Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à "France Inter" le 13 novembre 2013, sur le climat social et politique en France, sur le plan de sauvetage des entreprises en difficulté.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Garder le cap, ne rien changer, c'est la seule option pour le président et le gouvernement ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous sommes dans une crise économique qui se prolonge. Notre bataille est d'arriver à réorienter les choix fondamentaux de l'Union européenne. Nous ne sommes pas seuls, nous sommes des économies imbriquées. Nous avons à effectivement construire une stratégie alternative dans l'Union européenne.
PATRICK COHEN
Ce n'est pas seulement une crise économique, Arnaud MONTEBOURG. Il y a une crise de confiance entre les Français et ceux qui les gouvernent.
ARNAUD MONTEBOURG
Mais c'est normal, puisque les Français vivent une situation très difficile puisque la crise se prolonge. Cinq ans après la crise de Lehman Brothers, la reprise n'est toujours pas là. Toutes les autres régions dans le monde ont connu ou connaissent la croissance à nouveau. Le Japon, l'Asie, les États-Unis d'Amérique avaient connu la même crise que l'Union européenne. L'Union européenne, la zone euro, est la seule région du monde qui n'a pas retrouvé les couleurs. D'ailleurs nous le voyons bien de quelle manière tous les pays – l'Italie, l'Espagne, la France même les Pays Bas : nous avons une meilleure croissance que les Pays Bas. Donc, nous sommes aujourd'hui fondés à demander des réorientations de choix. Ç'a été fait avec la Banque Centrale Européenne. Vous savez, la monnaie et le budget, c'est les deux armes dont disposent les peuples pour maîtriser leur destin économique.
PATRICK COHEN
Les pays que vous avez cités ne connaissent pas la crise politique, la crise de défiance que nous connaissons aujourd'hui en France, Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
Je peux vous dire qu'elle est généralisée en Europe en raison précisément du fait du choix austéritaire qui est le choix de l'Union européenne, et qui est fait par une Commission européenne qui interprète les traités de cette manière, des États membres qui eux-mêmes, un certain nombre d'entre eux, imposent des choix qui sont des choix austéritaires. Comme l'a dit Romano PRODI il y a quelques jours, je le cite, il a dit : “ Il faut mettre fin aux mesures d'austérité. La France, l'Italie, l'Espagne doivent ensemble taper du poing sur la table. ”
PATRICK COHEN
Vous êtes le seul Arnaud MONTEBOURG, je vous le fais remarquer à chaque fois que vous venez à ce micro, vous êtes le seul à porter ce discours au gouvernement.
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, j'allais dire c'est une originalité qui a vocation à s'étendre et à être partagée, car je n'ai pas l'intention de rester seul longtemps. Pourquoi ? Parce que quand on lit ce que disent les Prix Nobel d'économie, qui sont finalement tout aussi fondés que monsieur Olli REHN à fixer la ligne budgétaire de l'ensemble des pays de la zone euro, que disent-il ? Aucune économie n'est jamais revenue à la prospérité avec des mesures d'austérité. Donc nous demandons, et nous avons raison de le demander, à l'Union européenne de faire bouger ses choix. Nous avons déjà obtenu une chose importante. La Banque Centrale Européenne, et nous pouvons saluer le choix de monsieur DRAGHI, a pris une décision historique de baisser ses taux d'un quart de point, ce qui n'était pas avenu depuis très longtemps. Ça a eu pour conséquence d'interrompre la hausse de l'euro. Nous voudrions même que l'euro baisse.
PATRICK COHEN
Mais l'euro reste trop fort à vos yeux et là aussi, vous êtes le seul à le dire à Bercy.
ARNAUD MONTEBOURG
Pas tout à fait.
PATRICK COHEN
Quand on interroge Pierre MOSCOVICI, il ne reprend pas en compte ce type de propos et de constatations sur l'euro, au niveau de l'euro.
ARNAUD MONTEBOURG
Écoutez, ce que je note c'est que le commissaire européen TAJANI est venu à Paris, le dire, commissaire européen. Je note que le FMI constate que c'est également le cas. Je note que le gouvernement américain pense à peu près la même chose.
