Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la formation professionnelle et l'Europe sociale, Bruxelles le 30 septembre 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque de l'université des régions et des territoires à Paris le 30 septembre 2013

Texte intégral


Permettez-moi d’abord de vous remercier pour l’invitation que vous m’avez faite à m’exprimer devant vous lors de cette université européenne des régions et des territoires pour apprendre tout au long de la vie.
C’est pour moi l’occasion de saluer le travail de la FREREF,
* unanimement reconnue pour sa capacité à favoriser les échanges interrégionaux entre décideurs, acteurs de terrain, chercheurs et partenaires sociaux– c’est-à-dire sa capacité à aller chercher les innovations, les recenser et les faire connaître ;
* reconnue aussi pour son savoir-faire dans le développement et l’appui des coopérations interrégionales, comme pour ce qui fait l’« apprendre tout au long de la vie » au niveau régional.
Vous adresser ce message a d’autant plus de sens ici, en Rhône-Alpes, qui est la région « pionnière » de la FREREF.
J’appuie d’autant plus les démarches de la Fondation qu’elles sont totalement convergente avec la régionalisation plus poussée de la formation professionnelle que veut promouvoir le Gouvernement, à l’occasion de l’Acte III de la décentralisation ; mais aussi parce qu’elles s’intègrent dans la dynamique européenne que nous voulons porter.
1 [Eclairage sur la politique européenne emploi/formation]
C’est par là que je souhaite commencer.
Dès le mois d’octobre 2012, j’ai proposé à mes homologues socialistes et sociaux-démocrates européens ce que l’on appelle dans le jargon communautaire un « non papier » (« non paper » en anglais) : un texte faisant le constat de la panne de l’Europe sociale, c’est-à-dire l’Europe de l’emploi et des compétences. Ce « non-papier » proposait des pistes pour la relancer. L’une d’entre elles est une action forte en faveur de l’apprentissage -à inclure dans le programme Erasmus- associée à une réflexion autour d’un statut européen de l’apprenti. Je sais que vous partagez cette préoccupation de la mobilité des jeunes en formation professionnelle. Une majorité des Conseils Régionaux français a construit des programmes d’aide à la mobilité, avec la volonté de donner accès à cette mobilité non seulement aux étudiants mais aussi aux apprentis, mais aussi aux demandeurs d’emploi ou aux jeunes des missions locales.
A partir de cette première démarche des ministres sociaux démocrates, je me suis attaché à mobiliser nos amis allemands, en m’appuyant sur les relations extrêmement denses et amicales que j’ai avec mon homologue allemande Ursula von der Leyen. C’est ainsi que nous avons présenté ensemble au conseil EPSCO du 28 février dernier une contribution commune, inspirant les propositions faites dans le domaine social par le Président la République François Hollande et la Chancelière Angela Merkel lors du sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernements du 30 mai dernier.
Après la panne doit venir le temps de l’élan, nous nous y employons !
Je vous ai parlé de la refonte et de l’élargissement du programme Erasmus en un Erasmus + qui donnerait sa place à l’apprentissage. J’ajoute que, le 2 juillet 2013, « l’alliance européenne pour l’apprentissage » a été lancée à Leipzig. Cette alliance permettra de lutter contre le chômage des jeunes en multipliant les offres d’apprentissage dans l’ensemble de l’UE et en améliorant leur qualité, grâce à un large partenariat entre les principales parties prenantes en matière d’emploi et d’éducation.
L’Europe a la responsabilité de reprendre le chemin de l’emploi et des compétences pour s’extraire de la crise « par le haut ». C’est le message que je porte, que porte la France auprès de ses partenaires et c’est ce qu’elle s’applique à elle-même en programmant une importante réforme de la formation professionnelle, dont les partenaires sociaux viennent d’être saisis.
2 [Sur la réforme de la formation professionnelle]
Car sortir de la crise économique, c’est gagner sur deux plans :
- Celui de la compétitivité de nos entreprises. Dans nos économies modernes, les connaissances et les compétences sont le fer de lance de la réussite économique là où, hier, c’était davantage la capacité de constituer de gigantesques outils de production. La réforme de la formation professionnelle est donc particulièrement décisive.
