Texte intégral
Madame la présidente du COE, chère Marie-Claire
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie tout dabord pour linvitation que vous mavez faite à venir introduire votre colloque et à partager avec vous quelques réflexions sur les enjeux des changements de métier, votre sujet du jour.
Ces moments, et les lieux comme le vôtre, sont importants pour poser une analyse structurante et de long terme. Certes, lactualité nest jamais très loin, et celle du jour pour être précis celle dhier - nest pas mauvaise avec « la forte baisse du chômage qui nest pas encore une inversion » mais, il faut aussi pouvoir sen défaire et prendre de la hauteur. Ne jamais le faire serait manquer à notre rôle aux uns et aux autres gouvernants, responsables patronaux ou syndicaux, experts.
Cest ainsi que, voici quelques mois, le Gouvernement a décidé de créer jallais dire de recréer- un instrument nouveau : le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP).
Linitiative était venue des partenaires sociaux lors de la Grande Conférence Sociale de juillet 2012. Je sais que le Commissaire Jean Pisani-Ferry a déjà rencontré les partenaires sociaux pour fixer avec eux les modalités dun renouveau de la concertation sur les perspectives économiques et sociales.
Le Commissariat sest mis au travail et a déjà produit, à la demande du Président de la République, un document dun ton plus vif que ceux auxquels nous étions habitués jusquici. Ce document a fourni la matière dune réflexion stimulante lors du séminaire gouvernemental du 19 août sur la vision de la France en 2025, un travail qui se poursuit dans la concertation. Nous avons besoin, sur les problèmes de notre économie et de notre société, de diagnostics précis et acérés.
Justement, la question que vous posez aujourdhui participe de cette réflexion : « changer de métier ». Je vous remercie de la poser en ces termes plus intéressants que la seule mobilité qui permettent denvisager la globalité du sujet. Cela dénote de la pertinence et de lexpertise du COE, qui nest plus à démontrer, et qui trouvera dans une articulation plus étroite avec le CGSP une plus-value encore accrue.
On peut prendre la question du changement de métier en différents sens :
- Celui de lévolution professionnelle, de la construction réussie dune carrière faite dopportunités différentes et de bifurcations enrichissantes ;
- mais changer de métier nest pas toujours voulu, cest aussi une violence, celle de lemploi détruit, de la reconversion contrainte.
Je sais quil est nécessaire de penser en termes de parcours et de mobilité, mais il faut bien mesurer le caractère parfois insécurisant de cela, notamment pour les plus bas niveaux de qualification.
Gare donc aux constructions théoriques, à lidéal abstrait dune société de la fluidité sans obstacle. Cela est bien étranger à la réalité de millions de vies de travailleurs dont on ne peut ignorer la matérialité, lancrage géographique, lattachement à son savoir-faire, etc
Dans ces conditions, un enjeu simpose de manière primordiale, celui de la sécurisation.
Pourquoi ? Pour convertir le risque du mouvement en une chance et conjurer la vulnérabilité quil induit.
Permettez-moi, dans cette enceinte danalyse et de réflexion, avant dêtre plus concret, de poser dabord une analyse de société.
Lexpérience de la modernité est que « tout va de plus en plus vite » ; à la fois laccélération technique mais aussi laugmentation des rythmes de vie. Or, par le passé, le changement se faisait dans des structures relativement stables le commissariat au plan, dont le CGSP prend la suite, était lune de ces structures stables qui faisaient naître le changement. Il prenait alors le nom de progrès.
La nature du changement est aujourdhui fondamentalement différente, très loin de la prévisibilité. Il est devenu synonyme dincertitude fondamentale et potentiellement chaotique. De sorte quil est de plus en plus difficile de dire de quoi demain sera fait. Pour beaucoup, limpression qui domine est celle dune pente glissante orientée vers le bas. Cette pression de laccélération sexprime par la peur de manquer (manquer demploi, par exemple) et par la contrainte permanente dadaptation (cest la flexibilité).
Sil fallait oser une image, je dirais que la modernité est devenue liquide. Rien ne doit sopposer à la vitesse de léconomie (pas même linterdiction de louverture des magasins la nuit !).
Mais cela a des conséquences : ce qui est abandonné, sous la contrainte de la société de laccélération -qui va du direct permanent à la télévision jusquà la production « juste à temps »- cest lidée dun projet identitaire de long terme individuel comme collectif , avec son autonomie, ses objectifs, ses valeurs.
