Interview de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, à "LCI" le 28 octobre 2013, sur la supension de l'écotaxe, les négociations commerciales internationales notamment avec les Etats-Unis, la politique fiscale et de réduction des déficits.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va parler évidemment des impôts, du ras-le-bol fiscal, de la grogne, certains parlent même de jacquerie paysanne, on se croirait au XVIIIème siècle. Nicole BRICQ, vous êtes un peu, finalement, en charge de notre compétitivité mondiale, et donc vous devez regarder ces problèmes de... ces questions, ces débats sur les impôts, avec beaucoup d'intérêt. Est-ce que l'on paie trop d'impôts en France ?

NICOLE BRICQ
Dans la tempête, il faut garder son sang-froid, vous avez remarqué, ça souffle dehors, et il y a un vent aussi qui se lève du côté de la Bretagne, mais je voudrais dire que les impôts c'est le lien que nous avons avec la Nation, et c'est fait pour financer des dépenses utiles, il faut qu'elles soient le plus utiles possibles. Alors, nous sommes dans un temps difficile, c'est vrai, nous le savions, et nous avons pris les mesures pour faire en sorte que cela aille mieux, dans l'économie. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous parliez du lien avec la Nation, effectivement, le consentement à l'impôt c'est un lien fondamental entre le pouvoir politique et les Français. Est-ce que ce consentement à l'impôt n'est pas en train d'être rompu, justement ? Est-ce que ce que votre collègue Pierre MOSCOVICI, ministre de l'Economie, appelait ras-le-bol fiscal, est-ce que l'on n'est pas en plein dans ce ras-le-bol fiscal aujourd'hui ?

NICOLE BRICQ
Nous avions dit que les prélèvements augmenteraient, mais temporairement, dans la mesure où il y a un engagement qui est pris de les stabiliser. Mais nous faisons un effort sur les prélèvements, pour financer des dépenses utiles à la Nation, et je crois qu'il faut rappeler les principes essentiels. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que l'on n'avait pas intérêt, plutôt, à baisser davantage les dépense plutôt que d'augmenter les impôts pour ... les déficits ?

NICOLE BRICQ
Mais on fait aussi des économies. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Peut-être pas suffisamment.

NICOLE BRICQ
Et quand on en fait, ce sont tous les ministères qui y contribuent, y compris du reste ceux qui sont prioritaires. Nous ne trompons pas les Français, nous avions dit qu'il fallait financer les priorités. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous ne pouvez pas aller plus vite, dans la réduction des dépenses.

NICOLE BRICQ
Aller plus vite, mais vous tuez toute possibilité de reprise, il faut équilibrer entre la dépense et la recette, du mieux possible. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, quand même on va parler des impôts, en particulier, notamment tous ceux qui concernent notre compétitivité à l'international. Que pense la ministre du Commerce extérieur, de l'écotaxe qui va effectivement, si on en croit à la fois les producteurs bretons, les distributeurs, pénaliser notre production nationale par rapport à la production internationale qui va arriver sans cette taxe, puisqu'ils vont, pour la plupart, passer par les autoroutes ?

NICOLE BRICQ
Nous faisons près de 60 % de notre commerce extérieur dans l'Union européenne. Notre principal partenaire c'est l'Allemagne. L'Allemagne a mis en place l'écotaxe il y a plusieurs années et elle lui rapporte plusieurs milliards par ans, qui vont lui permettre de financer la rénovation des infrastructures terrestres, et c'est le but de l'écotaxe. Je rappelle que le principe a été adopté en 2009, dans le consentement général, c'était la loi Grenelle 1... 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais quand les agriculteurs bretons nous disent...

NICOLE BRICQ
Et 5 ans après nous ne pourrions pas la mettre en œuvre ? Mais c'est pour financer les infrastructures, ce n'est pas pour la dépense publique inutile. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce qu'il y a un problème spécifique à la Bretagne et est-ce que vous allez faire un geste, puisque c'est une région, pas périphérique, mais qui est en tout cas au bout de cette péninsule bretonne, est-ce que vous allez faire un geste supplémentaire, parce que les agriculteurs bretons nous disent qu'ils vont payer, notamment sur les élevages, etc., plusieurs fois cette taxe, lorsque leur production ira d'un endroit à l'autre de la Bretagne ?

