Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
[Le besoin d'une vision à long terme]
Le rythme des crises internationales ces dernières années, encore démontré ces derniers mois, nous crée des obligations, pour la sécurité de la France et de l'Europe. C'est devenu une donnée permanente pour notre défense.
Il nous appartient d'en tirer des conséquences, à la fois pour le court terme et je reviendrai sur les enseignements des crises récentes au cours de ce débat -, et sur le long terme : c'est l'objet de la loi de programmation militaire que j'ai l'honneur de présenter devant vous aujourd'hui.
La croyance dans la « fin de l'histoire », dans la guerre devenue « improbable », a pu marquer un bref moment l'après-guerre-froide. Cette croyance a fait son temps. En 2013, notre pays évolue dans un environnement stratégique toujours plus complexe et incertain, où la place et le rôle du monde occidental sont remis en cause. Si les conflits changent de visage, ils n'autorisent guère de relâchement dans la politique de sécurité et de défense le Président de la République l'a rappelé chaque fois qu'il s'est exprimé dans sa fonction de chef des armées.
Ces conflits et ces crises nous concernent au premier rang. Certes, la France et l'Europe sont des espaces pacifiés, mais cette situation privilégiée ne doit pas nous conduire à ignorer la réalité du monde qui nous entoure. Aujourd'hui, s'il n'y a plus de menaces à nos frontières, chacun sait, ici, qu'il n'y a pas, non plus, de frontières aux menaces. Tel est le revers, désormais bien identifié, de la mondialisation.
La France, en cohérence avec la tradition constante de la Cinquième République, n'a jamais cessé d'être vigilante. Elle a pris ses responsabilités chaque fois que cela s'est avéré nécessaire. Elle les a prises sur le Mali, où nous sommes engagés depuis le 11 janvier dernier dans le cadre d'une lutte déterminée contre les groupes djihadistes. Elle l'a montré encore sur la Syrie. D'autres enjeux se dessinent, en République centrafricaine, au Proche et au Moyen-Orient, dans les espaces maritimes menacés par la piraterie
Comment garantir, sur la durée, les capacités militaires qui nous permettront d'être à la hauteur, demain comme aujourd'hui, des intérêts de sécurité de la France, comme de ses responsabilités internationales ? Tel est l'objet de cette loi, dans le prolongement du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale débattu ici même le 29 mai dernier.
[Combiner les préoccupations de souveraineté]
En 2013, cette question majeure se présente à nous avec une gravité particulière.
En effet, alors que les menaces qui pèsent sur notre sécurité collective évoluent rapidement, dans le sens d'une diversification des risques d'atteinte à la Nation, dans le même temps, notre souveraineté financière a été mise en péril. Avec les crises économiques qui se sont succédé depuis 2008, avec la pression croissante d'une dette publique qui a atteint des niveaux que nous n'avions jamais connus, la tension sur le budget de l'État et les finances de la Nation est devenue extrême. Pour la France, il est clair que c'est aussi un enjeu de souveraineté.
La combinaison de l'impératif militaire et de l'impératif budgétaire a suscité beaucoup de commentaires. Pourtant, c'est en tout cas ma conviction, celle du Gouvernement, cette articulation doit être assumée, avec responsabilité : sans contrôle de la dette publique, comment garder la maîtrise de nos choix stratégiques ?
Dans les grandes orientations qu'il a arrêtées pour le renouvellement de notre politique de défense, le Président de la République a fait un double choix. Celui de notre autonomie stratégique et celui de notre souveraineté financière. L'une ne va pas sans l'autre.
Pour faire des économies faciles,nous aurions pu chercher à occulter tout un pan des risques attachés à notre environnement stratégique. Ou prononcer des renoncements spectaculaires à telle ou telle de nos responsabilités hors du territoire, comme certains nous y incitent. Telle n'est pas notre conception de la préparation de l'avenir pour la défense de la France. Au contraire : nous nous sommes tenus à un principe de strict réalisme dans la description des menaces, comme dans la définition des moyens pour y faire face.
[Les garanties financières de la Programmation]
Le premier pilier de la programmation que nous vous proposons, c'est le maintien d'un effort de défense significatif. Notre budget se maintiendra d'abord au niveau actuel, c'est-à-dire 31,4 milliards d'euros courants, cela pendant trois ans. Dans un deuxième temps,entre 2016 et 2019, ce budget augmentera progressivement, pour atteindre 32,5 milliards d'euros courants. Les crédits budgétaires progresseront en valeur dès 2016, puis en volume à compter de 2018. Les ressources programmées sur la période 2014-2019 totalisent ainsi 190 milliards exprimés en euros courants, voire davantage, si nous faisons appel à certaines clauses de la loi sur lesquelles je reviendrai.
Cet arbitrage représente une décision politique forte. Sans pouvoir atteindre les niveaux de la programmation 2009-2014, qui sont vite devenus irréalistes, il nous donne les moyens de nos ambitions, loin du « déclassement stratégique » évoqué par certains.
Je souhaite le souligner ici : peu de pays occidentaux soutiennent un tel effort pour leur défense. Puis-je rappeler ici que la plupart des pays européens voient, durant ces mêmes années, leur budget de défense baisser en valeur, de façon souvent très significative, y compris chez nos plus proches partenaires, comme le Royaume-Uni le prévoit encore en 2014 et 2015 ?
Pour garantir à la défense ce niveau de financement, les ressources budgétaires sont complétées par des ressources exceptionnelles, à hauteur de 6,1 milliards d'euros sur la période, c'est-à-dire 3% des ressources totales.
Dans ce domaine, notre engagement est aussi celui de la transparence. C'est pourquoi, cette fois-ci, les origines des ressources exceptionnelles figurent de manière explicite dans le rapport annexé au projet de loi. Je les rappelle brièvement : il s'agit de l'intégralité du produit des cessions d'emprises immobilières du ministère de la défense ; d'un nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA), financé par le produit de cessions de participations d'entreprises publiques, au profit de l'excellence technologique des industries de défense ; du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences comprise entre les fréquences 694 MHz et 790 MHz ; enfin, des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquence déjà réalisées lors de la précédente programmation.
Une clause de sauvegarde particulièrement engageante vient compléter cet énoncé dans le dispositif même de la loi, et nous avons rejoint ici vos préoccupations, exprimées par tous vos rapporteurs, notamment M Launay, au nom de la Commission des finances, que je remercie. Cette clause permettra, le cas échéant, de mobiliser d'autres ressources, en particulier des cessions d'actifs, si le produit de celles que je viens d'évoquer s'avère insuffisant. En sens inverse, si ce produit excède les 6,1 Md prévus, la Défense pourra en bénéficier à hauteur de 0,9 Md supplémentaires.
Enfin, comme je l'avais indiqué à votre Commission lors de la séance qu'elle a consacrée à l'examen du projet de loi, et comme nous en avons informé depuis vos différents rapporteurs, le Gouvernement vous présente un ensemble de quatre amendements complémentaires, destiné à sécuriser l'entrée en programmation dans le domaine des investissements. Il ajoute au montant des ressources exceptionnelles, suite à un accord passé entre mon ministère et celui du Budget, une ressource de 500 M permettant, autant que nécessaire, de financer sans heurt et quelles que soient les difficultés de la fin de la gestion de l'année 2013, l'intégralité des programmes de la première période, en particulier les nouveaux.
Notre démarche, je l'ai dit, c'est donc de garantir à notre défense un niveau de ressources qui soit, comme le soulignent vos rapporteurs sur cette loi, Mme la Présidente Adam et Mme Gosselin-Fleury, ambitieux et réaliste à la fois.
Ambitieux, par la trajectoire que le Président de la République a arrêtée et que je viens de décrire.
Réaliste, parce que ce niveau de ressources est compatible avec la loi de programmation des finances publiques. Parce que, aussi, les ressources extra-budgétaires reposent sur des engagements politiques inscrits dans la loi que vous allez voter, dont la Représentation nationale pourra contrôler l'application avec des pouvoirs que le Gouvernement a accepté de renforcer très considérablement.
[Une stratégie militaire renouvelée]
La nouvelle stratégie militaire,portée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, concourt quant à elle de manière décisive à employer les ressources que je viens de vous exposer.
Cette stratégie clarifie d'abord les trois missions fondamentales qui sont celles de nos armées : protéger le territoire et la population, assurer la dissuasion nucléaire, et intervenir à l'extérieur du territoire national, que ce soit en gestion de crise ou en situation de guerre.
Sur la base de ces trois missions, et des scénarios d'engagement les plus probables pour les quinze ans qui viennent,nous avons redéfini les contrats opérationnels que le chef de l'Etat et le Gouvernement assignent à nos forces. La programmation en matière de finances mais aussi d'effectifs en découle directement.
Concernant la protection permanente du territoire et de la population, outre les moyens classiques pour la surveillance aérienne et maritime, les contrats opérationnels prévoient une mobilisation des forces terrestres jusqu'à 10 000 hommes, en renfort des forces de sécurité intérieure. Ces contrats sont inchangés par rapport au précédent Livre blanc. Nous y avons cependant ajouté une dimension nouvelle : la posture de cyberdéfense, partie intégrante désormais de la protection du territoire et de la population, qui va jouer un rôle croissant dans notre sécurité nationale ; c'est indispensable compte tenu du niveau de la menace qui s'exerce aujourd'hui.
En matière d'interventions extérieures,
- nos forces devront constituer en permanence un élément d'intervention d'urgence de l'ordre de 5000 hommes, incluant une force interarmées de réaction immédiate de 2300 hommes, déployables en sept jours ;
- pour les missions de gestion de crise internationale, nous prévoyons, en outre, de pouvoir engager jusqu'à 7 000 hommes supplémentaires, renouvelables, répartis sur trois théâtres extérieurs, ainsi que des unités navales dont un groupe Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC), et une douzaine d'avions de combat ;
- pour les opérations de guerre et de coercition majeure, nos armées vont conserver la capacité d'entrée en premier dans les trois milieux, terrestre, naval et aérien, avec les moyens de commandement correspondants ; nous pourrons à ce titre projeter : des forces spéciales significatives ; jusqu'à deux brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes des forces terrestres ; 45 avions de combat ; et un groupe aéronaval.
