Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la réflexion communautaire sur les services publics, Paris le 6 novembre 2001.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Services publics et Europe", Paris le 6 novembre 2001

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux d'être aujourd'hui parmi vous pour ouvrir ce forum qui s'inscrit dans le cadre du grand débat sur l'avenir de l'Europe, lancé par le président de la République et le Premier ministre, en avril dernier, à la suite du Conseil européen de Nice.
Avant même d'en venir au fond des questions qui vont nous occuper durant cette journée, je souhaite souligner que vos travaux alimenteront naturellement la réflexion en cours sur l'avenir de l'Europe. Un groupe de personnalités a été désigné par le président et le Premier ministre pour assurer la synthèse de nos débats nationaux, dans la perspective du Conseil européen de Bruxelles-Laeken, en décembre prochain. Les chefs d'Etat et de gouvernement devront alors préciser comment ce débat s'organisera et se poursuivra à partir de 2002, en vue d'aboutir à la refonte de l'architecture européenne, en 2004, dans le cadre d'un traité constitutionnel. Je salue, à cet égard, la présence de Guy Braibant, président de ce groupe chargé de suivre le débat sur l'avenir de l'Europe, ainsi que celle de Mme Evelyne Pichenot, autre membre du groupe : ils vont participer à vos travaux et en intégreront évidemment le fruit dans cette synthèse qui sera remise à nos plus hautes autorités.
En tout état de cause, le débat ne saurait se clore ou se conclure aujourd'hui. Au-delà de l'échéance du prochain Conseil européen en décembre, notre ambition est bien de stimuler le débat sur l'Europe, notre avenir, pour contribuer à créer un véritable espace démocratique européen. Il faut aussi espérer que les échéances politiques de l'année prochaine permettront aux enjeux européens d'occuper la place qu'ils méritent dans la confrontation démocratique des idées. Je vous appelle donc à rester impliqués.
J'en viens maintenant à la substance de vos travaux, organisés autour de deux séances, consacrées respectivement au diagnostic et aux perspectives du service public en Europe.
Je crois tout d'abord qu'il faut se réjouir que la question des services publics revienne au cur des préoccupations européennes. Cela n'allait pas de soi et je me souviens que le climat d'ensemble qui a entouré la négociation de la directive "électricité" en 1996, ou de la directive "gaz" en 1998, était singulièrement différent de la tonalité des débats actuels sur les services d'intérêt général. Les esprits évoluent. Les tenants d'une libéralisation radicale sont nettement moins flamboyants qu'il y a encore cinq ou six ans. En sens inverse, les forces sociales ou politiques attachées à la notion de service public ont été capables de procéder à un certain nombre de révisions utiles, qui permettent d'adapter ce concept à la modernité économique du XXIème siècle.

A cet égard, je crois sincèrement que le rôle de la présidence française de l'Union européenne, parfois critiqué sur certains sujets, aura été plus qu'utile sur cette question des services publics. En demandant que le débat s'installe au sein du Conseil - dans le cadre du Conseil Marché intérieur, puis dans le cadre du Conseil européen à Nice - notre rôle a surtout consisté à agir comme un révélateur de convergences. Faute de débat de nature politique, nos perceptions des rapports de force européens étaient restées un peu figées dans le temps. A l'automne dernier, nous avons pu constater que la totalité des Etats membres de l'Union pouvaient se retrouver autour d'une déclaration très substantielle. La déclaration de Nice reconnaît solennellement le rôle irremplaçable des services d'intérêt général pour la cohésion sociale, le développement durable et la compétitivité globale du continent européen.
Aujourd'hui, je crois donc pouvoir dire que nous sommes sur la bonne voie pour dégager progressivement les termes d'un consensus européen approfondi sur les services d'intérêt général. C'est la tâche à laquelle s'est attelée avec détermination le gouvernement belge qui assure actuellement la Présidence tournante de l'Union européenne. J'en profite pour saluer mon collègue Charles Picque, qui nous fait l'honneur de participer à nos travaux aujourd'hui. Je sais qu'il travaille sans relâche - avec son cabinet, ses services et, surtout, l'ensemble du gouvernement belge - à trouver les bases politiques au sein du Conseil pour faire des propositions ambitieuses en vue du Conseil européen de Bruxelles-Laeken, conformément au mandat de Nice.
