Déclaration de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, sur la création cinématographique et les aides au cinéma, Deauville le 25 septembre 2013.

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Circonstance : 68ème congrès de la Fédération nationale des cinémas français à Deauville le 25 septembre 2013

Texte intégral


Je suis particulièrement heureuse d’être parmi vous ce soir, pour la deuxième année consécutive. L’an dernier marquait en effet le passage de témoin pour Jean Labé, que je tiens à saluer chaleureusement, lors d’une soirée qui fut tour à tour, enthousiasmante mais aussi très émouvante.
Cette année constitue donc le 1er Congrès sous la présidence de Richard Patry. Cher Richard, je vous suis sincèrement reconnaissante de m’avoir conviée parmi vous.
Vous venez d’annoncer que la Fédération allait engager une réflexion envers les jeunes. L’État ne peut que s’en réjouir et ne peut que vous y encouragez tant nous sommes, je crois ici totalement convaincus et fiers, que le réseau de salles français participe grandement à créer du lien social sur nos territoires, et la projection cinématographique en salles, à nous faire vivre, dès le plus jeune âge, des émotions souvent inoubliables.
Permettez-moi ainsi d’évoquer l’ouvrage d’Olivia Rosenthal qui s’intitule « Ils ne sont pour rien dans mes larmes », dans lequel elle incite certaines personnes qu’elle rencontre, à partager avec ses lecteurs, le film qui aura sans aucun doute, par la force de ses images, de son récit, ou peut-être de sa musique ou d’un seul de ses personnages, contribué à éveiller un sentiment ou un rêve chez le spectateur et notamment chez cet enfant qui était en nous, et sur lequel nous avons, finalement au fond de nous, un regard bienveillant.
Aussi, en cette période où la jeunesse aspire, encore plus que jamais, à de l’évasion et de l’émancipation, et où les parents souhaitent continuer à se rendre au cinéma en famille, la communauté d’exploitants de salles de cinéma que vous formez, en s’interrogeant sur son devenir comme elle le fait à ce Congrès, ou par ce groupe de travail que vous annoncez, peut-elle aller à la rencontre de ce désir de cinéma. C’est la raison pour laquelle, je vous le répète, l’État vous en est pleinement reconnaissant.
Les grandes victoires résultent toujours d’élans collectifs.
Rappelons-nous qu’hier, avec le concours des créateurs et des organisations françaises et européennes dont beaucoup sont représentées ce soir, sans oublier le rôle essentiel des parlementaires français et européens, la France a obtenu le 14 juin dernier, d’exclure les services audiovisuels du mandat transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis.
Cette réaffirmation à l’ère du numérique, et cette victoire, qui est la vôtre, la nôtre, remportée collectivement très exactement 20 ans après le combat de nos prédécesseurs, étaient essentielles.
Essentielle, parce que la création cinématographique européenne ne peut ni s’auto-protéger face à la toute puissance hollywoodienne, face aux géants transatlantiques de l’internet, ni se diffuser au plus loin dans les 28 pays de l’Union sans un accompagnement des pouvoirs publics. Cela était vrai il y a 20 ans lorsque les oeuvres nous parvenaient par les canaux des salles de cinéma et de la télévision ; c’est encore plus vrai et nécessaire à l’heure où les oeuvres, par la voie des ordinateurs, des consoles, des tablettes ou des téléphones, sont à la portée de nos mains !
Cet accompagnement, qui n’est au fond que l’expression d’une conception politique de ce que nous pensons favorables à l’émergence d’une création diverse et libre, et au développement de nos industries culturelles, c’est ce que certains appellent « L’exception culturelle » !
Oui, la culture ne saurait être un bien comme les autres !
Et c’est la raison pour laquelle, comme ils l’avaient fait en 2012, pour le livre et le spectacle vivant, le Président de la République et le Premier ministre ont estimé cohérent et nécessaire, que la TVA appliquée au ticket d’entrée aux salles de cinéma bénéficie à nouveau du taux réduit. Ainsi, dès le 1er janvier 2014, la TVA sera donc de 5%, au lieu de 7% actuellement, ou de 10% comme annoncé.
