Texte intégral
[Merci, Monsieur le Président, pour cette introduction.]
Mesdames et Messieurs,
Cest avec plaisir que jai acceptée cette invitation. Je remercie plus particulièrement EuropaNova, et jen profite pour lui souhaiter le meilleur anniversaire pour ses dix ans : sa contribution pour faire vivre lespace public européen est précieuse.
LEurope est le fil directeur de ma vie politique, et elle y a occupé suffisamment de place pour que je trouve aujourdhui sur mon chemin de nombreux visages familiers, au gré des rencontres et des évènements.
Jai tout particulièrement plaisir à ouvrir cette conférence aux côtés dEnrico Letta, que jai bien connu dans une vie antérieure, à lépoque où jétais jeune ministre aux affaires européennes dans le gouvernement Jospin, et lui encore plus jeune ministre des politiques européennes dans le gouvernement de Massimo dAlema. Nous avons depuis, tous les deux, fait du chemin, mais nous avons gardé des engagements communs, et une amitié personnelle. Nous sommes tous les deux des réformistes à la sensibilité européenne affirmée, et nous voulons tous deux aujourdhui, dans nos responsabilités, dans laction politique, impulser le changement. Le point de vue que je voudrais partager brièvement avec vous aujourdhui est donc marqué par ces convictions, à la fois progressistes et européennes.
Partageons dabord un diagnostic lucide : aujourdhui, lEurope est inquiète. Elle doute, et elle doute dabord delle-même. Elle est le premier pôle économique dans le monde, mais elle na pas su protéger ses citoyens de la crise, et cela a alimenté leur défiance. Son poids compte sur la scène internationale, mais sa voix ne porte pas assez, et elle sinterroge sur son déclin. Elle exerce une puissante force dattraction sur ses voisins, mais certains la combattent de lintérieur. Elle est lexemple le plus abouti, la réalisation unique et exceptionnelle dune ambition dintégration régionale totalement originale, et pourtant on na jamais autant parlé des lignes de fracture qui la parcourent. Ce paradoxe, cette confusion, je la ressens très fortement, comme Ministre de lEconomie et des Finances.
Dans les moments de crise, il est toujours utile de revenir aux sources, aux fondements, pour y puiser linspiration. Doù lEurope est-elle née ? Elle est née dune interrogation, profonde, ontologique même, sur la puissance. Lhistoire tragique des Nations européennes du début du XXème siècle, cest celle dEtats qui se sont engagés dans une course à la puissance qui a débouché sur des tragédies dune noirceur inconcevable. Cest aussi celle de Nations qui ont toutes apporté des réponses variées, mais dramatiquement conventionnelles, et donc fatales, à linterrogation suivante : « Quest-ce que la puissance ? ». La puissance, telle que les Nations la définissaient à lépoque, cétait le contrôle de lespace géographique, la domination militaire, le jeu des alliances bilatérales, la profondeur des ressources des empires ultramarins
Cette définition-là de la puissance est forcément relative, et elle est forcément conflictuelle. Tous les recoins sombres et douloureux de notre histoire commune nous le rappellent. Ils lont aussi définitivement décrédibilisée. Après la seconde guerre mondiale, la question de la puissance était toujours ouverte. Mais cette fois, nourrie par lhistoire, une réponse fondamentalement originale et novatrice, dont on ne mesure même pas encore bien la portée et les implications aujourdhui, a été formulée : la puissance, cest linterdépendance. Le fondement de lidée européenne, il est là, dans ce remplacement dune définition profondément délétère de la puissance par une définition prometteuse et porteuse dautre chose que le chaos. Il y a une statistique que jaime bien, parce que je la trouve formidablement révélatrice dans sa simplicité de ce quest lEurope aujourdhui : le premier pays client de la France, cest lAllemagne juste devant lItalie dailleurs. Le premier fournisseur de la France, cest aussi lAllemagne avant lItalie qui est troisième. Je pourrais multiplier à linfini les exemples comme celui-ci : la réalité de nos interdépendances, elle est incontestable. Et jajoute que la création de la monnaie unique nest pas une étape « de plus » de cette construction de nos interdépendances, elle en est lincarnation la plus absolue. Avec une conclusion immédiate : cest ensemble quon perd, cest ensemble quon gagne.
