Déclaration de M. Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, sur les relations franco-turques et sur le dossier de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, à Istanbul le 12 septembre 2013.

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Circonstance : Déplacement à Istanbul (Turquie) à l’occasion du colloque international annuel de l’institut du Bosphore, le 12 septembre 2013

Texte intégral


Monsieur le Ministre,
Monsieur le vice-Président de la Commission des affaires étrangères,
Madame la vice-Présidente de la commission des lois,
Monsieur le Président du Groupe d'Amitié France-Turquie,
Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs,
Monsieur le Président de l'Institut du Bosphore,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur d'être parmi vous ce soir à l'occasion de ce cinquième séminaire annuel de l'Institut du Bosphore sur le thème «Europe, France, Turquie : l'heure des choix». Une des caractéristiques de la vie politique est certainement d'être amené régulièrement à faire des choix, à prendre des décisions. C'est ce qu'a fait, dès sa prise de fonction, le gouvernement que je représente ici ce soir, à travers un choix clair : après une période de turbulences, il a voulu rétablir entre la Turquie et la France des liens forts et dynamiques conformes à la longue histoire commune de nos pays. Il s'est inscrit dans le prolongement d'une vision stratégique qui, depuis Soliman le Magnifique et François Premier, a conduit nos pays, aux deux extrémités du continent européen, à être le plus souvent alliés et partenaires.
À l'été 2012, en marge du Sommet de l'OTAN, puis du sommet du G20, nos présidents de la République et Premiers ministres respectifs nous ont donné une feuille de route : relancer notre coopération dans tous les domaines. Aujourd'hui, je crois que l'on peut dire que nous avons retrouvé un niveau de confiance que nous n'aurions jamais dû perdre. J'en veux pour preuve les contacts intervenus encore la semaine dernière à Saint-Pétersbourg entre le président de la République, François Hollande, et le Premier ministre, Recet Tayyip Erdogan, comme le dialogue permanent qu'entretient notre ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, avec son homologue, M. Davutoglu. J'ajouterai que je verrai moi-même un peu plus tard dans la soirée, mon collègue, Egemen Bagis, à son retour de ses contacts avec la présidence lituanienne, à Vilnius. Dans ce contexte, je souhaiterai évoquer avec vous : 1) L'état d'avancement des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne 2) Les perspectives de nos relations bilatérales 3) Notre partenariat pour la paix, la sécurité et le développement dans le monde
1) La Turquie et le processus d'adhésion Au cours de ces dernières années, il est difficile de nier que le dossier de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne a été l'un des principaux points de discorde entre nos deux pays. Dans un contexte politique marqué par la montée de l'euroscepticisme, des réticences se sont faites croissantes à l'égard d'un nouvel élargissement, en France mais aussi dans la plupart des grands pays européens. Le précédent gouvernement français a pris la position que l'on connaît, ce qui a conduit au blocage d'un certain nombre de chapitres de négociation. Et ce blocage a eu des conséquences :
sur notre relation bilatérale sur les autres chapitres de négociation et sur la crédibilité du processus engagé dans l'opinion comme dans la classe politique turque. Après son élection en mai 2012, le président François Hollande a décidé d'inverser le cours des choses en rétablissant une relation solide et de confiance avec ce grand partenaire qu'est la Turquie. Ainsi, nous avons levé nos réserves sur le chapitre concernant les politiques régionales, qui est autant un message politique fort qu'une décision technique opérationnelle. Nous espérons que cette décision prendra effet rapidement avec l'ouverture effective des négociations sur ce chapitre important à l'automne. Cette nouvelle dynamique dans les négociations devra se poursuivre avec des progrès dans les réformes. Nous espérons aussi que le blocage qui empêche la signature de l'accord de réadmission et l'ouverture d'un dialogue sur la libéralisation des visas pourra être rapidement surmonté. Vous l'avez vu ces derniers mois : la France a fait des choix importants qui redonnent toutes ses chances à la Turquie dans sa voie vers l'Union européenne. Pour aller de l'avant, la Turquie doit elle aussi être claire dans ses choix. C'est une question de bonne foi, de part et d'autre. Au coeur du projet européen, il y a un idéal de liberté qui fait de l'Union européenne, avant tout autre chose, une communauté de valeurs. Les critères de Copenhague sont la pierre angulaire de l'Union européenne.
Au cours des dix années qui viennent de s'écouler, la Turquie a connu des succès qui forcent notre admiration. Elle a aujourd'hui le privilège d'avoir une société civile dynamique, une jeunesse imaginative et créatrice. Comme dans toutes les démocraties, celle-ci peut, à l'occasion, faire entendre sa voix si telle ou telle décision l'inquiète. Nous le voyons d'abord comme un signe de la maturité démocratique de la Turquie et non comme une fragilité. La capacité de la Turquie à mener de front démocratisation et modernisation économique doit être préservée. Beaucoup de chemin a déjà été parcouru. Nous savons que la route est encore longue. À cet égard, tirer les justes enseignements des événements du début de l'été, comme a commencé à le faire l'inspection du ministère de l'intérieur turc, doit être une occasion de renforcer la démocratie turque.
2) Perspectives des relations franco-turques : la France entend être aux côtés de la Turquie dans sa marche vers la prospérité. Nulle part la croissance n'est acquise. Il faut sans cesse être à son chevet. Nos économies étant imbriquées, nous avons tous deux à gagner dans le développement de nos échanges économiques. C'est pourquoi, des efforts continueront d'être menés pour développer une présence économique française déjà forte en Turquie avec 400 entreprises implantées et 7,5 milliards de dollars d'investissements notamment dans des secteurs de hautes technologies. Cette volonté s'inscrit dans le cadre de la nouvelle diplomatie économique initiée par Laurent Fabius.