- Mais si la formation professionnelle est un enjeu de compétitivité pour les entreprises, elle est tout autant un enjeu de sécurisation des parcours et des personnes, autre condition de sortie de la crise et des précarités qu’elle induit, tirant toujours nos systèmes économiques et sociaux vers le bas.
Il faut donc faire évoluer notre appareil de formation !
Vous savez, dans cette enceinte que la grande loi qui fonda la formation professionnelle dans notre pays est celle de 1971, inspirée par Jacques Delors.
Or, depuis 1971, le monde du travail a profondément changé :
- Le chômage de masse a fait son apparition,
- le modèle de l’emploi à vie est de moins en moins d’actualité,
- 80% des embauches se font en CDD et une forme d’insécurité sociale a été réintroduite.
Dès lors, il nous appartient de construire les nouveaux dispositifs de sécurisation qui correspondent au temps présent :
- Si l’économie va plus vite, si les transitions sont plus nombreuses, il faut un accès plus fréquent et plus rapide à la formation professionnelle.
- Si la montée en compétences garantit un emploi plus durable et de meilleure qualité, il faut pouvoir mobiliser la formation quand on le souhaite.
- Si le retour à l’emploi nécessite d’apprendre un métier ou de changer de métier, il faut que la formation professionnelle s’adresse davantage aux chômeurs et aux salariés menacés de le devenir.
L’enjeu, c’est de construire une sécurité dynamique, adaptée à l’accélération du temps que nous connaissons, et qui protège les moments de transition entre différentes situations d’emploi, pour ne plus laisser personne glisser dans la trappe du chômage, particulièrement pour les plus bas niveaux de qualification pour qui la menace est ressentie de manière très forte, la flexibilité est largement subie et l’instabilité est une donnée quotidienne.
Dès lors, il nous faudra être particulièrement attentif au couplage entre formation et emploi ; entre chômage et formation, entre école et entreprise. Nous sommes exactement au cœur de votre journée : apprendre et se former tout au long de la vie… et j’ajoute « quelle que soit sa situation d’emploi à un instant donné ».
Partout, donc, nous aurons à imaginer les maillons juridiques, sociaux, économiques qui conjureront l’insécurité sociale. Je suis convaincu que la formation est l’un de ces maillons.
C’est pourquoi la mise en œuvre du compte personnel de formation constituera une pierre angulaire de cette réforme, avec une double mission : la protection et la progression.
* Protéger car, avec le compte, les droits à la formation ne seront plus caducs si le salarié change d’emploi ou perd celui-ci. Ils seront attachés à sa personne -autrement dit tout au long de la vie- et seront toujours mobilisables au moment le plus opportun, en particulier dans les phases de transition. Bien articulé avec les autres dispositifs de formation, en particulier avec l’action des Régions et de Pôle Emploi, le compte deviendra l’indispensable bagage du parcours professionnel épaulant constamment le travailleur du début à la fin de sa vie professionnelle.
* Protéger, certes, mais aussi permettre de progresser, car le compte ira au-delà d’un simple instrument d’adaptation des compétences. Il confortera l’envie de nos concitoyens de se former, facilitera l’accès à la qualification, comme l’éducation tout au long de la vie et l’accès à la culture, pendant le temps de travail mais aussi en dehors.
Depuis un peu plus de 10 ans le concept de formation tout au long de la vie a supplanté les catégories plus anciennes de formation professionnelle initiale et de formation professionnelle continue.
Cette approche dit bien le besoin de dépasser le cloisonnement par statut (scolaire, demandeur d’emploi, actif, retraité…). Elle est une « approche par les usages » qui permet de positionner la formation professionnelle au service de différentes finalités, qui font sens à différents moments de la vie : l’éducation et l’instruction, l’apprentissage d’un nouveau métier, le développement des compétences dans le cadre d’un métier, l’élévation de son niveau de qualification, la remise à niveau sur des savoirs de base mais aussi des finalités qui peuvent ne pas être professionnelles.
