Texte intégral
Les Entretiens du mécénat qui nous réunissent aujourd'hui et demain au Grand Palais témoignent de la vitalité et de la diversité de la culture du mécénat sur tout notre territoire. Cette culture du mécénat n'est pas limitée à Paris ni aux grandes entreprises ; elle s'est répandue partout, depuis dix ans, sur tous nos territoires et dans tous les types d'entreprises et d'institutions culturelles.
Cette culture du mécénat, nous le savons, a longtemps été insuffisante en France. Avant la loi de 2003, on nous disait que le fait de se consacrer au mécénat n'était pas dans la tradition française, que cette tradition française allait plutôt vers le soutien public à la culture. Finalement, cette loi a montré, fort pertinemment, qu'il n'y avait pas d'incohérence ou d'incompatibilité entre des politiques publiques volontaristes de soutien à la culture, comme nous le faisons et continuerons de le faire avec vigueur, et un investissement privé, qu'il vienne de particuliers ou d'entreprises, en direction de la culture. Au contraire, il y a une grande complémentarité et ce n'est pas parce que l'un se désengage que l'on attend que l'autre prenne le relais. Ce n'est pas un déficit de l'un qui justifie que l'on essaye de faire monter l'autre. C'est au contraire un approfondissement du lien très fort qui existe entre les Français et la politique culturelle qui justifie, d'un côté, que l'on continue à soutenir de manière extrêmement ambitieuse la politique nationale et les politiques des collectivités territoriales en faveur de la culture des collectivités territoriales extrêmement engagées, la région Nord Pas-de-Calais en est l'exemple et le symbole - et de l'autre côté, une dynamique nouvelle de mécénat privé qui vient renforcer cette citoyenneté culturelle dont les Français sont si fiers.
Aujourd'hui, vous représentez tous ici cet élan : élus, acteurs culturels, dirigeants des établissements publics ou des nombreuses structures qui font vivre la culture dans nos territoires, mais aussi acteurs du monde de l'entreprise, représentants des fondations et des associations impliquées dans des actes de mécénat. Vous vous êtes tous mobilisés pour évoquer ensemble le bilan de ces dix dernières années et envisager les évolutions souhaitables et les perspectives de cette loi fondatrice.
Avant de tracer ces perspectives, je voudrais rappeler les bénéfices et bienfaits de cette belle avancée. Cette loi avait été portée avec force par Jean-Jacques Aillagon en 2003, nous donnant un cadre juridique et un dispositif fiscal incitatif, solide, pérenne, exemplaire et d'ailleurs tout à fait unique au monde. Je le dis et je le répète : ce dispositif existe, a été consolidé l'année dernière et une fois pour toute pour cette mandature. Les débats budgétaires n'ont d'ailleurs absolument pas donné lieu, cette année, à de nouvelles attaques ou critiques à l'encontre de notre système de mécénat. Ce débat est tranché et la stabilité fiscale est là pour les quatre années à venir en matière de soutien au mécénat.
Pourquoi d'ailleurs cette stabilité fiscale ? Parce que ce dispositif a fait ses preuves, qu'il est efficace et qu'il ne demande aujourd'hui qu'à être si possible étendu et appliqué à d'autres. Il demande aussi à être mieux connu, et je pense que nous avons un grand effort à fournir pour populariser encore d'avantage ce dispositif, à destination des plus petites entreprises et des particuliers, là où des marges de progression importantes sont possibles.
Félicitons nous aujourd'hui du fait que plus de 30 000 entreprises de toutes tailles et plus de 5 millions de foyers fiscaux participent au mécénat et utilisent les dispositions de la loi de 2003. Et le mécénat d'entreprise est l'un des principaux contributeurs de la culture, qui bénéficie de plus d'un quart du volume des fonds apportés par les entreprises.