Sur la mission de dissuasion, nous maintiendrons les deux composantes, sous-marine et aéroportée. Nous poursuivrons le programme de simulation et la modernisation de nos forces, dans le respect du principe de stricte suffisance
[Pourquoi la dissuasion ?]
Je sais que certains professent l'idée bien arrêtée de supprimer la force de dissuasion, ou de supprimer l'une de nos composantes.
Je constate, pour ma part, que les arsenaux nucléaires continuent de croître dans un certain nombre de pays, de façon manifeste en Asie ; leur modernisation est aussi le maître mot de la stratégie militaire de la Russie ; la modernisation de l'arsenal américain fait partie des programmes de l'administration du Président Obama ; je remarque encore que les risques de prolifération d'armes de destruction massive dans plusieurs régions du monde sont une réalité, la crise syrienne est là pour le rappeler ; j'observe enfin que notre stratégie forme un tout cohérent : il est absurde d'opposer les forces conventionnelles et les forces nucléaires : elles s'épaulent les unes les autres dans notre stratégie, c'est une des clés de la capacité de la France à disposer d'une véritable autonomie pour conserver en toutes circonstances la maîtrise de sa propre sécurité.
Le Livre blanc l'a donc confirmé, la capacité nucléaire continuera d'être adaptée à notre environnement stratégique,de manière différente d'hier, sans aucun doute. Nous avons supprimé la composante sol-sol - les missiles mégatonniques du plateau d'Albion et les missiles de courte portée - ; nous avons, de notre propre chef,considérablement réduit le nombre de nos vecteurs et de nos têtes ; nous avons fermé nos installations de production de matières fissiles ; nous avons démantelé notre site d'essais nucléaires.
Mais, tant qu'il existe des armes nucléaires dans le monde, tant que demeurent les risques d'un chantage exercé par d'autres puissances contre nos intérêts vitaux, la dissuasion est l'une des garanties fondamentales de notre liberté d'appréciation, de décision et d'action. C'est un fait que certains déplorent : il est difficile de le nier.
Dans ces conditions, nous pensons qu'il n'est envisageable ni de renoncer à cette capacité, ni de diminuer les options que l'existence des deux composantes offre au chef de l'Etat, chef des armées. Voilà le choix que nous défendons, dans le débat qu'appelle de ses vux, notamment, votre rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, M. Gwenegan Bui.
[Le fantasme du déclassement]
Protéger le territoire et la population, assurer la dissuasion nucléaire, intervenir à l'extérieur du territoire national, pour des missions de guerre ou de gestion de crise. Peu de nations dans le monde ont la capacité d'assurer simultanément ces trois missions, en engageant de tels moyens matériels et humains. Peu, de la même façon, sont en mesure d'appuyer leur force militaire sur une industrie figurant parmi les premières dans le monde. C'est le cas de la France, et notre démarche vise à consolider cet ensemble. Je vois, dans ce projet, une réelle continuité avec les engagements constants pris sous la Vème République.
En 2019, si nous suivons cette trajectoire, non seulement nous maintiendrons nos capacités militaires effectives parmi les premières dans le monde, mais nous serons au premier rang stratégique en Europe.
Je tiens à le rappeler ici : les équipements et les programmes de modernisation sont au cur de cette loi ;de même, le maintien de la qualité exceptionnelle, partout reconnue, des homme set des femmes qui servent nos armées ; au demeurant, les effectifs militaires prévus par cette loi placeront la France en 2019 au premier rang en Europe avec 187 000 militaires, sur les 242 000 hommes et femmes que comptera la mission défense, -il y en aura, d'après les données disponibles, 185 000 en Allemagne, 145 000 au Royaume-Uni, pour ne citer que ces exemples.
Voilà la réalité du texte que j'ai l'honneur de porter devant vous, et de la politique de défense que nous conduirons demain, grâce à vous.
Cette autonomie stratégique fonde une capacité d'initiative sur laquelle le Président de la République n'a cessé d'insister et qui est la marque de son projet pour nos armées et notre stratégie de défense et de sécurité.
Elle nous crée aussi des responsabilités, nous les exercerons. Etre autonome, d'ailleurs, cela ne veut pas dire être seuls. Notre stratégie intègre ainsi la mobilisation de nos alliances.
Il y a d'abord l'Europe, à laquelle ce projet de loi de programmation militaire s'attache, en cohérence avec les orientations prises par François Hollande dès le début de son mandat.
Je souhaite y insister devant vous, à quelques jours du Conseil Européen qui se tiendra, grâce notamment à l'effort de mobilisation de la France, sur le thème de la politique de défense, depuis l'élection de François Hollande. Voilà bien des années que cela n'était pas arrivé !
L'enjeu sera de donner une impulsion à la fois politique et pragmatique dans les domaines opérationnels, capacitaires et industriels de la sécurité commune. Conformément à ma vision de l'Europe de la Défense, nous avançons sur des pistes concrètes :
- l'adoption d'une stratégie européenne de sûreté maritime dont les points d'application seront la Corne de l'Afrique, le Golfe de Guinée et la Méditerranée ;
- l'engagement accru de l'Union européenne au Sahel, - au Mali mais aussi à l'échelle de la région, avec un accent sur le contrôle des frontières, à commencer par les frontières libyennes ;
- les progrès vers la mise en place d'une flotte européenne de ravitailleurs en vol et l'élargissement du commandement européen dit EATC pour le transport aérien militaire ;
- le lancement d'une première étape en vue d'une solution européenne pour la prochaine génération de drones de surveillance (post 2020) ;
- au plan industriel, la mise en place d'un mécanisme d'incitation fiscale (exemption de TVA) pour encourager les projets d'équipement en coopération.
Toutes ces avancées ont vocation à être approuvées et approfondies au niveau des chefs d'Etat en décembre
Vous aurez observé que, dans cette loi, nous avons conservé, de manière systématique, tous les programmes d'équipement menés en coopération européenne, en particulier : FREMM, A400M, NH90, TIGRE, MUSIS, SAMP/T. Et nous prévoyons d'en lancer deux autres : l'ANL et le SLAMF, le système de lutte anti-mines futur.
La mutualisation européenne est aussi un leitmotiv de la présente loi, nous en parlerons également au Conseil européen de décembre, spécialement pour des capacités militaires clés comme le transport aérien, le ravitaillement en vol, l'action aéronavale, l'espace militaire, la logistique ou la formation.
Il y a ensuite l'Alliance atlantique,et nous voyons la pleine participation de la France dans les structures de commandement comme le complément naturel de notre démarche européenne : ce sera précisément l'occasion de développer notre vision et notre place, celle des Européens, au sein de l'Alliance. Comme l'a souligné le rapport de M. Hubert Védrine, qui a fait l'objet d'un large accord, nous devons développer sans complexe une présence active à tous les niveaux de l'Organisation atlantique et nous appuyer sur elle pour la coopération de défense transatlantique.
Il y a enfin tous les partenariats stratégiques que la France noue à travers le monde, avec des interlocuteurs historiques mais aussi des puissances nouvelles, de premier rang. Nous devons pouvoir aussi appuyer sur eux notre stratégie de défense.
[Les priorités : l'activité opérationnelle et l'équipement des forces]
Pour développer cette stratégie dans un cadre financier que nous avons ajusté au mieux, nous avons marqué un certain nombre de priorités, à commencer par la préparation opérationnelle et l'équipement des forces armées.
Priorité, d'abord, à l'entraînement et à l'activité de nos forces. A dire vrai, ils conditionnent la valeur de nos soldats au combat, illustrée sans cesse dans chaque crise ces derniers mois. Sans préparation opérationnelle efficace et suffisante, il n'y a pas de capacité militaire à la hauteur, ni d'armée professionnelle crédible.
Or, depuis 2010, à l'exception des opérations extérieures, un fléchissement préoccupant de l'activité opérationnelle a été constaté.
Je me suis personnellement engagé sur ce dossier très difficile. La présente programmation vise à maîtriser puis inverser cette évolution, en maintenant puis en redressant peu à peu le niveau de la préparation opérationnelle. Ainsi, les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur, pour s'établir à un montant moyen de 3,4 milliards d'euros courants par an sur la période,contre 2,9 Md en LFI 2013. Notre préoccupation, ce n'est pas d'avoir une «Grande Armée » sur le papier ; c'est de pouvoir disposer, chaque fois que nous devons les engager, de soldats bien entraînés et bien équipés. C'est la priorité qui justifie toutes les autres.
Priorité, ensuite, aux équipements. Là encore, je veux souligner l'effort important qui sera réalisé, puisque nous prévoyons que les crédits d'équipement soient en hausse régulière au cours de la période 2014-2019. En 2013, 16 milliards d'euros ont été consacrés aux équipements. L'effort s'élèvera à 17,1 milliards d'euros en moyenne annuelle sur l'ensemble de la période, pour atteindre 18,2 milliards d'euros en 2019. Malgré la contrainte qui pèse sur le budget et en raison de l'impératif du renouvellement de nombre de nos équipements, qui vieillissent, les grands programmes déjà lancés sont maintenus et une vingtaine de nouveaux sont lancés.
A cela s'ajoutent les précautions que nous avons prises en ce qui concerne le financement de l'entrée en programmation et que je vous ai présentées tout à l'heure. Dans ces conditions,je peux vous annoncer, ce soir, que le lancement, dès cette année, de plusieurs nouveaux programmes marquant le début de notre programmation est bel et bien assuré, comme je m'y étais engagé devant vos commissions.
D'ici la fin de 2013, pourront ainsi être engagés le missile moyenne portée MMP, qui prendra la succession des missiles MILAN, essentiel à la fois pour l'armée de terre et notre industrie missilière ; les travaux du nouveau standard du Rafale, améliorant ses capacités, avec entre autres l'intégration du missile Météor et d'un POD de désignation laser de nouvelle génération ; le missile anti navires léger ANL, que nous mènerons en coopération avec nos partenaires britanniques ; les nouveaux radars du programme SCCOA, conduit par Thalès, pour protéger le territoire national ; ou encore les bateaux multi-missions, les B2M, destinés à l'outre-mer Autant de contrats qui seront lancés, conformément au calendrier prévu.
Au-delà, sur l'ensemble de la période couverte par la loi de programmation militaire, un grand nombre d'équipements seront livrés.
