Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs, mes chers amis,
Je veux vous dire d'abord le plaisir et l'honneur que je ressens de participer à vos travaux. Ce sont des travaux importants. La nécessité de la coopération entre parlements est, à mes yeux, tout à fait fondamentale. Nous l'avons lancée il y a de cela quelques années, et cette nécessité n'a fait qu'augmenter depuis lors.
En 1979, les citoyens européens élisaient pour la première fois au suffrage universel direct leurs représentants au Parlement européen. C'est une date charnière. La légitimité du processus de décision de l'Europe était en jeu, et la question du rôle des parlements nationaux dans l'Europe devait être posée. Nous étions en 1979.
Dix ans plus tard, en 1989, j'étais alors, et c'était une situation étrange, à la fois Président de l'Assemblée nationale française et membre du Parlement européen, et j'ai proposé dans cette perspective la création de la COSAC. C'est l'exemple même, mais assez rare, d'une mauvaise situation qui débouche sur une bonne décision. Mauvaise situation : être président d'un parlement national et être membre du parlement européen. Je ne vous le recommande pas, à supposer que ce soit permis. Bonne initiative : la création de la COSAC. L'objectif dans mon esprit et dans ceux de mes collègues qui avaient soutenu cette initiative était double : d'une part, il s'agissait de permettre aux parlements nationaux de participer à la vie de ce que nous n'appelions pas encore l'Union européenne, et d'autre part il s'agissait de favoriser la coopération entre parlements nationaux et entre parlements nationaux et parlement européen.
J'avais, comme vous, une conviction : c'est que les parlements nationaux ont un rôle important à jouer dans le bon fonctionnement de l'Union européenne. La coopération interparlementaire permet, c'était ma conviction d'alors, cela reste ma conviction d'aujourd'hui, d'apporter aux décisions de l'Union une légitimité plus grande et de mieux prendre en compte les souhaits des populations.
La première réunion de cette conférence interparlementaire fut organisée par l'Assemblée nationale en novembre 1989. Le mur de Berlin venait de tomber. L'Union européenne comprenait seulement 12 États et à Paris les députés s'interrogeaient sur le renforcement du contrôle parlementaire des affaires européennes et notamment sur leur propre rôle dans la construction européenne.
Et puisque je parle de cette époque, qu'il me soit permis aujourd'hui d'évoquer, d'un mot seulement, la mémoire de notre collègue, M. Mazowiecki, grande figure polonaise, qui est malheureusement décédé.
Nous sommes près de 25 ans plus tard, nous participons aujourd'hui à la 50ème réunion de la COSAC. Et il me semble que les raisons qui ont justifié la création de cette institution sont toujours valables et sans doute encore plus valables, compte tenu des développements d'une Union qui donnent à cette Europe une configuration différente de la fin des années 1980. Cette Europe doit en effet faire face, nous le savons tous, vous allez le répéter au cours de cette journée, cette Europe doit faire face à une désaffection croissante des peuples qui sont déçus souvent par des politiques qui ne savent pas répondre aux défis d'une période de crises et de mutations. Si l'on est lucide, et je pense qu'il faut l'être, nous devons reconnaître à la fois que les Européens restent majoritairement attachés à l'idée européenne, mais que beaucoup d'entre eux critiquent -? non sans raisons - la gestion européenne, et que la confusion s'opère négativement entre l'idée et la gestion. Pour remédier à ce défaut, qui met en cause la légitimité démocratique de l'Union, une piste importante consiste à rapprocher la décision européenne des citoyens pour améliorer cette décision. Il ne s'agit pas seulement d'avoir des idées, des dispositions juridiques et des politiques européennes. Il faut que ces idées, ces dispositions, ces politiques répondent vraiment aux attentes des populations.
