Déclaration de M. Kader Arif, ministre des anciens combattants, sur les efforts en faveur des harkis, à Paris le 25 septembre 2013.

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Circonstance : Journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives, aux Invalides à Paris le 25 septembre 2013

Texte intégral


Mesdames et Messieurs les Elus,
Monsieur le Gouverneur militaire de Paris,
Messieurs les Officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les directeurs d’administration,
Messieurs les Présidents d’associations,
Mesdames, Messieurs,
J’avais exprimé devant vous l’an dernier lors de cette même cérémonie l’émotion profonde et sincère qui était la mienne. Cette émotion est toujours d’actualité. Elle est accompagnée aussi d’un immense sentiment de responsabilité.
Responsabilité au regard des fonctions qui sont les miennes, de ce que nous avons à construire ensemble.
Responsabilité accrue, car vous attendez peut-être plus de moi, car nous avons une histoire commune. Mais justement cette histoire commune devrait aider, plutôt que diviser.
Responsabilité aussi dans un contexte de crise sociale, de crise économique qui impacte la communauté harki, je le sais, de manière forte et qui amène certains de ses membres, je pense à ce qui se passe à Villeneuve-sur-Lot, à exprimer leur désarroi.
Je veux vous dire que je ne suis pas insensible à ces situations, à ces expressions de la désespérance mais que la meilleure manière pour les uns et pour les autres de pouvoir trouver une solution est d’avancer sur le chemin commun et de se mettre autour d’une table. Et j’y suis prêt.
Quand j’évoque la responsabilité, chers amis, je veux évoquer aussi la vérité car les deux sont liés.
La vérité,c’est reconnaître les choses, dire la douleur, les tragédies, les difficultés que vous avez traversées. Mais la vérité c’est aussi, et j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer, de dire que personne n’a le droit d’utiliser la douleur ou la difficulté d’une population, d’une communauté, d’une personne pour des intérêts qui relèvent à mes yeux de l’exploitation plus que de l’aide. Ne vous laissez pas prendre à ce jeu. Votre valeur est plus grande.
Alors nous sommes réunis dans ce lieu prestigieux, dédié à la mémoire des grands hommes, ceux qui ont défendu et fait l’honneur de la France. Vous avez toute votre place en ces lieux.
Depuis 2001, la journée du 25 septembre nous donne rendez-vous avec notre histoire, une histoire méconnue, une histoire oubliée, une histoire à mon goût trop souvent méprisée.
Elle nous donne rendez-vous avec notre mémoire, celle de notre pays, la France. Et parce que je vous connais, presqu’individuellement, ce 25 septembre est un rendez-vous avec l’honneur, la fierté et la reconnaissance de la Nation.
Moi, puisque je veux vous parler très sincèrement. Moi, je n’interprète pas vos colères, je ne suis pas l’exégète de vos récits et de vos témoignages. Je les ressens.
C’est l’une des pages les plus difficiles de notre histoire. Je tiens à ce que jamais ce livre ne se referme. Car je veux que soit lue et sans cesse rappelée l’ensemble de ces parcours pour écrire ensemble un nouveau récit, au-delà du souvenir douloureux des événements.
Taire votre histoire serait une deuxième souffrance…
Taire votre histoire serait vous condamner une deuxième fois à l’exil…
Taire votre histoire serait un deuxième abandon…
Taire votre histoire serait vous enfermer dans l’oubli… Or d’oubli, il n’y en aura plus.
Exprimer une douleur, c’est mettre des mots car les mots ont un sens. J’en ai retenu trois : déracinement, abandon, oubli.
Déracinés de votre terre natale, celle sur laquelle vous avez vu le jour… Celle sur laquelle beaucoup d’entre vous ont grandi… Celle sur laquelle vous avez commencé à imaginer ce que pourrait être votre vie… Celle sur laquelle beaucoup de nos pères ont souhaité revenir pour y être enterrés quand cela était possible...
