Déclaration de M. Pascal Canfin, ministre du développement, sur la politique de coopération, au Sénat le 28 octobre 2013.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 28 octobre 2013

Texte intégral

Comme l'an dernier, ce budget est soumis à des contraintes. Leur effet demeure néanmoins limité grâce à la mobilisation de financements innovants : la taxe de solidarité sur les billets d'avion n'avait pas été revalorisée depuis 2006, grâce à un rattrapage de l'inflation, nous récupérons 23 millions d'euros ; la part de la taxe française sur les transactions financières consacrée au développement et à la solidarité internationale passera de 10 % à 15 %. Ainsi les crédits de la mission «Aide publique au développement» ne baisseront que de 100 millions, de 3,3 milliards d'euros à 3,2 milliards, sachant que le montant total consacré par la France à l'aide au développement s'établit à plus de 9 milliards. Nos capacités d'action sont préservées ; le niveau de l'Aide publique au développement est stabilisé à 0,45 %, voire 0,46 %.
Nous mettons en oeuvre les engagements du président de la République. Les Assises du développement et de la solidarité internationale se sont tenues de novembre 2012 à mars 2013. Chacun s'accorde à reconnaître leur résultat satisfaisant. Nous poursuivons l'augmentation de l'aide financière gérée directement par les ONG, afin de parvenir à un doublement en 2017. Nous préparons une loi de programmation et d'orientation sur le développement et la solidarité internationale, une première dans l'histoire de notre République. Le texte est en cours d'examen devant le Conseil d'État, il sera présenté en Conseil des ministres en décembre et le parlement en discutera avant la pause de mars et les élections municipales. Nous maintenons notre aide pour la réalisation de projets, qui constitue l'essentiel de l'aide bilatérale. Les deux tiers de nos dons transitent par un cadre multilatéral, européen surtout. Enfin, nous poursuivons notre travail en faveur de la création de la taxe européenne sur les transactions financières. L'échéance approche. Ce projet soulève des critiques de l'industrie financière, inévitables ; toutefois, est-il normal de soumettre la baguette de pain à la TVA tandis qu'une opération spéculative est exonérée ? Nous menons le combat pour parvenir à un accord politique au 1er janvier 2014 entre les onze pays membres de la coopération renforcée.
Le montant de l'aide alimentaire est préservé. Les financements d'État pour conforter la coopération décentralisée sont sanctuarisés, M. Laurent Fabius s'y est engagé à la suite du rapport de M. André Laignel. Enfin, nous maintenons notre contribution de 1,08 milliard d'euros au Fonds mondial de lutte contre le sida pour les 3 prochaines années car cet outil est, de l'avis de toute la communauté scientifique, le plus efficace. Notre souci permanent est de mieux articuler notre action multilatérale et notre intervention bilatérale, afin que l'effort de la France soit mieux reconnu. J'ai accompagné le président de la République en Afrique du sud, pays qui déplore 200.000 morts du sida par an : membres du gouvernement sud-africain, associations, ONG, chacun savait que la France est le deuxième contributeur à ce fonds.
L'évaluation est fondamentale. En dépit des conservatismes, il est important de passer d'une logique de moyens à une logique de résultat. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), lors de sa réunion du 31 juillet dernier - il ne s'était pas réuni depuis cinq ans ! - a décidé que la France se doterait d'une série d'indicateurs agrégés pour évaluer l'ensemble des actions menées au titre de l'aide publique au développement, éducation, santé, accès à l'énergie, à l'eau, etc. Il s'agit de procéder à une évaluation projet par projet et d'éclairer la société française sur l'utilisation de l'argent public. Le choix des politiques à évaluer sera arrêté pendant la discussion de la future loi. Les parlementaires y seront donc associés. Un Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), a été créé en remplacement du Haut conseil de la solidarité internationale, d'abord vidé de sa substance puis supprimé. Nous avons voulu restaurer une instance de concertation entre l'État, les élus, la société civile et nos partenaires du sud.
La transparence est la meilleure des évaluations. Ainsi, pour la première fois, toutes nos actions menées au Mali figureront sur un site internet hébergé par notre ambassade à Bamako. Si elles s'aperçoivent d'un dérapage sur un projet, les associations pourront nous alerter. Les citoyens maliens comme les contribuables français seront informés. Il y a là un enjeu politique. Dans le passé, des tombereaux de francs CFA ont été déversés au Mali, dans la région du nord en particulier. Or, sur place, certains affirment qu'ils n'en ont pas vu un centime. L'argent s'est-il perdu dans les sables ? Soyons désormais transparents ! C'est un gage d'efficacité, et un signal fort adressé aux autorités maliennes. Le même dispositif de transparence sera étendu, il concernera 16 pays africains en 2014. Lors de la conférence de Bruxelles en mai dernier, nous avons réussi à mobiliser 3,2 milliards d'euros en faveur du Mali sur deux ans. La semaine prochaine aura lieu à Bamako la première réunion de suivi des réalisations. La France, à elle seule, a mis sur la table 280 millions d'aide et, via son réseau diplomatique en particulier, actionne tous les leviers afin de relancer le développement économique du Mali. Nous en voyons déjà les effets concrets. Dans le nord, la moitié des écoles ont rouvert. Mais il faut poursuivre nos efforts : les camps de réfugiés en Mauritanie, au Burkina Faso, ne se sont pas vidés ; les gens ont peur et les événements récents ont alimenté une incertitude peu propice aux retours. Notre responsabilité est d'amorcer un cercle vertueux : dialogue et réconciliation politiques, sécurité et développement sont intimement liés.