Depuis l'époque dont je parle, de nombreuses avancées ont été enregistrées. Le Parlement européen qui, selon les traités, représente les citoyens de l'Union européenne, est désormais co-législateur pour la plupart des textes législatifs. Ce parlement est un acteur fondamental du triangle institutionnel et il a pour mission d'assurer la défense des intérêts des citoyens européens dans le processus de décision. C'est également devant le Parlement européen que la Commission est responsable et les procédures d'audition des commissaires au moment du renouvellement des institutions sont devenues plus exigeantes. Les parlements nationaux sont désormais associés à la discussion concernant la législation communautaire ou l'approfondissement de l'UEM. Les débats organisés dans nos assemblées en sont la preuve, ainsi que la procédure qui doit veiller au respect du principe de subsidiarité ou encore les conférences interparlementaires.
Mais Mesdames et Messieurs, et c'est le sens de la courte intervention que je vais faire, je considère qu'il faut aller plus loin.
L'Union européenne, et en particulier l'Union économique et monétaire, s'est approfondie ces dernières années, pour essayer de répondre à la crise économique et financière. Les dispositions du two-pack et du six-pack comportent des conséquences directes sur la souveraineté budgétaire des parlements nationaux. Or, budget et parlement, c'est la même chose. Le renforcement de l'UEM impose une coordination accrue des politiques économiques et ce renforcement nécessite donc, en parallèle, une meilleure coordination entre les représentations nationales. Et surtout, il faut que nous respections le principe selon lequel à chaque étape du processus de décision doit correspondre un organe délibératif : il en va de la légitimité démocratique des orientations prises pour l'avenir de l'UEM et de l'Union. Les parlements doivent donc être en mesure d'occuper pleinement leur place dans ce cadre qui est nouveau, pour constituer le correspondant parlementaire de l'approfondissement de l'UEM. C'est l'objectif de la conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et budgétaire, qui a été établie à l'article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UEM, dont la première réunion a eu lieu il y a quelques jours, ici, à Vilnius.
Dans cette direction, comment faire plus et, surtout, comment faire mieux ? J'estime que tous les organes ont une part de responsabilité et que chaque niveau de décision - la Commission, les gouvernements, les parlements nationaux et le parlement européen -, chacun de ces niveaux doit s'engager au service d'une plus grande légitimité démocratique de l'Union. Et je voudrais vous soumettre modestement quelques propositions à cet égard.
Premièrement, beaucoup des dispositifs mis en place pour répondre à la crise ont renforcé le rôle de la Commission, en particulier dans le domaine de la gouvernance économique. C'est le cas notamment des transformations entrainées par la procédure qu'on appelle du « semestre européen ». Je pense qu'une telle évolution était nécessaire. Mais le corollaire indispensable de ces décisions, c'est un meilleur contrôle démocratique des procédures. Et à cet effet, je crois qu'il est souhaitable d'organiser les conditions d'un débat contradictoire entre les parlements nationaux, ou leurs représentants, et Bruxelles. Je pense qu'un représentant de la Commission pourrait par exemple se déplacer devant les assemblées parlementaires lorsque la Commission formule ses recommandations par pays, pour présenter son rapport devant la représentation nationale. On dit que la Commission est souvent lointaine. Une manière de répondre serait, pour elle, d'être davantage présente dans les États membres. Certes, en théorie, je le sais bien, cela peut déjà se faire. Mais je crois qu'il faudrait le faire plus largement. En d'autres termes, si chaque État membre doit s'efforcer d'adopter ce que j'appellerai « un réflexe européen », il faudrait qu'en retour, la Commission se déplace davantage dans les États membres et se présente devant les représentants des citoyens nationaux pour expliquer davantage sa politique, mais aussi prendre en considération leurs interrogations et leurs demandes. C'est la première suggestion modeste que je fais.