Abandonnés ensuite par la France auprès de qui vous étiez restés indéfectiblement loyaux et fidèles.
Abandonnés une deuxième fois sur le sol de France, une terre gagnée dans l’espoir d’échapper au pire, et souvent grâce à l’honneur d’officiers dont vous aviez été les soldats… Une terre de France où vous vous êtes retrouvés enfermés dans des camps d’hébergements avant d’être enfermés dans l’histoire.
Oubliés enfin. Mais je ne peux voir en vous, ni moi, ni personne d’autre, les exclus de la mémoire nationale.
Travailler sur la mémoire de notre pays, c’est mon quotidien. C’est une question sensible. Il ne peut y avoir de mémoire sélective, il ne doit pas y avoir de mémoire officielle. La mémoire n’est pas non plus une addition d’histoires singulières.
La mémoire, c’est la recherche de la cohésion nationale. C’est la volonté et l’engagement du Président de la République que j’ai formulé devant vous il y a tout juste un an que de vous y donner votre juste place.
Cet engagement, il est en voie d’être honoré. C’était l’une de mes priorités. Je m’y suis tenu. Et c’est un engagement pris devant vous.
Il l’a été tout d’abord en demandant à l’Office national des Anciens combattants et victimes de guerre de réaliser l’exposition que je m’apprête à inaugurer dans un instant. Je tiens à remercier Mme Rose-Marie Antoine de sa présence et de l’investissement qu’elle a mis dans ce projet.
Je pense aussi à la mission de recueil de témoignages des harkis que j’ai confiée à l’Office, en partenariat avec le Service historique de la Défense et le bureau des témoignages oraux. Le travail réalisé par Mohamed Némiri est à cet égard sans précédent et je tiens à le saluer.
C’est ainsi que votre histoire sera transmise aux plus jeunes. C’est tout l’enjeu de demain. Ne plus ressentir de gêne lorsqu’on témoigne de son histoire mais ressentir de la fierté car la transmission est un chaînon essentiel qui, en revenant sur le passé, permet de mieux vivre son présent et de construire son avenir.
Car vos récits et vos témoignages nous content, mieux que quiconque, un moment de France. Vos témoignages enrichissent notre mémoire et nous invitent à construire, ensemble, une mémoire apaisée, source de tous les dépassements.
Votre histoire, ce sont des lieux, des régions. J’ai évoqué tout à l’heure les camps d’hébergements, et je ne peux oublier aussi, c’est un projet que je partage avec Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, les camps de forestage.
Et nous travaillons actuellement, pour marquer le paysage français de cette empreinte, à mettre en place des plaques commémoratives dans ce qui ont été ces lieux où vécurent nombre d’ouvriers forestiers rapatriés d’Afrique du Nord.
Il y a un an, j’ai également annoncé la création d’un site internet recensant l’histoire des harkis à travers des documents historiques. Je me réjouis de pouvoir vous annoncer aujourd’hui que ce site « chemins de mémoire harkis » est en ligne et je tiens à remercier M. Eric Lucas pour l’excellent travail réalisé.
Permettez-moi donc de vous dire que c’est une fierté pour moi de pouvoir permettre aujourd’hui à tous ceux qui le souhaitent, et notamment aux plus jeunes, descendants de harkis ou jeunes chercheurs en histoire, femmes et hommes, d’accéder à ces ressources pour mieux connaître et faire connaître ce qui constitue une part essentielle de notre histoire nationale.
Sur les bases de ces nouvelles ressources, nous travaillerons également à ce que cette histoire, notre histoire, soit mieux enseignée.
Parce qu’elle a été la grande oubliée des années qui ont suivi l’indépendance algérienne, parce qu’elle a été l’oubliée des manuels et programmes scolaires, nous nous sommes engagés à ce que l’histoire des harkis ne soit pas l’oubliée de la mémoire française des prochaines années.
