Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur la relance nécessaire des relations entre la France et l'Afrique en matière économique, Paris le 4 décembre 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence "Afrique - France" pour un nouveau modèle économique, à Paris le 4 décembre 2013

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la Banque Africaine de Développement,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Merci de votre présence en si grand nombre pour cet évènement qui, je le souhaite, marquera l'histoire des relations entre la France et l'Afrique. C'est avec un immense plaisir que je vous accueille aujourd'hui à Bercy, pour cette journée de travaux qui doit donner une nouvelle impulsion à notre dialogue, et surtout définir une nouvelle ambition pour nos relations.
Cette conférence économique que j'ai voulu organiser aujourd'hui, en amont du Sommet de l'Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique, se déroule à un moment charnière des relations entre la France et le continent africain.
Il faut prendre le recul du temps long pour apprécier le mouvement tectonique aujourd'hui à l'oeuvre dans l'échange mondial. La disparition des deux grands blocs Est et Ouest avait fait craindre le « déclassement géopolitique » de l'Afrique, terrain d'affrontement secondaire de leur face-à-face. C'était sans compter le déplacement du centre de gravité de la richesse mondiale vers l'Asie et le Sud, entraînant l'Afrique dans son sillage : le monde a changé au début du XXIème siècle, et le continent africain a changé avec lui, au point de devenir une « nouvelle frontière de l'économie mondiale » (Baillot et Dembinski). Menacé de marginalisation après la fin des blocs, il est aujourd'hui convoité par les puissances émergentes, de l'Amérique latine à l'Asie en passant par la péninsule arabique. L'Afrique, « le dernier continent fertile », selon les mots de Roger Thurow, a accompli à la faveur de son entrée de plein pied dans la mondialisation au début des années 2000 sa deuxième indépendance, l'indépendance économique. Cette première décennie du XXIème siècle, c'est celle de la métamorphose d'un continent qui, loin de languir aux frontières de la mondialisation dans un système international post-bipolaire, en est devenu l'un des acteurs clés.
Dans ce tournant fondamental du début XXIème siècle, l'Afrique a laissé exploser toute la force d'une vitalité multiforme. Le PIB par habitant d'une majorité de ses économies a cru au moins deux fois plus vite que celui des pays riches de l'OCDE depuis le début des années 2000. Mais les chiffres disent mal l'inventivité, la créativité foisonnante de ce qui est aujourd'hui le plus jeune continent du monde, avec ses 200 millions de jeunes qui doubleront d'ici 2050. Nulle part mieux que dans la création artistique cette vitalité ne s'exprime, et ceux qui ont eu la chance de voir l'adaptation débordante d'énergie et d'imagination du Lac des Cygnes par la chorégraphe sud-africaine de 26 ans Dada Masilo, en septembre à Paris, savent de quoi je parle. Cette vitalité, ce souffle d'énergie de la création contemporaine africaine, il est l'exact reflet de son dynamisme économique.
Ou était la France, pendant cette décennie de recomposition de l'échange mondial ? Elle a perdu du temps dans une réflexion stérile sur l'Afrique, à se demander comment se positionner face à ce continent qu'elle a si longtemps vu, d'abord et avant tout, comme une chasse-gardée, ou au mieux comme un démultiplicateur d'influence. Prise dans une querelle entre les anciens et les modernes, entre turpitudes traditionnelles et tiers-mondisme compassionnel, entre les avocats d'une politique africaine de continuité marginalement révisée, et les partisans d'un aggiornamento pour qui l'Afrique aurait perdu son intérêt stratégique ou économique après la chute du bloc de l'Est, la France a, inexorablement, perdu du terrain. Le fil de son dialogue, de ses relations avec le continent africain, s'est distendu. Sa voix s'est assourdie.
Aujourd'hui nous voulons retendre le fil de cette relation. Nous voulons réaffirmer notre destin commun. Nous voulons mettre nos échanges au niveau de la métamorphose accomplie par le continent africain. C'est l'enjeu du Sommet de l'Elysée, qui voit l'Afrique non pas à travers du seul prisme réducteur de la sécurité, mais comme un partenaire à part entière. Nous écrivons un nouveau chapitre de nos relations, et il ne sera pas que sécuritaire : il sera aussi environnemental, et – c'est ce qui nous rassemble aujourd'hui – économique. Avec une ambition, que cette audience reflète, dans sa diversité, avec le monde francophone, mais aussi anglophone, lusophone et arabophone : nous élever à la dimension du continent.
L'enjeu de nos échanges de ce jour est de construire un partenariat économique pour l'avenir, ensemble.
Cela implique, tout d'abord, de changer notre regard, de faire évoluer nos perceptions. C'est vrai : notre vision de l'Afrique trop souvent a une décennie de retard. Le continent a changé vite, bien plus vite que nos conceptions. Certains voient toujours l'Afrique comme un continent de derniers et pas un continent de pionniers. La rénovation de nos relations, c'est d'abord une histoire de réflexes et de cartes mentales.
