Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur l'action de la France et de la communauté internationale face à la situation en République centrafricaine, à Bangui le 13 octobre 2013.

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Circonstance : Déplacement en République Centrafricaine, le 13 octobre 2013

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur,
Madame la Ministre des affaires étrangères,
Madame la Commissaire européenne,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
D'abord merci à chacune et à chacun d'avoir pris de votre temps de ce dimanche après-midi pour venir à notre rencontre. Je dis «notre» puisque j'ai le plaisir d'être accompagné, dans cette visite rapide, de Mme Kristalina Georgieva, la commissaire européenne à la coopération internationale, à l'aide humanitaire et à la réaction aux crises, ainsi que de la ministre des affaires étrangères de l'autorité de transition.
Je suis venu ici d'abord pour vous rendre hommage. La situation en Centrafrique a été très difficile, elle continue de l'être. Quand je dis que la situation a été «très difficile», ce ne sont pas des choses abstraites : vous avez, toutes et tous, soit directement soit à travers vos familles, à travers votre entreprise, votre travail, été frappés par les événements qui se sont produits au cours des derniers mois. Beaucoup d'entre vous ont tout perdu. Quand on est dans un pays loin de la France, quand on aime à la fois ce pays et la France, on est très durement frappé quand une épreuve de cette sorte advient.
Je veux donc vous remercier du courage dont vous avez fait preuve. Je me suis tenu régulièrement informé de ce qui s'est passé ici, en lien avec l'ambassadeur qui fait un excellent travail ; je veux l'en remercier ainsi que tous ceux qui travaillent à ses côtés. La France, en tout cas le gouvernement français, a été attentif de ce qui se passait ici. Je ne veux pas dire que l'on puisse effacer la difficulté d'un trait de plume ou à travers un discours, mais ce que je veux vous dire - et c'est le sens de ma visite et de celle de notre amie, commissaire européenne -, c'est que la communauté internationale, et singulièrement l'Europe et très singulièrement la France, ont décidé de ne pas vous laisser tomber et de prendre les problèmes centrafricains à bras-le-corps.
Récemment, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, le président de la République française a voulu consacrer une partie importante de son discours à la Centrafrique pour lancer ce qu'il a appelé un cri d'alarme sur la situation actuelle. Parce que, même si la Centrafrique est un vaste pays, sa population n'est pas très nombreuse et, dans l'océan des crises qui existent à travers le monde, disons les choses franchement, la Centrafrique n'a pas été jusqu'ici le point focal de l'attention internationale.
Nous avons décidé, en liaison avec nos amis européens, de changer la donne. Nous avons donc mis désormais la Centrafrique en haut de l'agenda. Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ? Il y a beaucoup de problèmes qui se posent, mais il y en a trois en particulier qui recouvrent les décisions que nous allons devoir prendre, en liaison avec les autorités de transition et la communauté internationale.
D'abord, il y a un grave problème de sécurité. Un pays dans lequel la sécurité n'est pas assurée n'offre pas ce qu'il demande à la population et aux étrangers, et ne peut pas se développer correctement. Il faut donc rétablir la sécurité. M. Djotodia a prononcé la dissolution de la SELEKA mais il faut maintenant que cette dissolution entre dans les faits et nous allons y veiller. Il faut que, peu à peu, les autorités militaires locales retrouvent de la réalité. Il faut que les effectifs des troupes africaines qui apportent leur concours augmentent. Je pense au Tchad, au Gabon, au Congo. Ils sont actuellement près de 2.100 ; l'objectif fixé par la communauté internationale est de passer à 3.500 hommes. Il faut que les Français - et je salue les troupes françaises qui font un admirable travail, je leur rendrai d'ailleurs visite dans un moment - non seulement continuent leur travail mais puissent, le moment venu, l'étendre ; je vous en dirai un mot dans un instant. Et puis, il faut que les exactions de toutes sortes, souvent graves, qui existent à Bangui et dans l'ensemble du pays cessent, ce qui signifie la mise en place d'une organisation matérielle qui permette de rétablir la sécurité. C'est le point numéro un.
Parallèlement, il faut que nos actions humanitaires soient renforcées. Mme Georgieva a la lourde charge au plan européen de s'en occuper et elle a commencé de le faire d'une façon remarquable. Mais l'Europe - je crois pouvoir le dire Chère Kristalina - est décidée à aller plus loin et à être un petit peu la force d'entraînement de la communauté internationale, au plan mondial, des Nations unies. En même temps, il faut que cette action humanitaire soit parfaitement concordante avec les besoins. Nous avons visité tout à l'heure une unité pédiatrique qui fait un travail admirable mais qui est débordée par le nombre d'enfants. Et même si la mortalité des tout jeunes enfants a diminué, elle reste quand même supérieure à 10 %, ce qui est énorme. Je veux saluer, là aussi, le dévouement extraordinaire de toutes celles et de tous ceux qui s'occupent de ce secteur très important.
Sécurité. Action humanitaire. Et, enfin, transition politique.
