Texte intégral
« Le cinéma nous offre le reflet, non plus seulement du monde, mais de l'esprit humain ». Cette réflexion dEdgar Morin doit nous conforter dans nos engagements : le cinéma ne peut pas être le reflet des blocages de notre société. Pour que le cinéma soit véritablement à limage de lesprit humain, la place quy occupent les femmes dans la création doit être au cur de nos préoccupations.
Le cinéma, depuis ses origines, est constitué duvres et daventures humaines collectives. Depuis la seconde guerre mondiale, laction des pouvoirs publics a contribué à structurer le modèle français de développement et daccompagnement du cinéma. Alors que parallèlement les femmes ont progressivement su conquérir leur indépendance financière, et de citoyennes, notre époque nous invite à aller plus loin. Il y a donc eu des avancées conjointes du cinéma et de la cause des femmes.
Il est en effet temps de nous occuper des individus qui font le cinéma, des discriminations au sein du monde du cinéma. Valoriser les individus, femmes et hommes, et leurs métiers, permettra de mettre à bas ces stéréotypes qui dictent trop souvent la division des métiers : combien de femmes maquilleuses ou scriptes ? Combien de femmes directrices de la photographie ou productrices ? Encore trop peu. Aujourdhui nous avons toute une nouvelle génération de femmes, réalisatrices, productrices, et je remercie Julie Gayet, Isabelle Czajka et Agnès Varda de leur présence.
Caroline Champetier a ouvert la voie mais elle témoigne de son isolement dans un milieu très masculin.
Les clichés sont tenaces, les réalités sont criantes. Nous devons avoir des politiques très volontaristes pour y remedier.
Cest lambition de cette charte qui nous réunit aujourdhui.
Le combat nest pas un combat essentialiste, et je remercie lassociation Le Deuxième regard, association de professionnels du cinéma qui sadresse à toutes et à tous. Pascal Rogard est là et je len remercie, pour témoigner de limplication des hommes dans notre combat commun. Cest un enjeu de société et cest lensemble de la société, cest lensemble de la création qui a tout à gagner.
Cette charte sinscrit dans la volonté du ministère de la Culture et de la Communication, de placer légalité femmes/hommes au sein des politiques culturelles. Cest une politique volontariste, nous lavons défendue à Cannes avec Najat Vallaud-Belkacem, nous aurons loccasion de la défendre au Sénat avec létude du rapport sénatorial sur la place des femmes dans les politiques culturelles.
Mon intention est de faire bouger les lignes. Jai commencé à le faire par des actes symboliques mais bien réels. Il faut de lengagement, de la solidarité. Cela ne se fait pas sans difficulté, cela suscite des polémiques, des critiques avec des arguments sur le fait que lon nommerait des femmes juste parce que ce sont des femmes, que cest une injustice faite aux hommes que de nommer des femmes compétentes et créatives.
Cette charte sinscrit pleinement dans ma volonté de valoriser la place des femmes dans la culture. Elle est exemplaire de ma politique volontariste : pour faire bouger les lignes, il faut des actes symboliques, mais aussi de lengagement et de la solidarité entre acteurs publics et privés.
Cest ce que jai entrepris, dès mon arrivée au ministère de la Culture et de la Communication.
Après le Comité interministériel aux droits des femmes et à légalité femmes hommes présidé par le Premier ministre et piloté par Najat Vallaud-Belkacem le 30 novembre dernier, jai voulu mettre en uvre ma feuille de route sans plus attendre.
Il fallait dabord combattre lignorance, ou pire lindifférence, sur ce sujet et « rendre visible linvisible » pour faire plus largement connaître la réalité de la situation et ainsi pouvoir la faire évoluer.