Parmi ceux-ci, en application du principe de différenciation, certains illustrent plus particulièrement notre capacité à prendre part à un conflit majeur : les prochains Rafale bien sûr, un sous-marin Barracuda, 5 nouvelles frégates de premier rang FREMM, 16hélicoptères TIGRE. Le porte-avions Charles de Gaulle, qui va connaître un arrêt technique majeur (ATM), concourt également à cette capacité d'entrée en premier. La rénovation des chars Leclerc, quant à elle, sera aussi programmée au cours de cette période.
D'autres livraisons viendront plus directement conforter nos capacités de gestion de crise. Je pense aux drones de surveillance, tactiques et MALE, au programme Scorpion pour l'armée de terre,qui débutera l'an prochain, aux hélicoptères NH90, Terre et Marine, ou à nos capacités logistiques avec les bâtiments de soutien BSAH. A ces livraisons, il faut ajouter les rénovations des Mirage 2000D, des frégates Lafayette et des Atlantique 2.
Parmi ces équipements, bien sûr, un certain nombre sera polyvalent. C'est ainsi que nous recevrons, sur cette période, les satellites du programme MUSIS, mais également 450 missiles moyenne portée (MMP), les premiers MRTT, 15A400M
Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, on le voit bien, nous avons fait des choix. Notre objectif, c'est de préparer nos armées à mener les guerres de demain et faire face aux menaces du futur.
Nous avons donc d'abord choisi d'écarter les scénarios de rupture dans nos capacités, militaires et industrielles. Nous maintenons ainsi les neuf secteurs de compétence majeurs de l'industrie de défense : l'aéronautique de combat, les missiles, l'aéronautique de transport, les hélicoptères, les sous-marins, les navires armés de surface, l'armement terrestre, le renseignement/surveillance,les communications/réseaux. Qui serait prêt à sacrifier l'un d'entre eux, alors que leur existence est l'une des clés de notre autonomie stratégique et que nous avons la possibilité, après les orientations arrêtées par le Président de la République, de les maintenir ?
Nous avons fait un deuxième choix, celui de mettre en uvre des principes de mutualisation et de différenciation pour l'ensemble de ce nouveau modèle d'armée. Ces principes constituent un tournant et doivent permettre d'optimiser nos moyens.
J'ajoute un troisième choix, qui me tient à cur et concourt très directement à la préparation de l'avenir : la poursuite, et même le renforcement, d'un effort substantiel en Recherche & Technologie. C'est un objectif majeur de ce projet de loi, avec des crédits consacrés aux études amont en hausse par rapport à la période précédente, avec plus de 730 millions d'euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019. Pour citer un exemple parmi d'autres, le projet de drone de combat futur (l'UCAV) se voit doter de plus de 700 M.
Cet effort tourné vers les équipements, qu'il s'agisse de livraisons préservées, de programmes lancés ou de recherches engagées, en s'appliquant à nos forces, bénéficiera aussi directement à nos industries de défense.
Ces dernières, je l'ai dit, sont au cur de l'autonomie stratégique que nous préconisons. Mais avec 4 000 entreprises, dont une majorité de PME/ETI, avec 165 000 emplois directs, hautement qualifiés et donc peu délocalisables, avec un chiffre d'affaires global d'environ 15 milliards d'euros, dont 30 à 40 % réalisé à l'exportation, elles sont aussi un extraordinaire moteur pour notre économie, un formidable levier pour l'emploi et la compétitivité. A ce titre, elles sont au cur d'un projet qui prépare l'avenir et préserve l'essentiel.
A cet égard, je vous rappelle certaines des inflexions majeures attachées à ce projet, dans la droite ligne des annonces du Livre blanc approuvé par le Président de la République : amplification de l'effort en matière de renseignement, j'y reviendrai, et réalisation de programmes d'équipement trop souvent retardés dans ce domaine; adaptation au combat moderne, avec un effort particulier en faveur des forces spéciales, en effectifs, équipements, organisation interarmées et capacités aéromobiles, ainsi que des moyens interarmées de ciblage précis ;développement de la cyberdéfense offensive et défensive ; lancement effectif de l'acquisition des ravitailleurs en vol, - pour ne citer que quelques exemples marquants.
[La dimension normative de la LPM]
Voilà, dans ses grandes lignes, le renouvellement de notre politique de défense tel que nous le proposons pour les six ans qui viennent, avec la perspective à quinze ans tracée par le Livre blanc.
Mais au-delà de ce renouvellement, ce texte est aussi fondamental parce qu'il comporte une dimension normative, qui nous a beaucoup mobilisés avec vos Commissions, et qui constitue l'autre volet de cette préparation de l'avenir.
En cohérence avec l'effort concernant nos capacités d'action, il pose en effet un cadre législatif dans trois domaines majeurs pour nos armées et, au-delà, pour la sécurité nationale : le renseignement,la cyberdéfense, enfin les droits des personnels. Chacun de ces trois axes imprime une marque particulière au présent projet de loi.
[Le renseignement]
Je commence par le renseignement,pièce essentielle de notre autonomie stratégique. Le projet de loi définit un équilibre politique clair entre d'une part l'accroissement des moyens, techniques, humains et juridiques des services, et d'autre part le renforcement légitime, souhaité par le Gouvernement comme par vos Commissions, du contrôle parlementaire de cette activité. Ici, vous me permettrez de me féliciter que les différentes avancées qui sont apparues à l'occasion de l'examen par le Sénat, aient été confortées par le travail mené dans cette enceinte, aussi bien par la Commission de la Défense, que la Commission des Lois, et en particulier son Président, M. Jean-Jacques Urvoas, et son rapporteur, M. Patrice Verchère.
Concernant les moyens, l'effort sera donc amplifié, après bien des retards accumulés ces dernières années pour notre équipement, et selon quatre priorités : l'imagerie (satellites CSO du programme MUSIS, drones MALE et tactiques, ISR légers), le renseignement d'origine électromagnétique (système d'écoute CERES à trois satellites, charges utiles pour aéronefs et pour drones), les moyens techniques mutualisés d'interception et la création nette de postes au profit de la DCRI, de la DGSE et de la DRM.
Le cadre normatif s'adapte aussi pour offrir de nouvelles possibilités aux services, pour améliorer les moyens des services dans leurs missions de lutte contre les réseaux terroristes, les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, ou l'espionnage, - nous aurons l'occasion de débattre de l'importance de ces évolutions.
Je saisis l'occasion pour souligner que le Gouvernement veille scrupuleusement au maintien de l'équilibre,fondamental dans nos démocraties, entre les moyens de la sécurité et le souci des libertés publiques et de la vie privée. Plusieurs dispositions portent la marque de cette orientation.
De plus, en contrepartie de l'effort d'augmentation des moyens, le projet de loi organise un net renforcement du contrôle des services de renseignement. A la suite du Livre blanc, qui a conforté le rôle du coordonnateur national placé auprès du Président de la République, il prévoit en effet la mise en place d'une fonction d'inspection des services, qui pourra être actionnée par le Premier ministre et les ministres en charge du renseignement.
Surtout, instruit par les premières années d'expérience de la délégation parlementaire au renseignement, il préconise un saut qualitatif important dans les compétences de contrôle de l'activité gouvernementale exercée par celle-ci. Elle se voit pour la première fois reconnaître explicitement cette fonction de contrôle, dans un cadre respectueux des prérogatives du pouvoir exécutif, tel que le trace le Conseil constitutionnel. Bénéficiant de la protection qu'offre l'habilitation au secret de la défense nationale, elle aura la capacité de connaître l'ensemble de la dépense publique dans ce domaine sensible, elle intégrera en son sein une formation spécialisée pour le contrôle des fonds spéciaux, prenant la place de l'actuelle commission de vérification. Elle aura connaissance des principaux documents d'orientation gouvernant l'activité des services. Elle pourra régulièrement dialoguer avec les directeurs des services sur la mise en uvre de leur mission.
[La cyberdéfense]
J'en viens au deuxième axe d'efforts la cyber défense , auquel cette loi de programmation consacre des développements majeurs. Alors que la vulnérabilité de l'appareil d'Etat et des entreprises croît au même rythme que la dépendance de la Nation aux systèmes d'information, le cyberespace est devenu un champ de confrontation à part entière. C'est donc un enjeu absolument stratégique, dont nous devons nous saisir. Ce sera pour moi, n'en doutez pas, une priorité de premier rang, nous n'en sommes qu'au début en la matière.
Ce projet de loi en tire toutes les conséquences, en adaptant notre droit, pour la première fois dans un tel cadre, aux nouveaux défis que nous posent les menaces cyber. Il établit ainsi la compétence du Gouvernement pour imposer des règles aux opérateurs, en explicitant, dans le code de la défense, les responsabilités du Premier ministre et les moyens de ses services en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information stratégiques. Il autorise explicitement pour la première fois, en des termes qui ont été validés par le Conseil d'Etat, la neutralisation de systèmes attaquant nos infrastructures numériques.
Au-delà de ces évolutions normatives, le projet prévoit le développement de nos capacités militaires et non militaires, défensives mais aussi offensives, notamment par la mise en place d'une chaîne opérationnelle, centralisée au niveau du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées, ainsi qu'un renforcement des moyens humains. Plusieurs centaines de spécialistes seront ainsi recrutés. Un effort financier significatif, enfin, permettra l'acquisition de nouveaux équipements, mais aussi la réalisation d'études amont.
[Les droits des personnels]
Je veux évoquer un troisième axe d'effort qui s'est vu substantiellement renforcé, grâce aux travaux de la présidente de la Commission de la Défense, Mme Patricia Adam, et de la co-rapporteure, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, et qui concerne le dialogue social et la concertation militaire.
L'initiative des rapporteures, à laquelle je souscris totalement, consacre en premier lieu une avancée importante pour le dialogue social bénéficiant aux personnels civils. Elle élargit en effet, le périmètre des compétences du comité technique ministériel aux questions d'organisation et de fonctionnement, en abolissant une interdiction de principe propre au secteur de la défense, qui figurait dans la loi de 1984. Elle respecte, pour autant, la spécificité de la défense, en écartant de ce périmètre le domaine des organisations proprement militaires,pour des raisons tenant aux prérogatives et au commandement opérationnels que chacun comprend bien.