Quelques mots à propos de l'agenda post-2015. Inutile de décrire ici toutes les beautés des processus onusiens. La France plaide pour la convergence des deux agendas, agenda international de développement durable et révision des objectifs du millénaire pour le développement. Cela fait l'objet d'un large accord parmi nos partenaires. Reste à définir la méthode pour parvenir une nouvelle feuille de route pour la communauté internationale en 2015.
Puisque nous souhaitons cette convergence au niveau international, il serait étrange de ne pas la mettre en oeuvre dans nos propres programmes d'action. Aussi nous révisons le cadre d'intervention de l'Agence française de développement (AFD). Notre but est de mener une politique qui inclue la soutenabilité environnementale dans les programmes de lutte contre la pauvreté. Comme le souligne le rapport de la Banque mondiale, si rien n'est fait, la température augmentera de 4 degrés à moyen terme, ce qui aggravera l'insécurité alimentaire, la mortalité infantile, etc. Je le répète, les objectifs des deux agendas internationaux doivent converger ! Quant à nous, nous donnerons la priorité, dans les projets financés par l'AFD dans le domaine énergétique, aux énergies renouvelables. Dans le domaine agricole, nous avons doublé la part consacrée à la sécurité alimentaire avec une priorité à l'agriculture familiale, qui est la meilleure garantie.
Je ne partage pas l'avis de ceux qui prétendent que l'argent versé aux fonds multilatéraux est de l'argent perdu. Au contraire ! Mais pour peser sur les politiques menées par les instances internationales, nous devons y renforcer notre influence, en nouant, par exemple, des alliances avec d'autres États, en premier lieu avec nos partenaires au sein de l'Union européenne. Et veiller à la complémentarité entre notre action bilatérale et multilatérale. C'est la meilleure stratégie pour être efficace, influent et visible. Le Cicid a recommandé que la France se dote enfin d'une stratégie multilatérale. La Cour des comptes comme l'OCDE ont déjà regretté le manque de pilotage et la dispersion de nos aides. Aussi, pour la première fois, nous clarifions notre politique. Le dernier rapport de l'OCDE est d'ailleurs moins critique que par le passé.
(Interventions des parlementaires)
Nous souhaitons que les dispositions de la loi Oudin-Santini sur l'eau soit étendues aux déchets. Nous cherchons le bon véhicule juridique, éventuellement un amendement à la future loi sur le développement. Une évaluation sur les modalités du dispositif est en cours.
L'autorité de tutelle de l'AFD n'a pas à se substituer à son directeur ni à s'impliquer dans la gestion de chaque projet. Notre rôle est de définir les orientations puis de vérifier que les projets retenus leur correspondent. Deux ministères, Bercy et le Quai d'Orsay, exercent une co-tutelle : nous veillons, depuis 18 mois, à ce que l'État parle d'une seule voix au sein du conseil d'administration. C'est important, et je dois dire que cela n'était auparavant pas le cas, ce qui a nui à la politique menée. La question de l'augmentation des fonds propres sera tranchée au plus tard lors de l'adoption du contrat d'objectifs et de moyens, début 2014. Nous sommes dans la phase de conclusion des discussions. Différentes solutions sont envisageables, qui ont des conséquences différentes sur le niveau de la dette publique au sens maastrichtien. Sans augmentation de fonds propres, l'AFD ne sera plus en mesure de financer de nouveaux projets au Maroc, en Tunisie, en Afrique du sud ou bientôt au Kenya. Bref, il faudra trouver un compromis entre coût budgétaire et maintien des marges d'action.
Nous n'avons pas davantage de garanties concernant le niveau des financements innovants que n'en avait Jacques Chirac en 2006 lorsqu'il a créé la taxe sur les billets d'avion. Nous avons réalisé des simulations sur la base d'hypothèses réalistes. Et la part de la taxe sur les transactions financières affectée au développement a été accrue, pour compenser la baisse attendue de son rendement. Ce n'était pas acquis au début des arbitrages ! Les crédits seront maintenus.
Au plan européen, je n'ai pas l'assurance que nous parviendrons à un accord des onze membres de la coopération renforcée, mais je m'y attelle. Lorsque la taxe sera en place, nous resterons de toute façon minoritaires en Europe à vouloir affecter une part significative du produit à l'aide au développement.
