Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la formation professionnelle et notamment le compte personnel de formation, Paris le 16 octobre 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Michel Sapin - Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Texte intégral

Mesdames et messieurs les parlementaires, Cher Jean-Patrick Gille, qui porte avec constance et détermination ces sujets de la formation professionnelle Mesdames et messieurs, experts et spécialistes de la formation professionnelle,
Ce colloque est une occasion de réfléchir ensemble à ce que nous voulons faire du compte personnel de formation, création de l'ANI du 11 janvier 2013 et de la loi de sécurisation de l'emploi. Je cite le nouvel article du code du travail : « Afin de favoriser son accès à la formation professionnelle tout au long de la vie, chaque personne dispose dès son entrée sur le marché du travail, indépendamment de son statut, d'un compte personnel de formation. Le compte personnel de formation est comptabilisé en heures et mobilisé par la personne lorsqu'elle accède à une formation à titre individuel, qu'elle soit salariée ou demandeuse d'emploi. Il est intégralement transférable en cas de changement ou de perte d'emploi et ne peut en aucun cas être débité sans l'accord exprès de son titulaire ».
Voilà un bel article, dont je ne cesse de me féliciter et de mesurer la pertinence, au fil de mes déplacements et de mes rencontres avec des salariés ou des chômeurs. Mais il nous reste à faire le plus important : la mise en œuvre effective sur le terrain.
Je règle tout de suite une question : le terme de « faisabilité », inscrit dans le titre du colloque. C'est très simple : oui, le compte est faisable et, oui, nous le ferons ! Et, pour que cette demi-journée soit pleinement utile, occupons-nous des deux autres termes « finalités et usages », car l'article de loi que je viens de lire, que vous avez voté, ne manque pas de soulever toutes sortes de questions opérationnelles. Nous sommes là pour cela !
D'emblée, je veux aussi être très honnête et, ce faisant, fidèle à ma méthode. Une négociation nationale interprofessionnelle est en cours, complétée par la concertation quadripartite sous la présidence de Jean-Marie Marx, soit un processus de dialogue social riche, nourri et intense.
N'attendez donc pas de moi des annonces, comme si tout était déjà joué et que la négociation n'était là que pour « amuser la galerie », comme si le projet de loi qui suivra cet accord étaient déjà écrit.
Ce n'est pas le cas, car le processus de dialogue social est authentique et véritable.
J'ajoute qu'il est ambitieux car il vise une réforme globale, qui portera tant sur le contenu, que sur la gouvernance et le financement de la formation professionnelle, les trois ensemble. Le compte personnel de formation est la colonne vertébrale de cette reforme, mais il n'en constitue pas tout le corpus.
Cette ambition d'embrasser une vision large dans une négociation de ce type a bien réussi pour la sécurisation de l'emploi.
Trop souvent, la formation professionnelle a souffert d'un « travail à la découpe ». En 2004, par exemple, la réforme de la décentralisation et celle de la formation professionnelle ne se sont jamais rencontrées ! En 2009, si la réforme a été précédée de travaux Etat-Région-Partenaires sociaux dans le groupe animé par Pierre Ferracci, les partenaires sociaux ont ensuite conduit une négociation « classique », dont l'Etat a assuré la transposition plus ou moins fidèle, mais les Régions ont disparu très tôt du processus.
Il nous fallait donc faire mieux, aborder tous les enjeux et les prendre tous ensemble, D'ores et déjà, nous avons réussi cela : la concertation sur l'apprentissage fait partie du même « paquet » et la nouvelle étape de décentralisation de la formation professionnelle devrait être portée par la loi qui découlera de l'actuelle négociation sociale.
Pour autant, je ne suis pas venu pour ne rien vous dire. Cela ferait de la peine à Jean-Patrick Gille qui m'a invité ce matin.
Le « dialogue social à la française » est d'ailleurs l'articulation entre une parole politique (celle du Gouvernement) ET une négociation sociale , suivie par un travail politique de traduction par la loi.
Cette réforme, nous la ferons ensemble, certes, chacun dans son rôle, mais ensemble quoi qu'il en soit. Voilà ce qu'il y a de « français » dans cette « démocratie sociale à la française ». Nous sommes une nation politique et c'est au sein de cette armature politique que la démocratie sociale doit – et peut – croître.

Alors venons-en au compte personnel de formation lui-même, universel et intégralement transférable.