La deuxième concerne les États membres. Du côté des États membres, nous avons aussi besoin d'un débat européen enrichi et objectif. Il se produit souvent des critiques ou même parfois des refus de telle ou telle décision européenne. Je pense qu'elles peuvent être légitimes, sans pour autant qu'on doive taxer leurs auteurs d'être anti-européens. Mais à l'inverse, quand un gouvernement accepte une décision à Bruxelles, il doit avoir le courage de l'endosser. Si nous devons essayer de redonner le goût de l'Europe à nos concitoyens, nous devons améliorer la coopération avec les assemblées parlementaires sur les décisions européennes. Je prends le cas de la France. Depuis 2005, les Ministres peuvent se rendre devant le Parlement français pour présenter les enjeux du Conseil de l'Union dont ils ont la charge. Également, le Ministre français délégué chargé des Affaires européennes à mes côtés se rend devant le Parlement français pour débattre avec les parlementaires européens des points inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen. Je suggère que tous les exécutifs de tous nos pays s'efforcent d'associer davantage les parlements nationaux à la prise de décision au niveau européen, sans pour autant, et j'y insiste, bloquer les avancées nécessaires de la construction européenne. Je m'explique : il est légitime que chaque parlement puisse s'exprimer sur les questions européennes. Il est légitime que chaque gouvernement s'appuie sur son parlement. Il est légitime aussi que les cours constitutionnelles dans nos différents pays s'assurent de la conformité avec les Constitutions de telle ou telle disposition européenne. Mais je mets en garde par rapport à une situation qui pourrait se produire si se développait une pression systématique des parlements nationaux sur les décisions européennes, et si en plus se développait un recours systématique aux cours constitutionnelles. On pourrait se trouver dans une situation où les progrès nécessaires de la construction européenne seraient bloqués. Et donc il faut que nous soyons, dans nos responsabilités, très attentifs à trouver le point d'équilibre, et c'est difficile, entre d'un côté la légitimité de la consultation des parlements et de la saisine des cours constitutionnelles, et de l'autre côté la nécessité pour la construction européenne d'avancer.
La troisième suggestion que je me permets de faire concerne les députés européens. En tant qu'acteurs du triangle institutionnel et représentants des citoyens européens, ils ont la responsabilité de travailler avec les députés nationaux, notamment dans le cadre de la COSAC et plusieurs d'entre eux sont présents ici. La nouvelle Conférence, instituée par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UEM va dans le bon sens. Sa première réunion, il y a quelques jours, a permis de poser les bases d'une nouvelle coordination.
Si les procédures issues du two-pack et du six-pack étaient certainement nécessaires pour remédier aux déséquilibres de l'UEM, ces procédures doivent être légitimes auprès des citoyens et bien prendre en compte les positions des parlements nationaux : c'est un enjeu d'équilibre institutionnel. Par ailleurs, si les eurodéputés élus dans les 28 États membres traitent des politiques économiques des États membres de la zone euro, un autre déséquilibre peut s'installer. La question est donc de savoir puisqu'il semble, et c'est un souhait que la France émet, que la zone euro va de plus en plus se structurer. La question est donc de savoir comment équilibrer parlementairement, contrôler parlementairement cette zone euro. Il y a des propositions très ambitieuses qui sont faites et peut-être seront-elles légitimes. Dans l'immédiat, je pense qu'une structure dédiée à la zone euro pourrait être mise en place au sein du Parlement européen après les prochaines élections européennes, afin de garantir un contrôle démocratique et une légitimité appropriés aux décisions concernant la zone euro. Et il me semble légitime que ce soit le Parlement européen qui ait à décider les moyens pour y parvenir. C'est une proposition qui a été mise en exergue notamment dans une proposition commune franco-allemande formulée en mai 2013 et qui me semble de bon sens. Mais, je crois qu'il conviendrait parallèlement qu'une instance parlementaire, composée des délégués des chambres basses des États membres de la zone euro, puisse se réunir. Et qu'entre d'un côté la structure dédiée à la zone euro et de l'autre l'instance parlementaire des délégués des chambres basses, on puisse ainsi exercer, sans bouleverser les textes, un meilleur contrôle de ce que sera la future zone euro.