A cet égard, je crois que la question des services d'intérêt général est tout à fait emblématique des enjeux du débat sur l'avenir de l'Europe, enjeux qui mêlent de matière intime la réflexion sur le contenant - c'est-à-dire l'organisation des pouvoirs au sein de l'Union - et la réflexion sur le contenu - c'est-à-dire le choix des politiques communes à promouvoir, développer et approfondir.
La réflexion sur le contenu, tout d'abord. Je crois que nous disposons, avec la déclaration de Nice, d'un bon cadre de référence conceptuel pour essayer de penser le service public européen de l'avenir.
Nous devons tout d'abord maîtriser la problématique de l'offre productive. Notre responsabilité de décideurs européens est bien de nous assurer que les opérateurs mettent en place les capacités suffisantes pour éviter que les réseaux de transport et d'énergie soient saturés ou bien victimes de goulets d'étranglement, dont les conséquences seraient dommageables pour l'économie tout entière des Quinze. Nous savons que le marché n'est pas capable d'organiser spontanément l'offre pour les services en réseaux. Et les exemples de libéralisation ratée ne manquent pas dans ce domaine, à l'intérieur de l'Europe - et chacun pense naturellement au rail britannique - ou à l'extérieur de l'Europe - et nous devons retenir les leçons de la crise californienne de l'électricité.
Mais nous devons aussi maîtriser les spécificités de la demande sociale adressée à ces services en réseaux. Et, là encore, seule la puissance publique - qu'il s'agisse de l'Union européenne, des Etats membres ou des collectivités territoriales- seule la puissance publique, entendu au sens large, donc, peut être à même de saisir les attentes sociales de plus en plus fortes et diverses vis-à-vis de ces services en réseaux. Le seul jeu du marché aurait un caractère réducteur car il ne permet d'appréhender la demande que de manière unidimensionnelle, c'est-à-dire en fonction du prix offert pour ces services. Le bas prix des services est évidemment un élément important pour la satisfaction du consommateur mais ce n'est pas le seul, loin de là. Et les enquêtes d'opinion spécialisées montrent régulièrement la prégnance de préoccupations variées, qui mettent en jeu la capacité des services publics à structurer notre espace social : préoccupations liées à l'universalité des services ; préoccupations liées à la contribution des services d'intérêt général à l'aménagement du territoire ou au respect de l'environnement ; préoccupations liées au maintien de l'emploi aussi, dans des services qui ne doivent pas être déshumanisés, tout particulièrement dans les zones rurales.
Enfin, entre l'offre et la demande, il doit y avoir la place pour des mécanismes de régulation étroitement coordonnés au niveau européen, de façon à garantir que nos systèmes de services d'intérêt général satisfont bien en permanence aux objectifs assignés. La régulation dans les Etats membres - ou, demain, la co-régulation européenne, dont il faut encore inventer les formes - doivent aussi s'appuyer sur des procédures d'évaluation plus affinées et prenant en compte les attentes réelles des consommateurs et des citoyens.
Voilà donc pour le cahier des charges du chantier ouvert sur les services d'intérêt général dans l'Union européenne, en vue de définir une stratégie communautaire mieux charpentée et apte à répondre aux défis de l'avenir.
Cette réflexion sur le contenu doit aussi être reliée à la réflexion en gestation sur le contenant, c'est-à-dire à la réflexion sur le schéma d'organisation institutionnelle et juridique le mieux à même d'assurer l'efficacité de l'action communautaire dans le domaine des services d'intérêt général. Le futur traité constitutionnel de l'Union doit-il prévoir des dispositions allant au-delà de l'article 16 ? Comment concilier les prérogatives de la Commission en matière d'aides d'Etat et le souhait légitime du Conseil d'encadrer l'action de la Commission par une production normative plus dense, qui fasse précisément une place aux préoccupations sociétales à côté des préoccupations traditionnelles liées au respect du jeu concurrentiel ? Quelle place respective pour la directive et le règlement dans cette élaboration normative en devenir ? Voilà quelques-unes des questions qui se posent très concrètement à nous, si nous voulons engager le débat sur la capacité de l'Union à traiter au fond ces questions cruciales pour l'avenir de l'Europe.
Au-delà de ces considérations de portée générale, qui ne représentent que ma modeste contribution au débat, je suis certain que nous saurons aujourd'hui nourrir, sur ce sujet aussi emblématique de l'Europe que nous voulons, la réflexion sur le futur de l'Europe, dont le premier rendez-vous est fixé en décembre au Conseil européen de Bruxelles-Laeken, et qui se poursuivra jusqu'en 2004.
Je vous remercie de votre attention./.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2001