Dépassement du cloisonnement des statuts, mais aussi du cloisonnement des diplômes dans un pays aussi « académique » que le nôtre. La formation tout au long de la vie sous-entend l’égale dignité des moments et des voies de formation. Elle implique la construction d’un lien particulièrement fort entre les différentes situations d’un parcours en reconnaissant et valorisant l’expérience.
Dans cette approche dynamique et enjambant les murs anciens, la possibilité de se former tout au long de la vie suppose une souplesse de l’appareil de formation pour qu’il s’adapte aux différentes circonstances de la vie : formation sur le temps de travail, hors temps de travail, en présentiel, à distance, etc. Alors l’ambition de sécurisation peut prendre corps, s’adaptant à chaque situation.
Mais pour cela le travail ne manque pas !
Les chiffres bruts peuvent donner l’image d’un accès massif de nos concitoyens à la formation professionnelle :
- Près de 430 000 apprentis et 1 750 000 jeunes en formation professionnelle sous statut scolaire
- Plus de 600 000 chômeurs qui entrent chaque année en formation
- Et plus de 10 millions de salariés
… il n’en reste pas moins que les défauts du système sont nombreux :
- L’accès à la formation reste très inégalitaire. En fonction de l’âge : taux d’accès de 51% pour les moins de 30 ans, et de 35% pour les plus de 50 ans ; en fonction de la taille de l’entreprise : taux d’accès de 16% dans les entreprises de moins de 20 salariés et de 34% dans celles de 500 et plus.
- De plus, l’accès à la formation n’est pas le plus aisé pour ceux qui en ont le plus besoin : 20% de demandeurs d’emploi en moyenne sur l’année accèdent à une formation, ce qui peut paraître faible.
- Par ailleurs, cet accès reste très dépendant de la période de formation initiale et du niveau d’études et de diplôme : 1 non diplômé sur 10, contre 3 déjà diplômés du supérieur sur 10, déclarent avoir suivi une formation sur les douze derniers mois ; 1 ouvrier sur 10 contre 1 cadre sur 3 déclarent avoir suivi une formation dans les douze derniers mois !
- Enfin, formation professionnelle initiale et continue restent assez cloisonnées : peu d’adultes reviennent se former dans les universités, moins encore dans les lycées mis à part les formations délivrées par les GRETA.
On voit ainsi les limites d’une approche trop formelle de la formation professionnelle, et l’échec relatif de la loi de mai 2004, notamment de sa mesure phare : le droit individuel à la formation. Il a été trop souvent mobilisé pour des projets de simple adaptation des compétences et quasi jamais exportable en dehors de l’entreprise pour les salariés perdant leur emploi. C’est pourquoi pour donner un sens à la formation tout au long de la vie, un supplément d’âme en somme, j’ai choisi pour ma part de l’articuler à une autre notion, celle de sécurisation du parcours professionnel.
Voilà résumés les enjeux de la négociation nationale interprofessionnelle entre partenaires sociaux qui a démarré le 24 septembre, et de la concertation quadripartite Etat-Régions-partenaires sociaux autour du compte personnel de formation qui sera animée dès demain par Jean-Marie Marx.
La révolution de cette réforme, ce sera la portabilité
Sa nouveauté, ce sera l’égalité et la solidarité. La loi du 14 juin relative à la sécurisation de l’emploi précise ainsi que le compte personnel de formation peut être abondé par l’Etat ou la région « en particulier pour les personnes qui ont quitté le système scolaire de manière précoce ou qui, à l’issue de leur formation initiale, n’ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue ». Cela veut dire que si le compte personnel de formation a une vocation universelle, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux devront consentir un effort particulier pour les jeunes sans qualification, mais aussi pour les adultes salariés ou demandeurs d’emploi, peu ou pas qualifiés.