1. Promotion et seconde chance
D'abord le compte devra favoriser l'initiative et la capacité de proposition des salariés. Je veux, pour illustrer mon propos et vous convaincre de cela, remonter le temps et revenir à la loi de 1971 ; la grande loi sur la formation professionnelle inspirée par Jacques Delors ; la loi qui donna prise aux salariés sur leur parcours professionnel ; la loi qui positionna la formation professionnelle comme un instrument de promotion personnelle, de réussite et d'ascension sociale.
Aujourd'hui, c'est bien de cela dont il s'agit : par son caractère individualisé, compréhensible et lisible, le compte personnel de formation doit donner les moyens et l'envie de progresser par la formation. Et d'abord pour les plus bas niveaux de qualification et les demandeurs d'emploi. Voilà ce que le compte devra changer : ouvrir l'accès de tous à la formation et à la qualification, plus seulement les salariés déjà les plus diplômés, ni ceux des seules grandes entreprises – qui bénéficient aujourd'hui le plus de la formation continue et qui en connaissent bien l'intérêt et l'efficacité.
Outre donner envie de se former, le compte devra également corriger les inégalités. L'individualisation et l'accès à ses droits en seront de moyens. Pour cela il faudra développer l'accompagnement.
Mais mon ambition pour le compte va plus loin. Je m'explique.
Notre pays a massivement investi dans l'éducation, fixant l'objectif de 80% d'une classe d'âge au bac. Il a fait de l'école le moyen privilégié de progression sociale. Mais en accordant cette place centrale à l'école et à mesure que l'ascenseur social se bloquait, les positions se sont en quelque sorte figées. Les premières places que l'on occupe dans sa vie professionnelle sont devenues déterminantes. Comme si l'on n'avait qu'une seule chance dans la vie – celle de bien travailler à l'école et de décrocher de bons diplômes – et que cette chance devait déterminer l'ensemble de la carrière. Je crois que le compte doit désormais jouer un véritable rôle de nouvelle chance, une possibilité de rebattre les cartes en cours de sa carrière, de s'échapper d'une trajectoire déterminée une fois pour toute par l'école, le diplôme et les années de jeunesse. On a le droit de mûrir, de changer, d'évoluer, de se découvrir comme professionnel sur le tard, ou tout simplement d'évoluer dans ses choix et dans ses goûts. C'est aussi cela, corriger les inégalités.
La reconnaissance du mérite, des compétences, des savoirs, ne doit pas relever que de l'école. Le compte personnel de formation devra permettre de gravir les échelons de la qualification à la force de son travail et de ce que l'on apprend. Il est appelé à devenir progressivement aussi important dans la construction d'une carrière que l'école et les études.

Vous le voyez, j'ai de l'ambition pour le compte personnel de formation :

  • donner envie de se former,
  • donner accès à ses droits,
  • offrir une chance pour de nouveaux départs,
  • reconnaître l'expérience,
  • et sortir d'une logique de prescription – terme utilisé pour un médecin face à son malade ! – pour entrer dans l'espace du choix – fût-il conseillé et accompagné.

Cette approche impose de dépasser le cloisonnement par le statut (scolaire, jeunes décrochés sans qualification, demandeur d'emploi, salarié, indépendant, …). Elle est une « approche par les usages » qui permet de concevoir la formation professionnelle au service de différentes finalités, qui font sens à différents moments de la vie : l'éducation et l'instruction, l'apprentissage d'un nouveau métier, le développement des compétences dans le cadre d'un métier, l'élévation de son niveau de qualification, la remise à niveau sur les savoirs de base mais aussi des finalités qui peuvent ne pas être professionnelles.

2. Sécurisation
J'ajoute une autre dimension, elle aussi absolument fondamentale : la sécurisation des parcours professionnels.
Avec le compte, les droits à la formation ne seront plus caducs si le salarié change d'emploi ou perd celui-ci. Ils seront attachés à sa personne – autrement dit tout au long de la vie – et seront mobilisables au moment le plus opportun, en particulier dans les phases de transition. Bien articulé avec les autres dispositifs de formation, aujourd'hui mobilisables de façon plus ou moins simple, selon son statut, le compte deviendra l'indispensable bagage du parcours professionnel épaulant constamment tous les actifs, du début à la fin de leur vie professionnelle.
Nous le savons, la vie économique s'accélère, des emplois sont créés, d'autres emplois sont détruits et d'autres, encore, changent du tout au tout. Il nous faut constituer des éléments de sécurité professionnelle dynamique, c'est-à-dire adaptés à l'accélération du temps. Le compte doit permettre de se relancer quand son emploi disparaît ou – mieux encore – d'augmenter ses qualifications et ses compétences avant même que celles-ci ne soient obsolètes et que l'emploi ne soit menacé. Voilà de quoi apporter des solutions à des salariés et des demandeurs d'emplois mis en situation d'insécurité par le mouvement de l'économie.
Demain, le compte contribuera à faire des transitions un temps plus sécurisé et non une précarité de plus, plantée sur l'échine de salariés fragilisés comme une banderille supplémentaire.
Demain, avec le compte et avec d'autres instruments de sécurisation des parcours, nous ne laisserons plus les individus dévisser et tomber dans le chômage et la pauvreté.
Le compte ne règlera pas tout, mais il en est une brique – plus que cela, un pilier. Sa complémentarité avec le compte de prévention de la pénibilité, qui a été voté hier ici même, sera un facteur de renforcement de ce pilier, pour faciliter l'évolution professionnelle des salariés particulièrement exposés.