Quand je dis que cette substitution des définitions de la puissance a été un bouleversement, je le pense vraiment. Je pense même que cela a été un bouleversement tellement profond que certains nont toujours pas pleinement réalisé ses implications. Peut-être dailleurs faut-il pour se rendre compte de cela, regarder lEurope, et notamment la zone euro, avec les yeux de létranger. Jai fait énormément de déplacements à linternational, dans les premiers mois de mon mandat à Hong-Kong, aux Etats-Unis, en Suisse, au Canada, en Côte dIvoire pour promouvoir lattractivité de la France et ses réformes économiques. Etre VRP de léconomie de son pays, ça fait partie de la description du poste. Dans tous ces pays, on me disait à chaque fois : daccord, la France se réforme, mais parlez-nous de lattractivité de la zone euro. Manière de souligner à quel point les destins de ses membres sont liés : curieusement, cest peut-être ceux qui nous regardent de lextérieur qui voient le mieux nos interdépendances.
Une fois que lon a compris la force et les conséquences de nos interdépendances, le reste en découle presque tout seul. Cela nous impose, en toute circonstance, de définir lintérêt commun. Cétait un peu le sens de cette conviction de Jean Monnet, que jaime rappeler : « Nous sommes là pour accomplir une oeuvre commune, non pour négocier des avantages, mais pour rechercher notre avantage dans l'avantage commun ». Lintérêt commun, quest-ce que cest ? Ce sont des disciplines, pour le faire respecter. Ce sont des solidarités, pour lincarner et lexercer effectivement. Ce sont enfin des procédures et des institutions, pour le définir ensemble.
Arrêtons-nous un instant sur la manière dont les Etats de la zone euro ont géré la crise, et demandons-nous si tous ces ingrédients y sont :
- Face au choc de la crise, en 2008, lUnion Européenne a cherché à mettre en place dans limmédiat un « plan de relance européen » pour absorber le choc. Cétait une tentative légitime pour exercer cette nécessité de solidarité que je mentionnais, mais personne ne sen souvient aujourdhui : elle sest heurtée à labsence de moyens financiers ;
- En revanche nous avons fait, et nous faisons encore de grands progrès dans la stabilité financière, que nous navons retrouvée quà travers des instruments communs. A partir de 2009/2010, au moment où la crise sest étendue aux dettes souveraines, la zone euro a créé des instruments de solidarité inédits, qui ont permis de prêter une assistance financière aux Etats les plus vulnérables. Dans le même temps, la BCE a tiré toutes les conséquences de son mandat pour fournir la liquidité nécessaire au secteur financier, lutter contre la fragmentation financière et assurer la cohésion de la zone euro. Cest enfin, un mois après lélection de François Hollande, la décision de créer une véritable Union bancaire, pour casser le cercle vicieux entre dette bancaire et dette souveraine. Tout cela sest fait dans le désordre et aux petites heures du matin parfois, mais la nécessité absolue de disposer dinstruments communs sest imposée ;
- En parallèle, la zone euro sest attaquée à la réforme de sa gouvernance économique. Elle a renforcé progressivement les règles, les disciplines et les limites sur les politiques budgétaires nationales, ce qui sest traduit pour les Etats par un effort immense de réduction des déficits, à un rythme qui a eu des effets récessifs certains, et que nous sommes en train dadapter, avec la Commission européenne.