Il s'agira également pour nous d'encourager la multiplication de partenariats technologiques entre entreprises et entre chercheurs, dans des secteurs aussi stratégiques que l'aéronautique, le secteur énergétique ou la construction. Avec l'Europe, la France peut également aider la Turquie à consolider son économie qui est, au même titre que les autres économies émergentes, confrontée depuis le mois de mai à d'importantes tensions financières. Si ces dernières sont liées aux récentes annonces du président de la Réserve fédérale américaine, et ont donc une dimension conjoncturelle, elles sont aussi le révélateur de certaines fragilités dans les économies émergentes.
S'agissant de la Turquie, il s'agit pour l'essentiel du déficit structurel de son commerce extérieur qui contraint sa croissance et la rend dépendante de financements extérieurs. Compte tenu du poids de nos relations commerciales, c'est d'abord dans les relations avec l'Europe que se trouve la solution. L'Union fournit un débouché majeur pour les productions turques. Les investissements européens en Turquie ont quant à eux atteint près de 8 milliards de dollars en 2012, représentant 77 % du total des Investissements directs étrangers en Turquie.
Les entreprises françaises ont largement pris part à ce développement qui est indispensable pour la croissance en Turquie et la modernisation de son économie. Ce mouvement doit encore être amplifié. Renault, grâce à sa production à Bursa est souvent la première entreprise industrielle exportatrice turque ; Alstom grâce à son usine de Gebze est l'un des leaders mondiaux dans le secteur des transformateurs électriques et je ne voudrais pas oublier l'entreprise européenne phare qu'est Airbus. L'aronautique est certainement un des domaines où nous pouvons travailler davantage ensemble, comme en témoigne la part croissante de l'industrie turque dans les activités d'Airbus ou l'arrivée prochaine de l'avion de transport A 400 M dans les armées turques. Dans le domaine des industries de défense, le renforcement de la coopération entre la France et la Turquie apparaît comme une évidence. Elle est nécessaire tant pour satisfaire les besoins opérationnels de nos pays, que pour aller ensemble sur des marchés tiers. Ce sera d'ailleurs le thème d'un atelier de travail entre les industriels de nos deux pays dans les prochains mois.
Vous savez sans doute que la France a pris l'initiative de proposer des transferts de technologie significatifs à la Turquie dans le domaine de la défense anti-missile. Le domaine de l'énergie, auquel est consacré l'un de vos ateliers, est, par ailleurs, l'un des secteurs-clé de nos relations. Les nombreuses voies de communication énergétiques qui traverseront la Turquie seront importantes pour l'approvisionnement de l'Europe occidentale. Elles constitueront aussi des sources de revenus importantes pour la Turquie. De même, de nombreux investissements réalisés dans les années à venir par des entreprises européennes sur le territoire turc, notamment dans le domaine de la production électrique, contribueront à une réduction substantielle du déficit énergétique de la Turquie. Avec le Japon, la France a la ferme volonté de répondre aux attentes de la Turquie en matière de développement de son secteur de l'énergie nucléaire. Parce que nous sommes loin de n'échanger que dans le but de développer nos marchés respectifs, la culture et l'éducation sont depuis longtemps des domaines forts de notre coopération. Celle-ci repose sur un impressionnant réseau d'établissements d'enseignement bilingue, et sur des échanges d'étudiants intenses que nous devons continuer de soutenir.
3) Le partenariat pour la paix, la sécurité et le développement dans le monde. Un bon climat entre l'Europe, la France et la Turquie dans le domaine économique contribue également à créer de la stabilité et des relations pacifiées sur le continent. À ce sujet, je souhaite souligner combien le partenariat entre nos deux pays, et avec l'Europe, est un véritable atout qui doit être pleinement utilisé pour contribuer à la paix, à la sécurité et au développement dans le monde. Dans les pays du printemps arabe, nous devons ensemble, malgré les multiples embûches, combattre le sectarisme, et soutenir les processus démocratiques pour permettre l'établissement d'institutions pluralistes et conformes aux aspirations des peuples. S'agissant de l'Égypte, nous devons poursuivre nos efforts pour aider ce pays à trouver une issue à la crise qu'il traverse actuellement et à revenir sur les rails du processus de transition politique.
Le conflit syrien est à l'évidence un sujet de préoccupation majeur, sur lequel notre concertation est permanente, au niveau bilatéral comme au sein du groupe des Amis de la Syrie. Le règlement du conflit passera nécessairement par une solution politique. C'est une urgence pour les pays voisins comme la Turquie qui en subissent les effets, à la fois au plan sécuritaire et du fait de l'afflux massif de réfugiés. Nous avons manifesté notre soutien aux autorités turques. Et nous continuerons à le faire. Nous souhaitons également collaborer étroitement avec la Turquie sur d'autres fronts : je pense au dossier du nucléaire iranien, pour amener l'Iran à faire le choix de la transparence et du respect plein et entier de ses obligations internationales. Je pense aussi aux pays d'Afrique dont la situation demeure instable (Somalie, Centrafrique, Mali, Soudan...), alors que la Turquie est de plus en plus impliquée sur le continent africain.
Voilà en quelques mots, ce que je voulais vous dire de la vision française de la coopération entre la Turquie, l'Europe et la France. Cette vision se veut à la fois exigeante et ambitieuse, volontariste et équilibrée. J'espère pouvoir compter sur votre soutien amical pour qu'ensemble, nous la fassions vivre ! Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2013