3. Conditions et enjeux
Mais il y a des conditions pour que le compte personnel soit un succès :
* d'abord il ne doit pas s'enliser dans les mêmes écueils que le DIF. Le DIF ne bénéficiait pas d'un financement dédié. Les formations initiées dans ce cadre étaient trop souvent des actions relevant du plan de formation.
Le compte personnel de formation doit bénéficier d'un financement spécifique afin de ne pas être dégradé et rabattu sur d'autres dispositifs.
Il doit affirmer son ambition qualifiante afin de constituer le levier d'une véritable évolution professionnelle. Les partenaires sociaux vont avancer sur le sujet, j'en ai la conviction, Leurs propositions pourraient rebattre les cartes du financement de la formation professionnelle.
Voilà pourquoi, à mes yeux, le compte peut être le levier, l'aiguillon, le navire amiral d'une réforme globale du système. Ouvrons le débat ! Je suis certain que les spécialistes que vous êtes ont des idées.
* Pour autant, le compte personnel ne doit pas faire reposer sur les seuls salariés une obligation qui reste celle de l'employeur : maintenir la capacité de ses salariés à occuper un emploi, ce que certains appellent d'un mot que je n'aime pas « l'employabilité » des salariés. En clair, le compte personnel nous invite à trouver un nouvel équilibre entre ce qui relève de l'initiative individuelle d'une part, et de la sécurité collective d'autre part. Cas concret : comment traiter une formation qui bénéficie à la fois au salarié et à l'entreprise ? Dans quels cas l'entreprise peut-elle abonder le compte ? Trouver ces réponses est la tâche des négociateurs.
* Un autre équilibre est à trouver entre la sécurisation des salariés et la compétitivité des entreprises qui sont au fond les deux faces d'une même pièce. Même si le besoin de performance de l'entreprise pourrait la conduire, dans une vision de court terme, à miser sur ceux qui sont déjà les plus formés, l'intérêt global de toute l'économie – et donc des entreprises elles-mêmes à long terme- est de disposer d'une main d'œoeuvre qualifiée, professionnelle, réactive, et donc de hausser le niveau général et la capacité d'adaptation permanente.
C'est pour cela qu'à côté de l'adaptation au poste et de l'intérêt immédiat de l'entreprise, il existe et existera des obligations pour toute l'économie. Aux partenaires sociaux de se mettre d'accord et de nous présenter un compromis solide et pertinent au regard de l'intérêt général.
* Enfin, une dernière condition de succès de la réforme – je l'ai déjà mentionnée – c'est l'accompagnement de la capacité d'initiative des salariés. La mise en œoeuvre du compte doit aller de pair avec le renforcement de l'information sur la formation et les parcours professionnels, car avoir un droit ne suffit pas, il faut savoir s'en saisir, en comprendre les enjeux et les possibilités.
La concertation quadripartite Etat-Régions-Partenaires sociaux va permettre de préciser les contours de ce nouveau service de conseil en évolution professionnelle. Il m'apparait indissociable et indispensable à la mise en œoeuvre opérationnelle du compte.
Voilà ce que je voulais vous dire ce matin
Je serai attentif au contenu des débats de votre journée et aux idées qui en sortiront. Ce type d'initiative est utile pour irriguer négociation et concertation qui sont des processus que je mets un point d'honneur à respecter comme tels. Aux partenaires sociaux de jouer, en lien avec les Régions et l'Etat.
Nous prendrons ensuite toutes nos responsabilités comme on dit, et nous reviendrons ici pour la discussion parlementaire.
Je vous dis donc : à très bientôt !
Je vous remercie.

Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 18 octobre 2013