Nous venons en outre de lancer, à la demande du Président de la République, un chantier important, celui de la rénovation de la concertation militaire. J'ai saisi l'ensemble des chefs militaires et acteurs du dialogue dans les armées pour que des propositions soient faites pour la 90e session du Conseil supérieur de la fonction militaire, en décembre prochain.
Le rapport annexé à la loi conforte cette démarche et propose quelques pistes, en préconisant par exemple d'étudier la mise en place d'instances de dialogue militaire complémentaires au niveau des autorités d'emploi. En sus des instances existantes, CFM et CSFM, qui ont pour vocation éminente d'examiner les sujets statutaires, ces instances nouvelles offriraient un échelon pertinent et rapproché pour aborder les questions d'organisation et de fonctionnement des services qui les emploient.
[Les diminutions d'effectifs, les restructurations et leur accompagnement]
Priorités opérationnelles, capacitaires, industrielles et sociales ; adaptation de notre environnement juridique. Pour concrétiser ces orientations, tout en assumant la gamme de ses missions, le ministère de la défense doit par ailleurs consentir des économies,sur le fonctionnement et sur la masse salariale. Ce sont ces économies qui garantissent l'équilibre global de la programmation militaire.
Dans un contexte marqué déjà par plusieurs déflations successives depuis 1995, je n'ai jamais caché qu'une nouvelle diminution serait difficile à réaliser, qu'elle appellerait de notre part des efforts d'accompagnement, d'analyse et d'explications, tout particulièrement auprès des personnels. Nous nous y sommes donc préparés.
Au titre de la présente LPM, 23 500 emplois seront supprimés, en plus des 10 500 qui étaient déjà inscrits dans la loi précédente, concernant les années 2014-2015.
Ces déflations sont certainement difficiles à réaliser. Je comprends le trouble qui peut gagner en particulier la communauté militaire, par ailleurs sollicitée sur de nombreux théâtres d'opérations. Mais qu'en est-il vraiment ?
J'observe tout d'abord, s'agissant des effectifs strictement opérationnels, que la réorganisation des armées qui est visée, aussi difficile soit-elle, est cohérente avec les choix opérationnels que nous avons effectués. Je pense en particulier aux nouveaux contrats opérationnels des armées, précisés dans le Livre blanc et que reprend la présente loi. Qui les critique vraiment ? J'entends dire qu'il faudrait en rester aux contrats opérationnels du précédent Livre blanc. Mais le chef d'état-major des armées lui-même les jugeait irréalistes dès le début de l'année 2011. Et j'ai dit tout à l'heure ce qu'il en est du positionnement en Europe des effectifs militaires de la France en 2019-2020, au terme de la présente loi.
Les effectifs proprement opérationnels ne devront pas représenter plus d'un tiers des déflations. Et nous poursuivrons résolument l'effort de recrutement conduit chaque année par nos armées. Je le rappelle, il représente de l'ordre de 17 000 jeunes à chaque fois et il doit se poursuivre, car nous avons besoin d'une armée jeune,c'est pour nous un impératif.
Pour leur grande majorité, les diminutions d'effectifs reposeront donc sur un effort important touchant l'administration au sens large et l'environnement des forces : il s'agit de réduire les coûts de fonctionnement et une structure qui demeure encore, dans bien des domaines, lourde, complexe et non optimisée par rapport à nos besoins.
La réorganisation qu'impliquent ces diminutions d'effectifs reposera donc sur quelques principes simples, ainsi qu'un dispositif d'accompagnement de grande ampleur que je suivrai personnellement. La priorité sera donnée, je l'ai dit, aux forces opérationnelles, pour leur garantir la capacité de remplir les missions redéfinies par le Président de la République. Le personnel bénéficiera des dispositions d'accompagnement social qui devront permettre aux départs, lorsqu'ils sont nécessaires, de se dérouler dans de bonnes conditions. C'est l'objet des mesures qui figurent dans le projet de loi, telles que les pécules ou la promotion fonctionnelle.
Au total, c'est un plan d'accompagnement de près d'1 Md - 933 M exactement qui est prévu au titre des outils financiers d'incitation à la mobilité et au départ.
Concernant les restructurations, liées à ces déflations, mon objectif est de préserver au maximum les liens qui relient les armées et les territoires. Mais ma démarche est aussi, pour les sites qui seront amenés à fermer, de permettre une transition dans les meilleures conditions possibles. Pour ce faire, un accompagnement économique est inscrit dans le projet de loi, qui tire les enseignements des précédentes restructurations. Désormais, contre la dérive de l'éparpillement, les actions de l'Etat seront davantage concentrées, avec 150 millions d'euros au total pour les territoires les plus affectés. Ce plan sera complété par un dispositif d'aide des PME, appuyé sur la Banque publique d'investissement.
Dans un ministère dont la solidité doit être à toute épreuve, je sais que de telles évolutions, qui visent précisément à asseoir notre politique de défense sur des bases plus solides,peuvent néanmoins générer des inquiétudes et des fragilités transitoires. Ce sera pour moi une vigilance de tous les instants.
[La judiciarisation]
Ce projet de loi de programmation militaire répond aussi à cette interrogation, qui est légitime, en défendant la singularité du soldat aujourd'hui. Il le fait en mettant en place, comme l'avait souhaité le Président de la République, des outils juridiques simples, qui permettent d'éviter une judiciarisation inutile de l'action des militaires engagés en opération extérieure. De la part du Président de la République, c'était un engagement attendu et remarqué, après plusieurs affaires qui pouvaient donner le sentiment d'une remise en cause du cur du métier militaire et de l'acte d'engagement comme de commandement en opération.
L'objectif ici, ce n'est pas de consacrer une quelconque immunité pénale au profit des militaires, encore moins de priver les familles de leurs droits, qu'il s'agisse de l'accès à l'information, à la justice ou à la réparation. Ces droits, et notamment celui d'être dûment informé des circonstances dans lesquelles leurs proches ont pu être touchés, seront scrupuleusement respectés, voire accrus par les dispositions d'accompagnement que prennent le ministère et les armées.
Il s'agit en revanche de faire prendre en compte, par le droit pénal, la réalité de ce qu'est un conflit armé,dans lequel nos militaires sont prêts à donner leur vie comme d'ailleurs à infliger la mort. Il s'agit d'inscrire aujourd'hui dans notre droit, tant au plan des procédures que sur le fond de la qualification des actes, les spécificités des situations d'action au combat, alors que nos sociétés voient le recours juridictionnel tellement se développer.
Ces propositions ont été préparées en bonne intelligence entre mon ministère et les services de la Garde des Sceaux,auxquels je veux ici rendre hommage. Je veux aussi saluer le travail de la Commission de la Défense. Le texte qu'elle a approuvé peut constituer la base d'un consensus politique autour d'un enjeu majeur. Je forme en tout cas le vu que ces propositions recueillent un large soutien de la représentation nationale.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Ce dernier enjeu le rappelle, le métier des armes est beaucoup plus qu'un métier. L'importance du texte qui vous est soumis aujourd'hui s'enracine aussi dans l'engagement de nos soldats, qui peut aller jusqu'à la mort. Sept d'entre eux ont été tués depuis le début de l'opération Serval. Ils combattaient des groupes djihadistes, dans le Nord du Mali. Je me dois de leur rendre hommage, de nouveau, devant vous.
Cette lutte sans répit se poursuivra au Mali, mais aussi dans le Nord du Niger, le Nord du Tchad, aux frontières algériennes et libyennes, et, au-delà, dans tout l'arc d'action de ces groupes djihadistes, depuis le Sénégal jusqu'à la Somalie.
La réussite de cette action de longue haleine se joue en partie aujourd'hui. Les moyens de renseignement, de projection, de frappes et de forces spéciales, mais aussi le soutien aux capacités d'intervention de nos partenaires, tout cela se trouve dans ce projet de loi de programmation militaire.
Si la communauté internationale en décide ainsi, nous nous apprêtons également à engager nos forces, en République Centrafricaine.
Dans ce pays ravagé depuis trop d'années par des coups d'Etats et des conflits, c'est aujourd'hui le chaos qui s'est installé. La situation, tous les observateurs le soulignent, menace de dégénérer rapidement, y compris avec une dimension confessionnelle qui augmente. Le pays se trouve au confluent de la crise sahélienne, de celle de l'Afrique de l'Est et de celle de l'Afrique centrale et des grands lacs. Chacune d'entre elles trouve dans cette zone incontrôlée de l'Afrique un terreau favorable pour se développer, propice aux réseaux et aux trafiquants divers. Le terrorisme peut s'installer et prendre de l'ampleur.
C'est pourquoi la communauté internationale doit aider les Etats africains à se protéger. Le Conseil de sécurité, à l'initiative du Président de la République, s'est saisi de la question, par sa résolution 2121.
La France s'apprête donc à aider nos partenaires africains, qui se mobilisent sur le terrain. Elle agira en appui et en accompagnement opérationnel de la force africaine qui monte en puissance,dans le cadre que fixera le Conseil de Sécurité, début décembre, par une nouvelle résolution.
Ce développement illustre notre conception de la sécurité en Afrique. Les pays africains doivent assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Mais nous ne pouvons les laisser seuls face aux risques et aux menaces qui, à terme plus ou moins rapproché, nous concerneraient directement. Nous pouvons jouer un rôle d'appui, d'accompagnement. C'est tout l'enjeu du sommet que la France organisera à la fin de l'année sur la paix et la sécurité en Afrique.
Mesdames et Messieurs les députés,
Un texte de loi tel que celui-ci est par définition perfectible, et je sais gré à la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale, spécialement ses rapporteures, d'avoir contribué à l'améliorer de façon significative, tout comme je remercie les Commissions des Lois et de Finances du concours décisif qu'elles ont apporté dans ce débat. Soyez en tous sincèrement remerciés.
Grâce à ces travaux, nous avons défini ensemble un projet équilibré. En confirmant ses choix en matière de défense, le Président de la République a souligné qu'il y avait là un effort que la Nation consentait, non pas pour les armées en elles-mêmes, mais pour sa propre sécurité. Aujourd'hui, j'ai toute confiance dans la Représentation nationale pour confirmer cette ambition, dans l'intérêt de la France et le respect de celles et ceux qui la servent avec courage, professionnalisme et dévouement.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 novembre 2013
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
[Le besoin d'une vision à long terme]
Le rythme des crises internationales ces dernières années, encore démontré ces derniers mois, nous crée des obligations, pour la sécurité de la France et de l'Europe. C'est devenu une donnée permanente pour notre défense.