Je sais votre attachement et mesure pleinement l’ampleur du combat, là aussi collectif !, que vous avez mené pour y parvenir, et vous savez que c’est une position que j’ai soutenue depuis mon arrivée rue de Valois. J’ai écrit et dialogué avec de nombreux députés et sénateurs inquiets pour les salles de cinémas de leurs territoires. La sortie au cinéma reste en effet l’une des pratiques culturelles les plus accessibles et les plus populaires des Français. J’ai régulièrement discuté avec le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, Christian Eckert. Nous étions, tous, convaincus de la nécessité de ce taux réduit.
D’autres questions se posent sur les taux de TVA appliqués aux secteurs culturels, vous le savez. Je tiens à dire à nouveau, devant vous ce soir que je reste mobilisée pour que nous parvenions à traiter chacun des points.
Mais revenons dans les salles.
Je voudrais évoquer Jean Rouaud, l’un de nos plus grands écrivains, qui raconte son attachement aux salles de cinéma depuis que, adolescent, il est sorti d’un cinéma de St Nazaire où il avait vu Love Streams de J.Cassavetes, dans un « état d’apesanteur, de joie et de bouleversement profond que provoque la rencontre non seulement avec l’insoupçonné mais avec ce quelque chose qui résonne en soi et attend d’être sollicité. » Pour lui, comme pour tous les jeunes, c’est un « encouragement à aller où on ne savait pas qu’on pouvait aller ».
J’ai pu constater le travail remarquable des exploitants et notamment des salles Art et Essai, qui depuis 30 ans, avec les enseignants et animateurs, portent une attention particulière à la sensibilisation des plus jeunes à des oeuvres de qualité, notamment à travers les dispositifs nationaux « Ecole, Collège, Lycéens et apprentis au cinéma », sans oublier « Passeurs d’images ».
Par ces dispositifs, ce qui se joue, au-delà de la transmission aux plus jeunes de la force des oeuvres et de la lutte contre les inégalités, c’est au fond LE grand enjeu de la salle de cinéma de demain : le renouvellement des publics. Ce renouvellement passe notamment par l’éducation artistique et culturelle qui, comme vous le savez sûrement, constitue LE grand projet, mon grand projet du quinquennat.
Il est en effet essentiel que nous soyons tous mobilisés sur ce grand projet qu’est l’éducation artistique et culturelle pour que l’expérience de Jean Rouaud soit celle de tous les jeunes, sur tous les territoires.
Je souhaite ainsi, vous remercier, les uns et les autres pour votre engagement, au sein de l’AFCAE et de la FNCF car je vous sais être également de précieux alliés dans la mise en oeuvre de la réforme des temps scolaires engagée dès cette rentrée dans certaines de nos communes.
Je partage également avec vous, la conviction que l’acte 2 de l’exception culturelle, pourra s’écrire, si nous réaffirmons en premier lieu, les grands principes qui doivent nous guider. Nous l’avons fait à Bruxelles le 14 juin dernier en réaffirmant l’importance de l’acte 1 !
Il nous faut poursuivre sur cette voie.
Ainsi en terme de financements, le Gouvernement souhaite réaffirmer pour 2014, comme en 2013, le bienfondé de l’affectation des taxes au CNC et de la nécessité de ne pas les plafonner ni les écrêter. En retour, il nous revient de mieux prévoir et piloter les taux de soutiens et répartition des crédits, compte tenu des différentes priorités que nous nous fixons.
Les moyens du CNC seront donc sécurisés pour 2014 à hauteur de 700 M€, la France ayant notifié en juillet 2013, l’assiette large de la TSTD, qui devrait raisonnablement être validée par la Commission européenne. Cette réforme de la TSTD est donc un 1er pas dans ce processus de modernisation que j’ai appelé de mes voeux en confiant la mission qu’a conduit Pierre Lescure pendant 8 mois durant, pour que tous les acteurs – dont ceux des grandes plateformes de diffusion sur internet - qui tirent profit de la création, continuent de contribuer à la production de cette création.
Ensuite, sachez, cher Président de l’Alpa Nicolas Seydoux, chers tous ce soir, que la lutte contre le piratage se poursuit.