NICOLE BRICQ
Mais, nous avons déjà amodié le produit de l'écotaxe, le calcul de l'écotaxe pour la Bretagne. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Les modulations sur trois régions, effectivement.

NICOLE BRICQ
La Bretagne ne paie pas son réseau autoroutier, déjà, et donc... 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc vous n'irez pas plus loin.

NICOLE BRICQ
Et donc, je sais que mon collègue, Stéphane LE FOLL, très attaché à la terre bretonne et très attaché à la défense de l'agriculture, c'est son travail, va faire des propositions au Premier ministre. Mais je rappelle, cette écotaxe, elle n'est pas née d'hier, ça fait 5 ans qu'elle doit être mise en place, personne, n'est trompé. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui mais peut-être qu'elle s'ajoute dans un contexte d'accumulation de nouvelles taxes. On l'a vu ce week-end avec l'abandon d'une partie des produits d'épargne.

NICOLE BRICQ
Mais ce n'est pas une nouvelle taxe, l'écotaxe, elle était dans le calendrier. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, mais elle rentre en vigueur au mauvais moment.

NICOLE BRICQ
Elle rentre en vigueur au 1er janvier. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Au 1er janvier 2014.

NICOLE BRICQ
Attendons les propositions qui vont être faites et les arbitrages du Premier ministre, mais je rappelle que déjà, pour la Bretagne, elle a été réduite de 50 %, c'était annoncé lorsque le Premier ministre a annoncé son plan Bretagne, et quant à la taxation des produits d'épargne, là aussi il faut revenir à l'essentiel, pourquoi est-elle faite ? Pour financer la Sécurité sociale, c'est le bien commun de tous les Français, et donc l'annonce qu'a faite mon collègue CAZENEUVE hier, fait que seuls ce que l'on appelle les contrats d'assurance vie en unités de comptes, seront taxés. Mais, est-ce que c'est anormal qu'une épargne financière ne contribue pas à la Sécurité sociale ? Non. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et pourtant, vous avez reculé.

NICOLE BRICQ
Non. Ça sera uniquement les grands comptes qui la paieront, et puis i faudra trouver, justement, faire de nouvelles économies pour financer le manque à gagner. Et nous ne reculons pas sur tout, quand même, il faut arrêter de dire ça. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Justement, je voulais vous poser la question, est-ce que vous êtes sûre de vous, est-ce que le gouvernement est sûr de lui ? Parce qu'il y a eu l'affaire des Pigeons, il y a eu l'affaire des Poussins sur l'auto-entrepreneur, il y a eu la taxe sur le gasoil qui a été abandonnée, il y a eu l'EBE, l'idée de taxer l'EBE puis finalement on en arrive à un impôt sur les sociétés à 38 %, il y a eu le PEL, le PEA, il y aura peut-être demain l'écotaxe, pourquoi tous ces ballons d'essais pour finalement reculer ?

NICOLE BRICQ
Ce ne sont pas des ballons d'essais, ça prouve que nous ne sommes pas sourds, nous ne sommes pas emmurés dans, justement, dans nos certitudes, nous entendons ce que nous disent les secteurs concernés et je trouve que c'est plutôt une vertu que d'écouter plutôt que de rester droit dans ses bottes comme certains, ça ne leur a pas réussi, donc il faut arrêter de dire... et quant à l'essentiel, toujours, toujours dans des moments difficiles il faut se garder de perdre son sang-froid, eh bien, avons-nous reculé sur les retraites ? Non. Avons-nous reculé quand il a fallu transcrire la négociation de réforme du marché du travail ? Non, et c'est ça l'essentiel. Reculons-nous quand nous mettons un crédit d'impôt comme le crédit impôt compétitivité emploi ? Certains nous reprochent d'en faire trop pour les entreprises, alors que les patrons nous disent « ah ben vous en faites trop dans la taxation ». Alors, il faudrait quand même savoir. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ils vous disent, les patrons, que...