Il nous appartient d'en tirer des conséquences, à la fois pour le court terme et je reviendrai sur les enseignements des crises récentes au cours de ce débat -, et sur le long terme : c'est l'objet de la loi de programmation militaire que j'ai l'honneur de présenter devant vous aujourd'hui.
La croyance dans la « fin de l'histoire », dans la guerre devenue « improbable », a pu marquer un bref moment l'après-guerre-froide. Cette croyance a fait son temps. En 2013, notre pays évolue dans un environnement stratégique toujours plus complexe et incertain, où la place et le rôle du monde occidental sont remis en cause. Si les conflits changent de visage, ils n'autorisent guère de relâchement dans la politique de sécurité et de défense le Président de la République l'a rappelé chaque fois qu'il s'est exprimé dans sa fonction de chef des armées.
Ces conflits et ces crises nous concernent au premier rang. Certes, la France et l'Europe sont des espaces pacifiés, mais cette situation privilégiée ne doit pas nous conduire à ignorer la réalité du monde qui nous entoure. Aujourd'hui, s'il n'y a plus de menaces à nos frontières, chacun sait, ici, qu'il n'y a pas, non plus, de frontières aux menaces. Tel est le revers, désormais bien identifié, de la mondialisation.
La France, en cohérence avec la tradition constante de la Cinquième République, n'a jamais cessé d'être vigilante. Elle a pris ses responsabilités chaque fois que cela s'est avéré nécessaire. Elle les a prises sur le Mali, où nous sommes engagés depuis le 11 janvier dernier dans le cadre d'une lutte déterminée contre les groupes djihadistes. Elle l'a montré encore sur la Syrie. D'autres enjeux se dessinent, en République centrafricaine, au Proche et au Moyen-Orient, dans les espaces maritimes menacés par la piraterie
Comment garantir, sur la durée, les capacités militaires qui nous permettront d'être à la hauteur, demain comme aujourd'hui, des intérêts de sécurité de la France, comme de ses responsabilités internationales ? Tel est l'objet de cette loi, dans le prolongement du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale débattu ici même le 29 mai dernier.
[Combiner les préoccupations de souveraineté]
En 2013, cette question majeure se présente à nous avec une gravité particulière.
En effet, alors que les menaces qui pèsent sur notre sécurité collective évoluent rapidement, dans le sens d'une diversification des risques d'atteinte à la Nation, dans le même temps, notre souveraineté financière a été mise en péril. Avec les crises économiques qui se sont succédé depuis 2008, avec la pression croissante d'une dette publique qui a atteint des niveaux que nous n'avions jamais connus, la tension sur le budget de l'État et les finances de la Nation est devenue extrême. Pour la France, il est clair que c'est aussi un enjeu de souveraineté.
La combinaison de l'impératif militaire et de l'impératif budgétaire a suscité beaucoup de commentaires. Pourtant, c'est en tout cas ma conviction, celle du Gouvernement, cette articulation doit être assumée, avec responsabilité : sans contrôle de la dette publique, comment garder la maîtrise de nos choix stratégiques ?
Dans les grandes orientations qu'il a arrêtées pour le renouvellement de notre politique de défense, le Président de la République a fait un double choix. Celui de notre autonomie stratégique et celui de notre souveraineté financière. L'une ne va pas sans l'autre.
Pour faire des économies faciles,nous aurions pu chercher à occulter tout un pan des risques attachés à notre environnement stratégique. Ou prononcer des renoncements spectaculaires à telle ou telle de nos responsabilités hors du territoire, comme certains nous y incitent. Telle n'est pas notre conception de la préparation de l'avenir pour la défense de la France. Au contraire : nous nous sommes tenus à un principe de strict réalisme dans la description des menaces, comme dans la définition des moyens pour y faire face.
[Les garanties financières de la Programmation]
Le premier pilier de la programmation que nous vous proposons, c'est le maintien d'un effort de défense significatif. Notre budget se maintiendra d'abord au niveau actuel, c'est-à-dire 31,4 milliards d'euros courants, cela pendant trois ans. Dans un deuxième temps,entre 2016 et 2019, ce budget augmentera progressivement, pour atteindre 32,5 milliards d'euros courants. Les crédits budgétaires progresseront en valeur dès 2016, puis en volume à compter de 2018. Les ressources programmées sur la période 2014-2019 totalisent ainsi 190 milliards exprimés en euros courants, voire davantage, si nous faisons appel à certaines clauses de la loi sur lesquelles je reviendrai.
Cet arbitrage représente une décision politique forte. Sans pouvoir atteindre les niveaux de la programmation 2009-2014, qui sont vite devenus irréalistes, il nous donne les moyens de nos ambitions, loin du « déclassement stratégique » évoqué par certains.
Je souhaite le souligner ici : peu de pays occidentaux soutiennent un tel effort pour leur défense. Puis-je rappeler ici que la plupart des pays européens voient, durant ces mêmes années, leur budget de défense baisser en valeur, de façon souvent très significative, y compris chez nos plus proches partenaires, comme le Royaume-Uni le prévoit encore en 2014 et 2015 ?
Pour garantir à la défense ce niveau de financement, les ressources budgétaires sont complétées par des ressources exceptionnelles, à hauteur de 6,1 milliards d'euros sur la période, c'est-à-dire 3% des ressources totales.
Dans ce domaine, notre engagement est aussi celui de la transparence. C'est pourquoi, cette fois-ci, les origines des ressources exceptionnelles figurent de manière explicite dans le rapport annexé au projet de loi. Je les rappelle brièvement : il s'agit de l'intégralité du produit des cessions d'emprises immobilières du ministère de la défense ; d'un nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA), financé par le produit de cessions de participations d'entreprises publiques, au profit de l'excellence technologique des industries de défense ; du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences comprise entre les fréquences 694 MHz et 790 MHz ; enfin, des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquence déjà réalisées lors de la précédente programmation.
Une clause de sauvegarde particulièrement engageante vient compléter cet énoncé dans le dispositif même de la loi, et nous avons rejoint ici vos préoccupations, exprimées par tous vos rapporteurs, notamment M Launay, au nom de la Commission des finances, que je remercie. Cette clause permettra, le cas échéant, de mobiliser d'autres ressources, en particulier des cessions d'actifs, si le produit de celles que je viens d'évoquer s'avère insuffisant. En sens inverse, si ce produit excède les 6,1 Md prévus, la Défense pourra en bénéficier à hauteur de 0,9 Md supplémentaires.
Enfin, comme je l'avais indiqué à votre Commission lors de la séance qu'elle a consacrée à l'examen du projet de loi, et comme nous en avons informé depuis vos différents rapporteurs, le Gouvernement vous présente un ensemble de quatre amendements complémentaires, destiné à sécuriser l'entrée en programmation dans le domaine des investissements. Il ajoute au montant des ressources exceptionnelles, suite à un accord passé entre mon ministère et celui du Budget, une ressource de 500 M permettant, autant que nécessaire, de financer sans heurt et quelles que soient les difficultés de la fin de la gestion de l'année 2013, l'intégralité des programmes de la première période, en particulier les nouveaux.
Notre démarche, je l'ai dit, c'est donc de garantir à notre défense un niveau de ressources qui soit, comme le soulignent vos rapporteurs sur cette loi, Mme la Présidente Adam et Mme Gosselin-Fleury, ambitieux et réaliste à la fois.
Ambitieux, par la trajectoire que le Président de la République a arrêtée et que je viens de décrire.
Réaliste, parce que ce niveau de ressources est compatible avec la loi de programmation des finances publiques. Parce que, aussi, les ressources extra-budgétaires reposent sur des engagements politiques inscrits dans la loi que vous allez voter, dont la Représentation nationale pourra contrôler l'application avec des pouvoirs que le Gouvernement a accepté de renforcer très considérablement.
[Une stratégie militaire renouvelée]
La nouvelle stratégie militaire,portée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, concourt quant à elle de manière décisive à employer les ressources que je viens de vous exposer.
Cette stratégie clarifie d'abord les trois missions fondamentales qui sont celles de nos armées : protéger le territoire et la population, assurer la dissuasion nucléaire, et intervenir à l'extérieur du territoire national, que ce soit en gestion de crise ou en situation de guerre.
Sur la base de ces trois missions, et des scénarios d'engagement les plus probables pour les quinze ans qui viennent,nous avons redéfini les contrats opérationnels que le chef de l'Etat et le Gouvernement assignent à nos forces. La programmation en matière de finances mais aussi d'effectifs en découle directement.
Concernant la protection permanente du territoire et de la population, outre les moyens classiques pour la surveillance aérienne et maritime, les contrats opérationnels prévoient une mobilisation des forces terrestres jusqu'à 10 000 hommes, en renfort des forces de sécurité intérieure. Ces contrats sont inchangés par rapport au précédent Livre blanc. Nous y avons cependant ajouté une dimension nouvelle : la posture de cyberdéfense, partie intégrante désormais de la protection du territoire et de la population, qui va jouer un rôle croissant dans notre sécurité nationale ; c'est indispensable compte tenu du niveau de la menace qui s'exerce aujourd'hui.
En matière d'interventions extérieures,
- nos forces devront constituer en permanence un élément d'intervention d'urgence de l'ordre de 5000 hommes, incluant une force interarmées de réaction immédiate de 2300 hommes, déployables en sept jours ;
- pour les missions de gestion de crise internationale, nous prévoyons, en outre, de pouvoir engager jusqu'à 7 000 hommes supplémentaires, renouvelables, répartis sur trois théâtres extérieurs, ainsi que des unités navales dont un groupe Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC), et une douzaine d'avions de combat ;
- pour les opérations de guerre et de coercition majeure, nos armées vont conserver la capacité d'entrée en premier dans les trois milieux, terrestre, naval et aérien, avec les moyens de commandement correspondants ; nous pourrons à ce titre projeter : des forces spéciales significatives ; jusqu'à deux brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes des forces terrestres ; 45 avions de combat ; et un groupe aéronaval.