Dans les accords qui ont été passés et qui doivent être respectés, il est convenu que des élections générales libres devront avoir lieu au plus tard au début de l'année 2015. Cela semble loin mais c'est très proche, car il faut faire un travail considérable d'ici là. Il faut que soit voté un certain nombre de textes. Tout à l'heure, pendant notre rencontre, les autorités de transition ont pris l'engagement que d'ici la fin du mois d'octobre - c'est très rapide -, tous ces textes seront été votés. Il faut ensuite qu'une mission, sous la direction du général Gaye - qui est un homme tout à fait remarquable et qui a la confiance des autorités internationales - vienne sur place pour examiner ce qu'il faut améliorer concrètement pour que des élections puissent avoir lieu.
Ensuite, il va falloir faire un travail sur l'état-civil, sur l'organisation pour que, d'abord, le référendum constitutionnel puisse avoir lieu et qu'ensuite les élections puissent se tenir ; élections dont, à la fois le chef de l'autorité de transition, le chef de l'État de transition et le Premier ministre m'ont répété qu'ils s'étaient engagés à ce qu'aucun d'entre eux, pas plus que les membres du gouvernement, n'y soient candidats. Ceci méritait d'être répété devant les représentants de la communauté internationale que nous sommes.
Sécurité, aspect humanitaire, préparation des élections.
Comment peut-on assurer tout cela ? Par des actions à la fois françaises, européennes et internationales. Cette semaine a été adoptée par le conseil de sécurité des Nations unies, à l'unanimité, une résolution qui porte sur la Centrafrique et qui donne mandat au secrétaire général des Nations unies, M. Ban ki-Moon, d'ici un mois, de faire rapport sur la situation et sur ses propositions pour l'améliorer.
Une deuxième résolution sera donc présentée à la fin du mois de novembre-début décembre qui, à la fois, précisera les points que je viens de développer et qui donnera mandat aux forces africaines et aux forces françaises pour aller plus loin en matière de rétablissement de l'ordre, non seulement en ce qui concerne Bangui mais aussi dans le reste du pays.
Et puis, lorsque nous aurons atteint le printemps, une troisième résolution des Nations unies interviendra pour, vraisemblablement, organiser tout cela sous forme de ce que l'on appelle une opération de maintien de la paix, c'est-à-dire sous contrôle des Nations unies avec les Casques bleus.
Parallèlement, des actions devront être menées en matière humanitaire, en matière de développement. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont accepté à nouveau de traiter avec ce pays. Il y aura bientôt des réunions en ce sens. Nous nous sommes entretenus avec les autorités de transition de la façon dont des questions essentielles telles que le paiement des salaires ou le bien-être de la population puissent rapidement progresser dans ce pays, dont j'ai le plaisir de le souligner qu'il ne s'appelle pas la Centrafrique pour rien. On ne peut pas, comme c'est le souhait de la communauté internationale, de l'Europe et de la France, dire «l'Afrique est un continent en développement» si le centre de l'Afrique lui-même est laissé à l'abandon.
C'est donc le message principal que je veux vous adresser.
À travers les entretiens que nous avons eus avec les autorités de transition, avec les autorités religieuses que nous venons de rencontrer, avec différentes personnes - j'ai consulté les quatre présidents des pays limitrophes avant de venir ici -, à travers tous ces contacts, il y a un message simple : «Vous avez énormément souffert, la situation, disons-le, reste encore extraordinairement difficile, mais la communauté internationale, l'Europe et, au premier rang, la France, ont décidé, avec vous, de relever le défi.»
Voilà en quelques mots ce que je voulais vous dire au nom du président de la République française et au nom du gouvernement français. Je suis particulièrement heureux d'être accompagné de la commissaire européenne parce que je crois que lorsque l'Europe et la France décident ensemble de relever un défi avec la communauté internationale, peu de choses peuvent les en empêcher.
Il y a tant de situations difficiles dans le monde, mais je pense qu'il est à notre portée de redresser celle-ci. Cela demandera, bien sûr, de votre part, un effort dont nous vous savons capables, puisque, si vous êtes ici, c'est que vous aimez la Centrafrique. Vous ne seriez pas restés ici, dans des conditions très difficiles, si vous n'aimiez pas à la fois ce pays et la France.
Je veux, non pas me présenter ici comme quelqu'un qui peut, en un tour de main, apporter toutes les solutions. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Il faut un travail à chaque instant et pendant plusieurs mois. Mais, je pense, connaissant un peu ces situations, qu'il existe un espoir pour nous tous.
Je veux vous remercier de ce que vous avez fait jusqu'ici dans des conditions très compliquées, vous remercier à l'avance de ce que vous allez faire. Mais sachez que l'amitié traditionnelle qu'a portée la France à la Centrafrique, nous voulons la manifester de nouveau pour aujourd'hui et pour demain.
Vive la République française ! Vive la Centrafrique ! Vive l'Europe ! Et vive l'amitié entre nos peuples !
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2013