétation était divergente. Certains ont dit : «cela signifie que M. Bachar Al-Assad doit partir», alors que mon collègue russe, M. Lavrov a dit : «non, pas du tout, il doit rester». Donc, Genève a été bloquée. L'idée a été lancée, il y a déjà quelque temps, de Genève II. Genève II a été lancée par nos collègues américains et russes, d'autres, en particulier les Français, avec un objectif extrêmement précis.
Genève II est une réunion qui a pour objet de définir par consensus un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs. L'idée est qu'un certain nombre de puissances soient là, ainsi que des représentants du régime, des représentants de l'opposition, et que tout le monde se mette d'accord pour bâtir un gouvernement qui prendra des pouvoirs de fait et de droit de M. Bachar Al-Assad.
À un moment, on a cru que cela allait pouvoir déboucher. M. Bachar Al-Assad était en situation de faiblesse et les Russes eux-mêmes étaient en difficulté. M. Bachar Al-Assad - je ne sais pas s'il l'aurait fait - a dit qu'il allait envoyer ses représentants ; et puis cela n'a pas pu avancer. Pour le moment, malheureusement, on n'est arrivé à rien. J'espère que les choses vont pouvoir redémarrer, peut-être sur cette base, peut-être sur une autre, mais il faut qu'il y ait une avancée vers la solution politique, car la solution profonde est politique ; il faut se mettre autour d'une table et trouver un chemin pour sortir de la crise. Sinon, c'est l'anéantissement réciproque militaire, ce qui est une folie.
Nous allons essayer, en liaison avec nos partenaires, de faire avancer les choses pour que cet épouvantable massacre chimique puisse à la fois déboucher sur une solution chimique, et puis aussi sur une solution politique.
Ce serait déjà un acquis que l'on puisse avancer sur l'éradication de l'armement chimique. C'est pour cela que nous avons agi et personne de bonne foi ne peut penser que M. Poutine ou M. Bachar Al-Assad auraient avancé sur la reconnaissance d'un arsenal chimique et qu'il fallait le détruire s'il n'y avait pas eu la pression très ferme des Américains et de nous.
Trouver une solution pour l'arme chimique n'arrêtera pas pour autant les massacres. Et la réalité c'est que 99,99 % de la population qui est tuée, l'est par des armes non chimiques. Quelle serait donc la situation si nous disons : «nous avons fait de grands progrès sur le chimique, mais tout continue dramatiquement comme avant» ; c'est impensable. Il faut à la fois se pencher très fortement sur les contrôles des armes chimiques mais, en même temps, traiter les autres sujets et aller vers une solution politique.
Je ne sais pas si on peut comparer la situation à celle de Cuba. Je ne me lancerai pas dans cette comparaison, mais j'en ferai une autre avec l'histoire de la SDN. La SDN est morte pour beaucoup de raisons, mais une des raisons finales était que l'Italie avait envahi l'Abyssinie, avec le Négus, en envoyant une centaine de milliers d'hommes. C'était vraiment absolument scandaleux mais à l'époque, ni l'Italie, ni l'Allemagne n'avaient accepté une réaction de la communauté internationale. Donc, faisons bien attention parce que si l'ONU, compte tenu du blocage qui intervient, n'est pas capable de remplir son rôle, alors évidemment on se trouve devant une aporie.
Q - Vous justifiez l'intervention militaire en Syrie par l'utilisation évidement condamnable d'armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. Comment justifier le silence de la diplomatie française quand, en 2008, Israël a utilisé le phosphore blanc à Gaza contre la population civile palestinienne ? Et d'une manière plus générale, comment justifier la diplomatie, schizophrénique, de la France qui vote oui... (inaudible)... de la Palestine d'une part, bien qu'elle refuse encore une reconnaissance unilatérale de la Palestine, et qui soutient d'autre part un État colonial qui bafoue en toute impunité le droit international ?
R - Vous nous avez dit que nous étions schizophréniques, j'attendais paranoïaques. Mais même les paranoïaques ont des ennemis. Non, nous ne sommes pas schizophréniques.
Je vous fais une remarque générale qui vaut pour le gouvernement français, comme pour d'autres gouvernements. Souvent les citoyens, voire même les étudiants, s'imaginent que les gouvernements arrivent à leur bureau le matin en se disant «qu'est-ce que je vais pouvoir inventer dans la journée pour essayer de sanctionner la population, et qu'est-ce que je vais pouvoir proposer qui soit déraisonnable». Je ne dis pas qu'il n'y a pas des gouvernants, ailleurs, qui raisonnent comme cela, mais en ce qui concerne le gouvernement français et la plupart des gouvernements démocratiques, non. Nous essayons à partir de notre connaissance des faits, de notre feuille d'analyse, de prendre les meilleures solutions possibles, les moins mauvaises.
Pierre Mendes-France, grand esprit, disait «qu'est-ce que c'est de faire de la politique ?» Faire de la politique c'est rendre les gens co-intelligents des décisions qu'on va prendre. C'est très difficile, mais c'est de cela qu'il s'agit. En ce qui concerne la question palestinienne nous avons pris, nous, la France, une décision de position en ce qui concerne l'Assemblée générale des Nations unies. J'ai cru comprendre de votre intervention que vous étiez plutôt pour la Palestine, et je n'ai encore rencontré personne qui nous reproche cette position. M. Mahmoud Abbas qui n'est pas le moins palestinien de l'ensemble de cette salle, a multiplié les félicitations, la France ayant joué dans cette affaire, tout le monde le reconnaît, à condition qu'on soit objectif, un rôle d'entraînement pour les autres. Quand la France, membre permanent du Conseil de sécurité, prend une position, cela a beaucoup de portée. Nous avons pris cette position.
Lorsqu'il y a des choses à dire à Israël, nous leur disons. Cela a d'autant plus de poids que nous sommes aussi des amis d'Israël, mais nous essayons de respecter la légalité internationale. La colonisation n'est pas permise par la légalité internationale. En même temps, nous voulons travailler pour que les Palestiniens aient un État viable et pour qu'Israël puisse vivre en paix. Cela ne doit pas être si facile à faire puisque cela fait plus de 50 ans maintenant que l'on essaye.
J'étais, il y a 15 jours exactement, à la fois dans les Territoires palestiniens et en Israël où j'ai vu les responsables. Je les ai écoutés, je leur ai demandé ce que pouvait faire la France pour aider et l'on reconnait que la France est un des pays qui a une position utile. J'espère que nous allons trouver des solutions, même si je sais que c'est très difficile.
Q - Le conflit syrien ne vous fait-il pas craindre l'éventualité d'une troisième guerre mondiale ?
R - Il y a plusieurs conflits dans le conflit syrien. Au départ, il y a ce qu'on appelle le printemps arabe, quelques manifestations de jeunes, peu nombreuses, et la répression exercée par M. Bachar Al-Assad est telle qu'il y a petit à petit un soulèvement populaire de grande ampleur. La répression est d'autant plus forte. Au fur et à mesure, on entre dans ce conflit qui ne devient plus un conflit entre un dictateur et une partie de la population mais une déchirure du peuple, un conflit religieux, un conflit régional, un conflit international avec, évidemment, des incidences terribles.
Je pense que cela peut être, si nous n'arrivons pas à trouver la solution, un conflit gravissime. Il l'est déjà sur le plan humain. Sur le plan régional, il y a non seulement la Syrie qui est à feu et à sang, déchirée, mais aussi des perspectives - vous avez la carte à l'esprit -, l'Iran, la Syrie, le Liban. Le Liban est un pays extrêmement ami qui doit être évidemment épargné de tout cela, mais toute une série de gens veulent, au contraire, de l'extérieur, le mettre dans le conflit. La Jordanie a maintenant près d'un million, je crois, de réfugiés ; c'est un tout petit pays. La Turquie elle-même est en difficulté. L'Irak dont on parle moins, a des dizaines et des dizaines de morts chaque jour. Je pourrais continuer la liste. Cela ne doit pas et cela ne peut pas dégénérer sur un conflit mondial mais il n'en demeure pas moins que c'est une tragédie effrayante et que tous les pays et tous les gens de bonne volonté doivent essayer de faire du mieux pour le réduire.
Q - (Sur la construction européenne)
R - Sur l'Europe, trop d'États à vingt-huit ? Non. De toute manière, maintenant nous sommes vingt-huit, et nous allons être vraisemblablement davantage dans le futur puisque, sans donner encore les dates, compte tenu de l'état des négociations, les pays des Balkans auront bien sûr vocation à rejoindre l'Union. Vous avez des pays qui sont situés sur la frange orientale, non pas pour intégrer l'Europe en tant que telle, mais il y a la position particulière de l'Ukraine, de la Turquie, etc...