Sur la mission de dissuasion, nous maintiendrons les deux composantes, sous-marine et aéroportée. Nous poursuivrons le programme de simulation et la modernisation de nos forces, dans le respect du principe de stricte suffisance
[Pourquoi la dissuasion ?]
Je sais que certains professent l'idée bien arrêtée de supprimer la force de dissuasion, ou de supprimer l'une de nos composantes.
Je constate, pour ma part, que les arsenaux nucléaires continuent de croître dans un certain nombre de pays, de façon manifeste en Asie ; leur modernisation est aussi le maître mot de la stratégie militaire de la Russie ; la modernisation de l'arsenal américain fait partie des programmes de l'administration du Président Obama ; je remarque encore que les risques de prolifération d'armes de destruction massive dans plusieurs régions du monde sont une réalité, la crise syrienne est là pour le rappeler ; j'observe enfin que notre stratégie forme un tout cohérent : il est absurde d'opposer les forces conventionnelles et les forces nucléaires : elles s'épaulent les unes les autres dans notre stratégie, c'est une des clés de la capacité de la France à disposer d'une véritable autonomie pour conserver en toutes circonstances la maîtrise de sa propre sécurité.
Le Livre blanc l'a donc confirmé, la capacité nucléaire continuera d'être adaptée à notre environnement stratégique,de manière différente d'hier, sans aucun doute. Nous avons supprimé la composante sol-sol - les missiles mégatonniques du plateau d'Albion et les missiles de courte portée - ; nous avons, de notre propre chef,considérablement réduit le nombre de nos vecteurs et de nos têtes ; nous avons fermé nos installations de production de matières fissiles ; nous avons démantelé notre site d'essais nucléaires.
Mais, tant qu'il existe des armes nucléaires dans le monde, tant que demeurent les risques d'un chantage exercé par d'autres puissances contre nos intérêts vitaux, la dissuasion est l'une des garanties fondamentales de notre liberté d'appréciation, de décision et d'action. C'est un fait que certains déplorent : il est difficile de le nier.
Dans ces conditions, nous pensons qu'il n'est envisageable ni de renoncer à cette capacité, ni de diminuer les options que l'existence des deux composantes offre au chef de l'Etat, chef des armées. Voilà le choix que nous défendons, dans le débat qu'appelle de ses vux, notamment, votre rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, M. Gwenegan Bui.
[Le fantasme du déclassement]
Protéger le territoire et la population, assurer la dissuasion nucléaire, intervenir à l'extérieur du territoire national, pour des missions de guerre ou de gestion de crise. Peu de nations dans le monde ont la capacité d'assurer simultanément ces trois missions, en engageant de tels moyens matériels et humains. Peu, de la même façon, sont en mesure d'appuyer leur force militaire sur une industrie figurant parmi les premières dans le monde. C'est le cas de la France, et notre démarche vise à consolider cet ensemble. Je vois, dans ce projet, une réelle continuité avec les engagements constants pris sous la Vème République.
En 2019, si nous suivons cette trajectoire, non seulement nous maintiendrons nos capacités militaires effectives parmi les premières dans le monde, mais nous serons au premier rang stratégique en Europe.
Je tiens à le rappeler ici : les équipements et les programmes de modernisation sont au cur de cette loi ;de même, le maintien de la qualité exceptionnelle, partout reconnue, des homme set des femmes qui servent nos armées ; au demeurant, les effectifs militaires prévus par cette loi placeront la France en 2019 au premier rang en Europe avec 187 000 militaires, sur les 242 000 hommes et femmes que comptera la mission défense, -il y en aura, d'après les données disponibles, 185 000 en Allemagne, 145 000 au Royaume-Uni, pour ne citer que ces exemples.
Voilà la réalité du texte que j'ai l'honneur de porter devant vous, et de la politique de défense que nous conduirons demain, grâce à vous.
Cette autonomie stratégique fonde une capacité d'initiative sur laquelle le Président de la République n'a cessé d'insister et qui est la marque de son projet pour nos armées et notre stratégie de défense et de sécurité.
Elle nous crée aussi des responsabilités, nous les exercerons. Etre autonome, d'ailleurs, cela ne veut pas dire être seuls. Notre stratégie intègre ainsi la mobilisation de nos alliances.
Il y a d'abord l'Europe, à laquelle ce projet de loi de programmation militaire s'attache, en cohérence avec les orientations prises par François Hollande dès le début de son mandat.
Je souhaite y insister devant vous, à quelques jours du Conseil Européen qui se tiendra, grâce notamment à l'effort de mobilisation de la France, sur le thème de la politique de défense, depuis l'élection de François Hollande. Voilà bien des années que cela n'était pas arrivé !
L'enjeu sera de donner une impulsion à la fois politique et pragmatique dans les domaines opérationnels, capacitaires et industriels de la sécurité commune. Conformément à ma vision de l'Europe de la Défense, nous avançons sur des pistes concrètes :
- l'adoption d'une stratégie européenne de sûreté maritime dont les points d'application seront la Corne de l'Afrique, le Golfe de Guinée et la Méditerranée ;
- l'engagement accru de l'Union européenne au Sahel, - au Mali mais aussi à l'échelle de la région, avec un accent sur le contrôle des frontières, à commencer par les frontières libyennes ;
- les progrès vers la mise en place d'une flotte européenne de ravitailleurs en vol et l'élargissement du commandement européen dit EATC pour le transport aérien militaire ;
- le lancement d'une première étape en vue d'une solution européenne pour la prochaine génération de drones de surveillance (post 2020) ;
- au plan industriel, la mise en place d'un mécanisme d'incitation fiscale (exemption de TVA) pour encourager les projets d'équipement en coopération.
Toutes ces avancées ont vocation à être approuvées et approfondies au niveau des chefs d'Etat en décembre
Vous aurez observé que, dans cette loi, nous avons conservé, de manière systématique, tous les programmes d'équipement menés en coopération européenne, en particulier : FREMM, A400M, NH90, TIGRE, MUSIS, SAMP/T. Et nous prévoyons d'en lancer deux autres : l'ANL et le SLAMF, le système de lutte anti-mines futur.
La mutualisation européenne est aussi un leitmotiv de la présente loi, nous en parlerons également au Conseil européen de décembre, spécialement pour des capacités militaires clés comme le transport aérien, le ravitaillement en vol, l'action aéronavale, l'espace militaire, la logistique ou la formation.
Il y a ensuite l'Alliance atlantique,et nous voyons la pleine participation de la France dans les structures de commandement comme le complément naturel de notre démarche européenne : ce sera précisément l'occasion de développer notre vision et notre place, celle des Européens, au sein de l'Alliance. Comme l'a souligné le rapport de M. Hubert Védrine, qui a fait l'objet d'un large accord, nous devons développer sans complexe une présence active à tous les niveaux de l'Organisation atlantique et nous appuyer sur elle pour la coopération de défense transatlantique.
Il y a enfin tous les partenariats stratégiques que la France noue à travers le monde, avec des interlocuteurs historiques mais aussi des puissances nouvelles, de premier rang. Nous devons pouvoir aussi appuyer sur eux notre stratégie de défense.
[Les priorités : l'activité opérationnelle et l'équipement des forces]
Pour développer cette stratégie dans un cadre financier que nous avons ajusté au mieux, nous avons marqué un certain nombre de priorités, à commencer par la préparation opérationnelle et l'équipement des forces armées.
Priorité, d'abord, à l'entraînement et à l'activité de nos forces. A dire vrai, ils conditionnent la valeur de nos soldats au combat, illustrée sans cesse dans chaque crise ces derniers mois. Sans préparation opérationnelle efficace et suffisante, il n'y a pas de capacité militaire à la hauteur, ni d'armée professionnelle crédible.
Or, depuis 2010, à l'exception des opérations extérieures, un fléchissement préoccupant de l'activité opérationnelle a été constaté.
Je me suis personnellement engagé sur ce dossier très difficile. La présente programmation vise à maîtriser puis inverser cette évolution, en maintenant puis en redressant peu à peu le niveau de la préparation opérationnelle. Ainsi, les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur, pour s'établir à un montant moyen de 3,4 milliards d'euros courants par an sur la période,contre 2,9 Md en LFI 2013. Notre préoccupation, ce n'est pas d'avoir une «Grande Armée » sur le papier ; c'est de pouvoir disposer, chaque fois que nous devons les engager, de soldats bien entraînés et bien équipés. C'est la priorité qui justifie toutes les autres.
Priorité, ensuite, aux équipements. Là encore, je veux souligner l'effort important qui sera réalisé, puisque nous prévoyons que les crédits d'équipement soient en hausse régulière au cours de la période 2014-2019. En 2013, 16 milliards d'euros ont été consacrés aux équipements. L'effort s'élèvera à 17,1 milliards d'euros en moyenne annuelle sur l'ensemble de la période, pour atteindre 18,2 milliards d'euros en 2019. Malgré la contrainte qui pèse sur le budget et en raison de l'impératif du renouvellement de nombre de nos équipements, qui vieillissent, les grands programmes déjà lancés sont maintenus et une vingtaine de nouveaux sont lancés.
A cela s'ajoutent les précautions que nous avons prises en ce qui concerne le financement de l'entrée en programmation et que je vous ai présentées tout à l'heure. Dans ces conditions,je peux vous annoncer, ce soir, que le lancement, dès cette année, de plusieurs nouveaux programmes marquant le début de notre programmation est bel et bien assuré, comme je m'y étais engagé devant vos commissions.
D'ici la fin de 2013, pourront ainsi être engagés le missile moyenne portée MMP, qui prendra la succession des missiles MILAN, essentiel à la fois pour l'armée de terre et notre industrie missilière ; les travaux du nouveau standard du Rafale, améliorant ses capacités, avec entre autres l'intégration du missile Météor et d'un POD de désignation laser de nouvelle génération ; le missile anti navires léger ANL, que nous mènerons en coopération avec nos partenaires britanniques ; les nouveaux radars du programme SCCOA, conduit par Thalès, pour protéger le territoire national ; ou encore les bateaux multi-missions, les B2M, destinés à l'outre-mer Autant de contrats qui seront lancés, conformément au calendrier prévu.
Au-delà, sur l'ensemble de la période couverte par la loi de programmation militaire, un grand nombre d'équipements seront livrés.