En cela le gouvernement est très cohérent : la loi d’orientation pour la refondation de l’Ecole du 8 juillet acte en effet la création, d’un droit à la formation initiale différée sous la forme d’une durée complémentaire de formation qualifiante pour les jeunes sortant du système éducatif sans diplôme, durée complémentaire qui peut se traduire par un retour en formation initiale. Un échec en formation initiale ne doit plus obérer l’ensemble de la vie professionnelle.
3 [Le rôle des régions]
Je veux conclure mon propos en parlant du rôle des régions.
Pour avoir été entre 1998 et 2007 Président de Région –une belle région, la région Centre- je sais que la mise en œuvre des politiques se joue au cœur des territoires. Vous avez d’ailleurs réfléchi ce matin sur la « fonction assemblière » des Régions en Europe.
Du point de vue institutionnel les Régions françaises sont compétentes en matière d’apprentissage, d’investissement et d’équipement dans les lycées professionnels et de formation professionnelle des personnes à la recherche d’un emploi. En réalité et au regard des approches que j’ai développées tout à l’heure, je dirais que les Régions sont bien plus que cela : cela fait un temps certain qu’elles ont débordé des cases assignées par la répartition des compétences et que, via les partenariats qu’elles nouent, elles représentent aujourd’hui un moteur de la formation tout au long de la vie.
* En construisant des passerelles entre lycées et CFA,
* En s’impliquant dans la formation professionnelle des salariés à travers la politique économique de filières ou le soutien aux pôles de compétitivité qui incluent des actions collectives de formation ; en intervenant aux côtés des partenaires sociaux après la crise de 2008 dans des dispositifs de type « former plutôt que licencier »
* En cofinançant parfois des actions de formation hors temps de travail, pour les salariés et les demandeurs d’emploi, qui ont un projet de promotion professionnelle ou sociale.
Ces initiatives sont une source d’inspiration au niveau national. La réforme en profondeur de la formation professionnelle que je vais porter va, dans ses différentes composantes, fortement accentuer ce rôle : L’engagement des Régions dans la mise en œuvre du compte personnel de formation sera indispensable. Le déploiement du compte ne nécessitera pas nécessairement de moyens financiers supplémentaires mais un double « changement de logiciel » :
- traduire des budgets et des programmes en dotation d’heures sur un compte personnel – ce qui peut favoriser l’autonomie et la capacité d’initiative des jeunes et des adultes concernés ;
- concevoir systématiquement son intervention en articulation avec l’intervention des autres acteurs, l’Education nationale, Pôle Emploi ou les partenaires sociaux afin de donner une réponse satisfaisante au plus grand nombre de projets de formation quel que soit le statut de la personne. Le plan « 30 000 formations prioritaires pour l’emploi », dans lequel le Conseil régional Rhône Alpes est investi, je le sais, préfigure cette nouvelle logique d’action.
La nouvelle étape de décentralisation va également
* accroître le rôle pilote des régions en matière de formation tout au long de la vie : propositions d’ouverture ou de fermeture de classes en lycée professionnel, carte des formations professionnelles initiales pour renforcer encore les complémentarités entre statut scolaire et apprentissage au bénéfice de l’alternance en général.
* accroître le rôle de coordination et d’animation du service public de l’orientation
* animer la lutte contre le décrochage des jeunes.
Animation, coordination, c’est bien par la voie de la mise en réseau, des « alliances », des dynamiques de territoire – thèmes que vous évoquiez ce matin cher Jean-Jack Queyranne, que le pouvoir régional s’exercera plus encore demain au service de l’inscription dans la réalité quotidienne de nos concitoyens de la formation tout au long de la vie et de la sécurisation des parcours.
Dans ce domaine je veillerai à ce que l’interaction entre ce que nous entreprenons au niveau national et ce dont vous avez l’initiative au niveau régional soit forte et féconde.
Je sais que je pourrais m’appuyer, avec vous, avec les Fondation des régions européennes pour la recherche en éducation et en formation, sur des acteurs impliqués et qui partage beaucoup de cette vision.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 2 octobre 2013