Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec Itélé le 25 septembre 2013, sur les relations franco-iraniennes et sur la crise syrienne.

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Média : Itélé

Texte intégral


Q - L'événement de cette Assemblée, c'est le retour en grâce diplomatique de l'Iran. Barak Obama se dit ouvert pour entamer le dialogue. On a vu hier François Hollande qui est allé plus loin avec une «main tendue», au sens propre comme au sens figuré. Cette poignée de main est-elle le symbole d'un virage dans notre diplomatie vis-à-vis de l'Iran ?
R - Je n'irais pas jusque-là. Moi-même, j'ai rencontré ce matin mon homologue le ministre des affaires étrangères iranien. Ce qui est changé évidemment, c'est que nous nous rencontrons et nous nous parlons, ce qui n'était pas le cas depuis très longtemps. Dans le cas de la France, depuis 2005, cela fait donc longtemps.
Pourquoi cela ? Parce que les Iraniens, pour le moment, en parlent. Ils sont beaucoup plus ouverts : la nouvelle équipe, le nouveau président M. Rouhani, mon homologue, M. Zarif, disent des choses beaucoup plus ouvertes que par le passé. Il faut donc saisir cette main. En même temps, faisons très attention. Ce qui compte, ce ne sont pas seulement les paroles, ce sont les actes. Ce que François Hollande a dit hier à son homologue et ce que j'ai dit aujourd'hui à mon homologue iranien, c'est que nous tenons compte de ce qu'ils disent mais, en même temps, nous voulons des actes, à la fois sur la Syrie - c'est le premier dossier que l'on a examiné - ainsi que sur le nucléaire qui est le dossier de loin le plus important.
Demain, nous avons une réunion de ce que l'on appelle le P5, c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Nous discuterons avec, en partie, notre homologue iranien du nucléaire et c'est cela le gros morceau.
Oui, il y a une certaine ouverture, il faut la saisir, mais nous voulons des actes concrets.
Q - On vous sent extrêmement sceptique à vous écouter parler ce soir sur cette ouverture-là ?
R - Non, je ne suis pas sceptique mais je crois qu'il faut être lucide. Ce n'est pas parce que le discours change qu'automatiquement les choses vont changer concrètement. Nous le souhaitons bien sûr.
Pourquoi y a-t-il ce changement ? Il y a eu une élection en Iran et les Iraniens nous ont dit qu'ils étaient très durement touchés par les sanctions économiques que nous avons décidées. Effectivement, cela a un effet très puissant sur l'Iran et c'est d'ailleurs pour cela qu'elles sont faites. Maintenant, comme vous le savez, l'Iran est très présent en Syrie, ce sont eux qui, pour une grande partie, alimentent les combats.
Sur la question du nucléaire, il faut être absolument clair. Autant nous disons qu'ils peuvent avoir du nucléaire civil autant qu'ils veulent, autant nous disons non pour l'arme atomique. Ce n'est pas simplement la France qui dit cela, ce sont les États-Unis, la Russie, la Chine et la Grande-Bretagne. Nous allons donc engager des discussions pour voir si les Iraniens sont prêts à faire ce mouvement ; nous le souhaitons et nous leur avons dit. Mais vous savez, la vie diplomatique c'est comme la vie tout court. Il faut essayer de saisir les perches, les mains qui sont tendues et, en même temps, rester très lucide, prudent et ferme.
Q - Concernant la Syrie, vous le disiez, l'Iran a un rôle important à jouer. Vous avez parlé aujourd'hui avec votre homologue iranien j'imagine aussi de la question syrienne. Dans cette ouverture, l'Iran est-elle prête à avancer sur ce dossier ? En avez-vous parlé concrètement ?
R - Oui, bien sûr nous en avons parlé et l'Iran a dit que s'ils étaient invités à Genève ils viendraient. De ce point de vue, c'est une journée positive concernant la question de la Syrie.
Je sors d'une réunion qui a eu lieu au moment du déjeuner où nous étions, là encore, le secrétaire général des Nations unies et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, enfin les membres les plus fondamentaux des Nations unies. Nous nous approchons. J'ai très bon espoir, que nous ayons une rédaction commune de la résolution des Nations unies. Nous nous inquiétions de ne pas y parvenir. La France a fait des propositions, nous avons formulé trois conditions, des exigences principales, elles se retrouvent dans la résolution que nous avons montrée.
Je suis donc optimiste sur la capacité, dans des délais assez courts, de trouver une rédaction commune de cette résolution, c'est important.