Quatrièmement, les parlementaires nationaux disposent d'une palette d'instruments pour intervenir dans la prise de décision européenne. Je veux m'arrêter un instant sur le protocole n°2, qui fait débat, pour revenir sur la notion de subsidiarité. Chacun sait ici que tout parlement peut adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime qu'un projet n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Les parlements sont ici totalement dans leur rôle. Il ne s'agit pas de freiner la construction européenne, mais de permettre aux élus nationaux de s'exprimer sur les propositions de la Commission. Les parlementaires doivent se saisir de cet outil pour mettre en cause les éventuels abus de certains projets mais aussi pour souligner leur volonté d'aller plus loin dans la construction européenne. Cette disposition a déjà démontré son fonctionnement, par exemple sur le projet de règlement appelé « Monti II ». Face à la Commission, les parlements nationaux ont su tirer la sonnette d'alarme à temps pour défendre, en l'occurrence, le droit de grève. Et ils ont été entendus par Bruxelles. Aujourd'hui même, au moment où nous parlons, le Sénat français examine une résolution européenne sur la création d'un parquet européen ; c'est la 2ème fois que la procédure du « carton jaune » est examinée. Et là je pense là aussi qu'il y a une piste qu'il est intéressant de suivre, même si bien sûr il ne faut pas en abuser.
Mesdames et Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs chers amis,
Dans quelques mois, les citoyens européens vont être appelés aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement européen. Une nouvelle Commission sera désignée, dont le président sera élu selon des modalités nouvelles.
Ces élections, je pense que tout le monde le souligne, ont lieu dans un contexte d'inquiétude lié en particulier à la situation économique. L'abstention, l'anti-Européanisme même, d'une certaine façon, menacent. Face à cela, certains estiment au nom d'une ambition forte, que seule une révision fondamentale des traités permettra de renforcer la légitimité démocratique de l'Union européenne. On peut tout à fait en discuter et nous ne sommes pas pour notre part hostiles à cela. Mais il me semble que l'urgence va commander d'agir vite et que tous les niveaux de décision ? la Commission, le Conseil, le Parlement européen, les parlements nationaux - devront rapidement améliorer leur coopération. Or, nous savons la difficulté de changer fondamentalement les traités. Et donc les pistes que j'ai évoquées pourraient être saisies pour essayer d'améliorer notre fonctionnement démocratique face à ce qui est ressenti par nos concitoyens comme un vide ou comme un manque.
J'estime que les raisons qui ont présidé à la création de la COSAC n'ont pas vieilli. Je pense que l'on doit vous féliciter de vous saisir non seulement de ces questions, comme vous avez décidé de le faire ici, mais aussi des questions du présent et du futur. La tâche de la COSAC est toujours parfaitement légitime comme enceinte privilégiée d'initiatives, de suivi et de débats sur la construction européenne, les parlements et les citoyens.
Mesdames et Messieurs, il y a dans nos pays, y compris en France, une expression courante que je n'aime guère, mais que nous allons beaucoup entendre dans les prochains mois ; cette expression, c'est « Bruxelles a décidé ». Vous savez que cette formule facile, que nous utilisons parfois nous-mêmes, est le plus souvent techniquement inexacte, de même que politiquement dangereuse parfois. Nous savons qu'en réalité, ce sont les représentants des États et des citoyens qui décident à Bruxelles comme à Strasbourg. Nous savons aussi que les parlements sont le coeur battant de la démocratie. Nous savons que l'une des tâches de la COSAC, hier comme aujourd'hui et comme demain, c'est de montrer à la fois que les parlements sont bien le coeur battant de la démocratie et que l'Union européenne est notre construction commune au service des citoyens. C'est pourquoi, je considère que la COSAC, créée il y a un quart de siècle, reste une enceinte utile et même essentielle. C'est la raison pour laquelle je vous remercie de m'avoir donné le plaisir et l'honneur de m'exprimer dans cette institution, que j'ai connue naissante et qui est devenue aujourd'hui adulte.
Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2013
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs, mes chers amis,
Je veux vous dire d'abord le plaisir et l'honneur que je ressens de participer à vos travaux. Ce sont des travaux importants. La nécessité de la coopération entre parlements est, à mes yeux, tout à fait fondamentale. Nous l'avons lancée il y a de cela quelques années, et cette nécessité n'a fait qu'augmenter depuis lors.
En 1979, les citoyens européens élisaient pour la première fois au suffrage universel direct leurs représentants au Parlement européen. C'est une date charnière. La légitimité du processus de décision de l'Europe était en jeu, et la question du rôle des parlements nationaux dans l'Europe devait être posée. Nous étions en 1979.
Dix ans plus tard, en 1989, j'étais alors, et c'était une situation étrange, à la fois Président de l'Assemblée nationale française et membre du Parlement européen, et j'ai proposé dans cette perspective la création de la COSAC. C'est l'exemple même, mais assez rare, d'une mauvaise situation qui débouche sur une bonne décision. Mauvaise situation : être président d'un parlement national et être membre du parlement européen. Je ne vous le recommande pas, à supposer que ce soit permis. Bonne initiative : la création de la COSAC. L'objectif dans mon esprit et dans ceux de mes collègues qui avaient soutenu cette initiative était double : d'une part, il s'agissait de permettre aux parlements nationaux de participer à la vie de ce que nous n'appelions pas encore l'Union européenne, et d'autre part il s'agissait de favoriser la coopération entre parlements nationaux et entre parlements nationaux et parlement européen.
J'avais, comme vous, une conviction : c'est que les parlements nationaux ont un rôle important à jouer dans le bon fonctionnement de l'Union européenne. La coopération interparlementaire permet, c'était ma conviction d'alors, cela reste ma conviction d'aujourd'hui, d'apporter aux décisions de l'Union une légitimité plus grande et de mieux prendre en compte les souhaits des populations.
La première réunion de cette conférence interparlementaire fut organisée par l'Assemblée nationale en novembre 1989. Le mur de Berlin venait de tomber. L'Union européenne comprenait seulement 12 États et à Paris les députés s'interrogeaient sur le renforcement du contrôle parlementaire des affaires européennes et notamment sur leur propre rôle dans la construction européenne.
Et puisque je parle de cette époque, qu'il me soit permis aujourd'hui d'évoquer, d'un mot seulement, la mémoire de notre collègue, M. Mazowiecki, grande figure polonaise, qui est malheureusement décédé.
Nous sommes près de 25 ans plus tard, nous participons aujourd'hui à la 50ème réunion de la COSAC. Et il me semble que les raisons qui ont justifié la création de cette institution sont toujours valables et sans doute encore plus valables, compte tenu des développements d'une Union qui donnent à cette Europe une configuration différente de la fin des années 1980. Cette Europe doit en effet faire face, nous le savons tous, vous allez le répéter au cours de cette journée, cette Europe doit faire face à une désaffection croissante des peuples qui sont déçus souvent par des politiques qui ne savent pas répondre aux défis d'une période de crises et de mutations. Si l'on est lucide, et je pense qu'il faut l'être, nous devons reconnaître à la fois que les Européens restent majoritairement attachés à l'idée européenne, mais que beaucoup d'entre eux critiquent -? non sans raisons - la gestion européenne, et que la confusion s'opère négativement entre l'idée et la gestion. Pour remédier à ce défaut, qui met en cause la légitimité démocratique de l'Union, une piste importante consiste à rapprocher la décision européenne des citoyens pour améliorer cette décision. Il ne s'agit pas seulement d'avoir des idées, des dispositions juridiques et des politiques européennes. Il faut que ces idées, ces dispositions, ces politiques répondent vraiment aux attentes des populations.