C'est la raison pour laquelle Mitterrand en son temps, Delors, moi-même et beaucoup d'autres, avions eu l'idée - mais à cette époque cela n'a pas été repris, et puis petit à petit cela devient vraiment quelque chose qui est de plus en plus reconnu comme raisonnable - ce que nous appelons l'Europe différenciée. C'est-à-dire qu'il y a des pays qui veulent avancer plus vite ensemble ; ce sont les pays de la zone euro, même si à l'intérieur de la zone euro, il y a d'autres pays qui veulent avancer encore plus vite et il faudrait que ces pays-là puissent avancer davantage. Donc, c'est notre idée du gouvernement économique, mais ce qui suppose un certain nombre d'harmonisation sociale, fiscale, économique. Ça c'est le coeur.
Il y a d'autres pays qui peut-être un jour voudront rejoindre cette zone-là, qui sont au sein de l'Union européenne, mais qui ne veulent pas aller aussi vite que les autres.
Et puis vous avez la périphérie, d'autres pays qui veulent avoir des relations privilégiées avec l'Union européenne mais dont il est difficile, en tous cas à un horizon prévisible, d'envisager qu'ils rejoignent l'Europe.
Au-delà de toutes les études institutionnelles que vous pouvez faire, il faut prendre les choses d'un point de vue pratique. J'ai donné, dans le passé, des cours sur les négociations dans une autre institution, dans une université américaine et cela me frappait toujours de voir quelle distance il existait entre la réflexion institutionnelle, qu'il faut avoir à l'esprit, et les cas concrets.
Il faut bien avoir à l'esprit ceci : quand vous êtes aujourd'hui dans un conseil, conseil des ministres, conseil des chefs d'État et de gouvernement européens, vous êtes vingt-huit autour de la table, plus les deux présidents, cela fait trente. Normalement, chacun des intervenants parle cinq minutes. Si chacun parle cinq minutes - il y en a beaucoup qui ne respectent pas leurs cinq minutes - avant même d'être entré dans le vif de questions précises, cela fait cent cinquante minutes, c'est-à-dire deux heures et demie avant même d'avoir étudié une question précise. Quand on arrive au bout de la discussion, il faut que tous les pays soient d'accord. Et celui qui n'est pas d'accord, évidemment, a une capacité j'allais dire de négociation - pour employer un mot neutre -, de pression considérable, qui ne dépend pas d'ailleurs de la taille du pays. S'ils sont contre, rien ne passe. C'est donc déjà très difficile à faire.
Ensuite, il n'y a pas simplement ce qui se passe au niveau des ministres, des chefs d'État et gouvernement, car les parlements existent. Le parlement européen et les parlements nationaux existent et le déroulement des institutions est tel que le Parlement européen, de façon incontestable, va prendre de plus en plus de pouvoir. Mais les parlements nationaux disent : «nous, nous sommes élus, il faut que l'on serve à quelque chose ». Et puis il y a les cours constitutionnelles qui peuvent également se manifester. Même sans être un grand mathématicien, quand vous ajoutez tout cela, et s'il n'y a pas de réforme, c'est ce que l'on appelle une équation surdéterminée.
C'est ce qui explique que sans entrer, en tout cas rapidement, dans des débats sur les traités institutionnels - parce que les pays ne sont pas du tout réceptifs, les opinions n'aiment pas les débats institutionnels, elles veulent des choses concrètes -, il faut que nous trouvions des formules qui permettent d'épouser un peu la différence des situations. C'est ce que nous appelons l'Europe différenciée, l'Europe solidaire, certains disent "plusieurs cercles". Je pense que c'est là où il faut aller, sans même prendre en compte certains pays ; je pense notamment au Royaume-Uni qui pourrait être tenté d'aller en arrière.
Cela pose donc un autre problème, il faut quand même qu'il y ait un acquis communautaire. Je disais l'autre jour à un éminent britannique qui développait cette thèse : «écoutez, Cher Ami, vous êtes habitué aux clubs de sport chez vous. Il ne serait pas correct - mot très important avec les Britanniques - d'adhérer à un club de rugby et de dire : maintenant je joue au football. Si vous adhérez à un club de rugby, vous jouez au rugby, sinon vous n'adhérez pas au club». Tous ces problèmes additionnés font qu'il n'est pas question de diminuer le nombre, l'histoire et la géographie, qui sont des éléments déterminants de la politique extérieure et qui font que l'on ira probablement plutôt vers une augmentation. Quand ? On ne sait pas. Mais il faudra les formules qui rendent les choses plus efficaces et plus souples.
Q - Jeudi dernier, le Premier ministre turc à Doha, avant d'embarquer pour Saint-Pétersbourg, a annoncé à la presse qu'il était prêt à engager la Turquie dans une coalition de l'opposition au régime syrien. Que pensez-vous de la position du Premier ministre ? Ensuite, compte tenu de la position des pays du Moyen-Orient et des engagements divergents des partis politiques, même au sein des pays, ne considérez-vous pas, peut-être les prémices d'une guerre civile au Moyen-Orient ?
R - En ce qui concerne le gouvernement turc, j'ai cru ressentir, mais peut-être me trompé-je, que vous n'étiez pas chaud partisan, mais je dois éviter de me mêler de la politique intérieure.
Pour ce qui concerne la Syrie proprement dite, le gouvernement turc est un de ceux qui ont pris des positions les plus fermes. Et dans la coalition des différents pays, on a entendu M. Erdogan qui était à Saint-Pétersbourg, être extrêmement dur en réclamant non seulement qu'il y ait des interventions mais que cela se passe très rapidement. Cette position est la même, même si les autres étaient plus nuancées, que celles qu'ont prises d'autres pays appartenant au Conseil des États du Golfe.
Il y a chez tous ces pays une volonté extrêmement déterminée pour sanctionner, dissuader dans l'affaire chimique, et aller au-delà. Simplement, l'une des difficultés réside dans le fait que le Premier ministre turc et ces pays, qui souvent travaillent ensemble, étaient assez proches dans leurs positions sur la Syrie, mais ne l'étaient pas sur un autre conflit, qui est l'Égypte. Ainsi vous avez eu dans toute cette période une double position qui rendait les choses assez difficiles.
Vous posez une autre question très compliquée sur le plan du principe. Vous dites qu'il y a beaucoup de partis au sein de la Turquie qui ne sont pas d'accords avec cette position. Sans doute ! Mais nous aussi, peut-être pas sur la Syrie mais sur d'autres questions, nous avons des divergences internes, même s'il la tradition fait que sur les affaires internationales il y ait un rassemblement. Mais il y a des partis qui ne sont pas du même avis que le gouvernement. Le gouvernement prend la position qu'il a à prendre et, après, il y a un débat démocratique. Dans les pays comme les nôtres, cela ne pose aucune question mais dans d'autres pays, cela peut poser davantage de questions et aboutir à des tensions.
Q - Vous avez évoqué l'importance d'une politique stratégique et de défense européenne, nous avons relativement peu entendu les institutions européennes, par exemple Mme Ashton, lors du débat sur la Syrie. Pensez-vous qu'il serait possible à moyen terme, que les pays comme l'Allemagne et la France ou le Royaume-Uni abandonnent maintenant leur souveraineté pour appliquer une politique européenne de défense et une politique internationale commune, voire unique ?
R - Après, il y avait une deuxième question sur la politique de défense européenne et la politique étrangère et que peut-on en espérer ? Ce sont deux sujets assez différents, même s'il y a une relation très étroite, entre la politique de défense et la politique étrangère.
Sur la politique de défense, je pense que l'on peut espérer des avancées. Se tiendra au mois de décembre de cette année un Conseil consacré à ce chapitre et on voit déjà les textes préparatoires, qui sont quand même intéressants. Intéressants sur les concepts, parce que si on veut qu'une politique de défense soit plus cohérente, il faut que les concepts de défense, les analyses soient les mêmes. Intéressants sur les questions industrielles et vous avez peut-être vu que nous, et d'autres pays, avions été obligés d'acheter des drones, parce que maintenant, il faut des drones pour reconnaître le terrain. Mais nous n'en fabriquons pas et nous les avons achetés, pour une partie aux Américains et aussi aux Israéliens. Mais tous nos pays vont avoir besoin de drones. Donc l'idée germe de construire une industrie du drone européen. Il faut le faire. Dans le passé, nous avons des réalisations comme l'A400M.
Encore faut-il que les pays européens achètent des matériels européens. Donc on doit se mettre d'accord sur les concepts, autant que possible. On doit se mettre d'accord sur les outils et sur les forces. Il existe des éléments de force, pas énormes, mais des bataillons européens. Mais ils ne sont pas utilisés.
Il y a donc beaucoup de choses à bâtir ensemble, cela est nécessaire aussi du point de vue des budgets. Même si dans un premier temps, la défense européenne ne fera pas réaliser beaucoup d'économies aux différents budgets nationaux, dans un deuxième temps - et on comprend bien que tout le monde ne peut pas mettre beaucoup d'argent dans ces budgets militaires - les économies seraient conséquentes et il serait plus positif pour l'industrie européenne de travailler ensemble.
Il y a eu des choses qui ont été faites, notamment à partir du sommet de Saint-Malo et des accords avec les Britanniques. Il y a des choses que nous faisons à la fois avec les Allemands et les Polonais, dans un groupe qu'on appelle Weimar, et quand on y ajoute les Italiens, parfois même les Espagnols, cela devient Weimar Plus.