Nous avons donc aujourdhui une part, mais pas tous les ingrédients qui permettent à lintérêt européen commun de se déployer effectivement. Nous avons les disciplines, avec un encadrement poussé des politiques budgétaires. Nous avons la solidarité, mais notre créativité sest surtout déployée dans le champ financier, et nous navons toujours pas les instruments de politique économique pour faire reculer le chômage en Europe, qui reste à de niveaux anormalement élevé, ou pour accélérer la sortie de crise dans les Etats qui sont le plus durement touchés. Enfin, nous navons pas non plus les bonnes procédures et institutions : je le dis sans acrimonie, mais nourri de mon expérience de Ministre de lEconomie et des Finances, douloureusement au fait de nos difficultés à prendre des décisions.
Personne dès lors ne sera surpris des propositions de la France pour prévenir et guérir les crises économiques actuelle et futures et stimuler la croissance en zone euro, elles sont le point daboutissement logique du diagnostic que je viens de partager. Nous devons tirer toutes les conséquences du fait quau sein de lUE à 28, qui reste à la fois notre grand marché intérieur et notre patrimoine politique commun, la zone euro constitue une dimension particulière, et que la monnaie unique change radicalement la façon de faire de la politique économique :
- Nous pensons quil faut un budget pour la zone euro, qui soit notre première défense commune face au reflux de la croissance. A mes yeux, ce budget aurait vocation à financer un socle de financement de lindemnisation chômage en zone euro. Il permettrait ainsi dexprimer une solidarité entre les membres de la zone euro et de donner une réalité à l'Europe sociale, tout en étant un outil puissant de stabilisation macroéconomique, première réponse à un ralentissement de l'activité.
- En parallèle, il faut redonner de la lisibilité aux institutions politiques qui sont chargées de la politique économique, chargées de la sauvegarde de notre intérêt commun. Cest pourquoi je propose que les députés qui représentent les citoyens de la zone euro au sein du Parlement européen constituent, en son sein, un comité chargé de colégiférer dans lintérêt de lunion monétaire. Je pense aussi à la création dun «ministre des finances » de la zone euro un Président permanent et exclusif de lEurogroupe, qui pourrait être aussi le membre de la Commission européenne chargé des affaires monétaires qui incarne et défende cet intérêt commun, et garantisse que nos décisions soient rapides et à la hauteur des enjeux.
Je le redis : compléter la zone euro ne veut pas dire que nous nous détournerons de la dimension de lUE à 28. Il ne sagit pas doublier cette grande Europe je sais quelle est bien représentée dans lassistance qui est naturellement notre espace de droit, de liberté et de sécurité, et qui a toute sa place pour construire un grand marché domestique pour nos entreprises, une politique commerciale, une politique environnementale, une coopération pour la défense, pour permettre à lEurope de peser dans son voisinage et sur la scène internationale.
Nous avons besoin de lui donner une nouvelle impulsion décisive dans cette direction. Jean Monnet, encore, nous a prévenus dès les années 1950 : « Nos pays sont devenus trop petits pour le monde actuel, à l'échelle des moyens techniques modernes, à la mesure de l'Amérique et de la Russie aujourd'hui, de la Chine et de l'Inde demain. L'unité des peuples européens réunis dans les Etats Unis d'Europe est le moyen de relever leur niveau de vie et de maintenir la paix. Elle est le grand espoir et la chance de notre époque ». La perspective des Etats-Unis dEurope sest à tout le moins éloignée. Mais notre tâche est toujours, à lheure dune nouvelle mondialisation, de construire la puissance européenne rayonnante et politique que nous voulons, dunifier les Etats européens. Cest ce qui nous rassemble ici, cest ce pour quoi, avec Enrico Letta, nous nous battons avec énergie.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques remarques que je souhaitais partager avec vous. Malgré la crise, malgré les difficultés de la période, malgré les insuffisances et parfois les ratés de son intégration, je ne suis pas pessimiste pour lavenir de lEurope : elle est résiliente, elle est forte, elle a tous les atouts pour réussir. Elle doit simplement garder toujours à lesprit doù elle tire sa puissance : de limbrication de nos destins, qui fonde notre intérêt commun, et qui a parfois linvisibilité des évidences. A nous de faire davantage partager cette évidence et lui donner un visage. Merci.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 13 novembre 2013
Mesdames et Messieurs,
Cest avec plaisir que jai acceptée cette invitation. Je remercie plus particulièrement EuropaNova, et jen profite pour lui souhaiter le meilleur anniversaire pour ses dix ans : sa contribution pour faire vivre lespace public européen est précieuse.