Dès lors comment se projeter ? Comment prendre le risque du changement, à commencer par le changement de métier ?
Nous sommes face à cette situation. Elle impose des réponses nouvelles en termes de politique sociale et demploi pour les rendre capables de prendre en charge laccélération.
Je mexplique.
Là où la protection sociale et la protection de lemploi étaient statiques (protection sociale attachée au contrat et au poste de travail, lutte contre la destruction de lemploi existant ), nous devons inventer une sécurité dynamique.
Cest bien ce que dit le terme de « sécurisation » : pas un « état » mais un processus, un mouvement, une adaptation chemin faisant.
Quest ce que cela veut dire ? Que les salariés doivent savoir que la politique demploi est appelée à se reconfigurer pour trouver des parades à linstabilité de lemploi, du chômage non pour fixer mais pour sécuriser le mouvement.
Car le prix à payer de linstabilité est trop fort :
- la multiplication de trimestres non cotisés pour la retraite,
- labsence de continuité dans les droits attachés au contrat de travail,
- la perte de garanties sociales liées au changement despace conventionnel ou au manque de coordination des régimes de protection sociale,
- mais aussi la dégradation de la santé qui est largement corrélée aux trajectoires précaires et instables ; Je pourrais multiplier ces exemples.
Lenjeu, cest de protéger les transitions. Alors, changer demploi sera davantage positif non plus seulement pour les cadres qui sont déjà pour beaucoup dans cette dynamique, parfois même dans un espace de mobilité international mais aussi pour les plus bas niveaux de qualification pour qui la menace du changement est ressentie de manière très forte, la flexibilité largement subie et linstabilité, une donnée quotidienne.
Dès lors, il nous faudra être particulièrement attentif au couplage entre formation et emploi ; entre chômage et formation, et au début de la vie professionnelle entre école et entreprise. Partout, nous aurons à imaginer les maillons juridiques, sociaux, économiques qui conjureront linsécurité sociale. Voilà ce quest la « sécurisation », une politique moderne de lemploi.
La question qui se pose pour envisager sérieusement la fluidification du marché du travail est : comment faire du « parcours » ou des « transitions » la situation de référence et dancrage des protections plutôt que dattacher chacune de ces protections à un état statique ? Et comment rendre les droits consommables en dehors de la référence au cadre de lentreprise ?
Je voudrais vous livrer mon approche, comme matière à votre réflexion.
Si la loi de sécurisation de lemploi (ANI du 11 janvier et loi du 14 juin) vise dabord à maintenir lemploi là où il est par les accords de maintien de lemploi ou par lactivité partielle elle porte en elle lambition de transitions davantage sécurisées, en ouvrant de véritables pistes dans ce sens. Je pense notamment à la création dun compte personnel de formation ayant vocation à être portable et à suivre le salarié où quil aille. Elle ajoute un conseil en évolution professionnelle pour permettre au salarié de construire son parcours, indépendamment de la formation prescrite par lentreprise elle-même qui réfléchit (légitimement) par rapport à ses besoins. Et lon peut lire les nouvelles dispositions liées au PSE comme un moyen dorganiser de manière plus satisfaisante et plus sécurisée la transition vers dautres emplois et dautres compétences pour les salariés dont lemploi est détruit.
Mais cette thématique de la sécurisation de lemploi et des transitions ne sarrête pas à lentreprise.
Elle doit être portée à léchelle de la filière. La reconstruction du conseil national de lindustrie lincarne parfaitement, en incluant un volet emploi compétences dans lorganisation des filières. Cest désormais dans un dialogue social et stratégique nouveau entre les différentes composantes de la filière que des transitions vont pouvoir sorganiser, permettant les passages dun emploi à un autre, dune compétence à une autre, dun métier à lautre.
Dans cet édifice, la gestion prévisionnelle de lemploi et des compétences aura le rôle majeur de faire le lien ente les différentes composantes. Et, à ce titre, elle devra changer de registre, ne plus intervenir seulement au moment des restructurations, mais au contraire devenir un vrai outil de dialogue social sur la gestion des ressources humaines, donc de sécurisation autant que de compétitivité, lun nallant pas sans lautre pour moi.