NICOLE BRICQ
Vous savez, gouverner c'est un art difficile, c'est un art d'exécution, ce n'est pas le tout d'avoir les bonnes idées, les conseilleurs sont pas toujours les payeurs. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, l'impôt sur les sociétés va passer à 38 %. Vous qui êtes ministre du Commerce extérieur, est-ce que ce n'est quand même pas un sérieux handicap pour les entreprises ?

NICOLE BRICQ
Je pense que c'est provisoire...

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est-à-dire ?

NICOLE BRICQ
C'est pas « je pense », j'en suis sûre. Ça a été dit et redit, c'est provisoire, c'est deux ans. J'ai entendu mon collègue Pierre MOSCOVICI le confirmer. Je pense que... 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et après on revient à 33 ?

NICOLE BRICQ
Non, mais ce qu'il faut, c'est qu'on mette à plat la fiscalité des entreprises. Moi j'ai toujours pensé que l'impôt sur les sociétés, il avait un petit défaut, en France c'est que son taux facial était trop élevé, et psychologiquement, ce n'est pas très bon, même si en fait les grandes entreprises, on le sait très bien, celles qui sont internationalisées, ne paient pas 35 %, mais je trouve que ça décourage les investisseurs. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
J'imagine que vous avez des débats un petit peu musclés ou houleux avec vos collègues de l'Economie et des Finances sur ces sujets-là, vous n'êtes pas forcément d'accord.

NICOLE BRICQ
Non, non, non, non, chacun fait son travail. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Quand ils vous disent l'ISS à 38 %, vous leur avez dit braco, banco ?

NICOLE BRICQ
Non, parce que je viens de vous le dire, je ne vais pas me répéter, mais chacun est en charge de son ministère, et Pierre MOSCOVICI, lui, il a la charge la plus lourde, parce qu'il doit redresser les comptes, il doit redresser nos finances, en même temps qu'il faut faire attention à ne pas étouffer la reprise dans l'oeuf, et l'œuf n'est pas encore éclos. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va parler un petit peu, encore, de compétitivité toujours, mais de patriotisme économique, et porté notamment par votre collègue Arnaud MONTEBOURG, est-ce que finalement on en fait assez ? Parce qu'il y a l'exemple de pays, on parle aujourd'hui des élections en Argentine, il y a le Brésil, il y a les Etats-Unis, d'une certaine manière, qui ont fait du... qui se sont peut-être montrés un peu moins naïfs que nous en matière de libre échange et qui ont quelque fois protégé certains secteurs, qui ont mis des taxes provisoires pour encourager la renaissance d'industries nationales, vous parcourez le monde, est-ce que ça n'a quand même pas fonctionné en Amérique du Sud, par exemple ?

NICOLE BRICQ
Oui, eh bien madame KIRCHNER, qui n'est pas en très bonne position, elle a pris des mesures très protectionnistes, mais quand on regarde, l'OMC a fait quand même que toute la magistrature Pascal LAMY a contenu ces velléités de protectionniste. Il peut y avoir, sur des produits particuliers, des mesures protectionnistes, mais quand on regarde la crise qui a affecté quand même le monde, et qui continue, elle n'a pas entrainé un mouvement protectionniste généralisé, mais c'est vrai que les Américains ont, que ce soit... 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Plus ou moins ouvertement, d'ailleurs.

NICOLE BRICQ
Oui, ils ont, ils défendent leurs marchés publics au travers de « l'américain buy act », mais justement, c'est un des enjeux... 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pourquoi ne le fait-on pas ?

NICOLE BRICQ
C'est un des enjeux de la négociation avec les Etats-Unis, puisque nous devons négocier un partenariat transatlantique. C'est vraiment l'enjeu principal d'ouverture des marchés publics. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et pourquoi ne le fait-on pas au niveau européen ? Pourquoi n'a-t-on pas fait la même chose ?

NICOLE BRICQ
Alors, au niveau européen ça pourrait peut-être avoir un sens... 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bien sûr.