Il était nécessaire de mettre fin à la menace de la coupure de l’internet pour que cesse l’antagonisme entre créateurs et internautes dont elle était le symbole.
Je le réaffirme ce soir : la lutte contre le piratage évolue, et elle reste au coeur de mes priorités, et je le réaffirmerai aussi publiquement que nécessaire. Je me suis exprimée en faveur du transfert de la réponse graduée au CSA : celui-ci interviendra prochainement ; nous l’étudions en effet dans la perspective de la loi sur la création.
Cela passe également par la lutte contre la contrefaçon commerciale : Mireille Imbert Quaretta est chargée de rédiger des propositions à cet égard d’ici début 2014.
Cela passe aussi par le développement de l’offre légale : création et développement de l’offre légale constituent un important volet des suites du rapport Lescure. Cette question est étroitement liée au plan de numérisation des oeuvres qui en favorisent l’accès. Avec la Présidente du CNC, Frédérique Bredin, nous veillons à la bonne poursuite du plan de numérisation des salles. Une partie des 20 M€, en provenance de la trésorerie du CNC, qui seront affectés à l’IFCIC en faveur des industries culturelles au 1er janvier 2014 visera à atteindre cet objectif.
Dans le domaine cinématographique, cela passe avant tout, par la réaffirmation d’une chronologie des médias, garant des grands équilibres. Sans remise en cause de la première fenêtre de diffusion des oeuvres que constitue la salle de cinéma, pour laquelle les oeuvres ont esthétiquement et techniquement été conçues, je souhaite que nous allions dans le sens d’une plus rapide mise à disposition des oeuvres sur internet, mais aussi d’une continuité de diffusion. J’ai demandé à la Présidente du CNC, Frédérique Bredin que les discussions se poursuivent avec les différents acteurs pour que chacun s’exprime amplement dans la perspective que nous parvenions à un accord d’ici la fin de l’année.
Vous voyez donc que le secteur de l’exploitation cinématographique est animé par de nombreuses questions.
Je n’omets pas que le CNC nous remettra prochainement un point d’avancement du groupe de travail dont j’avais annoncé ici, la mise en place il y a un an, s’agissant de l’accessibilité de vos salles par les publics handicapés. Ce travail est de grande importance car au-delà de l’apport de solutions concrètes en faveur de l’accessibilité aux salles qui constitue en soi, une démarche citoyenne fondamentalement nécessaire, l’enjeu recherché est également un enjeu de fréquentation, pour l’ensemble de nos salles. Je sais votre engagement au sein du groupe et vos attentes.
Je vous réaffirme également, ma plus grande attention quant aux projets législatifs visant à impacter la procédure d’examen de l’aménagement d’équipements commerciaux. Le Gouvernement recherchera à assurer la mise en place d’une procédure spécifique s’agissant des équipements cinématographiques, par son rattachement au code du cinéma. Ce rattachement devrait intervenir très prochainement ; j’y travaille avec ma collègue Sylvia Pinel, compte tenu également des travaux de la mission actuellement en cours conduits par Serge Lagauche dont les conclusions nous seront remises en décembre.
L’ensemble des priorités que je viens de développer rejoignent celles que je me suis fixée pour le ministère : elles sont toutes entières tournées vers l’accès du plus grand nombre à la culture et en particulier de la jeunesse, la modernisation des médias et des industries culturelles et le foisonnement de la création.
En conclusion, je souhaiterais enfin, rendre hommage aux près de 50 ans de cinéma, à l’immense cinéaste français et directeur d’acteurs que nous célébrons ce soir, André Téchiné. Cher André Téchiné, vous avez un jour déclaré : « L'utopie serait de pouvoir garder l'élan juvénile, avec toute l'imperfection émerveillée que ça implique (…) ». Découvrir l’altérité, imaginer les autres et se mettre à leur place, ouvrir de nouveaux horizons à l’âge de toutes les découvertes et de tous les possibles, c’est aussi cela que le cinéma offre à tous les spectateurs que nous sommes. Pour ces propos, pour votre regard si singulier et votre oeuvre, je souhaiterais tout simplement vous faire part de mon immense admiration.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 30 septembre 2013