Parmi ceux-ci, en application du principe de différenciation, certains illustrent plus particulièrement notre capacité à prendre part à un conflit majeur : les prochains Rafale bien sûr, un sous-marin Barracuda, 5 nouvelles frégates de premier rang FREMM, 16hélicoptères TIGRE. Le porte-avions Charles de Gaulle, qui va connaître un arrêt technique majeur (ATM), concourt également à cette capacité d'entrée en premier. La rénovation des chars Leclerc, quant à elle, sera aussi programmée au cours de cette période.
D'autres livraisons viendront plus directement conforter nos capacités de gestion de crise. Je pense aux drones de surveillance, tactiques et MALE, au programme Scorpion pour l'armée de terre,qui débutera l'an prochain, aux hélicoptères NH90, Terre et Marine, ou à nos capacités logistiques avec les bâtiments de soutien BSAH. A ces livraisons, il faut ajouter les rénovations des Mirage 2000D, des frégates Lafayette et des Atlantique 2.
Parmi ces équipements, bien sûr, un certain nombre sera polyvalent. C'est ainsi que nous recevrons, sur cette période, les satellites du programme MUSIS, mais également 450 missiles moyenne portée (MMP), les premiers MRTT, 15A400M
Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, on le voit bien, nous avons fait des choix. Notre objectif, c'est de préparer nos armées à mener les guerres de demain et faire face aux menaces du futur.
Nous avons donc d'abord choisi d'écarter les scénarios de rupture dans nos capacités, militaires et industrielles. Nous maintenons ainsi les neuf secteurs de compétence majeurs de l'industrie de défense : l'aéronautique de combat, les missiles, l'aéronautique de transport, les hélicoptères, les sous-marins, les navires armés de surface, l'armement terrestre, le renseignement/surveillance,les communications/réseaux. Qui serait prêt à sacrifier l'un d'entre eux, alors que leur existence est l'une des clés de notre autonomie stratégique et que nous avons la possibilité, après les orientations arrêtées par le Président de la République, de les maintenir ?
Nous avons fait un deuxième choix, celui de mettre en uvre des principes de mutualisation et de différenciation pour l'ensemble de ce nouveau modèle d'armée. Ces principes constituent un tournant et doivent permettre d'optimiser nos moyens.
J'ajoute un troisième choix, qui me tient à cur et concourt très directement à la préparation de l'avenir : la poursuite, et même le renforcement, d'un effort substantiel en Recherche & Technologie. C'est un objectif majeur de ce projet de loi, avec des crédits consacrés aux études amont en hausse par rapport à la période précédente, avec plus de 730 millions d'euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019. Pour citer un exemple parmi d'autres, le projet de drone de combat futur (l'UCAV) se voit doter de plus de 700 M.
Cet effort tourné vers les équipements, qu'il s'agisse de livraisons préservées, de programmes lancés ou de recherches engagées, en s'appliquant à nos forces, bénéficiera aussi directement à nos industries de défense.
Ces dernières, je l'ai dit, sont au cur de l'autonomie stratégique que nous préconisons. Mais avec 4 000 entreprises, dont une majorité de PME/ETI, avec 165 000 emplois directs, hautement qualifiés et donc peu délocalisables, avec un chiffre d'affaires global d'environ 15 milliards d'euros, dont 30 à 40 % réalisé à l'exportation, elles sont aussi un extraordinaire moteur pour notre économie, un formidable levier pour l'emploi et la compétitivité. A ce titre, elles sont au cur d'un projet qui prépare l'avenir et préserve l'essentiel.
A cet égard, je vous rappelle certaines des inflexions majeures attachées à ce projet, dans la droite ligne des annonces du Livre blanc approuvé par le Président de la République : amplification de l'effort en matière de renseignement, j'y reviendrai, et réalisation de programmes d'équipement trop souvent retardés dans ce domaine; adaptation au combat moderne, avec un effort particulier en faveur des forces spéciales, en effectifs, équipements, organisation interarmées et capacités aéromobiles, ainsi que des moyens interarmées de ciblage précis ;développement de la cyberdéfense offensive et défensive ; lancement effectif de l'acquisition des ravitailleurs en vol, - pour ne citer que quelques exemples marquants.
[La dimension normative de la LPM]
Voilà, dans ses grandes lignes, le renouvellement de notre politique de défense tel que nous le proposons pour les six ans qui viennent, avec la perspective à quinze ans tracée par le Livre blanc.
Mais au-delà de ce renouvellement, ce texte est aussi fondamental parce qu'il comporte une dimension normative, qui nous a beaucoup mobilisés avec vos Commissions, et qui constitue l'autre volet de cette préparation de l'avenir.
En cohérence avec l'effort concernant nos capacités d'action, il pose en effet un cadre législatif dans trois domaines majeurs pour nos armées et, au-delà, pour la sécurité nationale : le renseignement,la cyberdéfense, enfin les droits des personnels. Chacun de ces trois axes imprime une marque particulière au présent projet de loi.
[Le renseignement]
Je commence par le renseignement,pièce essentielle de notre autonomie stratégique. Le projet de loi définit un équilibre politique clair entre d'une part l'accroissement des moyens, techniques, humains et juridiques des services, et d'autre part le renforcement légitime, souhaité par le Gouvernement comme par vos Commissions, du contrôle parlementaire de cette activité. Ici, vous me permettrez de me féliciter que les différentes avancées qui sont apparues à l'occasion de l'examen par le Sénat, aient été confortées par le travail mené dans cette enceinte, aussi bien par la Commission de la Défense, que la Commission des Lois, et en particulier son Président, M. Jean-Jacques Urvoas, et son rapporteur, M. Patrice Verchère.
Concernant les moyens, l'effort sera donc amplifié, après bien des retards accumulés ces dernières années pour notre équipement, et selon quatre priorités : l'imagerie (satellites CSO du programme MUSIS, drones MALE et tactiques, ISR légers), le renseignement d'origine électromagnétique (système d'écoute CERES à trois satellites, charges utiles pour aéronefs et pour drones), les moyens techniques mutualisés d'interception et la création nette de postes au profit de la DCRI, de la DGSE et de la DRM.
Le cadre normatif s'adapte aussi pour offrir de nouvelles possibilités aux services, pour améliorer les moyens des services dans leurs missions de lutte contre les réseaux terroristes, les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, ou l'espionnage, - nous aurons l'occasion de débattre de l'importance de ces évolutions.
Je saisis l'occasion pour souligner que le Gouvernement veille scrupuleusement au maintien de l'équilibre,fondamental dans nos démocraties, entre les moyens de la sécurité et le souci des libertés publiques et de la vie privée. Plusieurs dispositions portent la marque de cette orientation.
De plus, en contrepartie de l'effort d'augmentation des moyens, le projet de loi organise un net renforcement du contrôle des services de renseignement. A la suite du Livre blanc, qui a conforté le rôle du coordonnateur national placé auprès du Président de la République, il prévoit en effet la mise en place d'une fonction d'inspection des services, qui pourra être actionnée par le Premier ministre et les ministres en charge du renseignement.
Surtout, instruit par les premières années d'expérience de la délégation parlementaire au renseignement, il préconise un saut qualitatif important dans les compétences de contrôle de l'activité gouvernementale exercée par celle-ci. Elle se voit pour la première fois reconnaître explicitement cette fonction de contrôle, dans un cadre respectueux des prérogatives du pouvoir exécutif, tel que le trace le Conseil constitutionnel. Bénéficiant de la protection qu'offre l'habilitation au secret de la défense nationale, elle aura la capacité de connaître l'ensemble de la dépense publique dans ce domaine sensible, elle intégrera en son sein une formation spécialisée pour le contrôle des fonds spéciaux, prenant la place de l'actuelle commission de vérification. Elle aura connaissance des principaux documents d'orientation gouvernant l'activité des services. Elle pourra régulièrement dialoguer avec les directeurs des services sur la mise en uvre de leur mission.
[La cyberdéfense]
J'en viens au deuxième axe d'efforts la cyber défense , auquel cette loi de programmation consacre des développements majeurs. Alors que la vulnérabilité de l'appareil d'Etat et des entreprises croît au même rythme que la dépendance de la Nation aux systèmes d'information, le cyberespace est devenu un champ de confrontation à part entière. C'est donc un enjeu absolument stratégique, dont nous devons nous saisir. Ce sera pour moi, n'en doutez pas, une priorité de premier rang, nous n'en sommes qu'au début en la matière.
Ce projet de loi en tire toutes les conséquences, en adaptant notre droit, pour la première fois dans un tel cadre, aux nouveaux défis que nous posent les menaces cyber. Il établit ainsi la compétence du Gouvernement pour imposer des règles aux opérateurs, en explicitant, dans le code de la défense, les responsabilités du Premier ministre et les moyens de ses services en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information stratégiques. Il autorise explicitement pour la première fois, en des termes qui ont été validés par le Conseil d'Etat, la neutralisation de systèmes attaquant nos infrastructures numériques.
Au-delà de ces évolutions normatives, le projet prévoit le développement de nos capacités militaires et non militaires, défensives mais aussi offensives, notamment par la mise en place d'une chaîne opérationnelle, centralisée au niveau du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées, ainsi qu'un renforcement des moyens humains. Plusieurs centaines de spécialistes seront ainsi recrutés. Un effort financier significatif, enfin, permettra l'acquisition de nouveaux équipements, mais aussi la réalisation d'études amont.
[Les droits des personnels]
Je veux évoquer un troisième axe d'effort qui s'est vu substantiellement renforcé, grâce aux travaux de la présidente de la Commission de la Défense, Mme Patricia Adam, et de la co-rapporteure, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, et qui concerne le dialogue social et la concertation militaire.
L'initiative des rapporteures, à laquelle je souscris totalement, consacre en premier lieu une avancée importante pour le dialogue social bénéficiant aux personnels civils. Elle élargit en effet, le périmètre des compétences du comité technique ministériel aux questions d'organisation et de fonctionnement, en abolissant une interdiction de principe propre au secteur de la défense, qui figurait dans la loi de 1984. Elle respecte, pour autant, la spécificité de la défense, en écartant de ce périmètre le domaine des organisations proprement militaires,pour des raisons tenant aux prérogatives et au commandement opérationnels que chacun comprend bien.