PATRICK COHEN
Mais pas Pierre MOSCOVICI, pas le ministre de l'Économie.
ARNAUD MONTEBOURG
Et que le président de la République, vous permettez, le président de la République depuis le mois de février a posé la question de l'euro trop fort. Donc nous sommes fondés à poser quelques questions à nos autorités monétaires.
PATRICK COHEN
Donc je reviens à la crise politique. Arnaud MONTEBOURG, vous continuez sous les sifflets, sous la contestation qui monte de partout, avec les sondages qui s'enfoncent pour l'exécutif. Ça va tenir comme ça ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous sommes obligés, excusez-nous, nous avons devant nous des travaux dits d'Hercule. Nous avons à redresser les comptes publics, réduire le déficit de mille huit cents milliards de dettes, nous empruntons cent quatre-vingts milliards chaque année. Nous sommes obligés de réduire nos emprunts. Premièrement.
PATRICK COHEN
Bon ! Il n'y a pas de cause politique à la crise. Il n'y a pas de cause purement politique à la crise ?
ARNAUD MONTEBOURG
Il y a déjà des causes qui sont profondes, économiques, qui font qu'en effet l'essentiel des révoltes que nous entendons de part et d'autre, dans certaines corporations, certaines régions, sont liées à des questions fiscales. Pourquoi nous en sommes là ? Parce que nous sommes obligés de relever un certain nombre d'impôts. C'est le cas également du commerce extérieur, nous devons redresser la barre. Nous avons pris le commerce extérieur à moins soixante-quatorze milliards. Lorsque Lionel JOSPIN a quitté les responsabilités en 2002, le commerce extérieur était excellent. Dix ans de droite et moins soixante-quatorze milliards ! Ça tombe bien parce qu'en dix-huit mois, nous avons redressé : nous ne sommes plus qu'à soixante milliards, mais c'est quand même moins soixante. On a remonté de quatorze.
PATRICK COHEN
Donc il n'y a pas d'alternative, de situation alternative.
ARNAUD MONTEBOURG
Il faut que nous ayons la force de continuer à poursuivre nos objectifs, inverser la courbe du chômage, reconstruire l'industrie, reconstruire l'éducation nationale, redresser les comptes publics. Ça demande des efforts. Vous savez pourquoi ? Parce que ces dernières années, tout ça, toutes ces questions on s'en fichait. Voilà. On a vécu à crédit et maintenant, la facture arrive. Nous sommes obligés de le faire.
PATRICK COHEN
Alors Arnaud MONTEBOURG, vous présentez ce matin en conseil des ministres un plan de sauvetage pour les entreprises les plus fragiles, qualifié par vous de plan de résistance économique. Pourquoi ? Il y a urgence ? vous voyez arriver une avalanche de plans sociaux ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous avons déjà depuis dix-huit mois fait face à de nombreuses difficultés d'entreprises, avec des solutions au cas par cas, avec les commissaires au redressement productif dans les départements, les régions. Nous cherchons des solutions.
PATRICK COHEN
Un millier de plans sociaux en un an.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui. J'ai sorti de mon ministère avec mes équipes sur les territoires et à Bercy mille-soixante-quinze décisions d'entreprises en difficulté, avec cent-cinquante-quatre-mille-neuf-cents emplois qui étaient menacés. Nous en avons préservé cent-trente-neuf mille-quatre-cent-quarante-neuf. Ça fait quand même quinze mille de perdus.
PATRICK COHEN
Ça, c'est pour les dossiers qui sont arrivés jusqu'à vous parce qu'il y en a d'autres qui n'ont pas été traités par les commissaires.
ARNAUD MONTEBOURG
Plus d'un millier. Je parle y compris de ceux qui sont dans mon orbite, c'est-à-dire les commissaires sur les territoires, et nous faisons face maintenant à des grosses PME qui dépassent d'ailleurs finalement la taille à laquelle nous avons été habitués et donc nous sommes obligés de prendre des mesures de résistance économique.