Depuis l'époque dont je parle, de nombreuses avancées ont été enregistrées. Le Parlement européen qui, selon les traités, représente les citoyens de l'Union européenne, est désormais co-législateur pour la plupart des textes législatifs. Ce parlement est un acteur fondamental du triangle institutionnel et il a pour mission d'assurer la défense des intérêts des citoyens européens dans le processus de décision. C'est également devant le Parlement européen que la Commission est responsable et les procédures d'audition des commissaires au moment du renouvellement des institutions sont devenues plus exigeantes. Les parlements nationaux sont désormais associés à la discussion concernant la législation communautaire ou l'approfondissement de l'UEM. Les débats organisés dans nos assemblées en sont la preuve, ainsi que la procédure qui doit veiller au respect du principe de subsidiarité ou encore les conférences interparlementaires.
Mais Mesdames et Messieurs, et c'est le sens de la courte intervention que je vais faire, je considère qu'il faut aller plus loin.
L'Union européenne, et en particulier l'Union économique et monétaire, s'est approfondie ces dernières années, pour essayer de répondre à la crise économique et financière. Les dispositions du two-pack et du six-pack comportent des conséquences directes sur la souveraineté budgétaire des parlements nationaux. Or, budget et parlement, c'est la même chose. Le renforcement de l'UEM impose une coordination accrue des politiques économiques et ce renforcement nécessite donc, en parallèle, une meilleure coordination entre les représentations nationales. Et surtout, il faut que nous respections le principe selon lequel à chaque étape du processus de décision doit correspondre un organe délibératif : il en va de la légitimité démocratique des orientations prises pour l'avenir de l'UEM et de l'Union. Les parlements doivent donc être en mesure d'occuper pleinement leur place dans ce cadre qui est nouveau, pour constituer le correspondant parlementaire de l'approfondissement de l'UEM. C'est l'objectif de la conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et budgétaire, qui a été établie à l'article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UEM, dont la première réunion a eu lieu il y a quelques jours, ici, à Vilnius.
Dans cette direction, comment faire plus et, surtout, comment faire mieux ? J'estime que tous les organes ont une part de responsabilité et que chaque niveau de décision - la Commission, les gouvernements, les parlements nationaux et le parlement européen -, chacun de ces niveaux doit s'engager au service d'une plus grande légitimité démocratique de l'Union. Et je voudrais vous soumettre modestement quelques propositions à cet égard.
Premièrement, beaucoup des dispositifs mis en place pour répondre à la crise ont renforcé le rôle de la Commission, en particulier dans le domaine de la gouvernance économique. C'est le cas notamment des transformations entrainées par la procédure qu'on appelle du « semestre européen ». Je pense qu'une telle évolution était nécessaire. Mais le corollaire indispensable de ces décisions, c'est un meilleur contrôle démocratique des procédures. Et à cet effet, je crois qu'il est souhaitable d'organiser les conditions d'un débat contradictoire entre les parlements nationaux, ou leurs représentants, et Bruxelles. Je pense qu'un représentant de la Commission pourrait par exemple se déplacer devant les assemblées parlementaires lorsque la Commission formule ses recommandations par pays, pour présenter son rapport devant la représentation nationale. On dit que la Commission est souvent lointaine. Une manière de répondre serait, pour elle, d'être davantage présente dans les États membres. Certes, en théorie, je le sais bien, cela peut déjà se faire. Mais je crois qu'il faudrait le faire plus largement. En d'autres termes, si chaque État membre doit s'efforcer d'adopter ce que j'appellerai « un réflexe européen », il faudrait qu'en retour, la Commission se déplace davantage dans les États membres et se présente devant les représentants des citoyens nationaux pour expliquer davantage sa politique, mais aussi prendre en considération leurs interrogations et leurs demandes. C'est la première suggestion modeste que je fais.