Je rencontrerai la semaine prochaine le directeur du Fonds mondial sur le sida. Quelles que soient ses faiblesses, ce fonds constitue un instrument reconnu par la communauté scientifique, à l'image de Mme Barré-Sinoussi. Notre action dans ce cadre est plus visible et plus efficace que dispersée en de multiples actions bilatérales de petite envergure. La contribution de l'Europe à ce Fonds s'élève à 100 millions. Elle est très inférieure à la nôtre. Mais ce n'est pas un problème car l'Union européenne investit plus d'argent ailleurs. Entre partenaires, nous coordonnons nos actions pour éviter les doublons. Certes des améliorations sont possibles. Mais nous avons, en construisant patiemment une majorité en ce sens, obtenu que 20 % des crédits du Fonds européen de développement soient consacrés au social et 20 % à la lutte contre le changement climatique. Notre intervention groupée via ce fonds est plus efficace qu'une action bilatérale.
Il faut lire ensemble les articles de la future loi d'orientation et de programmation, généraux par nature, et le rapport annexé, qui apporte de nombreuses précisions sur les doctrines sous-jacentes à nos actions. La loi de programmation militaire montre qu'il est possible de prendre des engagements et de ne pas les tenir, mais cela vaut pour tous les gouvernements... Nous rappelons l'objectif de parvenir à 0,7 % et, comme l'a indiqué le président de la République, dès que la situation économique s'améliorera, nous augmenterons à nouveau les crédits.
Depuis octobre dernier, les projets soumis au conseil d'administration de l'AFD font l'objet de deux avis. L'un est financier, l'autre évalue la contribution au développement durable. Si la notation extra-financière est insuffisante, le conseil d'administration de l'AFD peut rejeter le projet, quelle que soit sa qualité financière. Aux administrateurs de prendre leurs responsabilités, au regard des deux orientations fixées, concentration et universalisation. Nous concentrons nos interventions sur seize pays prioritaires, et non plus dix-sept. Et 85 % des aides sont destinées à l'Afrique. Mais le mandat de l'AFD conserve une dimension universelle : elle peut agir dans tous les pays éligibles à l'aide au développement selon la liste définie par l'OCDE, dans le souci d'une croissance verte et solidaire. Pourquoi se priver de financer des équipements publics au Pérou ou en Équateur si les projets présentés sont pertinents ? En Chine ou dans les grands pays émergents, c'est surtout notre expertise technique que nous offrons, dans le but de conclure des partenariats économiques. Le coût pour l'État est nul.
Pour le Mali, n'est-il pas plus profitable que nous réussissions à récolter 3,2 milliards d'euros dans un cadre multilatéral ? Notre intervention bilatérale ne peut en effet excéder 280 millions ! Notre influence se mesure au montant total collecté grâce à la mobilisation de notre diplomatie. De plus, nous avons cherché à tirer les leçons du passé. Le site internet mis en place recense les projets, leurs calendriers comme leurs montants. Si des dérapages sont signalés, nous prendrons nos responsabilités.
L'épisode tragique de Lampedusa montre qu'il n'est pas possible de se contenter d'un discours sur la gestion des conséquences. Quelle que soit la hauteur des murs, les gens chercheront toujours à passer. Il faut traiter les causes : les conflits, l'absence de développement, le non-respect des droits, la mauvaise gouvernance,... Tel est bien le but de notre politique de développement. Nous stabilisons les crédits ; dès que la conjoncture budgétaire l'autorisera, nous augmenterons notre effort. N'oublions pas néanmoins que l'essentiel des migrations se font du sud vers le sud. Ce sont les pays du sud qui sont les plus déstabilisés !
(Interventions des parlementaires)
Nous voulons faire du Mali un modèle de transparence qui sera appliqué à 16 pays prioritaires, tous situés en Afrique subsaharienne, en 2014. Les standards de l'International Aid Transparency Initiative (IATI) s'appliquent. La France a été critiquée pour sa gestion passée. La transparence est nécessaire pour renforcer l'efficacité de l'aide et son appropriation par les bénéficiaires. Nous conduisons un programme pour simplifier et moderniser le cadre de notre aide publique : à terme il serait souhaitable que, pour chaque État, un seul gros opérateur soit responsable de l'ensemble de l'aide. Nous nous inspirerons des propositions inscrites dans votre rapport.
Le sommet de l'Élysée pour la paix, la sécurité et le développement en Afrique réunira une vingtaine de chefs d'État africains à Paris en décembre. L'enjeu est de nouer une nouvelle alliance. Là est la clé du succès de cette conférence.
Un tiers de mon temps est consacré à l'agenda 2015, aux négociations climatiques et à la convergence que nous voulons instaurer. Deux ans sont vite passés, et nous devons réussir ce rendez-vous et parvenir à un accord. La conférence sur le climat qui sera organisée en 2015 à Paris est la plus grande conférence jamais organisée par la France, c'est un objectif diplomatique considérable et M. Laurent Fabius est très mobilisé sur le projet.
Sur la recherche, je vais m'imprégner de vos propositions ! Une meilleure visibilité est effectivement souhaitable. Là comme ailleurs, l'évaluation est fondamentale. Le CNDSI accueillera, c'est une première, nos partenaires du sud. Enfin, j'ai cosigné une lettre au Cirad avec Mme Fioraso. Votre rapport est précieux et je vous en remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2013