PATRICK COHEN
On parle de plus de cinquante mille emplois menacés à court terme. C'est le cabinet Altares qui le dit. C'est vrai ?
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, c'est vrai que nous avons des défaillances d'entreprises. Je note que sur quatre dossiers : KEM-ONE, FAGORBRANDT, ARC INTERNATIONAL, (phon), ce sont des dossiers qui sont publics, qui sont connus. Ça concerne environ vingt mille personnes, si nous ne les sauvons pas, qui sont concernés ou si nous ne sauvons pas les outils industriels. Donc nous avons là quatre exemples, quatre dossiers très importants, vous avez vingt mille emplois en cause. Notre choix, et j'ai demandé des mesures exceptionnelles pour faire face à cette situation exceptionnelle, pour l'entreprise qui concerne des secteurs entiers ou des régions entières qui risquent d'être blessées, comme nous l'avons connu dans l'agroalimentaire en Bretagne. Ces mesures exceptionnelles consistent tout simplement à dire : “ Puisque le système bancaire ne fait pas son travail, ne fait pas prendre de risques, reste calfeutré ” et que nous avons des entreprises qui peuvent retrouver la rentabilité, qu'on peut comme on dit retourner, dont on peut améliorer la performance, l'État va faire la banque. Voilà ce que nous avons décidé de faire. C'est-à-dire que nous allons emprunter pour leur prêter. Voilà ce que nous allons faire.
PATRICK COHEN
La Banque Publique d'Investissement ?
ARNAUD MONTEBOURG
La Banque Publique d'Investissement, elle, elle a fait le choix dès le début d'abonder. Elle va mettre cent soixante-dix millions dans des fonds qui eux-mêmes sont spécialisés, privés, avec de l'investissement privé et de l'investissement public qu'ils sont chargés de retourner tous les jours. Donc vous avez aujourd'hui un certain nombre de fonds qui sont habitués à sauver des entreprises. C'est leur métier. La Banque Publique d'Investissement vient les soutenir mais elle ne le fait pas en direct. Pourquoi ? Parce que là, ce sont des entreprises qui ont des besoins de financement considérables. Ce sont des grosses entreprises.
PATRICK COHEN
Qui ont des problèmes de trésorerie.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, c'est ça. Ce ne sont pas des grands groupes.
PATRICK COHEN
Entreprises de plus de quatre cents salariés quand même. C'est ça ? c'est le seuil ?
ARNAUD MONTEBOURG
C'est des milliers de salariés.
PATRICK COHEN
Non, mais les entreprises qui sont concernées, c'est plus de quatre cents salariés ? c'est ça ?
ARNAUD MONTEBOURG
C'est ça.
PATRICK COHEN
Et vous pourriez l'État, certains partenaires privés, prendre temporairement le contrôle de ces entreprises ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ce n'est pas notre souhait parce que partout nous avons des propositions de repreneurs, donc nous avons des solutions de sauvetage, mais nous avons besoin que le système bancaire accompagne. Or, il ne veut pas le système bancaire ! donc nous risquons de perdre des entreprises qui peuvent retrouver la rentabilité, qui peuvent finalement revenir à meilleure fortune. On peut sauver des outils industriels et des emplois ; donc notre choix est d'adosser un soutien public temporaire aux côtés de repreneurs privés et d'investisseurs. Il ne s'agit pas de faire le métier d'entrepreneur que nous ne savons pas faire. Il s'agit d'accompagner ceux qui savent le faire, qui veulent le faire et veulent sauver ces entreprises.
PATRICK COHEN
Il y aura trois cents millions d'euros affectés et ce sera voté, ce sera présenté dès cet après-midi à l'Assemblée nationale.
ARNAUD MONTEBOURG
Je vais cet après-midi à l'Assemblée nationale présenter ces propositions, demander au Parlement l'autorisation de le faire. Ce sera un fonds d'environ quatre cents millions d'euros, c'est trois cent quatre-vingts millions. Nous avons ressorti un vieux fonds qui existe depuis 1948, qui a servi dans toutes les crises conjoncturelles en France, qui s'appelait le FDES, et qui a été réorienté autour de mesures de résistance économique car la crise est trop longue, la croissance est encore trop faible même si nous avons des signaux encourageants, mais ce n'est pas suffisant et ces entreprises, nous ne pouvons pas les laisser tomber.
