Déclaration de M. Kader Arif, ministre des anciens combattants, sur le rapport « quelle mémoire pour les Fusillés de 1914-1918 ? », à Paris le 1er octobre 2013.

Prononcé le 1er octobre 2013

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Circonstance : Remise du rapport d’Antoine Prost : « quelle mémoire pour les Fusillés de 1914-1918 ? », à Paris le 1er octobre 2013

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Mon Général,
Madame la Directrice de l’ONAC-VG
Monsieur le Professeur Antoine Prost,
Messieurs les Présidents et représentants d’associations,
Mesdames et Messieurs les membres du groupe de travail,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier, M. Antoine Prost, cher Professeur, des propos que vous venez de formuler, des propositions que vous avez esquissées et du travail remarquable que vous avez mené, et à travers vous je remercie toute votre équipe qui a œuvré pendant plusieurs mois, j’y reviendrai.
Mesdames et messieurs, vous le savez, nous entrons dans un cycle commémoratif exceptionnel, presqu’inédit, celui du Centenaire de la première guerre mondiale. A cette occasion, une question inscrite dans le débat mémoriel national depuis des décennies, celle des fusillés de la guerre de 1914-1918, revient ou est revenue au premier plan.
Il y a des questions qui sont récurrentes, qui passionnent les sociétés et qui traversent en même temps les générations. Celle des fusillés de la Grande Guerre est l’une de ces questions. Cette mémoire des soldats exécutés a su s'immiscer dans les débats publics et politiques de l’après-guerre. Cette mémoire, ou plutôt ces mémoires de la première guerre mondiale sont bien présentes à l'esprit de l'opinion publique depuis un siècle. Malgré plusieurs gestes forts, des discours importants, dont le vôtre M. le Premier Ministre, ce dossier n’est toujours pas clos. Et j’ai pu en prendre conscience dès mon arrivée dans ce ministère.
Ce débat mémoriel, permettez-moi de vous l’exposer brièvement. La question des fusillés de la Grande Guerre s'est inscrite dans le paysage politique et associatif dès le lendemain de la guerre. Plusieurs cas de condamnés à mort et d’exécutés ont été dénoncés comme une injustice.
Les militants de la réhabilitation ont alors remporté des succès dans l’entre-deux-guerres. Des lois d'amnistie sont intervenues revenant sur les condamnations qui avaient été formulées par les tribunaux militaires : les 24 octobre 1919, 29 avril1921, 9 août 1924 et 3 janvier 1925. En outre, la loi du 9 mars 1932 a institué une cour spéciale de justice militaire ayant précisément pour objet d'examiner les recours formulés par les familles.
Dans certains cas, l'annulation du jugement a même été prononcée et la réhabilitation ordonnée, vous l’avez évoqué tout à l’heure dans mon bureau M. le Professeur :l'affaire des "caporaux de Souain" réhabilités en 1934 ou celle des"fusillés de Vingré" en 1921 sont parmi les plus connues.
Dès les années 1920, nombreux sont les cas qui ont été étudiés et à qui une solution a été proposée : réhabilitation, octroi de la mention « mort pour la France », inscription du nom sur le monument aux morts de la commune, etc. Ils ne sont donc pas concernés par un réexamen.
Votre rapport, M. Prost, nous apprend que 40 soldats ont été réhabilités au total durant cette période. La République s’est donc saisie de la question et n'a cessé de s’y confronter sans jamais toutefois définitivement la mettre derrière elle.
En tant que ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens combattants, il était de ma responsabilité - et c’était la volonté du Président de la République -,d'appréhender cette question avec la plus grande attention, la plus grande précision historique et juridique, avec la plus grande prudence aussi. Prudence qui ne signifie pas qu’on ne doit pas avancer.
Le Centenaire offre en effet le cadre propice à un nouveau débat public autour de cette question de la postérité mémorielle des soldats fusillés durant la première guerre mondiale. Quand bien même nous ne l’aurons pas souhaité, ce débat aurait eu lieu car ces commémorations remettent ce sujet au-devant de la scène.
C'est pourquoi j'ai sollicité, et je sais que vous avez travaillé dans l’urgence, la rédaction d'un rapport sur ce sujet afin de pouvoir disposer d’un état des lieux complet sur la question et d’engager une réflexion sur les perspectives envisageables.
Je souhaitais, presque par envie de culture personnelle, pouvoir appréhender la question dans son exhaustivité et je voulais pour cela pouvoir m’appuyer sur un bilan des positions adoptées parles associations, les parlementaires et les organisations politiques, les familles concernées, le tout éclairé de l'analyse des historiens spécialistes de la question.