C’est ainsi que j’ai demandé que soit engagé un véritable travail de recherche sur les harkis et les rapatriés, projet soutenu par le Gouvernement.
J’ai obtenu, auprès de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, la constitution d’un comité scientifique permettant de favoriser la recherche, la réflexion et la confrontation des analyses pour une meilleure compréhension de votre histoire.
C’est un travail inédit qui permettra notamment d’intégrer cette dimension dans l’enseignement de l’histoire de cette période, ce à quoi mon collègue Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale, et moi-même sommes très attachés.
Cette histoire doit s’inscrire en premier lieu dans la mémoire de la jeune génération. Et je me réjouis que des élèves soient à nos côtés cet après-midi pour ce moment d’hommage et de partage.
Le souvenir passé des harkis vit à cet instant dans la mémoire présente des plus jeunes et je souhaite qu’elle le maintienne en vie.
C’est à ma demande donc, que l’Office national des Anciens combattants et victimes de guerre s’est vu confié la réalisation de cette exposition « Parcours de Harkis et de leurs familles ». Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier Jean-Jacques Jordi, pour l’élaboration de celle-ci. Ces photos et récits mettent à l’honneur les supplétifs d’Algérie et réinscrivent leur engagement et leur fidélité à la France dans un temps plus long.
Car la relation qui unit les harkis à la France ne naît pas en 1954 et ne s’éteint pas en 1962.
L’exposition nous fait la démonstration du courage, de l’esprit de sacrifice et de la loyauté des soldats, engagés aux côtés de la France dès 1830. C’est pourquoi elle mérite d’autant plus sa place en ce haut lieu symbolique, la cour d’honneur des Invalides.
Elle ne cache rien non plus des conditions tragiques de l’arrivée en France des harkis. Je suis heureux et honoré aujourd’hui que ce travail sérieux, complet et émouvant puisse vous être présenté.
Je suis ému aussi, sincèrement, que certains de ceux qui apparaissent sur les photos exposées soient parmi nous. Mme Djemaï Djoher, Mesdames Nouihel, M. Abdelkader, Mme Ladjelatte, la famille Amara, M. Némiri, votre présence nous honore.
Je me félicite que ce travail de mémoire ait vocation à parcourir la France, car c’est une exposition itinérante, pour rappeler, en chaque lieu de notre territoire, ce qui fait partie de son histoire.
C’est ainsi que l’exposition sera prochainement présentée dans les différents lieux ayant accueillies les familles de harkis à leur arrivée en France.
Au-delà de l’histoire qu’elle nous conte, dans ce qu’elle a de plus douloureux, de plus grave, mais aussi de plus juste, cette exposition a un sens : elle accueille les harkis au sein de l’Office national des Anciens combattants et victimes de guerre.
Je veux en effet aborder maintenant l’avenir de votre relation avec l’Etat et ses opérateurs.
Vous savez que l’ONAC-VG, à travers ses services départementaux, devient le guichet unique de traitement des dossiers harkis.
J’avais rappelé l’an dernier la nécessité de renforcer le dialogue entre les associations de harkis et l’ONAC-VG. C’est un engagement que j’ai honoré. D’ici à la fin de l’année, la gestion de l’ensemble des dispositifs relatifs aux harkis et rapatriés sera recentrée sur cet Office et sur le service central des rapatriés, qui en sera à terme l’un des pôles spécialisés.
Et c’est en cela que pour la première fois, un président d’association de harkis, M. Bouares que je remercie d’être présent aujourd’hui, a été intégré au sein du « G12 ». Ce groupement rassemble les principales associations d’Anciens combattants et constitue l’enceinte de dialogue informel privilégiée des ministres avec le monde combattant.
J’ai écrit il y a quelques jours aux présidents d’associations pour leur présenter le bilan des mesures mises en place depuis l’année dernière. Afin de faciliter le dialogue et de maintenir des échanges réguliers, je souhaite qu’un groupe de contacts soit créé au plus vite.