L'image du mécénat a aussi considérablement évolué : pour les entreprises et les mécènes, qu'ils soient grands philanthropes ou simples particuliers, c'est un moyen de s'ouvrir à la créativité, de marquer un intérêt pour le secteur de l'art et de la culture mais aussi un moyen de créer un sentiment d'appartenance au sein de l'entreprise, un sentiment de citoyenneté culturelle au sein de ces entités, un sentiment de fierté partagée de participer à des projets culturels au service de l'intérêt général. Les retombées positives, à l'intérieur même du monde de l'entreprise et au sein de l'univers des salariés, ne sont là encore plus à démontrer. Il faut arrêter de considérer que le mécénat ne serait qu'un outil d'optimisation fiscale. Non, le mécénat est bien un outil de citoyenneté culturelle, aussi bien pour les entreprises et leur salariés que pour les particuliers.
La loi a permis une prise de conscience essentielle : le mécénat n'a pas vocation à subvenir aux fins de mois difficiles pour des engagements publics défaillants, ce n'est pas non plus le symptôme d'une culture abandonnée aux lois aveugles du marché, c'est le signe d'une participation massive de la société civile à la vie de la culture. Le mécénat permet de le faire encore mieux et encore plus. Et puisque Jacques Pfister, président de l'association de Marseille-Provence 2013, est là aujourd'hui, je veux saluer la réussite et les excellents chiffres de participation de toutes les initiatives qui ont marqué et qui continuent de jalonner l'année 2013 à Marseille-Provence. Cette réussite, alors même que certains ironisaient déjà, avant le lancement, sur un échec de Marseille-Provence 2013, est aussi le fait de la mobilisation de l'ensemble de la société civile et de partenaires autour de ce projet. C'est encore un exemple des bienfaits de la participation des entreprises à nos initiatives culturelles.
Le succès de cette loi est indéniable et je citerai encore trois chiffres et quelques exemples qui suffisent à le démontrer :
- 3 milliards : c'est le montant des dons déclarés sur la seule année 2012, contre 1 milliard en 2004.
- 494 millions d'euros : c'est la part du mécénat culturel des entreprises en 2012, selon l'estimation d'Admical.
- 67 : c'est le nombre d'acquisitions majeures de « trésors nationaux » que l'État a pu réaliser au cours de ces dix dernières années pour un montant de 170 millions d'euros, grâce au soutien des entreprises mécènes. Ce sont 67 oeuvres majeures qui sont venues enrichir nos collections nationales à travers tout le territoire.
Pour ne prendre qu'un exemple, le "Chêne de Flagey" de Gustave Courbet, exposé désormais au musée Gustave Courbet, a été acquis grâce à une large souscription en partie qui a permis à plus de 15 000 mécènes d'investir - pour certains des toutes petites sommes - afin de participer au retour dans sa terre d'origine de ce chef d'oeuvre de Courbet.
De la même manière, sans le mécénat, l'embellissement du domaine de Versailles et la rénovation de certains départements du Louvre n'aurait pas été possible, ou du moins pas à la même hauteur. Le Palais de Tokyo ne développerait pas non plus environ un quart de ses activités. Quand au Grand Palais, Jean-Paul Cluzel a rappelé à quel point son activité était aussi évidemment soutenue par le mécénat.
C'est pour ces raisons là, cette pertinence, que j'ai tenu à défendre vigoureusement les dispositifs fiscaux en faveur du mécénat et à inscrire désormais, pour chacun d'entre vous, le principe de cette stabilité fiscale en faveur du mécénat désormais ancrée dans cette mandature.
La loi a aussi permis aux opérateurs culturels et aux entreprises de mieux se comprendre et s'apprécier. Elle a ouverts aux particuliers la possibilité de se rapprocher de ceux qui font la culture et de s'approprier directement certaines de leurs actions. C'est un acquis considérable sur lequel il me semble désormais impossible de revenir.