Donc il y a des choses qui se font, même si du point de vue de la défense, il y a des difficultés. Il y a des pays qui sont neutres, il y a des pays qui s'en désintéressent et d'autres pensent que leur défense sera assurée par d'autres.
Mais je sens quand même une montée de la préoccupation européenne. Pourquoi ? D'abord parce que c'est une question budgétaire, ensuite parce que les États-Unis d'Amérique, qui traditionnellement étaient perçus par beaucoup de ces pays d'Europe comme assurant leur défense, évoluent. Dans le discours au début de son second mandat, le président Obama a dit qu'il allait s'occuper des affaires américaines, du pivot asiatique et de la crise israélo-palestinienne. L'évolution de l'histoire fait que ce cap est difficile à tenir. Du coup, les pays d'Europe - et ce n'est pas illégitime, l'Europe étant la première puissance commerciale du monde et une puissance très riche globalement - pourraient assurer leur défense. Ainsi un pays comme la Pologne, qui traditionnellement et par un souvenir d'hostilité par rapport à l'URSS, est très tournée vers les Américains, commence à venir à ce concept. Donc oui, j'espère qu'on va pouvoir aller vers la défense européenne.
En ce qui concerne la politique étrangère, ce n'est pas exactement la même chose. C'est très compliqué. Souvent on critique Mme Ashton et je ne suis pas de cet avis-là. D'abord parce que le Service européen d'action extérieure n'existe que depuis 2010, donc c'est assez récent et en plus c'est difficile à lancer. La tâche de la Haute représentante, vice-présidente de la Commission, n'est pas facile en vue d'harmoniser les positions et nous l'avons vu samedi à Vilnius. Après Saint-Pétersbourg où onze pays, sauf l'Allemagne, se sont mis d'accord - sur le texte concernant la Syrie - nous avons eu vendredi et samedi matin, une réunion à Vilnius en Lituanie, où l'ensemble des pays, y compris l'Allemagne, se sont mis d'accord sur une position. Mais cet ensemble était quand même assez divers. Il y a des pays qui étaient complètement à nos côtés comme la Grande-Bretagne, du moins son gouvernement, le Danemark, l'Espagne et d'autres pays, comme l'Allemagne, qui sont venus nous rejoindre. En face, d'autres pays étaient plus réticents voire assez hostiles comme le Luxembourg, la Finlande, l'Autriche, pour des raisons diverses. Il faut donc faire la synthèse de toutes ces positions. Et quand vous faites la synthèse, souvent vous êtes obligés de mettre de l'eau dans votre vin.
Ainsi, si en matière de défense européenne il faut vraiment aller de l'avant. Il y a une difficulté sur l'autre point, avec des pays qui ont une politique étrangère différente. Et en même temps, les pays européens ne peuvent pas être simplement suivistes par rapport à ce que font les Français et les Britanniques. Donc c'est compliqué.
Q - Le président du Mexique, Felipe Calderon, a dit que l'économie est liée à l'écologie. Je voudrais savoir quelles seraient vos prévisions pour la conférence sur le climat en 2015 ? Et aussi savoir un peu les défis, la sécurité énergétique et nucléaire, par rapport à la France ?
R - Le Mexique a fait un très bon travail pour essayer d'avancer dans les domaines économique et écologique. Nous sommes extrêmement heureux d'avoir à nouveau des contacts extrêmement proches avec ce pays. C'est un grand pays avec une culture très proche de la nôtre. Je me suis rendu là-bas, il n'y a pas très longtemps. Le président Peña Nieto viendra à la fin de l'année prochaine en France et François Hollande s'y rendra l'année prochaine. 2014 sera également le 50ème anniversaire de la célèbre visite du Général de Gaulle durant laquelle il a prononcé la fameuse phrase «mano en la mano».
En ce qui concerne l'écologie, j'ai proposé à mon homologue mexicain que l'on prépare la conférence de Paris, ensemble. Je vous en dis quelques mots. Pour le moment vous n'en avez pas beaucoup entendu parler mais ce sera le cas de manière très forte dans les années qui viennent. Le lieu de cette Conférence n'a pas encore été officiellement désigné. Cela doit être le cas à Varsovie d'ici quelques semaines, mais dans la mesure où nous sommes les seuls candidats, il n'y devrait pas y avoir de surprises. Nous devons toutefois obtenir le soutien d'un maximum de pays car cette décision sera prise par consensus. Tout le monde doit donc être d'accord et les situations des pays sont très différentes. Vous avez des pays, qui sont en général assez allants, ce sont les pays d'Europe. Les États-Unis sont peut-être en train de changer de positions, parce que Barack Obama et John Kerry sont sensibles à ces questions. Mais le fait que maintenant, ils exploitent du gaz de schiste, peut poser les choses différemment. Les Chinois, qui traditionnellement étaient très peu réceptifs, ont visiblement compris que la question de la pollution n'était pas non seulement un problème mondial, mais également pour eux un problème social et politique. En Chine il y existe des réactions extrêmement vigoureuses et même virulentes de la population par rapport à certaines pollutions.
D'autres pays sont encore beaucoup plus réticents. Le nouveau Premier ministre, qui vient d'être élu, semble si l'on en croit sa campagne pas du tout favorable à cette Conférence. Il y a enfin des pays qui n'ont aucun moyen financier et qui conditionnent des progrès de leur part à l'obtention de financements internationaux. Il existe donc une grande diversité de situations et il va falloir qu'à partir de tout cela, nous nous fixions des objectifs. Vous voyez tous les efforts qu'il reste à faire. Il va falloir traiter les problèmes de financement, puisqu'il n'y a pas de transformation possible s'il n'y a pas les financements qui vont avec et trouver la manière d'associer la société civile et les industriels. Il va falloir se demander essayer de trouver des solutions innovantes en matière de logement et d'industrie. C'est un travail de longue haleine, que nous allons commencer notamment avec nos amis mexicains.
Q - Question d'un Britannique sur la Syrie, et donc d'abord je voudrais présenter mes excuses pour le résultat du vote à la Chambre des Communes, la semaine dernière. Même dire, félicitations, parce que cela peut avantager la France aussi. Mais si cette initiative proposée par la Russie aboutit, je me demande quelle sera la politique, dans quel sens se dirigera la politique de la France après ? Bien sûr, la France va continuer à soutenir l'opposition modérée. Mais jusqu'à aujourd'hui, cette politique ne suffit pas, surtout avec la participation croissante de l'Iran et des groupes comme le Hezbollah. Donc comment la France va-t-elle assurer que ce soit l'opposition qui prévaut ?
R - Vous n'avez pas à vous excuser, Cher Monsieur, le parlement britannique dans sa sagesse a décidé ce qu'il voulait. Mais évidemment le Premier ministre Cameron a été extrêmement déçu. Je ne pense pas qu'il s'y attendait. Alors pourquoi ce résultat de vote ? Je ne suis pas un spécialiste de politique intérieure, mais je pense que du côté travailliste, il y avait un ressentiment vis-à-vis de l'affaire de l'Irak. À l'époque, les travaillistes britanniques avaient dit, il faut y aller, il y a des armes de destruction massive et il faut aller attaquer l'Irak. Et finalement, il n'y en avait pas. À l'époque c'était M. Blair, et c'est très difficile aujourd'hui, pour le Labour, de tenir une même position. Ainsi la volonté de se démarquer était un élément qui permettait de dire non. Et puis, je crois que M. Cameron - mais cela peut arriver dans d'autres pays - a dû constater que ses amis n'étaient pas tous unanimes pour le soutenir. Lorsque le décompte des votes a été fait, il n'y avait pas un nombre de votes suffisant pour appuyer la politique du Premier ministre. Le gouvernement britannique peut soutenir intellectuellement, mais il ne peut pas envoyer de force, puisque le parlement ne l'a pas voulu.
Alors vous dites, mais pour la France, qu'est-ce qui va se passer et notamment sur la question iranienne ? En Syrie, nous voulons arriver à une solution politique. Et dans le même temps, nous voulons traiter absolument les conséquences de ce massacre chimique sur la base de sanctions et de la dissuasion afin que cela ne puisse plus recommencer ni en Syrie, ni ailleurs. Et nous voulons le faire dans un esprit ouvert, mais sans naïveté.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé une résolution qui sera discutée dans les jours qui viennent. Une résolution, qui n'est pas à prendre ou à laisser, et qui va être discutée pour être sûr que si les engagements sont pris, ils seront tenus. Et que s'ils n'étaient pas tenus, il y aurait évidemment des conséquences et des sanctions qui en seraient tirées. C'est notre rôle ! Nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité et nous représentons une certaine forme de la légalité internationale. On peut peut-être avancer sur cette affaire du chimique. Il faut prendre au mot la proposition tout en ne se laissant pas piéger par les mots. C'est exactement le chemin qu'il faut prendre.