J’avais évoqué devant un certain nombre d’entre vous la nécessité de regrouper les principales associations dans une enceinte de dialogue. Il faut maintenant aboutir.
Vous le savez aussi, je l’ai rappelé il y a un an, le président de la République avait souhaité redonner un élan à cette journée nationale du 25 septembre.
Je veux aussi vous redire tout son attachement, profond et sincère, à votre communauté. Il m’a chargé de vous dire que, dans les mois qui viennent, il fera avec vos représentants un bilan de l’action menée et de vos priorités pour l’avenir. Nous aurons à préparer ce moment.
Le gouvernement auquel j’appartiens, le président de la République et au-delà la France toute entière ne peuvent se contenter de rappeler que notre pays vous a abandonnés, et qu’il vous a laissés dans des conditions de vie dramatiques face auxquelles nous serions désarmés.
Nous avons refusé de nous résigner à ce constat et à cette fatalité et nous avons préféré nous tourner vers l’avenir. Au-delà de la reconnaissance, au-delà du symbole que revêt cette cérémonie, la France doit exprimer sa solidarité à travers la mise en place de dispositifs sociaux et professionnels.
Je crois en une politique ambitieuse de reconnaissance, de solidarité et de fraternité. Oui, de fraternité car vous êtes, comme moi, comme nous tous, les filles et les fils de la Nation française.
Il y a un an, je me suis engagé à répondre à vos attentes en matière d’insertion professionnelle. Il y a quelques jours, un décret a été publié remettant en œuvre les mesures de soutien à la formation professionnelle des enfants de harkis, un engagement qui a été pris devant vous.
Cette action en faveur des descendants de harkis s’est renforcée par l’insertion dans le projet de Loi de Programmation Militaire d’un article permettant au gouvernement de prolonger de 3 à 5 ans la durée d’inscription des enfants de harkis sur les listes d’emplois réservés.
J’interviendrai aussi dans les jours qui viennent auprès de mes collègues du Gouvernement, des Agences Régionales de Santé et des collectivités locales pour que les harkis bénéficient encore davantage que ce n’est le cas du dispositif des emplois réservés.
Il faut poursuivre ces combats dans l’avenir, un avenir que je souhaite construire avec vous car je tiens à maintenir et à renforcer le dialogue que nous avons engagé.
Je viens d’évoquer devant vous mon émotion, ma volonté, les engagements pris et les engagements tenus, les pistes suivies et ce qu’il reste à faire.
Je viens d’évoquer devant vous ce qui ne relève pas de mon intérêt personnel mais de l’intérêt de la Nation, du souci constant d’unité et de rassemblement car à chaque fois qu’elle le fait, la République se grandit.
Notre République, elle a une histoire. Chacun peut l’interpréter à sa façon, liée qu’elle est aux parcours personnels, aux réalités familiales, aux situations sociales et professionnelles. Mais je veux vous dire que nous en sommes tous des héritiers parce que la République est belle, qu’elle permet, qu’elle doit permettre, et c’est le souci constant du Président de la République, du Premier ministre et du gouvernement, à chacun d’y trouver sa place.
Bien sûr, il faut savoir répondre à l’urgence. Je m’y emploie. Mais il faut savoir aussi inscrire notre action commune dans le temps long en préparant l’avenir de nos enfants.
Bien sûr, j’entends les remarques, les critiques, les colères mais j’entends aussi les espoirs. Je veux toujours porter mon action avec le souci de la modestie mais la modestie n’empêche pas l’ambition collective.
Cette ambition, nous avons à la construire, nous avons à la faire vivre. Elle sera jalonnée de discussions, de désaccords mais aussi d’agréments.
Et ce que je peux vous dire pour conclure, en vous remerciant, c’est ma volonté de ne jamais rien lâcher de ce qui vous est dû. Et je sais que pour cela je peux m’appuyer sur la volonté du Président de la République et du Premier ministre de ne jamais rien oublier.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 26 septembre 2013