Je tiens donc à vous remercier, M. Prost, ainsi que tous les membres du groupe pour l’excellent travail réalisé. Je sais qu’il est le fruit de recherches, d’auditions menées auprès des associations et de personnalités, et d’une réflexion historique ambitieuse. J’utilise à dessein le terme « historique ».
Car il s'agit bien en effet d'un travail historique qui nous invite aujourd’hui à réfléchir ensemble à la véritable question posée, celle de la mémoire des fusillés que la Nation veut conserver : quelle mémoire des fusillés de 14-18 ?
J'ai mesuré toute l'importance de cette question, ainsi que la réponse qui devait lui être donnée dès mon entrée en fonctions, une importance à la hauteur de l'enjeu du Centenaire.
C'est pourquoi, dès le mois de novembre 2012, j’ai attribué la mention « mort pour la France » au lieutenant Chapelant, fusillé pour l’exemple sur sa civière le 11 octobre 1914. Il n'était que l'un des plus de 600 soldats exécutés durant la Grande Guerre mais ce geste symboliquement fort était pour moi un premier pas. Un pas pour dire que ce débat était toujours là et que j’en étais totalement conscient.
Ma politique, mon envie, s’inscrit dans la continuité de l'action initiée par M. Lionel Jospin, qui nous fait l’honneur de sa présence et que je remercie très sincèrement d’avoir accepté d’être là aujourd’hui.
Monsieur le Premier ministre, à l’occasion de son discours de Craonne le 5 novembre 1998, vous avez réinscrit dans le débat public un sujet essentiel de la mémoire de la première guerre mondiale.
Dans votre allocution, vous appeliez à ce que, et je vous cite, « ces soldats, "fusillés pour l'exemple", au nom d'une discipline dont la rigueur n'avait d'égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd'hui,pleinement, notre mémoire collective nationale ».
Vous nous avez rappelé alors combien il était temps de ne plus se souvenir que des héros, mais aussi de ceux qui, je vous cite encore, « épuisés par des attaques condamnées à l'avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d'être des sacrifiés ».
Dix ans plus tard, le Président Nicolas Sarkozy s’exprimait dans ces termes, et je le cite là aussi : « 90 ans après la fin de la guerre je veux dire au nom de la Nation que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s'étaient pas déshonorés, n'avaient pas été des lâches mais que simplement ils étaient allés jusqu'à l'extrême limite de leurs forces ».
Je veux saluer aujourd’hui le combat mené depuis les années 1920 par plusieurs associations comme la Ligue des droits de l’Homme et la Ligue pour les familles de fusillés. Depuis des décennies, ces associations entendent défendre la mémoire de ceux qui n’étaient, comme nous le sommes, que des hommes.
Cela n’enlève rien au courage et à l’héroïsme des soldats qui sont allés au front, qui sont tombés au champ d’honneur et qui seront au cœur de notre hommage et de nos commémorations en 2014.
Je veux aussi dire que le cas des fusillés n’occultera pas celui des milliers d’hommes et de femmes, venus du monde entier, qui ont souffert et ont succombé à cette guerre.
Cette guerre,cher Professeur, dont vous nous rappelez qu’elle fut sans précédent parce qu'elle fut la première guerre globale, fut à la fois guerre mondiale et guerre de mobilisation des sociétés toutes entières.
Ce rapport n'est donc qu'une étape dans la définition de la meilleure manière d'aller vers une réintégration dans notre mémoire collective du destin de ces hommes.
Je veux m’obliger aussi à la prudence, car chacun des fusillés de 1914-1918 a une histoire singulière qu'il faut lire avec la plus grande attention, je le sais. Les situations varient beaucoup d’un cas à l'autre.
C’est pourquoi aussi j’ai demandé à M. Prost de rédiger ce rapport afin de nous imposer ce qui fait votre force, la rigueur de la science et de la vérité historiques. Car aucune décision ne peut être prise sans le souci de ne pas trahir l’histoire.
Cette question concerne le grand public. C'est pourquoi je souhaite l'associer à ce débat en rendant ce texte accessible à tous. Ce rapport doit contribuer à la réponse qui sera celle du gouvernement. Il ouvre plusieurs pistes, vous les avez évoquées, qui, chacune, a été soumise à l'épreuve de l'analyse historique. Je procéderai moi-même à des consultations afin de recueillir tous les avis sur la question.
Je sais que beaucoup attendent légitimement une réponse des pouvoirs publics. Sachez que c’est une question qui me tient à cœur, une question je suis de très près. Sachez aussi que je souhaite qu'une solution soit trouvée car je veux une politique mémorielle ambitieuse, je l’ai déjà exprimé, nationale et inclusive.
Nous devons être à la hauteur de l'enjeu que représente le Centenaire, et votre rapport le permet. Répondre à cette question des fusillés de la Grande Guerre est l’un de ces enjeux.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 octobre 2013