Texte intégral
Je suis heureuse que l'occasion me soit offerte, aujourd'hui, de venir rencontrer les membres de la Conférence nationale des métiers du journalisme et à tous ceux qui s'intéressent à ses travaux pour venir vous dire, à quel point j'attache du prix aux interrogations qui sont les vôtres aujourd'hui, sur ce qu'est le journalisme aujourd'hui et sur ce qu'il sera demain, compte-tenu du contexte économique du secteur il ne va pas bien on le sait- mais aussi de la mutation des usages et de la nature même de l'information à l'ère du numérique. Vous dire aussi combien ses réflexions sont essentielles pour proposer des perspectives, aux journalistes en poste mais aussi aux jeunes que, pour beaucoup d'entre vous, vous formez aujourd'hui.
En fédérant depuis 2009 les écoles de journalisme dont les enseignements sont agréés par la profession, les organisations professionnelles de journalistes et d'employeurs de la presse écrite et de l'audiovisuel et plusieurs experts dans le domaine de la formation des journalistes, la CNMJ est un lieu unique de rencontre et de réflexion sur l'avenir de la profession de journaliste, sur les enjeux de la formation à ce métier qui ne ressemble à aucun autre et sur les profonds bouleversements de l'univers de la production d'information.
Depuis cette année, cher Jean-Marie Charon, vous avez accepté de prendre la présidence de la CNMJ après Patrick Pepin que je salue et qui a très passionnément assuré cette présidence pendant trois ans. Cette année constitue un tournant dans les travaux de votre conférence : après avoir beaucoup parlé de référentiel de formation, du poids de la déontologie dans celle-ci, vous vous attelez plus largement à la mutation des métiers. Cette année marque aussi votre volonté d'ouvrir la réflexion aux expériences étrangères afin de mieux comprendre les évolutions profondes du métier de journaliste dans différents pays.
Ces évolutions sont également en marche en France. Internet, les réseaux sociaux, le travail collaboratif constituent un réel défi au quotidien pour la presse et les autres médias traditionnels. Les équipes rédactionnelles ressentent déjà aujourd'hui les bouleversements de leurs méthodes de travail.
Ces évolutions technologiques s'accompagnent d'une transformation majeure dans l'organisation du travail des entreprises de presse. Aux journalistes au sens traditionnel, s'ajoutent désormais d'autres acteurs de la création d'information : les techniciens du web, les spécialistes des réseaux, de l'analyse des données, les contributeurs extérieurs, experts ou particuliers internautes. Je reste convaincue que ces nouveaux métiers, ou ces nouveaux contributeur, peuvent être source d'enrichissement pour les médias, s'il multiplient les points de vue et s'il s'accompagne d'un travail de décryptage, de fiabilisation, de mise en perspective de l'information.
Or force est de constater que, bien trop souvent, leur utilisation rime aussi avec moindre coût pour les éditeurs, et au final par une uniformisation des contenus qui n'est sans doute pas sans lien avec la diminution du consentement à payer des lecteurs. En guise d'illustration, le travail des photojournalistes qui est aujourd'hui menacé par l'utilisation croissante de photos non professionnelles ou dont l'origine n'est pas mentionnée, souvent parce qu'elles émanent de services de communication ou de banques d'images à bas prix.
Face à ces bouleversements, la pire des attitudes serait de ne rien faire, pensant qu'aucun nouveau média n'a jamais tué ceux qui l'ont précédé.
Au contraire, il faut anticiper ces changements pour mieux s'y préparer. C'est pourquoi toute démarche prospective comme la vôtre est utile.
Le programme de ce matin vous a conduits à évoquer les nouveaux modèles économiques des entreprises de médias et les données statistiques de l'emploi dans ces entreprises en mutation.
La question est réellement essentielle : quelle sera la place de la compétence spécifique des journalistes dans des entreprises où la technologie, le « data journalism », se développe, où la demande du public se porte de plus en plus vers de l'information gratuite et rapide ?...
Comment l'Etat, et en particulier le ministère de la culture et de la communication, peut-il intervenir pour accompagner ces mutations ?
Le ministère, pour moi, doit bien évidemment continuer à garantir le pluralisme des expressions. Mais surtout, le ministère doit réaffirmer son rôle de défenseur de l'information de qualité. Car, en matière d'information, nous vivons dans un pays de très grande liberté. Mais la qualité doit être au rendez-vous et la richesse des contenus est ce qui permettra aux médias professionnels de se maintenir et de progresser dans un univers où tout est disponible, le pire comme le meilleur. Les formations au métier de journaliste, qu'il s'agisse de la formation initiale des jeunes qui se destinent à cette profession ou de la formation professionnelle des équipes en place est un enjeu fondamental.
Dans le cadre de la réflexion que je mène actuellement sur la réforme des aides à la presse, deux mesures principales me semblent aller dans ce sens :
Les éditeurs de presse papier ou en ligne qui bénéficient des aides à la presse seront fortement incités à respecter les règles de bonnes pratiques professionnelles et pourront voir leurs aides diminuer si ils ne respectent pas leurs engagements. Je conçois l'aide de l'Etat comme un soutien et un encouragement à la qualité, y compris en termes de formation des équipes et de recours à des professionnels, journalistes comme photojournalistes reconnus comme tels.
De même je souhaite mettre en place dès l'année prochaine une conférence annuelle des éditeurs que je conçois comme un grand rendez-vous destiné à fixer les priorités de l'Etat à la presse. Et je souhaite qu'il n'y soit pas question que d'argent : cette conférence doit être l'occasion de réaffirmer auprès des éditeurs les enjeux que représente la formation des journalistes et des équipes rédactionnelle, dans les domaines des nouvelles technologies ou de la déontologie du métier par exemple pour faire face aux nouvelles exigences des lecteurs mais également pour faciliter l'évolution des modèles économiques des entreprises de presse.
Dans ce domaine, j'observerai avec attention les pistes qui pourront se dessiner dans le cadre de vos travaux.
Enfin, je pense que le partage d'expérience que vous avez organisé cette année pour mettre en valeur les expériences innovantes des médias étrangers est essentiel. Je crois beaucoup en la nécessité de créer des lieux d'expérimentation, de recherche et de création où le partage d'expérience est constant. Dans ces « laboratoires », l'investissement dans la recherche permet de trouver des solutions. Ces démarches innovantes sont sans doute la seule voie d'avenir pour le journalisme et les médias qui les emploient.
Tout le monde s'accorde à dire que la qualité de l'information a un prix mais peu de gens sont aujourd'hui prêts à payer pour de l'information. C'est pourquoi les enjeux démocratiques liés à l'existence d'une presse forte et de qualité, capable de permettre à chaque citoyen d'accéder à l'information et d'éclairer ses choix individuels et collectifs doivent sans cesse être réaffirmés.
C'est toute la valeur des travaux de votre conférence qui sera, je l'espère, riche de partage d'expériences et porteuse de projets et de propositions que je regarderai pour ma part avec beaucoup d'attention.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 9 octobre 2013