La deuxième concerne les États membres. Du côté des États membres, nous avons aussi besoin d'un débat européen enrichi et objectif. Il se produit souvent des critiques ou même parfois des refus de telle ou telle décision européenne. Je pense qu'elles peuvent être légitimes, sans pour autant qu'on doive taxer leurs auteurs d'être anti-européens. Mais à l'inverse, quand un gouvernement accepte une décision à Bruxelles, il doit avoir le courage de l'endosser. Si nous devons essayer de redonner le goût de l'Europe à nos concitoyens, nous devons améliorer la coopération avec les assemblées parlementaires sur les décisions européennes. Je prends le cas de la France. Depuis 2005, les Ministres peuvent se rendre devant le Parlement français pour présenter les enjeux du Conseil de l'Union dont ils ont la charge. Également, le Ministre français délégué chargé des Affaires européennes à mes côtés se rend devant le Parlement français pour débattre avec les parlementaires européens des points inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen. Je suggère que tous les exécutifs de tous nos pays s'efforcent d'associer davantage les parlements nationaux à la prise de décision au niveau européen, sans pour autant, et j'y insiste, bloquer les avancées nécessaires de la construction européenne. Je m'explique : il est légitime que chaque parlement puisse s'exprimer sur les questions européennes. Il est légitime que chaque gouvernement s'appuie sur son parlement. Il est légitime aussi que les cours constitutionnelles dans nos différents pays s'assurent de la conformité avec les Constitutions de telle ou telle disposition européenne. Mais je mets en garde par rapport à une situation qui pourrait se produire si se développait une pression systématique des parlements nationaux sur les décisions européennes, et si en plus se développait un recours systématique aux cours constitutionnelles. On pourrait se trouver dans une situation où les progrès nécessaires de la construction européenne seraient bloqués. Et donc il faut que nous soyons, dans nos responsabilités, très attentifs à trouver le point d'équilibre, et c'est difficile, entre d'un côté la légitimité de la consultation des parlements et de la saisine des cours constitutionnelles, et de l'autre côté la nécessité pour la construction européenne d'avancer.
La troisième suggestion que je me permets de faire concerne les députés européens. En tant qu'acteurs du triangle institutionnel et représentants des citoyens européens, ils ont la responsabilité de travailler avec les députés nationaux, notamment dans le cadre de la COSAC et plusieurs d'entre eux sont présents ici. La nouvelle Conférence, instituée par le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UEM va dans le bon sens. Sa première réunion, il y a quelques jours, a permis de poser les bases d'une nouvelle coordination.
Si les procédures issues du two-pack et du six-pack étaient certainement nécessaires pour remédier aux déséquilibres de l'UEM, ces procédures doivent être légitimes auprès des citoyens et bien prendre en compte les positions des parlements nationaux : c'est un enjeu d'équilibre institutionnel. Par ailleurs, si les eurodéputés élus dans les 28 États membres traitent des politiques économiques des États membres de la zone euro, un autre déséquilibre peut s'installer. La question est donc de savoir puisqu'il semble, et c'est un souhait que la France émet, que la zone euro va de plus en plus se structurer. La question est donc de savoir comment équilibrer parlementairement, contrôler parlementairement cette zone euro. Il y a des propositions très ambitieuses qui sont faites et peut-être seront-elles légitimes. Dans l'immédiat, je pense qu'une structure dédiée à la zone euro pourrait être mise en place au sein du Parlement européen après les prochaines élections européennes, afin de garantir un contrôle démocratique et une légitimité appropriés aux décisions concernant la zone euro. Et il me semble légitime que ce soit le Parlement européen qui ait à décider les moyens pour y parvenir. C'est une proposition qui a été mise en exergue notamment dans une proposition commune franco-allemande formulée en mai 2013 et qui me semble de bon sens. Mais, je crois qu'il conviendrait parallèlement qu'une instance parlementaire, composée des délégués des chambres basses des États membres de la zone euro, puisse se réunir. Et qu'entre d'un côté la structure dédiée à la zone euro et de l'autre l'instance parlementaire des délégués des chambres basses, on puisse ainsi exercer, sans bouleverser les textes, un meilleur contrôle de ce que sera la future zone euro.