PATRICK COHEN
Est-ce que FAGOR, que vous avez cité, pourrait rentrer dans ce cadre ?
ARNAUD MONTEBOURG
Exactement. Il fait exactement partie de nos cibles, c'est-à-dire que nous pensons que quatorze pourcents du marché électroménager est fabriqué par FAGORBRANDT avec des marques mythiques. Nous pensons qu'il y a un outil de travail qui est performant ; nous pensons qu'il y a un outil industriel avec de l'innovation, des brevets et des technologies, qui est très efficient. Nous souhaitons conserver cet outil industriel, le redéployer, l'améliorer, le ramener à meilleure fortune et garder le plus possible d'emplois dans les sites qui sont concernés, et ça concerne plusieurs milliers de nos concitoyens.
PATRICK COHEN
On annonce aussi, ce n'est pas beaucoup d'emplois mais c'est symbolique, la disparition d'un monument du made in France : les pianos PLEYEL, manufacture historique. Vous êtes saisi du dossier, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, hier soir. J'ai demandé à rencontrer le propriétaire. Ce n'est pas qu'un symbole. Ça veut dire beaucoup.
PATRICK COHEN
C'est un fonds d'investissement, le propriétaire.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous souhaitons discuter avec eux pour imaginer les possibilités de reprise et de relance.
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG, ministre du Redressement productif, avec nous jusqu'à neuf heures moins cinq et vos questions dans quelques minutes au 01 45 24 7000 au standard de France Inter.
[08h40]
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG est notre invité ce matin, le ministre du Redressement productif qui présente un plan pour sauver les entreprises les plus fragiles, 50 000 emplois menacés par des plans sociaux en série dans les prochains mois. On va écouter quelques témoignages et questions d'auditeurs au standard d'INTER. Arnaud MONTEBOURG dont la musique est, comment dire, quelque peu différente de celle de ses collègues. On ne vous entend pas dire, Arnaud MONTEBOURG, que la reprise est là, qu'on est en train de remonter la pente, que l'horizon s'éclaircit.
ARNAUD MONTEBOURG
On a des signaux encourageants, mais ils sont contradictoires. Par exemple, tous les instituts de conjoncture, du FMI, OFCE, INSEE, OCDE, remontent toutes leurs prévisions, on passe du - au +, partout, les quatre, donc il y a des éléments. Nous avons des enquêtes, aujourd'hui, qui montrent que dans les entreprises, et dans les ménages, le moral remonte, donc que les perspectives sont meilleures.
PATRICK COHEN
Mais pour l'emploi ce n'est pas ça.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous avons des informations, aussi, qui montrent que le chômage des jeunes commence à s'améliorer depuis plusieurs mois. Nous avons des secteurs de production industrielle où on a des +, +4, +6, ce sont des secteurs de production industrielle, donc nous avons des signaux de reprise, mais c'est insuffisant par rapport à la santé de l'économie qui a vécu 5 ans d'une crise très longue et difficile, et certaines entreprises qui sont, qui pourraient se relancer, si nous avions une croissance à 2 ou 3%, sont en difficulté.
PATRICK COHEN
Donc, il y a les indicateurs d'un côté et puis l'économie réelle qui ne va pas bien.
ARNAUD MONTEBOURG
Exactement, qui ne va pas, et je fais partie, avec mes équipes, de ceux qui faisons face, nous ne laissons rien au hasard, nous avons d'ailleurs des résultats positifs, je le dis, parce qu'on parle toujours des échecs, mais heureusement… je voudrais vous donner ces éléments, parce que finalement on n'en parle jamais, finalement c'est mon devoir aussi de le dire, ça fait partie de mon bilan.
PATRICK COHEN
Votre pourcentage.
