Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur l'action de la France en faveur de l'abolition de la peine de mort dans le monde, à l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013.

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Circonstance : Clôture du séminaire parlementaire sur l'abolition de la peine de mort, à l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Chers Amis,
D'abord, je voudrais vous dire combien je suis honoré d'intervenir aujourd'hui en clôture de ce séminaire parlementaire. Je veux vous saluer, toutes et tous, participants venus de nombreux pays. Je veux aussi remercier l'association «Ensemble contre la peine de mort», le Sénat, l'Assemblée nationale qui, avec le Quai d'Orsay, ont permis le succès de cette initiative, de ce séminaire parlementaire sur la peine de mort en Afrique du nord et au Moyen-Orient.
Mesdames et Messieurs, Chers Amis, ce qui nous rassemble aujourd'hui, c'est une conviction : la peine de mort n'est ni juste ni efficace. Jamais à l'abri d'erreur et cependant par nature irréparable, la peine de mort est même le contraire de la justice. La preuve a été maintes fois apportée que ce n'est pas une sanction efficace contre la criminalité. L'abolition de la peine de mort est donc un objectif de justice. D'ailleurs, ceux qui sont pour la peine de mort, le plus souvent, commettent une confusion entre sécurité et peine de mort. Il faut bien expliquer que l'on peut être pour la sécurité - nous le sommes tous - et être également contre la peine de mort.
L'abolition de la peine de mort se heurte souvent à des préjugés, vous les rencontrez dans votre combat. On met en avant la sensibilité de l'opinion publique ou l'existence de priorités plus urgentes. Ces justifications que nous avons bien connues en France pendant des décennies ne justifient rien du tout en réalité. La décision d'abolir la peine de mort n'est pas une question d'opportunité politique, elle n'est pas, contrairement à ce que l'on prétend, notamment en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, une question de culture, c'est une question de principe. Le combat contre la peine de mort prend tout simplement ses racines dans l'universalité des droits de la personne humaine.
L'abolition de la peine de mort a connu une avancée incontestable sur la moyenne période mais, malheureusement, pour être comme vous l'un de ceux qui participent à ce combat depuis longtemps, je suis obligé de constater des reculs récents.
En 1981, la France, mon pays, était le 35ème État seulement à renoncer définitivement à la peine capitale. Aujourd'hui, sur les 193 pays des Nations unies, deux tiers n'appliquent plus ce châtiment.
Lorsque l'on regarde ces chiffres, cela témoigne d'une avancée incontestable. La mobilisation aux Nations unies, celle des organisations régionales que, pour ma part, j'ai réunies il y a trois semaines à New York, celle des nombreux acteurs de la société civile, celle des avocats, celle de millions de citoyens à travers le monde, tout cela porte ces fruits. Je note en particulier une avancée dans les organisations régionales qui se prononcent à peu près toutes contre la peine de mort, même si les membres de ces organisations régionales ne sont pas toujours du même avis.
Cependant, nous sommes obligés de constater que, récemment, un certain nombre de retours en arrière ont eu lieu. Cela a été le cas dans plusieurs pays en 2012 et 2013. Des moratoires, qui avaient été observés depuis parfois de nombreuses années, ont été rompus dans des pays comme l'Indonésie, le Koweït, le Nigeria, l'Afghanistan, la Gambie et d'autres.
Il est donc absolument essentiel, prenant en considération cette avancée sur une longue période, mais aussi ces reculs sur courte période, de maintenir une mobilisation forte pour que puisse se poursuivre la dynamique de l'abolition. C'est pourquoi j'ai choisi de faire du combat contre la peine de mort une partie intégrante de l'action diplomatique de la France.
J'ai lancé il y a un an aujourd'hui, une campagne mondiale pour l'abolition universelle de la peine de mort. Il ne s'agit pas pour la France de donner des leçons mais de partager l'expérience que nous avons vécue, celle de l'un des derniers pays de l'Europe de l'Ouest à avoir renoncé à ce châtiment inhumain. Le débat a été très long et l'opinion publique a finalement rejoint le législateur qui l'avait précédée.
Dans nos dialogues bilatéraux et dans notre communication publique, la diplomatie française rappelle donc notre opposition à l'application de la peine de mort, en tous lieux et en toutes circonstances.
Sur le terrain, notre réseau diplomatique, qui est le troisième du monde, est mobilisé. Plus de cinquante de nos ambassades et centres culturels ont organisé, au cours de l'année qui s'est écoulée, des conférences, établi des partenariats et, sensibilisé les médias. Au cours des derniers mois, sur les cinq continents, des débats autour de projections ont eu lieu et nous organisons des rencontres avec des étudiants, des associations, des intellectuels.
Au sein des Nations unies, notre Maison commune, nous usons de notre influence pour renforcer le mouvement mondial en faveur d'un moratoire sur les exécutions. À New York, nous avons soutenu l'adoption des résolutions de l'Assemblée générale appelant à l'instauration d'un moratoire universel. En 2012 puis 2013, nous avons organisé des réunions ministérielles qui ont mobilisé des partenaires de tous les continents. À Genève, au conseil des droits de l'Homme, nous avons obtenu l'organisation d'un débat formel sur l'abolition lors de la XXVème session du conseil qui aura lieu en mars 2014. Bien entendu, nous soutenons également activement nos partenaires de la société civile.
Monsieur le Président, vous avez cité, et vous avez eu raison, cette alliance, ce «Triangle magique» qui doit réunir les parlements, la société civile et la presse. Je vous rejoints totalement. J'y ajouterai la jeunesse.