Par ailleurs, le deuxième point important, c'est que nous avons discuté de Genève II, il devait y avoir une réunion entre les Russes, les Américains vendredi et M. Ban Ki-moon à ce sujet. J'ai proposé que ce ne soit pas simplement une réunion à deux, la Russie et les États-Unis, mais que les cinq membres permanents, c'est-à-dire la France, la Grande-Bretagne et la Chine soient présents. Ceci a été accepté. Donc, vendredi à 18h30, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que le secrétaire général des Nations unies, auront une réunion pour discuter de la perspective de Genève II.
Ces deux nouvelles sont, je pense, des nouvelles positives même si la situation sur le terrain en Syrie reste extrêmement difficile puisque les combats continuent.
Q - Et l'Iran a sa place à la table des négociations ? Justement vous nous disiez à l'instant que...
R - L'Iran a sa place à condition que l'Iran accepte l'objectif de Genève II. Genève II n'est pas une conversation de salon sur ce qui se passe en Syrie, Genève II a un mandat précis qui est que les parties, c'est-à-dire les envoyés du régime et les envoyés de l'opposition, puissent discuter sur la formation d'un gouvernement de transition doté de tout le pouvoir exécutif. C'est cela le but exact de Genève II. À partir du moment où les Iraniens acceptent cette objectif de la conférence, à ce moment-là ils peuvent y avoir une place utile.
Q - Alors vous nous l'annonciez en exclusivité sur Itele, peut-être une résolution sur la Syrie dès vendredi. Concrètement on est sous le chapitre 7 ? C'est-à-dire la possibilité de recourir à la force si jamais une partie n'a pas respecté ?
R - Exactement. Trois questions principales étaient en discussion.
Première question : lorsqu'un État ou un groupe utilise des armes chimiques, est-ce que c'est une violation de la sécurité internationale - ce n'est pas une question abstraite ? Cela a pour conséquence, si c'est une violation, que le Conseil de sécurité à tout moment peut se saisir du problème. C'est expressément affirmé dans la résolution.
Deuxième question : est-ce que ceux qui utilisent des armes chimiques doivent être tenus pour responsables avec les conséquences pénales ? C'est affirmé.
Troisième question, celle que vous posez. Il est expressément affirmé que si les Syriens ne respectent pas les engagements qu'ils ont pris, cela viendra au Conseil de sécurité sous chapitre 7, et c'est expressément dans le texte.
Q - Dans un deuxième temps, mais à ce moment-là on s'opposera probablement au veto russe, retour à la case départ. Au fond est-ce que l'on n'a pas vraiment avancé ce soir quand on entend cela ?
R - De toutes les manières, le veto est un droit que chacun des membres permanents a, que vous soyez dans le chapitre 7 ou pas dans le chapitre 7. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, je ne sais pas si vous y avez fait allusion dans vos émissions, mais hier François Hollande a fait une proposition qui est assez révolutionnaire, en tout cas à mon avis tout à fait pertinente, qui est de dire lorsqu'il y a un crime de masse - et en Syrie c'est un crime de masse -, il faudrait que les membres permanents renoncent d'eux-mêmes, on n'y est pas aujourd'hui, à utiliser leur veto. Je pense que cela permettrait de résoudre les problèmes dans le futur.
Dans le droit actuel, chacun des membres permanents a le veto. Jusqu'à présent, les Chinois et les Russes ont utilisé leur veto dans l'affaire syrienne. Quelle que soit la façon dont vous écrivez la résolution, c'est un droit qui tient de la Charte. Mais là où c'est important c'est que nous avons obtenu que dans la résolution - je pense qu'elle va être adoptée, je l'espère en tout cas prochainement -, il y ait mention expresse du chapitre 7.
Q - Concrètement, vous considérez que c'est la France qui a été principalement à la manoeuvre sur cette résolution qui est en passe d'être signée dont vous nous parlez ?
R - Non, il ne faut pas tirer la couverture à soi, c'est un effort de tout le monde. Les Américains et les Russes ont beaucoup travaillé. Mais en fixant des exigences précises, qui sont à portée de main - car il n'est pas nécessaire de fixer des exigences qui n'ont aucune chance d'être réunies -, en ayant un langage précis et responsable, je pense que nous avons aidé.
Le fait que nous soyons vendredi dans la réunion qui va décider de Genève II, alors qu'il était prévu que ce soit simplement la Russie et les États-Unis, je pense que là aussi c'est un bon signe. Il est tout à fait normal que la France, qui est une puissance indépendante, qui veut la paix, qui est un des cinq membres permanent du Conseil de sécurité - il n'y en a que cinq sur les 200 pays du monde - soit là au moment des grands choix.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 septembre 2013