ARNAUD MONTEBOURG
Non, ce n'est pas un pourcentage, je vais prendre des exemples. GM Strasbourg, 989 emplois, il y a eu une reprise, on n'en n'a jamais entendu parler, pourquoi, parce que les employés ont gardé leur emploi, tous. Rio TINTO, Saint-Jean-de-Maurienne, a sauvé une autre usine d'aluminium, 487 emplois.
PATRICK COHEN
On en a parlé.
ARNAUD MONTEBOURG
M-REAL dans l'Eure, 200 emplois, c'est quand même une papeterie, c'est important. SEALYNX, c'est une usine de sous-traitance automobile, 500 emplois. En Alsace, CLESTRA, 400 emplois. Tout ça c'est du 100%, donc il y en a, merci.
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG, les auditeurs ont des exemples, d'autres exemples à vous donner.
ARNAUD MONTEBOURG
Bien sûr, évidemment.
PATRICK COHEN
Marion nous appelle de Montpellier, bonjour Marion.
MARION
Bonjour, je vous appelle de Montpellier. Moi je suis salariée chez SANOFI, SANOFI entreprise pharmaceutique qui fait 9 milliards de bénéfices en 2012 et qui veut supprimer des centaines de postes dans la recherche en France dans le but, avoué par la direction, d'augmenter les dividendes des actionnaires. Donc nous sommes clairement en face de suppression de postes à visée boursière. Comment expliquez-vous, Monsieur MONTEBOURG, que le PS ait refusé de voter en mai 2013 une proposition de loi contre les suppressions de postes à visée boursière, alors que le même PS, dans l'opposition en 2011, avait proposé au Sénat un texte allant dans ce sens ? Je vous remercie.
PATRICK COHEN
Merci Marion. Arnaud MONTEBOURG, ce n'est pas seulement les entreprises qui ferment, les suppressions d'emplois, c'est aussi des…
ARNAUD MONTEBOURG
Vous avez raison, d'ailleurs il y a d'autres entreprises qui décident de prendre des mesures de mutation, de restructuration. Ce n'est pas la seule, il y a aussi MICHELIN. Ce sont des entreprises devant lesquelles nous posons des questions, premièrement, est-ce que vous réinvestissez en France, est-ce que vous maintenez vos sites de production ? car nous ne reconnaissons pas à une entreprise l'interdiction, nous ne voulons pas infliger des interdictions de s'adapter, or, la recherche pharmaceutique est en crise dans tous les groupes mondiaux, SANOFI dit « moi je veux faire muter mon modèle de recherche », et donc a décidé de prendre un certain nombre de décisions, d'ailleurs négociées avec les organisations syndicales, nous leur avons demandé, puisque SANOFI voulait rayer de la carte toutes ses installations de Toulouse, de revenir sur ses décisions, SANOFI a accepté de revenir sur ses décisions et a accepté les conclusions intégralement définies par mon expert, monsieur Jean SAINTOUILLE, qui finalement propose des mesures de compensations sur Toulouse, assez importantes, et des réinvestissements de la part de SANOFI. Donc, nous avons une stratégie vis-à-vis de chacune de ces entreprises, d'abord de leur faire admettre le respect du patriotisme économique, c'est-à-dire de respecter nos sites de production, les territoires, les gens. Sur Montpellier, il y a des mesures de mutations, le site n'est pas supprimé, il y a 200 personnes à qui on demande des mutations, c'est-à-dire de déménager. Ce n'est pas, pour moi, les sinistres que nous sommes en train de vivre dans la production industrielle, ce sont des mesures qui peuvent faire l'objet de discussions avec les organisations syndicales, et c'est le cas aujourd'hui.
PATRICK COHEN
Denis nous appelle de l'Aveyron, bonjour Denis.
DENIS
Bonjour messieurs.
PATRICK COHEN
Nous vous écoutons.
DENIS
Je me permets de vous appeler, tout simplement j'ai une entreprise, j'ai 15 salariés, et au quotidien j'ai l'impression que je rame sur un cours d'eau asséché, parce que je me rends compte que l'administration française fait tout pour tuer les entreprises, oui Monsieur MONTEBOURG, l'administration française est là pour tuer les entreprises. Au quotidien on est en train de venir nous embêter tout le temps, Inspection du travail, etc., donc, que comptez-vous faire pour réellement, mais réellement, maintenir l'emploi en France, dans les commerces ?