Quant à l'Iran, grande question, bien sûr, nous avons eu l'occasion d'en parler plusieurs fois. Il y a un nouveau président et un nouveau gouvernement, et le président n'aurait pas été élu s'il n'y avait pas un grand mécontentement dans la population. Il était présenté comme étant le candidat du changement. Mais en même temps, le guide reste le guide et il y a des fondamentaux en Iran. Le problème qui nous est posé, ce n'est pas simplement, la question syrienne dans cette affaire, c'est la question du nucléaire. C'est une question, qui m'est apparue comme absolument centrale. Vous connaissez notre position, qui est celle de la communauté internationale. Il n'y a pas théoriquement de différence entre les Français, les Anglais, les Américains et les Russes et les Chinois. Nous sommes tous pour dire «non». Le nucléaire civil nous l'acceptons parfaitement mais pas l'arme nucléaire. Sinon, on entre dans un mécanisme de prolifération qui dans cette région du monde, avec tous ses effets, peut-être absolument désastreux.
Et donc l'un des paramètres qu'il faut avoir à l'esprit, peut-être pas sensible à l'opinion publique en général, c'est quel peut-être l'effet psycho-politique de ce que nous faisons ou de ce que nous ne faisons pas dans l'affaire syrienne sur notre attitude dans la question iranienne. Sachant qu'en plus, les Iraniens interviennent massivement en Syrie, directement ou à travers le Hezbollah. Et c'est un point qui n'est pas beaucoup discuté en France, mais qui a été beaucoup discuté au congrès américain et d'une façon souvent assez rude. Je ne prends pas partie mais certains mettaient en garde le président américain : on comprend vos difficultés, mais vous allez avoir, vous et d'autres pays, à faire face à une difficulté avec l'Iran, peut-être dès l'année prochaine.
Il faut que la négociation avec les Iraniens réussisse. Pour le moment, elle n'a pas réussi. Il faut qu'elle réussisse, mais pour qu'elle réussisse, il faut quand même que les Iraniens sachent qu'il y aura des sanctions s'ils enfreignent les règles internationales. Et j'ai une conversation très éclairante avec mon collègue iranien qui m'appelait l'autre jour. Nous parlons de la Syrie, et il me dit : «vous comprenez la Syrie, nous, nous sommes complètement contre le chimique, puisque nous avons été très durement touchés au moment de la guerre avec l'Irak. Donc les armes chimiques non ! En aucun cas. Et il faut que la légalité internationale s'applique». Je lui ai dit : «mais Monsieur le Ministre, je suis d'accord, et il faut même que la légalité internationale s'applique aussi dans l'affaire nucléaire». Et à ce moment-là, la conversation s'est portée sur un autre sujet. Donc il faut rester très attentif, ouvert, bien sûr, mais très attentif. Et je pense que la diplomatie c'est aussi cela.
Q - Une question aussi concernant la Syrie, la France dans son projet de résolution soumis dans le cadre du Conseil de sécurité, a proposé que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale. Au-delà du fait que la France considère certainement que c'est justifié par la situation et par les textes, est-ce qu'au regard de l'objectif principal de pousser à des négociations politiques vous considérez que cela soutiendrait une telle perspective ?
R - Le dernier point, qui n'est pas le plus facile, c'est sur l'affaire de la Cour pénale internationale. M. Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations unies et qui est un homme très prudent, pour qualifier le massacre chimique du 21 août a dit : c'est un crime contre l'humanité. C'est un homme qui, quand il parle, a vérifié les choses. C'est un crime contre l'humanité. Quand il y a un crime contre l'humanité, il y a un criminel ! Et il y a des conséquences à en tirer, en application du droit international. Donc, au Conseil de sécurité, puisque c'est lui qui est parfaitement compétent, pour ouvrir une enquête sur cette action. Mais pour le moment, nos interlocuteurs ne le veulent pas. C'est un des éléments qui est contenu dans le projet de résolution et ils ne votent pas. On va voir !
Si nous voulons arriver à une négociation, il faut que chacun avance. Si vous dites : on va négocier quand même avec le régime, même si on le trouve détestable, il faut négocier. Mais au départ, on vous dit qu'on va négocier, mais quoi qu'il en soit, vous serez poursuivi pour crime contre l'humanité, ce n'est pas très facile. Alors les spécialistes du droit et les organisations humanitaires disent : non, il ne faut pas rentrer là-dedans. D'autres disent : oui, mais il faut épouser aussi un peu plus le terrain. Et finalement c'est le Conseil de sécurité qui va devoir trancher, puisqu'il est en amont, avant que d'autres saisines n'interviennent.
L'ONU dans cette affaire, joue très gros et Ban Ki-moon en est tout à fait conscient. Il joue gros, parce que le Conseil de sécurité a été bloqué pendant deux ans et demi. Il joue gros, parce que nous allons avoir la semaine prochaine vraisemblablement le rapport des inspecteurs. On n'en parle plus de ce rapport mais il est très important. Les inspecteurs vont dire «ça c'est leur mission», certains disent «mais ils vont étudier» alors que tout le monde connait la réponse. Il n'y a plus que M. Bachar Al-Assad, qui conteste qu'il y ait eu, je ne sais même plus s'il le conteste, qu'il y ait eu un massacre chimique. Tout le monde le sait. Je vais vous donner un élément que l'on n'a pas dans le débat. Finalement peu de gens contestent qu'il y ait eu un massacre, et à vrai dire, je ne suis pas sûr qu'il y ait tellement de gens qui contestent que M. Bachar Al-Assad en soit à l'origine. Mais quand même !
Nous, nous avons les éléments donnés par les services français et non les Américains. Les mêmes services français qui ont dit au moment de l'Irak qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive. Ce qui a été un des éléments pour lesquels unanimement, nous avons dit : il ne faut pas y aller. Et c'est quand même un raisonnement étrange que j'entends parfois, mais heureusement pas souvent, de dire : les mêmes services français, qui ont dit à juste titre, il n'y a pas d'armes de destruction massive en Irak, lorsqu'ils disent qu'il y a eu un massacre chimique et c'est M. Bachar Al-Assad le responsable, alors là, ils ne sont plus crédibles.
Nous ne sommes pas dans la même situation que les Américains. On compare la Syrie avec l'Irak, mais c'est le jour et la nuit ! En Irak, il n'y avait pas d'armes de destruction massive, et c'était une faute d'y aller. Ici, il y a les armes et ce serait une faute de ne pas être ferme.
Donc, sur la CPI, il faudra apprécier tout cela, c'est aussi une partie de la diplomatie. Pour avancer, je crois que ce qui est indispensable, c'est d'avoir des objectifs clairs. Après, il peut y avoir des adaptations, il doit y en avoir, parce qu'il y a des choses nouvelles qui arrivent. Parfois on nous fait le reproche en disant : «mais pourquoi, vous n'êtes pas intervenus il y a un an et demi ?», mais la situation n'était pas la même. Ça serait une absurdité de ne pas en tenir compte. Mais en revanche, il faut se tenir à nos objectifs, puisque beaucoup d'entre vous, à juste titre ont parlé de la Syrie.
Un, il faut aller, de toutes nos forces, vers l'arrêt de l'ensemble du conflit. Trouver donc une solution politique qui ne sera pas la victoire de l'un ou de l'autre, qui devrait être un compromis. Deuxièmement, en même temps, il faut s'occuper des problèmes humanitaires qui sont absolument massifs. Troisièmement et c'est la question principale qui nous est posée dans le temps, faire en sorte que sur le massacre chimique, il y ait sanction, et il y ait dissuasion. Parce que derrière l'affaire déjà terrible du chimique syrien, il y a beaucoup d'autres éléments qui se profilent.
Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Professeur, Mesdames et Messieurs, de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur ce sujet. L'une des tâches principales des gouvernants, c'est à la fois bien sûr de contribuer à la décision et de décider. Nous devons donc à la fois prendre des décisions aussi légitimes que possible et la France n'a pas d'intérêt particulier en Syrie, elle agit au nom de l'intérêt général.
Et en même temps, expliquer. C'est très difficile parce que les opinions publiques, pas simplement en France sont réticentes. Il y a une certaine fatigue, c'est loin et il y a d'autres choses à faire. Tout ça est vrai, mais en même temps, si on veut arrêter ces drames et ces massacres et travailler pour le futur, je crois quand même que la direction qu'il faut suivre est assez claire. Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2013
R - Les appellations zéro polaire, multipolaire, etc., ont toujours un côté schématique. Nous parlons tous du monde multipolaire ; c'est vrai d'une certaine manière. En même temps, s'il y avait une véritable organisation multipolaire - nous la souhaitons - ce serait l'Organisation des Nations unies, et puis, dans chaque grand continent, des organisations régionales, ainsi que des décisions prises par les acteurs selon des règles ; on peut penser aux règles des Nations unies. Quand ces règles ne sont pas respectées, on aurait l'application d'éléments de forces qui dépendent des forces régionales. Il s'agit-là du schéma théorique, mais ce n'est pas du tout celui qui s'applique. On voit d'ailleurs à quel point notre système est mal à l'aise.