Pour avoir moi-même lancé, avec le ministre de l'éducation nationale, une expérience cette année consistant à faire concourir l'ensemble des lycées de France qui le souhaitaient, c'est-à-dire tous les jeunes, à un concours sur le thème de «l'abolition de la peine de mort», pour avoir invité des jeunes à s'exprimer dans leur classe et au nom de la classe, pour avoir ensuite, au niveau national, sélectionné un jury dont la présidence était confiée à Robert Badinter, pour avoir emmené la lauréate au congrès de Madrid, je sais, pour en avoir parlé avec les professeurs et avec les jeunes, qu'en faisant discuter les jeunes sur la peine de mort, on fait non seulement avancer cette cause, mais on leur fait également prendre conscience, d'une façon profonde, de ce qu'est la réalité et le prix de la vie humaine.
Je crois donc que ce triangle doit devenir un quadrilatère incluant le parlement, la presse, la société civile et la jeunesse.
À cet égard, les parlementaires ont un rôle très important à jouer dans le combat pour l'abolition. Si je prends l'exemple de mon pays, la France, il est tout à fait éclairant. L'Histoire a retenu la date du 10 octobre 1981 qui est la date de la publication au Journal officiel de la loi portant abolition de la peine de mort. Mais nous ne pouvons pas oublier, et nous ne devons pas oublier, l'action déterminante de parlementaires engagés depuis plus de deux siècles à partir de 1789. Ces parlementaires ont mis sans relâche l'abolition à l'ordre du jour de nos assemblées aux côtés des associations et des intellectuels, ils ont fait vivre la réflexion sur la peine de mort et ils ont permis de faire progresser la prise de conscience. C'est beaucoup grâce à eux que, dans mon pays, la guillotine a été mise au placard de l'Histoire.
C'est notamment en ayant cet exemple à l'esprit qu'avec nos co-organisateurs, nous avons décidé de faire vivre ce séminaire qui nous rassemble aujourd'hui afin de soutenir et d'aider, d'encourager les initiatives des parlementaires. Il vous revient maintenant de faire vivre ce débat, de travailler avec la société civile, de peser sur vos gouvernements et de prendre des initiatives législatives.
Nous avons souhaité en particulier mettre en avant l'initiative marocaine du premier réseau de parlementaires contre la peine de mort dans un pays du Maghreb. Je veux saluer la présidente de ce réseau, Mme Rouissi, pour son action à la tête de ce groupe de plus de 200 parlementaires de toutes appartenances politiques. Je souhaite que ce réseau, qui à ce stade est unique en son genre, puisse, si je puis dire, faire école, et susciter de nombreuses initiatives semblables à travers toute la région.
Je n'ai pas assisté à l'ensemble de vos travaux mais l'une de mes collaboratrices étaient là et m'a rendu compte de ce qui s'y est dit. Je voudrais en particulier relever, même si cela peut être contesté par certains, le relatif consensus qui s'est établi parmi vous tous pour promouvoir une évolution. On la souhaiterait plus rapide mais quand elle est progressive, elle doit tenir compte des situations de chacun pays.
Vous avez identifié des étapes et je pense que c'est tout à fait juste. D'abord, il y a le lancement d'une réflexion, ensuite il y a souvent la réduction graduelle des cas où la peine de mort est appliquée et la définition de normes minimales - si on peut dire - pour l'application de la peine de mort. Ensuite, il y a le moratoire de fait, puis le moratoire légal et, pour finir, il y a l'abolition.
Bien sûr, nous souhaitons tous que la phase de l'abolition vienne le plus vite possible mais c'est souvent ainsi que les choses se déroulent et je pense qu'il faut que nous en tirions les leçons.
Je veux aussi faire allusion au fait que le Sénat d'Algérie se soit fait représenté au séminaire par M. Bedjaoui sénateur et ancien ministre de la santé. Je pense que son intervention, dans laquelle il a indiqué que, selon ses informations et ses souhaits, non seulement l'Algérie maintiendrait son moratoire mais qu'elle était engagée dans un chemin qu'il pense à sens unique vers l'abolition en droit, le fait qu'un pays aussi important que celui-ci aille dans cette direction doit être non seulement médité mais encouragé.
Mesdames et Messieurs, Chers Amis, j'ai voulu une intervention courte, je voudrais, pour terminer, vous dire deux choses.
D'abord, l'exemple français prouve que l'abolition de la peine de mort est un domaine dans lequel le courage des responsables politiques s'avère payant. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas dans tous les domaines mais dans celui-là, je peux en témoigner. Car, au moment où nous avons décidé - j'étais membre de ce gouvernement - d'abolir la peine de mort, l'opinion publique était totalement contre notre décision. Aujourd'hui, l'opinion publique a évolué et, elle est pour l'abolition.
Ce qui veut dire qu'il existe des domaines, quoique l'on en dise, où le courage politique est récompensé et rejoint par l'opinion publique. Je veux donc vous dire merci de votre courage qui sera récompensé le moment venu aussi par une évolution de l'opinion publique.
Je veux, pour terminer - on fait cela généralement dans les discours prononcés par des Français - par une belle citation d'un peintre, Günter, qui d'ailleurs n'est pas français et qui dit une jolie chose qui s'applique à notre cause commune : «Lorsqu'un seul homme rêve, ce n'est qu'un rêve. Mais, si beaucoup d'hommes rêvent ensemble, c'est le début d'une nouvelle réalité».
Je pense que ce que vous avez fait ensemble au cours de ces deux jours, c'est en effet le début d'une nouvelle réalité.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2013