PATRICK COHEN
Merci Denis. Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous avons, c'est vrai, sur le terrain, nous voyons apparaître l'application, parfois tatillonne, de règles qui se sont multipliées ces dernières années. Il y a beaucoup de chefs d'entreprise qui m'écrivent et qui me disent, « écoutez, sur les normes environnementales, nous avons une inflation de normes, et les DREAL, qui sont chargées de faire appliquer le droit de l'environnement - à la suite du Grenelle de l'environnement, il y a eu je ne sais combien de décrets qui sont intervenus, et qui vont bien plus loin que les normes européennes qui sont applicables dans tous les pays européens. Donc, nous avons à faire face à cela, j'ai fait des propositions dans le cadre de ce que le Premier ministre a appelé « le choc de simplification », de suppression d'un certain nombre de normes, pour revenir à la norme européenne. C'est en cours de décision. D'ailleurs, j'ai demandé aux préfets, aux fédérations professionnelles, c'est-à-dire aux représentants de ces entreprises, de nous faire des propositions, donc nous sommes en discussion pour démanteler un certain nombre de ces règles, qui aujourd'hui empoisonnent la vie, sur le terrain, de tous ceux qui essayent de travailler et vivre au pays, comme on dit.
PATRICK COHEN
Une question de Philippe LEFEBURE.
PHILIPPE LEFEBURE
Oui, question sur le fonds de secours que vous constituez aujourd'hui, d'où viennent ces 380 millions que vous annoncez et est-ce qu'il n'y a pas un risque d'utilisation politique de cet argent, de cette cagnotte, pour calmer certains cas d'entreprises en difficulté ?
ARNAUD MONTEBOURG
D'abord, nous empruntons…
PHILIPPE LEFEBURE
C'est le reproche qu'on vous fait déjà !
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, mais il faut toujours qu'on nous fasse des reproches, comme ça, ça nous donne l'occasion de répondre, voilà, c'est le débat démocratique et, franchement, c'est normal. Nous empruntons pour prêter, nous ne prêtons pas à la tête du client, nous prêtons lorsqu'il y a un repreneur, des perspectives industrielles de retour à meilleure fortune, et avec un sauvetage, qui nous paraît sérieux, de l'outil industriel, et du plus d'emplois possibles.
PHILIPPE LEFEBURE
Mais quand la BPI n'en veut pas, quand elle juge que c'est un canard boiteux par exemple.
ARNAUD MONTEBOURG
Non, la BPI, pour nous la BPI, qui s'occupe des PME, des petites entreprises, la BPI est trop petite pour faire face à ces grosses entreprises. Ce ne sont pas des grands groupes, mais c'est ces grosses ETI.
PHILIPPE LEFEBURE
Mais elle a plus de moyens que vous, quand même.
ARNAUD MONTEBOURG
La BPI, par ailleurs, ne se met pas en situation d'elle-même financer des retournements de situation des entreprises, donc nous avons décidé de le faire nous-mêmes, parce que les banques ne veulent plus le faire. Enfin nous prêtons avec des contreparties, la contrepartie, parfois ça va être de demander au dirigeant un certain nombre de choses, de faire changer l'actionnariat, bref, de faire en sorte que l'entreprise retrouve le chemin de la prospérité. Enfin vous dites, attention aux canards boiteux, mais qu'est-ce que c'est qu'un canard boiteux et qui décide…
PHILIPPE LEFEBURE
C'était tout le débat lors de la naissance de la BPI, de la banque publique.
