Déclaration de MM. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, et Pedro Morenés Eulate, ministre de la défense du royaume d'Espagne, sur la coopération militaire franco-espagnole et sur la Défense européenne, à Brest le 16 septembre 2013.

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Circonstance : Conseil franco-espagnol de défense et de sécurité en format Défense, à Brest (Finistère) le 16 septembre 2013

Texte intégral


La France et l’Espagne se réjouissent de voir leur relation bilatérale de défense, ancienne et dense, relancée à travers la réactivation du Conseil Franco-Espagnol de Défense et de Sécurité (CFEDS) en format défense. Le contexte stratégique actuel, marqué notamment par la réorientation de la politique étrangère américaine vers l'Asie, la persistance de crises et de menaces terroristes à nos frontières et la crise économique, appelle nos pays à rechercher de nouvelles pistes de coopération concrètes. Nous entendons capitaliser sur nos convergences de vues dans les enceintes de l’Union européenne, de l’Alliance Atlantique et du 5+5 Défense. Nous portons en particulier une ambition commune en faveur d'une Europe de la défense forte, que nous souhaitons faire valoir dans la perspective du Conseil européen de décembre 2013 consacré aux questions de défense. Notre approche commune des menaces qui pèsent sur nos intérêts nationaux et sur ceux de l’Europe nous incitent à rapprocher nos capacités opérationnelles pour y faire face, notamment dans les zones d’intérêts communs que sont la Méditerranée, le Sahel, le Golfe de Guinée et la Corne de l’Afrique.
* Engagements opérationnels communs et projets bilatéraux
Dans les zones d’intérêts communs, la France et l’Espagne souhaitent poursuivre et accroître leur coopération opérationnelle :
- en Méditerranée occidentale, pour maintenir la pression sur les trafics illégaux, en particulier le narcotrafic (opération Lévrier) ;
- en Méditerranée orientale, pour contribuer ensemble à la sécurité de nos contingents au sein de la FINUL ;
- au Sahel, pour contribuer à la stabilisation de cette zone en proie aux trafics et au terrorisme ; la France et l’Espagne sont déjà pleinement engagées dans cette région à travers l’opération Serval ainsi qu’EUTM Mali, mission dont elles sont les premières contributrices ;
- dans le Golfe de Guinée, pour maîtriser les espaces maritimes et les risques liés à la piraterie côtière, en vue d’assurer la sécurité de nos ressortissants et de préserver nos approvisionnements notamment énergétiques ;
- dans la Corne de l’Afrique, pour favoriser la stabilisation de cette région en maintenant nos efforts pour la construction des capacités maritimes régionales et notre investissement au sein de la mission d’entrainement des forces armées somaliennes EUTM Somalie et de l’opération Atalanta de lutte contre la piraterie, dont nous sommes des contributeurs majeurs.
Dans le but de renforcer leur dialogue sur ces zones d'intérêt, sur les opportunités de mutualisation et de partage capacitaire et sur le rôle de l'Union européenne face au contexte stratégique mondial et aux crises internationales, nos deux pays organiseront un séminaire de haut niveau début 2014 à Paris.
Dans le domaine de l’armement, où la France et l’Espagne sont partenaires dans de nombreux programmes structurants (Tigre, A400M, Hélios, démonstrateur Neuron…), nous sommes mobilisés pour rechercher de nouvelles pistes de coopération, que ce soit, par exemple, pour l’évolution du Tigre ou dans des domaines comme ceux des systèmes terrestres, de l’électronique de défense (communications, radars) ou des missiles. A ce titre, nous nous félicitons de la tenue de la première journée franco-espagnole des industries de défense en mai dernier et nous appelons à ce que cette initiative soit renouvelée afin de favoriser les rapprochements au sein de nos bases industrielles et technologiques de défense pour répondre aux besoins de nos armées.
Dans le domaine interarmées, nos deux pays souhaitent développer des processus opérationnels communs, d'une part, en travaillant à améliorer les procédures juridiques de détention et de comparution des pirates, et, d'autre part, en recherchant des pistes de mutualisation de la fonction soutien en opérations et en renforçant l'interopérabilité des moyens et des procédures d’appui. Par ailleurs, nous reconnaissons le caractère prioritaire qu'a pris la cyberdéfense ces dernières années et nous nous engageons à échanger nos expertises dans ce domaine pour améliorer notre capacité de réponse aux cyber-menaces.
Nos armées de terre envisagent d’élargir à d’autres champs les coopérations déjà engagées. Dans le domaine aéromobile, elles souhaitent développer des synergies en matière de procédures et de maintenance des hélicoptères Tigre et NH90. Dans le domaine académique, des échanges croisés d’élèves officiers sur une année scolaire, voire de professeurs, permettront de développer une culture commune.