C'est forte de cette conviction que j'ai voulu que mes services travaillent sur l'élaboration d'une charte éthique du mécénat qui permettra d'encadrer les pratiques et surtout de donner un cadre de référence qui pourra être un appui pour chacune des institutions culturelles, en particulier face à certaines questions qui peuvent se poser légitimement en fonction des évènements et des opportunités de mécénat. Le texte clarifiera ainsi les modalités d'application de la législation en vigueur et formulera des recommandations sur des points qu'elle n'encadre pas suffisamment, comme la question complexe du mécénat de compétences. Il s'agira vraiment d'un document d'appui et de soutien. La publication de cette charte viendra clôturer le calendrier des manifestations organisées autour de ce 10ème anniversaire de la loi de 2003. Je souhaite bien évidemment qu'elle soit d'abord appliquée et utilisée, de manière exemplaire, par les établissements culturels qui dépendent de l'État.
S'il est indispensable de définir les principes du mécénat pour mieux l'encadrer et mettre en avant les bonnes pratiques, nous devons aussi aller plus loin dans la mise en oeuvre de la loi 2003.
Il y a encore des progrès à faire. Le mécénat doit refléter la diversité culturelle de notre pays. Or, nous le savons, il est aujourd'hui beaucoup plus facile de rassembler des mécènes pour l'opéra que pour le théâtre. Il faut changer cela et diversifier les ressources et les endroits où vont ces ressources. Nous devons porter le mécénat au plus près des réalités culturelles de notre pays sur tout le territoire.
Parmi les perspectives que nous pourrions envisager ensemble pour répondre aux enjeux culturels d'aujourd'hui et donner un nouveau souffle à cette loi fondatrice, il y a d'abord le nouveau mécénat d'entreprise. Nous connaissons tous l'effort indéniable et constant des grandes sociétés et des fondations qu'elles ont créées, je veux le saluer ici, d'autant plus qu'il se maintient dans des temps économiquement plus difficiles. Pour relayer et amplifier cet effort, au plus près des territoires, je souhaite que les petites et moyennes entreprises puissent être les nouvelles forces vives du mécénat. Parce qu'elles contribuent par leur action à l'attractivité et au dynamisme de nos territoires, nous devons encourager leur engagement au service de l'intérêt général. De même qu'il nous faut favoriser l'implication des salariés dans les actes de mécénat culturel de leur entreprise.
Vous connaissez ma volonté de faire entrer l'art dans l'entreprise pour faire tomber les murs entre le monde de la culture et celui du travail. Cela passe aussi par le mécénat. Je ne désespère pas de convaincre mes collègues du ministère du budget et de l'économie et des finances de réfléchir avec moi sur des dispositions plus adaptées pour les accompagner dans leur effort.
Dans cette attente, je sais pouvoir compter sur l'appui des réseaux des experts comptables et des chambres de commerce, qui ont su développer des dispositifs très efficaces de conseils aux entreprises.
Cela nous permet d'aborder la question du mécénat de proximité. Il nous faut soutenir cette forme de mécénat qui permet de soutenir des projets artistiques et patrimoniaux dans nos régions au plus près des réalités culturelles de notre territoire. Et multiplier les expériences qui réunissent des PME locales engagées collectivement pour soutenir les actions et les projets qui font vivre la culture dans notre pays. Une étude sur "les pratiques locales de mécénat et parrainage culturels" a d'ailleurs été confiée par le DEPS, en lien avec la mission du mécénat, à une équipe de chercheurs de l'École supérieure de management de Bordeaux (BEM) autour d'Anne Gombault, Florine Livat et Catherine Morel. Les résultats de ce travail innovant nous seront présentés début 2014. Ils devraient nous éclairer sur la collaboration entre les porteurs de projets culturels, les intermédiaires et les mécènes pour là encore nous permettre de saisir tous les enjeux du mécénat de proximité afin de l'améliorer.
Mécénat de proximité mais aussi mécénat populaire. Les particuliers sont de plus en plus nombreux à soutenir par leurs dons le patrimoine ou la vie artistique, et s'engager ainsi activement dans la vie culturelle de notre pays. Nous devons encourager les nouvelles formes de philanthropie qui placent le citoyen au coeur du dispositif. Dans ce cadre, les notaires ont développé un travail remarquable de sensibilisation. Les grandes fondations, comme la fondation de France, que je veux saluer ici, sont également au coeur de la mobilisation de nos concitoyens. Là encore, je pense que cela ne suffit pas et que nous devons contribuer par une vaste campagne publique d'information à destination de tous les particuliers à mieux faire connaître les dispositifs de la loi de 2003 sur le mécénat. Je m'emploierai donc, avec ma collègue Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse, de l'Education populaire et de la Vie associative, à lancer une initiative pour une large communication publique autour de nos dispositifs en faveur du mécénat.