LEurope est le fil directeur de ma vie politique, et elle y a occupé suffisamment de place pour que je trouve aujourdhui sur mon chemin de nombreux visages familiers, au gré des rencontres et des évènements.
Jai tout particulièrement plaisir à ouvrir cette conférence aux côtés dEnrico Letta, que jai bien connu dans une vie antérieure, à lépoque où jétais jeune ministre aux affaires européennes dans le gouvernement Jospin, et lui encore plus jeune ministre des politiques européennes dans le gouvernement de Massimo dAlema. Nous avons depuis, tous les deux, fait du chemin, mais nous avons gardé des engagements communs, et une amitié personnelle. Nous sommes tous les deux des réformistes à la sensibilité européenne affirmée, et nous voulons tous deux aujourdhui, dans nos responsabilités, dans laction politique, impulser le changement. Le point de vue que je voudrais partager brièvement avec vous aujourdhui est donc marqué par ces convictions, à la fois progressistes et européennes.
Partageons dabord un diagnostic lucide : aujourdhui, lEurope est inquiète. Elle doute, et elle doute dabord delle-même. Elle est le premier pôle économique dans le monde, mais elle na pas su protéger ses citoyens de la crise, et cela a alimenté leur défiance. Son poids compte sur la scène internationale, mais sa voix ne porte pas assez, et elle sinterroge sur son déclin. Elle exerce une puissante force dattraction sur ses voisins, mais certains la combattent de lintérieur. Elle est lexemple le plus abouti, la réalisation unique et exceptionnelle dune ambition dintégration régionale totalement originale, et pourtant on na jamais autant parlé des lignes de fracture qui la parcourent. Ce paradoxe, cette confusion, je la ressens très fortement, comme Ministre de lEconomie et des Finances.
Dans les moments de crise, il est toujours utile de revenir aux sources, aux fondements, pour y puiser linspiration. Doù lEurope est-elle née ? Elle est née dune interrogation, profonde, ontologique même, sur la puissance. Lhistoire tragique des Nations européennes du début du XXème siècle, cest celle dEtats qui se sont engagés dans une course à la puissance qui a débouché sur des tragédies dune noirceur inconcevable. Cest aussi celle de Nations qui ont toutes apporté des réponses variées, mais dramatiquement conventionnelles, et donc fatales, à linterrogation suivante : « Quest-ce que la puissance ? ». La puissance, telle que les Nations la définissaient à lépoque, cétait le contrôle de lespace géographique, la domination militaire, le jeu des alliances bilatérales, la profondeur des ressources des empires ultramarins
Cette définition-là de la puissance est forcément relative, et elle est forcément conflictuelle. Tous les recoins sombres et douloureux de notre histoire commune nous le rappellent. Ils lont aussi définitivement décrédibilisée. Après la seconde guerre mondiale, la question de la puissance était toujours ouverte. Mais cette fois, nourrie par lhistoire, une réponse fondamentalement originale et novatrice, dont on ne mesure même pas encore bien la portée et les implications aujourdhui, a été formulée : la puissance, cest linterdépendance. Le fondement de lidée européenne, il est là, dans ce remplacement dune définition profondément délétère de la puissance par une définition prometteuse et porteuse dautre chose que le chaos. Il y a une statistique que jaime bien, parce que je la trouve formidablement révélatrice dans sa simplicité de ce quest lEurope aujourdhui : le premier pays client de la France, cest lAllemagne juste devant lItalie dailleurs. Le premier fournisseur de la France, cest aussi lAllemagne avant lItalie qui est troisième. Je pourrais multiplier à linfini les exemples comme celui-ci : la réalité de nos interdépendances, elle est incontestable. Et jajoute que la création de la monnaie unique nest pas une étape « de plus » de cette construction de nos interdépendances, elle en est lincarnation la plus absolue. Avec une conclusion immédiate : cest ensemble quon perd, cest ensemble quon gagne.