Je me suis donc appuyée sur lobservatoire de légalité dans la culture et la communication, une étude qui rassemble les informations sur les nominations, les rémunérations et les programmations de tous les établissements publics culturels mais aussi laccès aux moyens de productions dans tous les champs de la culture. Nous avons ainsi pu constater que les moyens de production dans le spectacle vivant selon que le metteur en scène était un homme ou une femme allaient du simple au double. Publiée le 1er mars dernier, elle sera actualisée et complétée au début de lannée 2014. Et je remercie Nicole Pot qui est chargée au sein du ministère de la Culture et de la Communication de la question de légalité hommes/femmes et qui est extrêmement engagée dans cette politique volontariste dans laquelle elle se battait un peu seule auparavant.
Il fallait ensuite mettre en uvre une politique incitative : cest par là que passe le changement.
Jai installé dès le mois de mars un comité pour légalité entre les femmes et les hommes dans la culture et la communication qui rassemble tous les acteurs de la culture, parmi lesquels, Marc Nicolas, directeur général de la Femis qui est représenté ce matin, Caroline Champetier réalisatrice et directrice de la photographie et Marjane Satrapi, auteure et réalisatrice, qui représentent le cinéma et tous les enjeux du secteur au sein de ce comité.
Nous avons depuis défini les leviers qui nous permettrons de faire évoluer la situation. Cest là que jai concentré mon action et celle de mon Ministère :
- les contrats liant le Ministère aux différentes institutions définiront des clauses de promotion de légalité - la nomination, la rémunération et la place des femmes dans la programmation notamment dans le cadre du renouvellement des Contrats dObjectifs et de Moyens passés avec les médias publics ;
- une circulaire ministérielle envoyée aux préfets et aux Drac demande plus de parité dans la composition des jurys de sélection des candidats aux postes de dirigeants des institutions dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques. Elle insiste aussi sur la parité des listes restreintes. Pour la direction des centres dramatiques jai demandé quil y ait quatre personnes présélectionnées et cette liste doit être paritaire, deux hommes et deux femmes ;
- dans le cadre dune saison égalité, un courrier a été envoyé aux dirigeants des institutions culturelles dans le secteur du spectacle vivant pour les inciter à inverser la tendance en donnant une place plus équilibrée aux femmes artistes dans la programmation comme dans la répartition des moyens alloués à la production. Inciter ne signifie pas que nous devons nous ingérer dans tel ou tel choix artistique; pour en revenir au cinéma, autant répondre immédiatement à linterrogation : je ne suis pas favorable à létablissement de quotas arbitraires de films de femmes ou valorisant laction des femmes en sélection officielle du Festival de Cannes ! Je sais les dirigeants du Festival sensibles à ce sujet et je tiens à leur renouveler toute ma confiance. Je sais aussi pouvoir compter sur leur attention et leur vigilance à lavenir.
Légalité entre les femmes et les hommes commence au sein même de mon Ministère. Pour une plus juste représentation des femmes dans la culture, mon administration doit servir dexemple. Jai la chance davoir un cabinet qui est plus que paritaire et je souhaite que ce modèle sétende.
Je my engage donc fermement : tous les renouvellements des personnalités qualifiées dans les CA et dans les commissions consultatives du Ministère seront paritaires.
Il est aussi urgent de constituer un vivier exhaustif dans tous les corps concernés par les postes de direction, en repérant les talents dans tous les domaines et en organisant des formations adaptées. Je sais quun guide des expertes dans les médias a été publié.
Car, cest mon ambition, il nous faut nommer davantage de femmes aux postes de responsabilité au sein du ministère de la Culture et de la Communication et aller au-delà des objectifs de la loi Sauvadet.
Enfin, et cela a été évoqué par Najat Vallaud-Belkacem et ce nest pas le moindre de nos chantiers, nous avons voulu mobiliser toutes les énergies dans la lutte contre les stéréotypes.
Cest par là que commence le combat pour légalité.
Il faut avoir une attention particulière à nos domaines du cinéma, de la télévision, du spectacle, parce que la culture véhicule des représentations du monde, donne des modèles mais peut également véhiculer des stéréotypes difficiles à combattre. Notre mobilisation doit donc passer par là.