À propos de la Syrie, nous essayons de faire avancer la question syrienne à l'ONU et nous n'y arrivons pas. Pourtant, c'est l'ONU qui devrait s'en occuper. Là où la question syrienne a avancé, c'est au G20, instance qui n'est absolument pas faite pour cela. Le G20 est une organisation qui doit traiter d'économie. D'ailleurs le paradoxe, c'est que les résultats du G20 de vendredi n'étaient pas mauvais, sur le plan économique, mais personne n'y a fait la moindre allusion. Donc, ce n'est pas là où on devrait traiter les choses, qu'on en traite ; d'ailleurs, on en traite d'une façon très imparfaite, ce qui prouve que notre système - ce n'est pas une grande révélation - n'est pas satisfaisant.
Genève I est intervenue le 30 juin de l'année dernière. Nous avons vu à quel point il était important de se mettre d'accord. D'ailleurs, nous nous sommes mis d'accord puisque Genève a été signé par tous les participants. Mais à peine la porte était-elle fermée que l'interprétation était divergente. Certains ont dit : «cela signifie que M. Bachar Al-Assad doit partir», alors que mon collègue russe, M. Lavrov a dit : «non, pas du tout, il doit rester». Donc, Genève a été bloquée. L'idée a été lancée, il y a déjà quelque temps, de Genève II. Genève II a été lancée par nos collègues américains et russes, d'autres, en particulier les Français, avec un objectif extrêmement précis.
Genève II est une réunion qui a pour objet de définir par consensus un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs. L'idée est qu'un certain nombre de puissances soient là, ainsi que des représentants du régime, des représentants de l'opposition, et que tout le monde se mette d'accord pour bâtir un gouvernement qui prendra des pouvoirs de fait et de droit de M. Bachar Al-Assad.
À un moment, on a cru que cela allait pouvoir déboucher. M. Bachar Al-Assad était en situation de faiblesse et les Russes eux-mêmes étaient en difficulté. M. Bachar Al-Assad - je ne sais pas s'il l'aurait fait - a dit qu'il allait envoyer ses représentants ; et puis cela n'a pas pu avancer. Pour le moment, malheureusement, on n'est arrivé à rien. J'espère que les choses vont pouvoir redémarrer, peut-être sur cette base, peut-être sur une autre, mais il faut qu'il y ait une avancée vers la solution politique, car la solution profonde est politique ; il faut se mettre autour d'une table et trouver un chemin pour sortir de la crise. Sinon, c'est l'anéantissement réciproque militaire, ce qui est une folie.
Nous allons essayer, en liaison avec nos partenaires, de faire avancer les choses pour que cet épouvantable massacre chimique puisse à la fois déboucher sur une solution chimique, et puis aussi sur une solution politique.
Ce serait déjà un acquis que l'on puisse avancer sur l'éradication de l'armement chimique. C'est pour cela que nous avons agi et personne de bonne foi ne peut penser que M. Poutine ou M. Bachar Al-Assad auraient avancé sur la reconnaissance d'un arsenal chimique et qu'il fallait le détruire s'il n'y avait pas eu la pression très ferme des Américains et de nous.
Trouver une solution pour l'arme chimique n'arrêtera pas pour autant les massacres. Et la réalité c'est que 99,99 % de la population qui est tuée, l'est par des armes non chimiques. Quelle serait donc la situation si nous disons : «nous avons fait de grands progrès sur le chimique, mais tout continue dramatiquement comme avant» ; c'est impensable. Il faut à la fois se pencher très fortement sur les contrôles des armes chimiques mais, en même temps, traiter les autres sujets et aller vers une solution politique.
Je ne sais pas si on peut comparer la situation à celle de Cuba. Je ne me lancerai pas dans cette comparaison, mais j'en ferai une autre avec l'histoire de la SDN. La SDN est morte pour beaucoup de raisons, mais une des raisons finales était que l'Italie avait envahi l'Abyssinie, avec le Négus, en envoyant une centaine de milliers d'hommes. C'était vraiment absolument scandaleux mais à l'époque, ni l'Italie, ni l'Allemagne n'avaient accepté une réaction de la communauté internationale. Donc, faisons bien attention parce que si l'ONU, compte tenu du blocage qui intervient, n'est pas capable de remplir son rôle, alors évidemment on se trouve devant une aporie.
Q - Vous justifiez l'intervention militaire en Syrie par l'utilisation évidement condamnable d'armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. Comment justifier le silence de la diplomatie française quand, en 2008, Israël a utilisé le phosphore blanc à Gaza contre la population civile palestinienne ? Et d'une manière plus générale, comment justifier la diplomatie, schizophrénique, de la France qui vote oui... (inaudible)... de la Palestine d'une part, bien qu'elle refuse encore une reconnaissance unilatérale de la Palestine, et qui soutient d'autre part un État colonial qui bafoue en toute impunité le droit international ?
R - Vous nous avez dit que nous étions schizophréniques, j'attendais paranoïaques. Mais même les paranoïaques ont des ennemis. Non, nous ne sommes pas schizophréniques.
Je vous fais une remarque générale qui vaut pour le gouvernement français, comme pour d'autres gouvernements. Souvent les citoyens, voire même les étudiants, s'imaginent que les gouvernements arrivent à leur bureau le matin en se disant «qu'est-ce que je vais pouvoir inventer dans la journée pour essayer de sanctionner la population, et qu'est-ce que je vais pouvoir proposer qui soit déraisonnable». Je ne dis pas qu'il n'y a pas des gouvernants, ailleurs, qui raisonnent comme cela, mais en ce qui concerne le gouvernement français et la plupart des gouvernements démocratiques, non. Nous essayons à partir de notre connaissance des faits, de notre feuille d'analyse, de prendre les meilleures solutions possibles, les moins mauvaises.
Pierre Mendes-France, grand esprit, disait «qu'est-ce que c'est de faire de la politique ?» Faire de la politique c'est rendre les gens co-intelligents des décisions qu'on va prendre. C'est très difficile, mais c'est de cela qu'il s'agit. En ce qui concerne la question palestinienne nous avons pris, nous, la France, une décision de position en ce qui concerne l'Assemblée générale des Nations unies. J'ai cru comprendre de votre intervention que vous étiez plutôt pour la Palestine, et je n'ai encore rencontré personne qui nous reproche cette position. M. Mahmoud Abbas qui n'est pas le moins palestinien de l'ensemble de cette salle, a multiplié les félicitations, la France ayant joué dans cette affaire, tout le monde le reconnaît, à condition qu'on soit objectif, un rôle d'entraînement pour les autres. Quand la France, membre permanent du Conseil de sécurité, prend une position, cela a beaucoup de portée. Nous avons pris cette position.
Lorsqu'il y a des choses à dire à Israël, nous leur disons. Cela a d'autant plus de poids que nous sommes aussi des amis d'Israël, mais nous essayons de respecter la légalité internationale. La colonisation n'est pas permise par la légalité internationale. En même temps, nous voulons travailler pour que les Palestiniens aient un État viable et pour qu'Israël puisse vivre en paix. Cela ne doit pas être si facile à faire puisque cela fait plus de 50 ans maintenant que l'on essaye.
J'étais, il y a 15 jours exactement, à la fois dans les Territoires palestiniens et en Israël où j'ai vu les responsables. Je les ai écoutés, je leur ai demandé ce que pouvait faire la France pour aider et l'on reconnait que la France est un des pays qui a une position utile. J'espère que nous allons trouver des solutions, même si je sais que c'est très difficile.
Q - Le conflit syrien ne vous fait-il pas craindre l'éventualité d'une troisième guerre mondiale ?
R - Il y a plusieurs conflits dans le conflit syrien. Au départ, il y a ce qu'on appelle le printemps arabe, quelques manifestations de jeunes, peu nombreuses, et la répression exercée par M. Bachar Al-Assad est telle qu'il y a petit à petit un soulèvement populaire de grande ampleur. La répression est d'autant plus forte. Au fur et à mesure, on entre dans ce conflit qui ne devient plus un conflit entre un dictateur et une partie de la population mais une déchirure du peuple, un conflit religieux, un conflit régional, un conflit international avec, évidemment, des incidences terribles.
Je pense que cela peut être, si nous n'arrivons pas à trouver la solution, un conflit gravissime. Il l'est déjà sur le plan humain. Sur le plan régional, il y a non seulement la Syrie qui est à feu et à sang, déchirée, mais aussi des perspectives - vous avez la carte à l'esprit -, l'Iran, la Syrie, le Liban. Le Liban est un pays extrêmement ami qui doit être évidemment épargné de tout cela, mais toute une série de gens veulent, au contraire, de l'extérieur, le mettre dans le conflit. La Jordanie a maintenant près d'un million, je crois, de réfugiés ; c'est un tout petit pays. La Turquie elle-même est en difficulté. L'Irak dont on parle moins, a des dizaines et des dizaines de morts chaque jour. Je pourrais continuer la liste. Cela ne doit pas et cela ne peut pas dégénérer sur un conflit mondial mais il n'en demeure pas moins que c'est une tragédie effrayante et que tous les pays et tous les gens de bonne volonté doivent essayer de faire du mieux pour le réduire.