ARNAUD MONTEBOURG
Qui est canard boiteux, et qui décide d'abattre une entreprise et de mettre dehors ses salariés, c'est ni vous, ni moi, ce sont un certain nombre de gens qui sont spécialistes de l'entreprise, qui voient s'il y a des perspectives de reprise ou pas. Quand il n'y a pas de perspective de reprise, on sait que l'entreprise ne trouvera pas de solution. Quand on a des solutions, on les examine, quand elles tiennent debout, on les finance, et ces solutions on les accompagne, c'est aujourd'hui notre responsabilité parce que nous ne voulons pas, dans cette période de crise qui se prolonge, perdre des outils industriels. C'est une lutte permanente, sur tout le territoire. Je vais, je suis allé en Alsace, sauver, défendre, une solution sur une entreprise de textile, c'était les derniers métiers à tisser dans cette région. Je suis allé l'autre jour à Saint-Etienne pour défendre une entreprise… où il y avait un conflit social très dur, si on ne trouvait pas une solution, on perdait l'entreprise, et c'est de la mécanique de haute précision. Donc nous faisons ce travail partout sur le territoire, c'est épuisant, mais c'est absolument nécessaire. Pourquoi ? Parce qu'il faut tenir dans la période difficile que nous traversons.
PATRICK COHEN
Au standard d'INTER, Olivier nous appelle de Metz, bonjour Olivier.
OLIVIER
Bonjour Monsieur COHEN, bonjour Monsieur le ministre.
PATRICK COHEN
Sur la fiche, je vais vous citer, on m'a écrit « Olivier est en voiture, il va au tribunal de commerce déposer le bilan. »
OLIVIER
Exact. Je viens de m'arrêter, je vous explique en deux mots. 50 ans, chef d'entreprise, une société depuis 23 ans, 800 000 euros de chiffre d'affaires, ma banque, une banque historique, je vais la citer si ce n'est pas un problème, en tout cas LA BANQUE POSTALE, jusqu'à présent m'autorisait 20 000 euros de découvert, ce qui me permettait de couvrir mes caisses, mes URSSAF, mes salaires. Il y a 3 jours je reçois un courrier, ces 20 000 euros de glissement de caisse sont passés à 100 euros. 100 euros, j'ai pris la décision, ce matin tribunal de commerce, je m'assois sur les sièges, il y a à peu près 25 personnes, on est tous, toutes les PME, TPE, sont en train de déposer le bilan, on nous parle de grosses boîtes, les grosses boîtes c'est une chose, mais là je mets 6 personnes sur le carreau, cet après-midi, simplement pour une autorisation de découvert de 100 euros au lieu de 20 000 comme je pouvais l'avoir par le passé. Pour une entreprise quand il y a son URSSAF qui tombe, ses salaires, ses charges, je n'ai jamais été en négatif depuis 23 ans, ce glissement de caisse me permettait simplement de parer et de suivre les problématiques au jour le jour sans avoir trop de problèmes… c'est 100 euros.
PATRICK COHEN
Dans quel secteur êtes-vous, Olivier ?
OLIVIER
Je suis dans le marketing, la pub, la com., le traitement de l'eau, la filtration, un certain nombre de problématiques concernant la qualité de l'eau, avec des entreprises, des serres, sur les problématiques de nitrates, pesticides, chimiothérapie, etc., tout ce qu'on retrouve dans l'eau, et voilà, c'est fini.
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG a entendu votre témoignage, il vous répond.
ARNAUD MONTEBOURG
D'abord je voudrais dire à cette personne que ce n'est pas parce qu'on dépose le bilan qu'on ne repart pas, je voudrais le lui dire. Moi je considère qu'on a le droit à l'échec, surtout quand l'échec est provoqué par le système financier bancaire, qui est en train de durcir partout. Je passe ma vie, avec mes équipes, à téléphoner aux banquiers, et à essayer de débloquer des situations, et il y a un certain nombre de pays où on a nationalisé les banques dans la crise LEHMAN BROTHERS il y a 5 ans, nous, en France, on ne l'a pas fait, on a mis des milliards, ça on les a mis les milliards, mais on n'a pas nationalisé les banques. Donc, conséquence, on n'a pas les outils. Comme il s'agit de LA BANQUE POSTALE, je voudrais que ce monsieur prenne contact avec mon cabinet, mon secrétariat particulier, je vais appeler le patron de LA BANQUE POSTALE, c'est comme ça, mais on le fait, tous les jours Monsieur COHEN. Tous les jours mes commissaires au Redressement productif, ma cellule restructuration, les gens du CIRI, qu'est-ce qu'on fait, on dit aux banquiers occupez-vous de l'économie réelle, des gens qui travaillent et qui ont des outils de production rentables.