Nos armées de l’air maintiendront les relations en fonction de leurs intérêts mutuels. Elles souhaitent approfondir leur coopération dans le domaine du transport tactique pour anticiper l’entrée en service de l’A400M dans nos deux pays (accueil d’experts espagnols à l’unité de mise en service A400M).
Nos marines entendent poursuivre et développer leur coopération en Méditerranée, notamment par le biais d'un échange renforcé d’informations (la Standard Operating Procedure récemment signée en constitue une première étape) et d'une contribution commune à l’opération Lévrier. Elles s'engagent, en outre, à améliorer la coordination de leurs déploiements dans le Golfe de Guinée et la Corne de l’Afrique afin de rendre la présence dans ces zones plus efficiente.
* Europe de la défense :
Nos deux pays placent la réussite du Conseil européen de décembre 2013 consacré aux questions de défense au premier rang de leurs priorités. Ce Conseil, qui pourrait devenir une échéance régulière, sera l'occasion de donner une impulsion forte à la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), dans les domaines opérationnel, capacitaire et industriel. A ce titre, nous entendons promouvoir ensemble auprès des autres Etats-membres et institutions européennes plusieurs orientations :
1 – Nous appelons l'Union européenne (UE) à mobiliser son potentiel unique au monde en matière de gestion des crises, notamment par la mise en oeuvre d'une véritable "approche globale", comprenant des actions militaires plus ambitieuses, incluant l’emploi des groupements tactiques (GTUE) en qualité d’instrument de réponse rapide de l’UE et interagissant davantage avec l'action civile mise en oeuvre par la Commission européenne. En particulier, nous considérons que la sécurité et le développement ne pourront progresser sur le long terme au Sahel et dans la Corne de l'Afrique que si l'UE sait mobiliser, dans ses zones d’intérêt, avec cohérence et efficacité, toute la palette d’outils civils et militaires dont elle dispose, y compris grâce au renforcement, à terme, des capacités de planification et de conduite des structures de gestion de crise de l’UE.
L'autonomie stratégique européenne à laquelle nous aspirons devrait se refléter dans les structures et les procédures : une analyse de situation commune et des échanges d’informations bénéficiant aux capacités européennes de planification et de conduite permettraient de façonner une prise de décision stratégique, rapide et flexible et d'apporter des réponses globales prenant en compte tous les outils possibles offerts par l’UE.
2 – L'autonomie stratégique européenne exige également, malgré le contexte budgétaire contraint, le développement par les Européens de capacités stratégiques, notamment d'anticipation et de projection. C'est pourquoi nos deux pays participent aux projets européens de mutualisation capacitaire structurants, tels que ceux concernant le ravitaillement en vol et la formation des pilotes de transport. Nous considérons l'EATC (European Air Transport Command) comme un succès majeur de mutualisation européenne, ayant une réelle plus-value en termes politiques, économiques et opérationnels comme l'ont démontré les opérations récentes. La France se félicite de l'intérêt espagnol d'adhérer à cette structure. Nous pensons, en outre, que l'Agence européenne de défense (AED) doit jouer un rôle central dans la mutualisation capacitaire, le développement des projets européens de recherche et technologie et la représentation des intérêts de la communauté Défense à l'égard des politiques communautaires ayant des implications civilo-militaires (volet technologique "SESAR" du projet "Ciel Unique européen", politique spatiale européenne, sûreté maritime, drones, cyberdéfense …).
3 – Nous sommes convaincus que les industries de défense ont un rôle-clé à jouer pour renforcer l'autonomie stratégique européenne et le développement capacitaire associé et pour favoriser la croissance, l'emploi et l'innovation. Nous saluons la création d‘une Task Force Défense au sein de la Commission et la diffusion d'une communication de la Commission, le 24 juillet dernier, qui visent à faire des propositions en vue du renforcement de l'industrie, sujet sur lequel nos deux pays travaillent en lien étroit avec d’autres grands Etats européens dans l’optique du renforcement de la Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Nous appelons à ce que ce soutien à l'industrie passe par la promotion de travaux concrets dans les domaines de la technologie de pointe, en consultant en permanence les Etats membres, les industries de défense européennes et l’AED.
Nous souhaitons que la Commission prenne en compte la spécificité du marché et de l'industrie de défense et préserve les mécanismes assurant la pérennité de nos industries (respect du contrôle national des actifs stratégiques, respect du contrôle national des exportations…). À cet égard, l'AED doit prendre toute sa part au sein des initiatives que la Commission met en place pour renforcer la BITDE. Nous appelons également la Commission à prendre en compte l’important effort induit par la mise en oeuvre et l’application pleine et entière du "Paquet défense" de 2009, et donc de n’envisager aucune nouvelle réglementation avant son rapport au Parlement européen et au Conseil de 2016. Nous appelons à ce que les travaux de la Commission permettent d'augmenter les financements communautaires dédiés aux technologies duales, de valoriser le tissu des PME de défense et de préserver l'avance technologique européenne.