Nous venons en outre de lancer, à la demande du Président de la République, un chantier important, celui de la rénovation de la concertation militaire. J'ai saisi l'ensemble des chefs militaires et acteurs du dialogue dans les armées pour que des propositions soient faites pour la 90e session du Conseil supérieur de la fonction militaire, en décembre prochain.
Le rapport annexé à la loi conforte cette démarche et propose quelques pistes, en préconisant par exemple d'étudier la mise en place d'instances de dialogue militaire complémentaires au niveau des autorités d'emploi. En sus des instances existantes, CFM et CSFM, qui ont pour vocation éminente d'examiner les sujets statutaires, ces instances nouvelles offriraient un échelon pertinent et rapproché pour aborder les questions d'organisation et de fonctionnement des services qui les emploient.
[Les diminutions d'effectifs, les restructurations et leur accompagnement]
Priorités opérationnelles, capacitaires, industrielles et sociales ; adaptation de notre environnement juridique. Pour concrétiser ces orientations, tout en assumant la gamme de ses missions, le ministère de la défense doit par ailleurs consentir des économies,sur le fonctionnement et sur la masse salariale. Ce sont ces économies qui garantissent l'équilibre global de la programmation militaire.
Dans un contexte marqué déjà par plusieurs déflations successives depuis 1995, je n'ai jamais caché qu'une nouvelle diminution serait difficile à réaliser, qu'elle appellerait de notre part des efforts d'accompagnement, d'analyse et d'explications, tout particulièrement auprès des personnels. Nous nous y sommes donc préparés.
Au titre de la présente LPM, 23 500 emplois seront supprimés, en plus des 10 500 qui étaient déjà inscrits dans la loi précédente, concernant les années 2014-2015.
Ces déflations sont certainement difficiles à réaliser. Je comprends le trouble qui peut gagner en particulier la communauté militaire, par ailleurs sollicitée sur de nombreux théâtres d'opérations. Mais qu'en est-il vraiment ?
J'observe tout d'abord, s'agissant des effectifs strictement opérationnels, que la réorganisation des armées qui est visée, aussi difficile soit-elle, est cohérente avec les choix opérationnels que nous avons effectués. Je pense en particulier aux nouveaux contrats opérationnels des armées, précisés dans le Livre blanc et que reprend la présente loi. Qui les critique vraiment ? J'entends dire qu'il faudrait en rester aux contrats opérationnels du précédent Livre blanc. Mais le chef d'état-major des armées lui-même les jugeait irréalistes dès le début de l'année 2011. Et j'ai dit tout à l'heure ce qu'il en est du positionnement en Europe des effectifs militaires de la France en 2019-2020, au terme de la présente loi.
Les effectifs proprement opérationnels ne devront pas représenter plus d'un tiers des déflations. Et nous poursuivrons résolument l'effort de recrutement conduit chaque année par nos armées. Je le rappelle, il représente de l'ordre de 17 000 jeunes à chaque fois et il doit se poursuivre, car nous avons besoin d'une armée jeune,c'est pour nous un impératif.
Pour leur grande majorité, les diminutions d'effectifs reposeront donc sur un effort important touchant l'administration au sens large et l'environnement des forces : il s'agit de réduire les coûts de fonctionnement et une structure qui demeure encore, dans bien des domaines, lourde, complexe et non optimisée par rapport à nos besoins.
La réorganisation qu'impliquent ces diminutions d'effectifs reposera donc sur quelques principes simples, ainsi qu'un dispositif d'accompagnement de grande ampleur que je suivrai personnellement. La priorité sera donnée, je l'ai dit, aux forces opérationnelles, pour leur garantir la capacité de remplir les missions redéfinies par le Président de la République. Le personnel bénéficiera des dispositions d'accompagnement social qui devront permettre aux départs, lorsqu'ils sont nécessaires, de se dérouler dans de bonnes conditions. C'est l'objet des mesures qui figurent dans le projet de loi, telles que les pécules ou la promotion fonctionnelle.
Au total, c'est un plan d'accompagnement de près d'1 Md - 933 M exactement qui est prévu au titre des outils financiers d'incitation à la mobilité et au départ.
Concernant les restructurations, liées à ces déflations, mon objectif est de préserver au maximum les liens qui relient les armées et les territoires. Mais ma démarche est aussi, pour les sites qui seront amenés à fermer, de permettre une transition dans les meilleures conditions possibles. Pour ce faire, un accompagnement économique est inscrit dans le projet de loi, qui tire les enseignements des précédentes restructurations. Désormais, contre la dérive de l'éparpillement, les actions de l'Etat seront davantage concentrées, avec 150 millions d'euros au total pour les territoires les plus affectés. Ce plan sera complété par un dispositif d'aide des PME, appuyé sur la Banque publique d'investissement.
Dans un ministère dont la solidité doit être à toute épreuve, je sais que de telles évolutions, qui visent précisément à asseoir notre politique de défense sur des bases plus solides,peuvent néanmoins générer des inquiétudes et des fragilités transitoires. Ce sera pour moi une vigilance de tous les instants.
[La judiciarisation]
Ce projet de loi de programmation militaire répond aussi à cette interrogation, qui est légitime, en défendant la singularité du soldat aujourd'hui. Il le fait en mettant en place, comme l'avait souhaité le Président de la République, des outils juridiques simples, qui permettent d'éviter une judiciarisation inutile de l'action des militaires engagés en opération extérieure. De la part du Président de la République, c'était un engagement attendu et remarqué, après plusieurs affaires qui pouvaient donner le sentiment d'une remise en cause du cur du métier militaire et de l'acte d'engagement comme de commandement en opération.
L'objectif ici, ce n'est pas de consacrer une quelconque immunité pénale au profit des militaires, encore moins de priver les familles de leurs droits, qu'il s'agisse de l'accès à l'information, à la justice ou à la réparation. Ces droits, et notamment celui d'être dûment informé des circonstances dans lesquelles leurs proches ont pu être touchés, seront scrupuleusement respectés, voire accrus par les dispositions d'accompagnement que prennent le ministère et les armées.
Il s'agit en revanche de faire prendre en compte, par le droit pénal, la réalité de ce qu'est un conflit armé,dans lequel nos militaires sont prêts à donner leur vie comme d'ailleurs à infliger la mort. Il s'agit d'inscrire aujourd'hui dans notre droit, tant au plan des procédures que sur le fond de la qualification des actes, les spécificités des situations d'action au combat, alors que nos sociétés voient le recours juridictionnel tellement se développer.
Ces propositions ont été préparées en bonne intelligence entre mon ministère et les services de la Garde des Sceaux,auxquels je veux ici rendre hommage. Je veux aussi saluer le travail de la Commission de la Défense. Le texte qu'elle a approuvé peut constituer la base d'un consensus politique autour d'un enjeu majeur. Je forme en tout cas le vu que ces propositions recueillent un large soutien de la représentation nationale.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Ce dernier enjeu le rappelle, le métier des armes est beaucoup plus qu'un métier. L'importance du texte qui vous est soumis aujourd'hui s'enracine aussi dans l'engagement de nos soldats, qui peut aller jusqu'à la mort. Sept d'entre eux ont été tués depuis le début de l'opération Serval. Ils combattaient des groupes djihadistes, dans le Nord du Mali. Je me dois de leur rendre hommage, de nouveau, devant vous.
Cette lutte sans répit se poursuivra au Mali, mais aussi dans le Nord du Niger, le Nord du Tchad, aux frontières algériennes et libyennes, et, au-delà, dans tout l'arc d'action de ces groupes djihadistes, depuis le Sénégal jusqu'à la Somalie.
La réussite de cette action de longue haleine se joue en partie aujourd'hui. Les moyens de renseignement, de projection, de frappes et de forces spéciales, mais aussi le soutien aux capacités d'intervention de nos partenaires, tout cela se trouve dans ce projet de loi de programmation militaire.
Si la communauté internationale en décide ainsi, nous nous apprêtons également à engager nos forces, en République Centrafricaine.
Dans ce pays ravagé depuis trop d'années par des coups d'Etats et des conflits, c'est aujourd'hui le chaos qui s'est installé. La situation, tous les observateurs le soulignent, menace de dégénérer rapidement, y compris avec une dimension confessionnelle qui augmente. Le pays se trouve au confluent de la crise sahélienne, de celle de l'Afrique de l'Est et de celle de l'Afrique centrale et des grands lacs. Chacune d'entre elles trouve dans cette zone incontrôlée de l'Afrique un terreau favorable pour se développer, propice aux réseaux et aux trafiquants divers. Le terrorisme peut s'installer et prendre de l'ampleur.
C'est pourquoi la communauté internationale doit aider les Etats africains à se protéger. Le Conseil de sécurité, à l'initiative du Président de la République, s'est saisi de la question, par sa résolution 2121.
La France s'apprête donc à aider nos partenaires africains, qui se mobilisent sur le terrain. Elle agira en appui et en accompagnement opérationnel de la force africaine qui monte en puissance,dans le cadre que fixera le Conseil de Sécurité, début décembre, par une nouvelle résolution.
Ce développement illustre notre conception de la sécurité en Afrique. Les pays africains doivent assurer eux-mêmes leur propre sécurité. Mais nous ne pouvons les laisser seuls face aux risques et aux menaces qui, à terme plus ou moins rapproché, nous concerneraient directement. Nous pouvons jouer un rôle d'appui, d'accompagnement. C'est tout l'enjeu du sommet que la France organisera à la fin de l'année sur la paix et la sécurité en Afrique.
Mesdames et Messieurs les députés,
Un texte de loi tel que celui-ci est par définition perfectible, et je sais gré à la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale, spécialement ses rapporteures, d'avoir contribué à l'améliorer de façon significative, tout comme je remercie les Commissions des Lois et de Finances du concours décisif qu'elles ont apporté dans ce débat. Soyez en tous sincèrement remerciés.
Grâce à ces travaux, nous avons défini ensemble un projet équilibré. En confirmant ses choix en matière de défense, le Président de la République a souligné qu'il y avait là un effort que la Nation consentait, non pas pour les armées en elles-mêmes, mais pour sa propre sécurité. Aujourd'hui, j'ai toute confiance dans la Représentation nationale pour confirmer cette ambition, dans l'intérêt de la France et le respect de celles et ceux qui la servent avec courage, professionnalisme et dévouement.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 novembre 2013