Quand je dis que cette substitution des définitions de la puissance a été un bouleversement, je le pense vraiment. Je pense même que cela a été un bouleversement tellement profond que certains nont toujours pas pleinement réalisé ses implications. Peut-être dailleurs faut-il pour se rendre compte de cela, regarder lEurope, et notamment la zone euro, avec les yeux de létranger. Jai fait énormément de déplacements à linternational, dans les premiers mois de mon mandat à Hong-Kong, aux Etats-Unis, en Suisse, au Canada, en Côte dIvoire pour promouvoir lattractivité de la France et ses réformes économiques. Etre VRP de léconomie de son pays, ça fait partie de la description du poste. Dans tous ces pays, on me disait à chaque fois : daccord, la France se réforme, mais parlez-nous de lattractivité de la zone euro. Manière de souligner à quel point les destins de ses membres sont liés : curieusement, cest peut-être ceux qui nous regardent de lextérieur qui voient le mieux nos interdépendances.
Une fois que lon a compris la force et les conséquences de nos interdépendances, le reste en découle presque tout seul. Cela nous impose, en toute circonstance, de définir lintérêt commun. Cétait un peu le sens de cette conviction de Jean Monnet, que jaime rappeler : « Nous sommes là pour accomplir une oeuvre commune, non pour négocier des avantages, mais pour rechercher notre avantage dans l'avantage commun ». Lintérêt commun, quest-ce que cest ? Ce sont des disciplines, pour le faire respecter. Ce sont des solidarités, pour lincarner et lexercer effectivement. Ce sont enfin des procédures et des institutions, pour le définir ensemble.
Arrêtons-nous un instant sur la manière dont les Etats de la zone euro ont géré la crise, et demandons-nous si tous ces ingrédients y sont :
- Face au choc de la crise, en 2008, lUnion Européenne a cherché à mettre en place dans limmédiat un « plan de relance européen » pour absorber le choc. Cétait une tentative légitime pour exercer cette nécessité de solidarité que je mentionnais, mais personne ne sen souvient aujourdhui : elle sest heurtée à labsence de moyens financiers ;
- En revanche nous avons fait, et nous faisons encore de grands progrès dans la stabilité financière, que nous navons retrouvée quà travers des instruments communs. A partir de 2009/2010, au moment où la crise sest étendue aux dettes souveraines, la zone euro a créé des instruments de solidarité inédits, qui ont permis de prêter une assistance financière aux Etats les plus vulnérables. Dans le même temps, la BCE a tiré toutes les conséquences de son mandat pour fournir la liquidité nécessaire au secteur financier, lutter contre la fragmentation financière et assurer la cohésion de la zone euro. Cest enfin, un mois après lélection de François Hollande, la décision de créer une véritable Union bancaire, pour casser le cercle vicieux entre dette bancaire et dette souveraine. Tout cela sest fait dans le désordre et aux petites heures du matin parfois, mais la nécessité absolue de disposer dinstruments communs sest imposée ;
- En parallèle, la zone euro sest attaquée à la réforme de sa gouvernance économique. Elle a renforcé progressivement les règles, les disciplines et les limites sur les politiques budgétaires nationales, ce qui sest traduit pour les Etats par un effort immense de réduction des déficits, à un rythme qui a eu des effets récessifs certains, et que nous sommes en train dadapter, avec la Commission européenne.