NICOLE BRICQ
Mais moi j'ai proposé que l'Union européenne qui s'engage dans cette négociation avec les Etats-Unis, puisque c'est la Commission européenne qui a l'exclusivité de la compétence, nous lui avons donné mandat, moi je pense que le mieux ça serait d'avoir un transatlantique buy act. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, plus de libre-échange, plutôt casser les bannières douanières qui existent de l'autre côté de l'Atlantique, plutôt que...

NICOLE BRICQ
Oui, mais ça va être l'objet principal de la négociation, si elle s'engage. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que l'euro était une erreur ? Je vois là, on est sur de nouveaux records. 1,38 $ pour 1 €, j'imagine que les entreprises exportatrices vont nous dire que c'est, je pense à l'aéronautique par exemple, que c'est la catastrophe, non ?

NICOLE BRICQ
Alors, là aussi il faut raison garder. Nous exportons... notre commerce extérieur c'est 40 % dans la zone euro. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il y a combien de déficit alors...

NICOLE BRICQ
Et 60 % dans l'Union européenne, et des pays qui font beaucoup mieux que nous en matière d'exportation, c'est l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne. Et ils ont la même monnaie que nous. Alors, là aussi il faut relativiser. C'est vrai que ça peut gêner, notamment l'aéronautique, ce calcul en dollars ce n'est pas par hasard qu'AIRBUS va installer une chaine de production en Alabama aux Etats-Unis. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous savez que si le discours du Front national porte, c'est aussi parce que leurs dirigeants, ses dirigeants, développent cette idée qu'une dévaluation compétitive aurait mieux convenu à la France, finalement, qu'une monnaie forte ? Ils ont tort ?

NICOLE BRICQ
Allez demander aux Allemands qui se sont serrés la ceinture pendant près de dix ans, ce qu'ils en pensent. Maintenant ils disent à madame MERKEL, et je pense que ce sera un des sujets de négociations entre le SPD et la CDU, ils disent à madame MERKEL : nous voulons des augmentations salariales, nous avons beaucoup payé pour la compétitivité de l'Allemagne. Donc c'est un choix de politique qui n'est pas forcément celui d'une bonne gestion de l'économie en Europe. Mais je pense qu'une dévaluation... qui perd dans une dévaluation ? Ça, madame LE PEN, elle dit n'importe quoi. Bon, c'est facile, elle est irresponsable, mais c'est grave ce qu'elle dit. Dire qu'il faut sortir de l'euro, c'est la dévaluation. La dévaluation, c'est toujours les plus pauvres qui perdent.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Parce que, enchérissement du coût des importations.

NICOLE BRICQ
Eh bien évidemment. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais, est-ce que ça ne permettra pas d'exporter plus et donc d'avoir plus d'emplois Français ?

NICOLE BRICQ
Mais ce n'est pas une solution durable. Les Allemands le savent bien, et s'ils ont engrangé autant de surplus financier avec l'exportation, c'est parce qu'ils ont un énorme problème démographique et qu'il faudra bien qu'ils trouvent des systèmes pour payer les retraites. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous avez parlé, tout à l'heure, au début, d'un éventuel big bang fiscal pour les entreprises, vous y travaillez toujours et vous nous le promettez pour quand ?

NICOLE BRICQ
Eh bien écoutez, il faut que les assises de la fiscalité se tiennent, et s'engagent à la fin de l'année, c'est extrêmement important, parce que c'est vrai que la fiscalité des entreprises doit être vue. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et l'électorat socialiste, l'électorat de François HOLLANDE, peut comprendre que ça devienne une priorité de réformer la fiscalité des entreprises, les rendre plus compétitives ?

NICOLE BRICQ
Eh bien je pense que les parlementaires socialistes l'ont compris depuis longtemps, parce que quand vous regardez toutes les lois... 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Les parlementaires, oui, mais les électeurs, est-ce qu'il ne faut pas plus de pédagogie à leur égard ?

NICOLE BRICQ
Ah ben oui, il faut faire de la pédagogie. Dans des moments aussi difficiles, la pédagogie est utile, parce qu'il faut préparer l'avenir. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous êtes social-démocrate, Nicole BRICQ ?

NICOLE BRICQ
Oui. Oui, oui, oui, il y en a même qui disent que je suis sociale-libérale.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 novembre 2013