L'Afrique n'est ni le récipiendaire passif de notre aide au développement, ni le terrain gardé de nos positions acquises. Tenons ici un langage de vérité. Sa croissance nous entraîne. Son dynamisme nous soutient. Sa vitalité nous stimule. L'Afrique a besoin de nous, mais nous avons surtout besoin d'elle. Cela fait longtemps qu'elle participe à la croissance de la France, alors que l'augmentation de nos exportations vers le continent contribue pour près de 0,1 point chaque année à notre économie. Déjà, l'Afrique converge vers les grands émergents. Sa croissance est depuis plus d'une décennie supérieure à 5%, et s'accélèrera l'an prochain. Ses échanges internationaux ont crû de 16% par an en moyenne sur la décennie passée. Elle est le continent qui épargne le plus après l'Asie. Sa démographie est formidablement dynamique, et elle sera en 2050 l'un des plus grands marchés du monde, avec 2 milliards d'habitants. Sa classe moyenne représente déjà un pouvoir d'achat de 200 milliards d'euros. Ses finances se sont largement assainies. Bref, elle est le continent des opportunités d'aujourd'hui et des perspectives de croissance de demain. Avec une conséquence immédiate : l'agenda économique de l'Afrique que les responsables du continent ont défini, c'est aussi le nôtre. La croissance de la France et de l'Afrique sont liées, une partie de notre avenir se joue au-delà de la méditerranée.
Qu'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de faire l'impasse sur les difficultés, réelles, que connaît le continent. Elles existent et elles appellent des réponses novatrices et résolues. Mais il s'agit d'appréhender le sens d'un mouvement de métamorphose globale. On peut regarder les stocks et soupirer ; on peut examiner les dynamiques et construire.
La France, sous la présidence de François Hollande, a fait son choix. Elle sait qu'elle est attendue, mais sans exclusivité. Elle a une relation privilégiée avec le continent, mais à charge pour elle de la renouveler. A elle d'approfondir sa relation sans la banaliser, de tisser des liens avec les nouvelles générations sans constamment regarder en arrière. A elle d'apporter son expérience, comme nation européenne, pour favoriser l'intégration du continent. Je suis confiant. Je suis confiant, car face aux nouveaux amis de l'Afrique, nous avons d'immenses atouts à faire valoir, à commencer par la volonté politique ferme et sincère, affirmée aujourd'hui, de construire un partenariat pour l'avenir, fondé sur un nouveau regard et la promotion d'intérêts réciproques.
Les conclusions du rapport que j'ai confié à cinq personnalités éminentes, dont l'expertise sur l'Afrique est reconnue, et qui seront discutées aujourd'hui, nous permettront de donner un contenu concret à ce partenariat tourné vers l'avenir. Hubert Védrine, Jean-Michel Sévérino, Hakim El Karoui, Tidjane thiam et Lionel Zinsou ont fait un travail remarquable, et je tiens à les en féliciter avec chaleur. Ils définissent plusieurs pistes précises et concrètes pour faire vivre l'acquis de notre relation, mais surtout pour l'approfondir et le renouveler. C'est une opportunité pour nous de définir un agenda économique partagé, en réactivant tous les flux qui font la richesse et la profondeur des relations qui unissent la France et le continent africain : flux économiques et flux d'investissements, mais aussi flux culturels et surtout humains, avec une priorité à la jeunesse, c'est-à-dire à notre devenir. Nous sommes tous rassemblés ici pour réfléchir aux meilleures voies pour activer ses flux et les structurer, dans le respect de nos différences mais aussi de nos intérêts bien compris.
L'une des conclusions de ce rapport, c'est qu'il faut donner au secteur privé toute sa place, lui laisser davantage la parole : c'est le sens de la présence ici de centaines de dirigeants d'entreprises, français et africains. Ils viennent partager leurs réussites, leur expérience dans la création de valeur à deux, avec les spécificités de chacun. Je tenais à les remercier de leur participation, organisée en lien avec le MEDEF International, et à leur dire qu'ils seront au coeur du partenariat pour l'avenir que nous appelons de nos voeux. C'est une volonté partagée au plus haut niveau de l'Etat, et l'adresse du président de la République, François Hollande, en clôture de ses travaux, alors que les présidents ne se déplacent que de manière absolument exceptionnelle dans les ministères, en est un symbole très fort.
Je voudrais conclure en citant le poète tchadien Nocky Djedanoum, dont j'emprunte les mots merveilleux pour résumer l'ambition de cette conférence économique : « Nous sommes ici (…) pour rêver de tourner la face de nos destinées vers le soleil ». Merci.