PATRICK COHEN
Oui, il y a les banques, et puis il y a aussi la fiscalité imposée par le gouvernement, et tout à l'heure on avait un artisan, le président de la CAPEB, qui nous disait que la hausse de la TVA ça n'allait pas arranger les choses pour les petites entreprises, les artisans, les commerçants. Arnaud MONTEBOURG, la TVA ?
ARNAUD MONTEBOURG
Il y a une discussion de négociation en cours en ce moment avec le gouvernement, le ministère du Budget et le Premier ministre, et la ministre du Commerce et de l'Artisanat, voilà, elle est en cours, elle est en discussion. C'est utile, on a besoin… l'artisanat c'est 1 million d'entreprises en France, c'est le premier employeur de France, donc c'est utile d'écouter ce qu'ils nous disent.
PHILIPPE LEFEBURE
Ce que vient de traiter l'auditeur c'est aussi qu'en ce moment on fait face à une vague de petites faillites, de très petites entreprises…
ARNAUD MONTEBOURG
C'est très juste.
PHILIPPE LEFEBURE
Votre dispositif vise les PME moyennes, importantes, les ETI.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous avons, d'ailleurs je crois qu'il va falloir qu'on convoque les banques, parce que là nous sommes quand même en situation où le durcissement du crédit, dans une période où l'économie ne repart pas, devient extrêmement difficile, et je ne peux pas passer ma vie a, finalement morigéner les banquiers, qui reçoivent des instructions de durcissement partout, ça tombe d'en haut et ça descend, voilà, pendant que les dividendes augmentent, distribués aux actionnaires des banques, les mêmes, voyez ce que je veux dire ?
THOMAS LEGRAND
Vous dites que vous passez votre temps à téléphoner aux banquiers, à essayer de réparer des situations compliquées, est-ce que dans vos contacts quotidiens, est-ce que l'impopularité croissante du président vous la ressentez, est-ce que ça pèse sur votre action, est-ce que la perte d'autorité de la parole de l'Exécutif pèse sur votre action ou pas ?
ARNAUD MONTEBOURG
D'abord je ne la ressens pas, je dois vous dire que étant tout à la tâche qui m'a été confiée, qui est une tâche difficile, mais nécessaire, et parfois enthousiasmante, parce que nous pouvons obtenir des résultats, nous pouvons défendre, franchement, nos outils industriels, nous avons finalement à faire face à des protestations ou de l'incompréhension de la part des gens, mais en même temps tout n'est pas négatif. Moi je vois des tas de Français qui sur le territoire se donnent la main, s'organisent, nous accueillent, nous remercient. Moi je suis allé dans des entreprises, moi j'ai des syndicalistes qui m'ont offert des cadeaux, oui, qui m'ont remercié, des petits cadeaux symboliques.
PATRICK COHEN
Ah ! Vous l'avez déclaré ?
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, c'était un Opinel.
PATRICK COHEN
Ah bon !
ARNAUD MONTEBOURG
Vous voyez, quand je suis allé en Savoie. Ça arrive, vous savez, qu'on se fasse remercier par les gens quand on s'occupe d'eux, parce qu'on s'en occupe, on ne réussit pas toujours, mais quand on a des succès, on est tous fiers, voilà, c'est ça la France. On en a vu d'autres, on serre les coudes et on avance. Merci Monsieur LEGRAND.
PATRICK COHEN
Merci à vous Arnaud MONTEBOURG d'être venu ce matin au micro de FRANCE INTER.
ARNAUD MONTEBOURG
Ah, c'est déjà fini ?
PATRICK COHEN
Oui, oui, c'est fini.
ARNAUD MONTEBOURG
Mais j'avais plein de choses à répondre encore à vos auditeurs, parce que ça c'est la France qui parle là, et tous les jours nous on les a, les petits patrons en larmes, les syndicalistes désespérés, c'est notre vie quotidienne. Merci de nous avoir à tous donné la parole.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2013