Q - (Sur la construction européenne)
R - Sur l'Europe, trop d'États à vingt-huit ? Non. De toute manière, maintenant nous sommes vingt-huit, et nous allons être vraisemblablement davantage dans le futur puisque, sans donner encore les dates, compte tenu de l'état des négociations, les pays des Balkans auront bien sûr vocation à rejoindre l'Union. Vous avez des pays qui sont situés sur la frange orientale, non pas pour intégrer l'Europe en tant que telle, mais il y a la position particulière de l'Ukraine, de la Turquie, etc...
C'est la raison pour laquelle Mitterrand en son temps, Delors, moi-même et beaucoup d'autres, avions eu l'idée - mais à cette époque cela n'a pas été repris, et puis petit à petit cela devient vraiment quelque chose qui est de plus en plus reconnu comme raisonnable - ce que nous appelons l'Europe différenciée. C'est-à-dire qu'il y a des pays qui veulent avancer plus vite ensemble ; ce sont les pays de la zone euro, même si à l'intérieur de la zone euro, il y a d'autres pays qui veulent avancer encore plus vite et il faudrait que ces pays-là puissent avancer davantage. Donc, c'est notre idée du gouvernement économique, mais ce qui suppose un certain nombre d'harmonisation sociale, fiscale, économique. Ça c'est le coeur.
Il y a d'autres pays qui peut-être un jour voudront rejoindre cette zone-là, qui sont au sein de l'Union européenne, mais qui ne veulent pas aller aussi vite que les autres.
Et puis vous avez la périphérie, d'autres pays qui veulent avoir des relations privilégiées avec l'Union européenne mais dont il est difficile, en tous cas à un horizon prévisible, d'envisager qu'ils rejoignent l'Europe.
Au-delà de toutes les études institutionnelles que vous pouvez faire, il faut prendre les choses d'un point de vue pratique. J'ai donné, dans le passé, des cours sur les négociations dans une autre institution, dans une université américaine et cela me frappait toujours de voir quelle distance il existait entre la réflexion institutionnelle, qu'il faut avoir à l'esprit, et les cas concrets.
Il faut bien avoir à l'esprit ceci : quand vous êtes aujourd'hui dans un conseil, conseil des ministres, conseil des chefs d'État et de gouvernement européens, vous êtes vingt-huit autour de la table, plus les deux présidents, cela fait trente. Normalement, chacun des intervenants parle cinq minutes. Si chacun parle cinq minutes - il y en a beaucoup qui ne respectent pas leurs cinq minutes - avant même d'être entré dans le vif de questions précises, cela fait cent cinquante minutes, c'est-à-dire deux heures et demie avant même d'avoir étudié une question précise. Quand on arrive au bout de la discussion, il faut que tous les pays soient d'accord. Et celui qui n'est pas d'accord, évidemment, a une capacité j'allais dire de négociation - pour employer un mot neutre -, de pression considérable, qui ne dépend pas d'ailleurs de la taille du pays. S'ils sont contre, rien ne passe. C'est donc déjà très difficile à faire.
Ensuite, il n'y a pas simplement ce qui se passe au niveau des ministres, des chefs d'État et gouvernement, car les parlements existent. Le parlement européen et les parlements nationaux existent et le déroulement des institutions est tel que le Parlement européen, de façon incontestable, va prendre de plus en plus de pouvoir. Mais les parlements nationaux disent : «nous, nous sommes élus, il faut que l'on serve à quelque chose ». Et puis il y a les cours constitutionnelles qui peuvent également se manifester. Même sans être un grand mathématicien, quand vous ajoutez tout cela, et s'il n'y a pas de réforme, c'est ce que l'on appelle une équation surdéterminée.
C'est ce qui explique que sans entrer, en tout cas rapidement, dans des débats sur les traités institutionnels - parce que les pays ne sont pas du tout réceptifs, les opinions n'aiment pas les débats institutionnels, elles veulent des choses concrètes -, il faut que nous trouvions des formules qui permettent d'épouser un peu la différence des situations. C'est ce que nous appelons l'Europe différenciée, l'Europe solidaire, certains disent "plusieurs cercles". Je pense que c'est là où il faut aller, sans même prendre en compte certains pays ; je pense notamment au Royaume-Uni qui pourrait être tenté d'aller en arrière.
Cela pose donc un autre problème, il faut quand même qu'il y ait un acquis communautaire. Je disais l'autre jour à un éminent britannique qui développait cette thèse : «écoutez, Cher Ami, vous êtes habitué aux clubs de sport chez vous. Il ne serait pas correct - mot très important avec les Britanniques - d'adhérer à un club de rugby et de dire : maintenant je joue au football. Si vous adhérez à un club de rugby, vous jouez au rugby, sinon vous n'adhérez pas au club». Tous ces problèmes additionnés font qu'il n'est pas question de diminuer le nombre, l'histoire et la géographie, qui sont des éléments déterminants de la politique extérieure et qui font que l'on ira probablement plutôt vers une augmentation. Quand ? On ne sait pas. Mais il faudra les formules qui rendent les choses plus efficaces et plus souples.
Q - Jeudi dernier, le Premier ministre turc à Doha, avant d'embarquer pour Saint-Pétersbourg, a annoncé à la presse qu'il était prêt à engager la Turquie dans une coalition de l'opposition au régime syrien. Que pensez-vous de la position du Premier ministre ? Ensuite, compte tenu de la position des pays du Moyen-Orient et des engagements divergents des partis politiques, même au sein des pays, ne considérez-vous pas, peut-être les prémices d'une guerre civile au Moyen-Orient ?
R - En ce qui concerne le gouvernement turc, j'ai cru ressentir, mais peut-être me trompé-je, que vous n'étiez pas chaud partisan, mais je dois éviter de me mêler de la politique intérieure.
Pour ce qui concerne la Syrie proprement dite, le gouvernement turc est un de ceux qui ont pris des positions les plus fermes. Et dans la coalition des différents pays, on a entendu M. Erdogan qui était à Saint-Pétersbourg, être extrêmement dur en réclamant non seulement qu'il y ait des interventions mais que cela se passe très rapidement. Cette position est la même, même si les autres étaient plus nuancées, que celles qu'ont prises d'autres pays appartenant au Conseil des États du Golfe.
Il y a chez tous ces pays une volonté extrêmement déterminée pour sanctionner, dissuader dans l'affaire chimique, et aller au-delà. Simplement, l'une des difficultés réside dans le fait que le Premier ministre turc et ces pays, qui souvent travaillent ensemble, étaient assez proches dans leurs positions sur la Syrie, mais ne l'étaient pas sur un autre conflit, qui est l'Égypte. Ainsi vous avez eu dans toute cette période une double position qui rendait les choses assez difficiles.
Vous posez une autre question très compliquée sur le plan du principe. Vous dites qu'il y a beaucoup de partis au sein de la Turquie qui ne sont pas d'accords avec cette position. Sans doute ! Mais nous aussi, peut-être pas sur la Syrie mais sur d'autres questions, nous avons des divergences internes, même s'il la tradition fait que sur les affaires internationales il y ait un rassemblement. Mais il y a des partis qui ne sont pas du même avis que le gouvernement. Le gouvernement prend la position qu'il a à prendre et, après, il y a un débat démocratique. Dans les pays comme les nôtres, cela ne pose aucune question mais dans d'autres pays, cela peut poser davantage de questions et aboutir à des tensions.
Q - Vous avez évoqué l'importance d'une politique stratégique et de défense européenne, nous avons relativement peu entendu les institutions européennes, par exemple Mme Ashton, lors du débat sur la Syrie. Pensez-vous qu'il serait possible à moyen terme, que les pays comme l'Allemagne et la France ou le Royaume-Uni abandonnent maintenant leur souveraineté pour appliquer une politique européenne de défense et une politique internationale commune, voire unique ?
R - Après, il y avait une deuxième question sur la politique de défense européenne et la politique étrangère et que peut-on en espérer ? Ce sont deux sujets assez différents, même s'il y a une relation très étroite, entre la politique de défense et la politique étrangère.
Sur la politique de défense, je pense que l'on peut espérer des avancées. Se tiendra au mois de décembre de cette année un Conseil consacré à ce chapitre et on voit déjà les textes préparatoires, qui sont quand même intéressants. Intéressants sur les concepts, parce que si on veut qu'une politique de défense soit plus cohérente, il faut que les concepts de défense, les analyses soient les mêmes. Intéressants sur les questions industrielles et vous avez peut-être vu que nous, et d'autres pays, avions été obligés d'acheter des drones, parce que maintenant, il faut des drones pour reconnaître le terrain. Mais nous n'en fabriquons pas et nous les avons achetés, pour une partie aux Américains et aussi aux Israéliens. Mais tous nos pays vont avoir besoin de drones. Donc l'idée germe de construire une industrie du drone européen. Il faut le faire. Dans le passé, nous avons des réalisations comme l'A400M.
Encore faut-il que les pays européens achètent des matériels européens. Donc on doit se mettre d'accord sur les concepts, autant que possible. On doit se mettre d'accord sur les outils et sur les forces. Il existe des éléments de force, pas énormes, mais des bataillons européens. Mais ils ne sont pas utilisés.