Je veux aussi maintenant parler des nouvelles formes de mécénat puisque les nouvelles technologies créent des conditions particulières et des nouvelles pratiques liées au numérique à travers les réseaux sociaux et les plateformes de financement participatif (crowdfunding) car elles permettent de toucher un public différent, plus large et plus jeune. L'orchestre National d'Ile de France a lancé très récemment une campagne de dons pour une opéra jeune public. Le Centre national des arts plastiques vient également de déclencher une campagne semblable pour la rénovation du Cyclop de Jean Tinguely et Nikki de Saint Phalle. Je souhaite que nous puissions utiliser ces nouveaux supports numériques et favoriser ce type d'initiative. Cela nous permet d'ailleurs de toucher les jeunes mécènes. On constate une augmentation du nombre des jeunes mécènes, un appétit nouveau, et la multiplication des cercles de jeunes philanthropes. C'est une évolution extrêmement positive qui traduit cette sensibilité des plus jeunes à la citoyenneté culturelle, peut-être d'ailleurs parce que cela leur semble plus naturel et qu'ils ne voient aucune contradiction à avoir des politiques publiques de soutien à la culture et une participation personnelle, privée, citoyenne en faveur du soutien à la culture. Nous sommes en train d'inventer un modèle français, dont nous sommes fiers.
J'ai entendu la suggestion de Jean Jacques Aillagon d'étendre le dispositif des « trésors nationaux » à nos grands monuments sur la base d'une liste établie tous les deux ans. Il faut réfléchir à ces propositions, à celles que vous pourrez faire au cours de la journée. Encore une fois, je pense que notre objectif doit être d'élargir le plus vigoureusement possible l'information, pour toucher le plus grand nombre de personnes et d'entreprises afin que ce mécénat irrigue la plus grande diversité possible d'institutions et d'initiatives culturelles. L'un n'ira pas sans l'autre. Pour éviter qu'il y ait une sorte de captation des fonds du mécénat au profit exclusif de quelques grandes institutions ou de quelques grands monuments - on voit bien l'intérêt populaire que nous aurions à lancer ce genre de campagnes pour tel ou tel grand monument - cela ne doit pas être contradictoire ou exclusif d'une participation à des évènements plus localisés. Cela mérite réflexion et je suis évidemment extrêmement sensible au travail de la fondation du patrimoine, notamment sur le mécénat de proximité.
Alors que nous réfléchissons ensemble au bilan de la loi de 2003 et au mécénat de demain, je voudrais que nous gardions à l'esprit que ce qui est en jeu, avec le mécénat, c'est la capacité d'initiative de la société civile à se saisir des sujets culturels et son influence considérable sur la vie culturelle de notre pays. Évidemment, en période de crise, nous avons besoin de ce soutien à la culture mais il ne s'agit pas seulement d'un besoin financier mais d'un besoin de participation très forte, un besoin presque affectif de renforcer encore cette citoyenneté culturelle.
Cette générosité performative et cette énergie mobilisatrice doivent se diriger aussi vers ceux qui construiront la culture aujourd'hui vers tous les enfants et les jeunes qui sont l'avenir de notre démocratie culturelle, vers les territoires les moins irrigués. C'est cela la démocratie culturelle. L'éducation artistique et culturelle est la priorité du ministère de la Culture et de la Communication. Cela dépasse tous les champs disciplinaires et c'est pour moi, absolument structurant en matière de politique culturelle. L'éducation artistique et culturelle est aussi l'un des champs sur lequel le mécénat peut avoir évidemment un rôle tout à fait important à jouer. Je souhaite que des initiatives soient prises dans ce domaine et qu'elles puissent s'amplifier avec le plein engagement de l'État dans les années à venir.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 14 novembre 2013