Quatrièmement, les parlementaires nationaux disposent d'une palette d'instruments pour intervenir dans la prise de décision européenne. Je veux m'arrêter un instant sur le protocole n°2, qui fait débat, pour revenir sur la notion de subsidiarité. Chacun sait ici que tout parlement peut adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime qu'un projet n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Les parlements sont ici totalement dans leur rôle. Il ne s'agit pas de freiner la construction européenne, mais de permettre aux élus nationaux de s'exprimer sur les propositions de la Commission. Les parlementaires doivent se saisir de cet outil pour mettre en cause les éventuels abus de certains projets mais aussi pour souligner leur volonté d'aller plus loin dans la construction européenne. Cette disposition a déjà démontré son fonctionnement, par exemple sur le projet de règlement appelé « Monti II ». Face à la Commission, les parlements nationaux ont su tirer la sonnette d'alarme à temps pour défendre, en l'occurrence, le droit de grève. Et ils ont été entendus par Bruxelles. Aujourd'hui même, au moment où nous parlons, le Sénat français examine une résolution européenne sur la création d'un parquet européen ; c'est la 2ème fois que la procédure du « carton jaune » est examinée. Et là je pense là aussi qu'il y a une piste qu'il est intéressant de suivre, même si bien sûr il ne faut pas en abuser.
Mesdames et Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs chers amis,
Dans quelques mois, les citoyens européens vont être appelés aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement européen. Une nouvelle Commission sera désignée, dont le président sera élu selon des modalités nouvelles.
Ces élections, je pense que tout le monde le souligne, ont lieu dans un contexte d'inquiétude lié en particulier à la situation économique. L'abstention, l'anti-Européanisme même, d'une certaine façon, menacent. Face à cela, certains estiment au nom d'une ambition forte, que seule une révision fondamentale des traités permettra de renforcer la légitimité démocratique de l'Union européenne. On peut tout à fait en discuter et nous ne sommes pas pour notre part hostiles à cela. Mais il me semble que l'urgence va commander d'agir vite et que tous les niveaux de décision ? la Commission, le Conseil, le Parlement européen, les parlements nationaux - devront rapidement améliorer leur coopération. Or, nous savons la difficulté de changer fondamentalement les traités. Et donc les pistes que j'ai évoquées pourraient être saisies pour essayer d'améliorer notre fonctionnement démocratique face à ce qui est ressenti par nos concitoyens comme un vide ou comme un manque.
J'estime que les raisons qui ont présidé à la création de la COSAC n'ont pas vieilli. Je pense que l'on doit vous féliciter de vous saisir non seulement de ces questions, comme vous avez décidé de le faire ici, mais aussi des questions du présent et du futur. La tâche de la COSAC est toujours parfaitement légitime comme enceinte privilégiée d'initiatives, de suivi et de débats sur la construction européenne, les parlements et les citoyens.
Mesdames et Messieurs, il y a dans nos pays, y compris en France, une expression courante que je n'aime guère, mais que nous allons beaucoup entendre dans les prochains mois ; cette expression, c'est « Bruxelles a décidé ». Vous savez que cette formule facile, que nous utilisons parfois nous-mêmes, est le plus souvent techniquement inexacte, de même que politiquement dangereuse parfois. Nous savons qu'en réalité, ce sont les représentants des États et des citoyens qui décident à Bruxelles comme à Strasbourg. Nous savons aussi que les parlements sont le coeur battant de la démocratie. Nous savons que l'une des tâches de la COSAC, hier comme aujourd'hui et comme demain, c'est de montrer à la fois que les parlements sont bien le coeur battant de la démocratie et que l'Union européenne est notre construction commune au service des citoyens. C'est pourquoi, je considère que la COSAC, créée il y a un quart de siècle, reste une enceinte utile et même essentielle. C'est la raison pour laquelle je vous remercie de m'avoir donné le plaisir et l'honneur de m'exprimer dans cette institution, que j'ai connue naissante et qui est devenue aujourd'hui adulte.
Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2013