Nous avons donc aujourdhui une part, mais pas tous les ingrédients qui permettent à lintérêt européen commun de se déployer effectivement. Nous avons les disciplines, avec un encadrement poussé des politiques budgétaires. Nous avons la solidarité, mais notre créativité sest surtout déployée dans le champ financier, et nous navons toujours pas les instruments de politique économique pour faire reculer le chômage en Europe, qui reste à de niveaux anormalement élevé, ou pour accélérer la sortie de crise dans les Etats qui sont le plus durement touchés. Enfin, nous navons pas non plus les bonnes procédures et institutions : je le dis sans acrimonie, mais nourri de mon expérience de Ministre de lEconomie et des Finances, douloureusement au fait de nos difficultés à prendre des décisions.
Personne dès lors ne sera surpris des propositions de la France pour prévenir et guérir les crises économiques actuelle et futures et stimuler la croissance en zone euro, elles sont le point daboutissement logique du diagnostic que je viens de partager. Nous devons tirer toutes les conséquences du fait quau sein de lUE à 28, qui reste à la fois notre grand marché intérieur et notre patrimoine politique commun, la zone euro constitue une dimension particulière, et que la monnaie unique change radicalement la façon de faire de la politique économique :
- Nous pensons quil faut un budget pour la zone euro, qui soit notre première défense commune face au reflux de la croissance. A mes yeux, ce budget aurait vocation à financer un socle de financement de lindemnisation chômage en zone euro. Il permettrait ainsi dexprimer une solidarité entre les membres de la zone euro et de donner une réalité à l'Europe sociale, tout en étant un outil puissant de stabilisation macroéconomique, première réponse à un ralentissement de l'activité.
- En parallèle, il faut redonner de la lisibilité aux institutions politiques qui sont chargées de la politique économique, chargées de la sauvegarde de notre intérêt commun. Cest pourquoi je propose que les députés qui représentent les citoyens de la zone euro au sein du Parlement européen constituent, en son sein, un comité chargé de colégiférer dans lintérêt de lunion monétaire. Je pense aussi à la création dun «ministre des finances » de la zone euro un Président permanent et exclusif de lEurogroupe, qui pourrait être aussi le membre de la Commission européenne chargé des affaires monétaires qui incarne et défende cet intérêt commun, et garantisse que nos décisions soient rapides et à la hauteur des enjeux.
Je le redis : compléter la zone euro ne veut pas dire que nous nous détournerons de la dimension de lUE à 28. Il ne sagit pas doublier cette grande Europe je sais quelle est bien représentée dans lassistance qui est naturellement notre espace de droit, de liberté et de sécurité, et qui a toute sa place pour construire un grand marché domestique pour nos entreprises, une politique commerciale, une politique environnementale, une coopération pour la défense, pour permettre à lEurope de peser dans son voisinage et sur la scène internationale.
Nous avons besoin de lui donner une nouvelle impulsion décisive dans cette direction. Jean Monnet, encore, nous a prévenus dès les années 1950 : « Nos pays sont devenus trop petits pour le monde actuel, à l'échelle des moyens techniques modernes, à la mesure de l'Amérique et de la Russie aujourd'hui, de la Chine et de l'Inde demain. L'unité des peuples européens réunis dans les Etats Unis d'Europe est le moyen de relever leur niveau de vie et de maintenir la paix. Elle est le grand espoir et la chance de notre époque ». La perspective des Etats-Unis dEurope sest à tout le moins éloignée. Mais notre tâche est toujours, à lheure dune nouvelle mondialisation, de construire la puissance européenne rayonnante et politique que nous voulons, dunifier les Etats européens. Cest ce qui nous rassemble ici, cest ce pour quoi, avec Enrico Letta, nous nous battons avec énergie.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques remarques que je souhaitais partager avec vous. Malgré la crise, malgré les difficultés de la période, malgré les insuffisances et parfois les ratés de son intégration, je ne suis pas pessimiste pour lavenir de lEurope : elle est résiliente, elle est forte, elle a tous les atouts pour réussir. Elle doit simplement garder toujours à lesprit doù elle tire sa puissance : de limbrication de nos destins, qui fonde notre intérêt commun, et qui a parfois linvisibilité des évidences. A nous de faire davantage partager cette évidence et lui donner un visage. Merci.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 13 novembre 2013