Les médias, le cinéma, sont au cur de ces enjeux. Parce que limage a une très forte influence sur la formation des idées et la construction des consciences, nous devons veiller à ce quelle soit le véhicule, non pas des blocages et des stéréotypes, mais dune juste représentation des femmes.
La lutte contre les stéréotypes passe aussi par la formation et par nos écoles : nous devons convaincre nos jeunes que, pas plus quil ny a de métiers qui seraient réservés aux femmes (ou aux hommes !), aucun métier ne leur est fermé. Cest vrai dans tous les domaines, cest particulièrement vrai dans la culture où lon observe de grandes inégalités dans la division du travail.
Dans les métiers techniques comme dans les métiers des directions détablissement, on observe dimmenses inégalités dans la division du travail. Des inégalités aussi entre les disciplines, dans le monde de la musique qui est par exemple, un monde très difficile daccès aux femmes : on connait la situation des femmes chefs dorchestre, il y en a trop peu, elles se battent pour venir à cette reconnaissance ; je salue à ce titre, Laurence Equilbey et lartiste lyrique Nathalie Stutzmann, qui sont à lavant-garde de ce combat.
Un peu plus de 6 mois après la mise en uvre de cette feuille de route, nous devons continuer à mobiliser toutes les énergies mais nous pouvons déjà nous réjouir de certaines avancées.
Nous disposons désormais doutils efficaces pour mesurer précisément les déséquilibres et mieux les enrayer.
Lobservatoire, dont les résultats sont examinés par le comité ministériel, est un précieux outil de mesure. Cest aussi un moyen dévaluer notre action pour une plus grande efficacité. Il sera très prochainement alimenté par les conclusions du rapport que le CNC me remettra fin novembre autour de la place des femmes au sein du CNC et de son système daides mais aussi, plus largement, sur la place des femmes dans la réalisation de films et dans la production cinématographique et audiovisuelle. Cest un travail extrêmement complet qui va permettre davoir un état des lieux le plus précis possible des discriminations dont sont victimes les femmes. Je remercie Frédérique Bredin et son équipe pour leur travail et leur très forte mobilisation sur le sujet.
La politique de nominations que jai menée depuis lannée dernière marque le début dune dynamique que je souhaite durable.
Face à la sous représentation des femmes à la tête de nos institutions culturelles - 90% des dirigeants sont des hommes et à ce quil convient dappeler un blocage institutionnel, jai voulu impulser un mouvement, que je poursuivrai, pour favoriser le renouvellement à la tête de nos institutions. Et le fait davoir mis en place ce jury paritaire, de demander que lon me propose des listes restreintes de candidats paritaires en fait partie.
Aujourdhui, grâce à une politique de nomination portée par une vision forte, on remarque que le simple fait davoir des commissions de sélection qui sont désormais elles-mêmes paritaires permet plus de 50% de candidatures féminines, contre moins de 20% auparavant.
Les résultats ne se sont pas fait attendre : nous avons pu ainsi nommer très récemment Frédérique Bredin à la tête du CNC mais encore Irina Brook au Théâtre national de Nice ou Sophie Makariou au Musée Guimet .parmi dautres !
A chaque fois ce sont des femmes qui ont une pleine légitimité, beaucoup dexpérience, beaucoup dénergie et ont donc eu enfin une vraie chance de pouvoir occuper une place à leur mesure.
Cest le signe que quelque chose est en train de bouger dans le paysage culturel français.
Cest le signe aussi que seule une volonté politique forte nous permettra davancer sur le terrain de légalité. Cette volonté, elle sexprime par cette charte qui, par la signature, engage, au-delà de la nôtre, celle de tous les acteurs du cinéma et de leurs interlocuteurs.
Je remercie lassociation Le Deuxième regard davoir initié cette charte, symbole de cette politique volontariste que nous menons ensemble. Nous continuerons très fermement ce combat pour légalité entre les femmes et les hommes sur nos écrans.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 14 octobre 2013