Il y a donc beaucoup de choses à bâtir ensemble, cela est nécessaire aussi du point de vue des budgets. Même si dans un premier temps, la défense européenne ne fera pas réaliser beaucoup d'économies aux différents budgets nationaux, dans un deuxième temps - et on comprend bien que tout le monde ne peut pas mettre beaucoup d'argent dans ces budgets militaires - les économies seraient conséquentes et il serait plus positif pour l'industrie européenne de travailler ensemble.
Il y a eu des choses qui ont été faites, notamment à partir du sommet de Saint-Malo et des accords avec les Britanniques. Il y a des choses que nous faisons à la fois avec les Allemands et les Polonais, dans un groupe qu'on appelle Weimar, et quand on y ajoute les Italiens, parfois même les Espagnols, cela devient Weimar Plus.
Donc il y a des choses qui se font, même si du point de vue de la défense, il y a des difficultés. Il y a des pays qui sont neutres, il y a des pays qui s'en désintéressent et d'autres pensent que leur défense sera assurée par d'autres.
Mais je sens quand même une montée de la préoccupation européenne. Pourquoi ? D'abord parce que c'est une question budgétaire, ensuite parce que les États-Unis d'Amérique, qui traditionnellement étaient perçus par beaucoup de ces pays d'Europe comme assurant leur défense, évoluent. Dans le discours au début de son second mandat, le président Obama a dit qu'il allait s'occuper des affaires américaines, du pivot asiatique et de la crise israélo-palestinienne. L'évolution de l'histoire fait que ce cap est difficile à tenir. Du coup, les pays d'Europe - et ce n'est pas illégitime, l'Europe étant la première puissance commerciale du monde et une puissance très riche globalement - pourraient assurer leur défense. Ainsi un pays comme la Pologne, qui traditionnellement et par un souvenir d'hostilité par rapport à l'URSS, est très tournée vers les Américains, commence à venir à ce concept. Donc oui, j'espère qu'on va pouvoir aller vers la défense européenne.
En ce qui concerne la politique étrangère, ce n'est pas exactement la même chose. C'est très compliqué. Souvent on critique Mme Ashton et je ne suis pas de cet avis-là. D'abord parce que le Service européen d'action extérieure n'existe que depuis 2010, donc c'est assez récent et en plus c'est difficile à lancer. La tâche de la Haute représentante, vice-présidente de la Commission, n'est pas facile en vue d'harmoniser les positions et nous l'avons vu samedi à Vilnius. Après Saint-Pétersbourg où onze pays, sauf l'Allemagne, se sont mis d'accord - sur le texte concernant la Syrie - nous avons eu vendredi et samedi matin, une réunion à Vilnius en Lituanie, où l'ensemble des pays, y compris l'Allemagne, se sont mis d'accord sur une position. Mais cet ensemble était quand même assez divers. Il y a des pays qui étaient complètement à nos côtés comme la Grande-Bretagne, du moins son gouvernement, le Danemark, l'Espagne et d'autres pays, comme l'Allemagne, qui sont venus nous rejoindre. En face, d'autres pays étaient plus réticents voire assez hostiles comme le Luxembourg, la Finlande, l'Autriche, pour des raisons diverses. Il faut donc faire la synthèse de toutes ces positions. Et quand vous faites la synthèse, souvent vous êtes obligés de mettre de l'eau dans votre vin.
Ainsi, si en matière de défense européenne il faut vraiment aller de l'avant. Il y a une difficulté sur l'autre point, avec des pays qui ont une politique étrangère différente. Et en même temps, les pays européens ne peuvent pas être simplement suivistes par rapport à ce que font les Français et les Britanniques. Donc c'est compliqué.
Q - Le président du Mexique, Felipe Calderon, a dit que l'économie est liée à l'écologie. Je voudrais savoir quelles seraient vos prévisions pour la conférence sur le climat en 2015 ? Et aussi savoir un peu les défis, la sécurité énergétique et nucléaire, par rapport à la France ?
R - Le Mexique a fait un très bon travail pour essayer d'avancer dans les domaines économique et écologique. Nous sommes extrêmement heureux d'avoir à nouveau des contacts extrêmement proches avec ce pays. C'est un grand pays avec une culture très proche de la nôtre. Je me suis rendu là-bas, il n'y a pas très longtemps. Le président Peña Nieto viendra à la fin de l'année prochaine en France et François Hollande s'y rendra l'année prochaine. 2014 sera également le 50ème anniversaire de la célèbre visite du Général de Gaulle durant laquelle il a prononcé la fameuse phrase «mano en la mano».
En ce qui concerne l'écologie, j'ai proposé à mon homologue mexicain que l'on prépare la conférence de Paris, ensemble. Je vous en dis quelques mots. Pour le moment vous n'en avez pas beaucoup entendu parler mais ce sera le cas de manière très forte dans les années qui viennent. Le lieu de cette Conférence n'a pas encore été officiellement désigné. Cela doit être le cas à Varsovie d'ici quelques semaines, mais dans la mesure où nous sommes les seuls candidats, il n'y devrait pas y avoir de surprises. Nous devons toutefois obtenir le soutien d'un maximum de pays car cette décision sera prise par consensus. Tout le monde doit donc être d'accord et les situations des pays sont très différentes. Vous avez des pays, qui sont en général assez allants, ce sont les pays d'Europe. Les États-Unis sont peut-être en train de changer de positions, parce que Barack Obama et John Kerry sont sensibles à ces questions. Mais le fait que maintenant, ils exploitent du gaz de schiste, peut poser les choses différemment. Les Chinois, qui traditionnellement étaient très peu réceptifs, ont visiblement compris que la question de la pollution n'était pas non seulement un problème mondial, mais également pour eux un problème social et politique. En Chine il y existe des réactions extrêmement vigoureuses et même virulentes de la population par rapport à certaines pollutions.
D'autres pays sont encore beaucoup plus réticents. Le nouveau Premier ministre, qui vient d'être élu, semble si l'on en croit sa campagne pas du tout favorable à cette Conférence. Il y a enfin des pays qui n'ont aucun moyen financier et qui conditionnent des progrès de leur part à l'obtention de financements internationaux. Il existe donc une grande diversité de situations et il va falloir qu'à partir de tout cela, nous nous fixions des objectifs. Vous voyez tous les efforts qu'il reste à faire. Il va falloir traiter les problèmes de financement, puisqu'il n'y a pas de transformation possible s'il n'y a pas les financements qui vont avec et trouver la manière d'associer la société civile et les industriels. Il va falloir se demander essayer de trouver des solutions innovantes en matière de logement et d'industrie. C'est un travail de longue haleine, que nous allons commencer notamment avec nos amis mexicains.
Q - Question d'un Britannique sur la Syrie, et donc d'abord je voudrais présenter mes excuses pour le résultat du vote à la Chambre des Communes, la semaine dernière. Même dire, félicitations, parce que cela peut avantager la France aussi. Mais si cette initiative proposée par la Russie aboutit, je me demande quelle sera la politique, dans quel sens se dirigera la politique de la France après ? Bien sûr, la France va continuer à soutenir l'opposition modérée. Mais jusqu'à aujourd'hui, cette politique ne suffit pas, surtout avec la participation croissante de l'Iran et des groupes comme le Hezbollah. Donc comment la France va-t-elle assurer que ce soit l'opposition qui prévaut ?
R - Vous n'avez pas à vous excuser, Cher Monsieur, le parlement britannique dans sa sagesse a décidé ce qu'il voulait. Mais évidemment le Premier ministre Cameron a été extrêmement déçu. Je ne pense pas qu'il s'y attendait. Alors pourquoi ce résultat de vote ? Je ne suis pas un spécialiste de politique intérieure, mais je pense que du côté travailliste, il y avait un ressentiment vis-à-vis de l'affaire de l'Irak. À l'époque, les travaillistes britanniques avaient dit, il faut y aller, il y a des armes de destruction massive et il faut aller attaquer l'Irak. Et finalement, il n'y en avait pas. À l'époque c'était M. Blair, et c'est très difficile aujourd'hui, pour le Labour, de tenir une même position. Ainsi la volonté de se démarquer était un élément qui permettait de dire non. Et puis, je crois que M. Cameron - mais cela peut arriver dans d'autres pays - a dû constater que ses amis n'étaient pas tous unanimes pour le soutenir. Lorsque le décompte des votes a été fait, il n'y avait pas un nombre de votes suffisant pour appuyer la politique du Premier ministre. Le gouvernement britannique peut soutenir intellectuellement, mais il ne peut pas envoyer de force, puisque le parlement ne l'a pas voulu.