Par ailleurs, nous sommes convaincus de la nécessité d'ouvrir un débat, avec la participation de toutes les parties concernées, institutionnels et industriels, afin de mieux définir le périmètre de la BITDE.
Nous veillerons à ce qu'un équilibre entre les trois enjeux, opérationnels, capacitaires et industriels, soit maintenu durant le Conseil européen.
* Stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne
Nous soutenons la mise en place d’une Stratégie de sûreté maritime de l’Union européenne (SSMUE) qui valorise une approche globale et cohérente des sujets maritimes. Nous considérons que cette initiative favorise les actions des divers acteurs européens ayant des responsabilités dans le domaine de la sûreté maritime et souhaitons que le Conseil Européen de décembre affiche un haut niveau d'ambition à l'égard de cette Stratégie et appelle à sa mise en oeuvre dès l'année 2014. Cette stratégie devra identifier les intérêts stratégiques maritimes de l'UE, ainsi que les risques et les menaces existant dans l’espace maritime et proposer des lignes d’action stratégiques pour apporter une réponse efficace et coordonnée de l’UE et de ses Etats membres. La SSMUE devra affirmer la volonté du Conseil européen de mobiliser les moyens communautaires et intergouvernementaux en soutien de l'action des Etats-membres en mer. Elle devra affirmer le rôle central des marines dans la mise en oeuvre de l'approche globale européenne en matière de sûreté maritime. A ce titre, les acquis de l'opération Atalanta et sa coordination avec les autres volets de la PSDC dans la Corne de l'Afrique (EUTM Somalie, EUCAP Nestor) au moyen du Centre d'opérations, et avec les instruments communautaires, constitueront un modèle à développer. En outre, la bonne mise en oeuvre de la Stratégie impliquera de pouvoir bénéficier rapidement d'un outil commun d'appréciation de la situation maritime (CISE) dans lequel nos deux pays s'investissent.
Nous estimons que cette stratégie pourrait être un bon point de départ pour favoriser la coopération et la coordination avec d'autres initiatives régionales de notre environnement, afin de créer un climat de confiance et de dialogue qui aurait des répercussions très positives sur la sûreté maritime.
* OTAN :
Déjà pleinement mobilisés pour renforcer leur interopérabilité dans un cadre bilatéral, nos deux pays considèrent que, dans le contexte du retrait des forces de l'OTAN d'Afghanistan, le renforcement de l'interopérabilité entre les Alliés doit continuer à être une des priorités de l'Alliance. C'est pourquoi nous soutenons l'initiative de l'OTAN Connected Forces et nous montrons prêts à faire les efforts nécessaires pour assurer son succès. Nous sommes également particulièrement engagés en faveur de la finalisation de la réforme financière de l'Alliance et encourageons la mise en oeuvre d'une stratégie de ressources, qui aidera à optimiser l'utilisation des budgets limités disponibles. Nous souhaitons, enfin, rappeler la vocation militaire de l'Alliance et le besoin de renforcer la coordination de cette organisation avec l'Union européenne dans la gestion des crises, en particulier pour éviter des duplications dans le domaine civil.
* 5+5 Défense :
Nous nous félicitons de notre coopération dans le cadre de l'Initiative "5+5 Défense". Outre d'encourager les réflexions émergentes du forum sur la problématique sahélienne, nos deux pays ont pour ambition commune de renforcer la visibilité de l'Initiative. Dans ce sens, les deux pays appuieront le développement des mécanismes de sécurité dans le cadre de cette initiative pour favoriser les opportunités de coopération avec d’autres initiatives régionales. Des avancées telles que la rationalisation des activités navales sont ainsi attendues dès 2014, année de la présidence espagnole du forum, et occasion de commémorer les 10 premières années de succès du "5+5 Défense", ainsi que d’explorer de nouvelles possibilités de renforcer et donner un nouvel élan à l'initiative.
* Prochaines échéances :
Le sommet présidentiel franco-espagnol de l’automne 2013 sera l’occasion de réunir le CFEDS conjointement avec les ministres des Affaires étrangères et de valoriser ces axes de coopération en matière de défense. Nous affirmons notre volonté d’inscrire cette dynamique bilatérale dans la relance de la PSDC que nos deux pays appellent de leurs voeux.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 17 septembre 213