Au-delà de la filière, la problématique de la sécurisation sétend au territoire. Là encore, la sécurisation de lemploi a ouvert la brèche en associant davantage le donneur dordres et le sous-traitant, bien souvent à léchelle dun même territoire. Ici, la GPEC se fait territoriale et il appartient et appartiendra à la politique de lemploi didentifier les bassins qui mutent pour faire porter leffort sur ceux-ci.
Faire porter leffort, quest-ce que cela veut dire quand on fait de la transition le point dancrage de la logique de sécurisation ? Cela veut dire mettre en place comme nous lavons fait des plateformes dadaptation aux mutations économiques pour organiser en douceur la transition dun secteur à un autre et donc permettre à des gens de changer de métier, de se reconvertir en évitant par-dessus tout le passage par la case chômage. Je prends un exemple : lune de ces plateformes concerne la LGV vers Bordeaux. Cest un immense chantier qui mobilise beaucoup de salariés, mais il aura une fin. Dores et déjà, nous construisons les actions de reconversion pour que ces salariés ne soient pas sans solution une fois le chantier fini.
Derrière cela, il y a une idée forte : si on ne peut contrer le mouvement de léconomie, on peut le devancer, lorganiser et faire en sorte que de moins en moins de salariés passent par la case chômage entre différents emplois. A froid, cest la GPEC dentreprise, de branche, de territoire, cest le bilan de compétences, la VAE, le congé de mobilité. A chaud, ce sont les cellules de reclassement, le contrat de sécurisation professionnelle qui sont autant de pièces dune sécurité sociale professionnelle en gestation.
Mais on peut réfléchir encore au-delà. Lorganisation des filières et des territoires pour produire des formes sécurisées de transition népuisent le sujet. Je pourrais le pousser plus loin en regardant du côté des nouvelles formes demploi. Elles sont nombreuses et variables, de lhypothèse du contrat-cadre type « contrat dactivité » réparti entre plusieurs employeurs (les groupements demployeurs, par exemple), jusquà « lemployeur de transition » (coopératives dactivité et demploi et autres incubateurs et pépinières) en passant par le portage salarial. Ces formes existent et doivent désormais produire avec notre aide les effets escomptés de sécurisation.
Enfin, en dernier lieu, les droits universels et portables, indispensable bagage de toute transition sécurisée que sont le compte personnel de formation pierre angulaire de la future réforme de la formation professionnelle, dont la négociation vient de sengager mardi dernier. Je compte particulièrement sur la formation professionnelle pour contribuer massivement à la sécurisation des transitions, tant en permettant aux demandeurs demplois de revenir dans lemploi, quaux salariés dévoluer.
Autre compte universel et portable : le compte de pénibilité qui parachèvera lédifice dune sécurité dynamique, en attendant pourquoi pas un jour un éventuel compte social personnel, compte de tous les comptes Mais là je regarde encore plus loin
Vous me direz que beaucoup de ce que je viens dévoquer nest pas opérationnel et renvoie à lavenir.
En réalité tout a déjà commencé !
Et vous êtes bien placés, ici au COE, pour le savoir. Vous publierez par exemple dans quelques jours un rapport sur les emplois non pourvus, qui montre que lun des enjeux de transitions réussies était dêtre capable didentifier territoire par territoire des besoins et des demandeurs demploi, et de les rapprocher par le biais de la formation professionnelle.
Je pense également à la renégociation de la convention dassurance chômage qui débutera dici la fin de lannée. Cette renégociation devrait être loccasion daméliorer le rôle de lassurance chômage en tant quinstitution du marché du travail dont lobjectif, au-delà de lindemnisation chômage, doit être également la sécurisation des parcours et le retour à lemploi. Cest dans cette logique, je lespère, que les partenaires sociaux aborderont cette négociation. Ils en ont déjà pleinement pris conscience en inscrivant les « droits rechargeables » à leur agenda de réforme.
En somme, en économie, on parle souvent de « stabilisateurs automatiques », en loccurrence, cest de « dispositifs de transitions automatiques » dont il sagira de parler, capables dagir à tout moment et partout, non seulement en cas de crise.
Cest ainsi que je voulais introduire votre colloque, par cette approche globale des changements de métier, donc des transitions ; Globale, car, il sagit de mobilité professionnelle donc sociale, géographique autant que juridique, cest à dire des déterminations essentielles dans la vie des gens, aujourdhui encore trop seuls face à laccélération du temps.
Bons travail tout au long de cette journée très dense.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 30 septembre 2013