Alors vous dites, mais pour la France, qu'est-ce qui va se passer et notamment sur la question iranienne ? En Syrie, nous voulons arriver à une solution politique. Et dans le même temps, nous voulons traiter absolument les conséquences de ce massacre chimique sur la base de sanctions et de la dissuasion afin que cela ne puisse plus recommencer ni en Syrie, ni ailleurs. Et nous voulons le faire dans un esprit ouvert, mais sans naïveté.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé une résolution qui sera discutée dans les jours qui viennent. Une résolution, qui n'est pas à prendre ou à laisser, et qui va être discutée pour être sûr que si les engagements sont pris, ils seront tenus. Et que s'ils n'étaient pas tenus, il y aurait évidemment des conséquences et des sanctions qui en seraient tirées. C'est notre rôle ! Nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité et nous représentons une certaine forme de la légalité internationale. On peut peut-être avancer sur cette affaire du chimique. Il faut prendre au mot la proposition tout en ne se laissant pas piéger par les mots. C'est exactement le chemin qu'il faut prendre.
Quant à l'Iran, grande question, bien sûr, nous avons eu l'occasion d'en parler plusieurs fois. Il y a un nouveau président et un nouveau gouvernement, et le président n'aurait pas été élu s'il n'y avait pas un grand mécontentement dans la population. Il était présenté comme étant le candidat du changement. Mais en même temps, le guide reste le guide et il y a des fondamentaux en Iran. Le problème qui nous est posé, ce n'est pas simplement, la question syrienne dans cette affaire, c'est la question du nucléaire. C'est une question, qui m'est apparue comme absolument centrale. Vous connaissez notre position, qui est celle de la communauté internationale. Il n'y a pas théoriquement de différence entre les Français, les Anglais, les Américains et les Russes et les Chinois. Nous sommes tous pour dire «non». Le nucléaire civil nous l'acceptons parfaitement mais pas l'arme nucléaire. Sinon, on entre dans un mécanisme de prolifération qui dans cette région du monde, avec tous ses effets, peut-être absolument désastreux.
Et donc l'un des paramètres qu'il faut avoir à l'esprit, peut-être pas sensible à l'opinion publique en général, c'est quel peut-être l'effet psycho-politique de ce que nous faisons ou de ce que nous ne faisons pas dans l'affaire syrienne sur notre attitude dans la question iranienne. Sachant qu'en plus, les Iraniens interviennent massivement en Syrie, directement ou à travers le Hezbollah. Et c'est un point qui n'est pas beaucoup discuté en France, mais qui a été beaucoup discuté au congrès américain et d'une façon souvent assez rude. Je ne prends pas partie mais certains mettaient en garde le président américain : on comprend vos difficultés, mais vous allez avoir, vous et d'autres pays, à faire face à une difficulté avec l'Iran, peut-être dès l'année prochaine.
Il faut que la négociation avec les Iraniens réussisse. Pour le moment, elle n'a pas réussi. Il faut qu'elle réussisse, mais pour qu'elle réussisse, il faut quand même que les Iraniens sachent qu'il y aura des sanctions s'ils enfreignent les règles internationales. Et j'ai une conversation très éclairante avec mon collègue iranien qui m'appelait l'autre jour. Nous parlons de la Syrie, et il me dit : «vous comprenez la Syrie, nous, nous sommes complètement contre le chimique, puisque nous avons été très durement touchés au moment de la guerre avec l'Irak. Donc les armes chimiques non ! En aucun cas. Et il faut que la légalité internationale s'applique». Je lui ai dit : «mais Monsieur le Ministre, je suis d'accord, et il faut même que la légalité internationale s'applique aussi dans l'affaire nucléaire». Et à ce moment-là, la conversation s'est portée sur un autre sujet. Donc il faut rester très attentif, ouvert, bien sûr, mais très attentif. Et je pense que la diplomatie c'est aussi cela.
Q - Une question aussi concernant la Syrie, la France dans son projet de résolution soumis dans le cadre du Conseil de sécurité, a proposé que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale. Au-delà du fait que la France considère certainement que c'est justifié par la situation et par les textes, est-ce qu'au regard de l'objectif principal de pousser à des négociations politiques vous considérez que cela soutiendrait une telle perspective ?
R - Le dernier point, qui n'est pas le plus facile, c'est sur l'affaire de la Cour pénale internationale. M. Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations unies et qui est un homme très prudent, pour qualifier le massacre chimique du 21 août a dit : c'est un crime contre l'humanité. C'est un homme qui, quand il parle, a vérifié les choses. C'est un crime contre l'humanité. Quand il y a un crime contre l'humanité, il y a un criminel ! Et il y a des conséquences à en tirer, en application du droit international. Donc, au Conseil de sécurité, puisque c'est lui qui est parfaitement compétent, pour ouvrir une enquête sur cette action. Mais pour le moment, nos interlocuteurs ne le veulent pas. C'est un des éléments qui est contenu dans le projet de résolution et ils ne votent pas. On va voir !
Si nous voulons arriver à une négociation, il faut que chacun avance. Si vous dites : on va négocier quand même avec le régime, même si on le trouve détestable, il faut négocier. Mais au départ, on vous dit qu'on va négocier, mais quoi qu'il en soit, vous serez poursuivi pour crime contre l'humanité, ce n'est pas très facile. Alors les spécialistes du droit et les organisations humanitaires disent : non, il ne faut pas rentrer là-dedans. D'autres disent : oui, mais il faut épouser aussi un peu plus le terrain. Et finalement c'est le Conseil de sécurité qui va devoir trancher, puisqu'il est en amont, avant que d'autres saisines n'interviennent.
L'ONU dans cette affaire, joue très gros et Ban Ki-moon en est tout à fait conscient. Il joue gros, parce que le Conseil de sécurité a été bloqué pendant deux ans et demi. Il joue gros, parce que nous allons avoir la semaine prochaine vraisemblablement le rapport des inspecteurs. On n'en parle plus de ce rapport mais il est très important. Les inspecteurs vont dire «ça c'est leur mission», certains disent «mais ils vont étudier» alors que tout le monde connait la réponse. Il n'y a plus que M. Bachar Al-Assad, qui conteste qu'il y ait eu, je ne sais même plus s'il le conteste, qu'il y ait eu un massacre chimique. Tout le monde le sait. Je vais vous donner un élément que l'on n'a pas dans le débat. Finalement peu de gens contestent qu'il y ait eu un massacre, et à vrai dire, je ne suis pas sûr qu'il y ait tellement de gens qui contestent que M. Bachar Al-Assad en soit à l'origine. Mais quand même !
Nous, nous avons les éléments donnés par les services français et non les Américains. Les mêmes services français qui ont dit au moment de l'Irak qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive. Ce qui a été un des éléments pour lesquels unanimement, nous avons dit : il ne faut pas y aller. Et c'est quand même un raisonnement étrange que j'entends parfois, mais heureusement pas souvent, de dire : les mêmes services français, qui ont dit à juste titre, il n'y a pas d'armes de destruction massive en Irak, lorsqu'ils disent qu'il y a eu un massacre chimique et c'est M. Bachar Al-Assad le responsable, alors là, ils ne sont plus crédibles.
Nous ne sommes pas dans la même situation que les Américains. On compare la Syrie avec l'Irak, mais c'est le jour et la nuit ! En Irak, il n'y avait pas d'armes de destruction massive, et c'était une faute d'y aller. Ici, il y a les armes et ce serait une faute de ne pas être ferme.
Donc, sur la CPI, il faudra apprécier tout cela, c'est aussi une partie de la diplomatie. Pour avancer, je crois que ce qui est indispensable, c'est d'avoir des objectifs clairs. Après, il peut y avoir des adaptations, il doit y en avoir, parce qu'il y a des choses nouvelles qui arrivent. Parfois on nous fait le reproche en disant : «mais pourquoi, vous n'êtes pas intervenus il y a un an et demi ?», mais la situation n'était pas la même. Ça serait une absurdité de ne pas en tenir compte. Mais en revanche, il faut se tenir à nos objectifs, puisque beaucoup d'entre vous, à juste titre ont parlé de la Syrie.
Un, il faut aller, de toutes nos forces, vers l'arrêt de l'ensemble du conflit. Trouver donc une solution politique qui ne sera pas la victoire de l'un ou de l'autre, qui devrait être un compromis. Deuxièmement, en même temps, il faut s'occuper des problèmes humanitaires qui sont absolument massifs. Troisièmement et c'est la question principale qui nous est posée dans le temps, faire en sorte que sur le massacre chimique, il y ait sanction, et il y ait dissuasion. Parce que derrière l'affaire déjà terrible du chimique syrien, il y a beaucoup d'autres éléments qui se profilent.
Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Professeur, Mesdames et Messieurs, de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur ce sujet. L'une des tâches principales des gouvernants, c'est à la fois bien sûr de contribuer à la décision et de décider. Nous devons donc à la fois prendre des décisions aussi légitimes que possible et la France n'a pas d'intérêt particulier en Syrie, elle agit au nom de l'intérêt général.
Et en même temps, expliquer. C'est très difficile parce que les opinions publiques, pas simplement en France sont réticentes. Il y a une certaine fatigue, c'est loin et il y a d'autres choses à faire. Tout ça est vrai, mais en même temps, si on veut arrêter ces drames et ces massacres et travailler pour le futur, je crois quand même que la direction qu'il faut suivre est assez claire. Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2013