Interview de Mme Yamina Benguigui, ministre de la francophonie, avec Itélé le 6 décembre 2013, sur Nelson mandela, le racisme et sur l'intervention militaire française en République centrafricaine.

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Média : Itélé

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
Merci d'être notre invitée, ce matin, pour évoquer évidemment MANDELA, que vous avez rencontrée.
YAMINA BENGUIGUI
Oui.
BRUCE TOUSSAINT
1990 ?
YAMINA BENGUIGUI
1990, il sort de prison le 2 février et la Fondation Danièle Mitterrand à laquelle j'appartenais, j'étais cinéaste, mais j'étais engagée dans cette fondation, avait fait un long, long travail sur les accords entre l'ANC… que je filmais, que j'ai filmé pendant des mois. Ensuite j'ai filmé la troupe de l'ANC qui venait porter la parole donc c'était des membres de l'ANC qui racontaient l'histoire de l'ANC. Et arrive la date, Nelson MANDELA, vient à Paris, mais il décide de faire sa première visite non pas à l'Elysée, tout de suite, ce sera à la Fondation Danièle Mitterrand. Donc branle-bas de combat, on fait une petite cellule de crise et Danièle MITTERRAND décide qu'il n'y aura qu'une personne qui filmera Nelson MANDELA, il n'y aura pas de photographe, ce sera un ami photographe et je serais la seule à le filmer. Donc il arrive à la fondation, c'est au Trocadéro, et là, c'était l'après-midi en fin de journée, et ensuite un dîner à la fondation. Et là, je vais arriver, je me mets derrière la caméra avec ma petite équipe et arrive Nelson MANDELA, c'est-à-dire et là, la caméra elle commence à bouger, je ne sais pas ! En plus j'avais une kératite, j'avais mes lunettes, de grosses lunettes, je n'arrivais pas à voir et Nelson MANDELA arrive vers moi, directement, il est avec sa femme Winnie MANDELA et il m'embrasse, et il reste à côté de moi, et à ce moment-là le caméraman déplace la caméra et il va me filmer avec Nelson MANDELA et je lui montre, donc il y avait Barbara qui était venue et on a continué comme ça, on est allé jusqu'au dîner. C'est-à-dire je n'étais plus là, et ce petit film existe et…
BRUCE TOUSSAINT
Il fallait venir avec Yamina BENGUIGUI.
YAMINA BENGUIGUI
J'aurais dû, parce que c'était trop tôt, mais je vous l'enverrais. Et c'est exceptionnel, parce que l'image est bancale mais le moment, on est tous ému, on est tous ému. Moi, quand je l'ai vu, je veux dire que Nelson MANDELA m'attrape par l'épaule, je me dis, il y a quand même quelqu'un qui m'a demandée, si je connaissais, enfin si on était ami. Donc mais il avait un charisme énorme. Ce qui m'avait impressionnée, il sortait de prison, mais il était immense, immense…
BRUCE TOUSSAINT
Il faisait 1,95 mètre.
INTERVENANTE
Voilà, c'est ça que je voulais vous demander. C'est ça, physiquement c'était un…
YAMINA BENGUIGUI
Mais immense, il était très carré, et très chaleureux, ayant un mot comme ça, mais je suis restée au milieu de ça. Et ensuite, je lui aie fait envoyer le sujet sur les accords, voilà !
CHRISTOPHE BARBIER
Vous avez tweeté hier « c'était mon guide. »
YAMINA BENGUIGUI
Oui.
CHRISTOPHE BARBIER
Qu'entendez-vous par-là ?
YAMINA BENGUIGUI
Il y a eu quelques jours, une France que l'on n'aime pas, une France avec comme ça, un racisme pernicieux, très bizarre, une ministre qui se fait insulter sur sa couleur, il faut se remettre dans l'époque des années 80, des années 70-80 on n'est pas très, très loin dans l'inconscient collectif, de la perte des colonies. Alors certes, il n'y a pas d'apartheid en France, mais il y a de la colère, il y a, on n'a pas ramené un million de pied-noir comme ça, il n'y a pas eu de douleur, la France est pleine de douleur. On arrive vers la fin des années 70, c'est la désindustrialisation, on remet le manque de travail sur l'autre. 70 le boum, le choc pétrolier, on décide de ramener toutes les femmes pour bloquer la main d'oeuvre, c'est une époque très, très bizarre où l'autre représente le danger. Nous allons grandir dans cette France où nos parents vivent dans le hors champ de la France. Et on va se raccrocher à Nelson MANDELA. On va se raccrocher à Gandhi, on fera la marche, c'est ça nos héros, notre guide c'est-à-dire pouvoir combattre sans ressentiment, avancer des idées sans colère. C'était ça le pari ! Le pari de MANDELA, c'est d'avoir su face à une souffrance énorme, la pire, l'apartheid, la séparation, la ségrégation raciale et de pouvoir continuer, pardonner, mais ça c'est unique, c'est unique dans le pardon sans être dans la religion.
CHRISTOPHE BARBIER
On a l'impression qu'aujourd'hui, c'est un peu assoupi, c'est un peu endormi, cette conscience-là. Comment faire pour la réveiller ? Pour que MANDELA reprenne une actualité ?
YAMINA BENGUIGUI
Ecoutez, je pense que là, par exemple, ce serait formidable si les écoles pouvaient prendre un peu de temps, que ce soit dans les collèges, dans les lycées, et même dans les petites écoles et d'expliquer qui était MANDELA. Qu'est-ce qu'il a fait, sa lutte et pourquoi et qu'à un moment donné voilà ce que ça veut dire, aujourd'hui, la ségrégation ? Et quand on a ce retour qui pour moi est au-delà du politique, ce n'est pas possible, on ne peut pas revenir à un schéma, le schéma raciste qui est arrivé, il y a une semaine, c'est un schéma qui n'appartient même pas à la France. C'est un schéma qui appartient à l'Amérique sous l'apartheid ou à l'Afrique du Sud, sur ce qui s'est passé avec Catherine TAUBIRA. Donc je pense qu'aujourd'hui…
CHRISTOPHE BARBIER
Christiane TAUBIRA.
YAMINA BENGUIGUI
Au-delà du coeur et au-delà de l'affect, il faut qu'il y ait maintenant une politique, une politique, parce qu'on doit travailler sur ce racisme qui est là !
CHRISTOPHE BARBIER
Pourquoi François HOLLANDE n'a-t-il pas réagi devant une caméra ? Depuis hier on a vu CAMERON, on a vu OBAMA, lui, il a simplement fait un communiqué le président français ?
YAMINA BENGUIGUI
Ça, il faudrait lui poser la question. Je pense que François HOLLANDE fait aussi partie de cette école Nelson MANDELA. François HOLLANDE vous le voyez, on le voit dans sa politique africaine, vous savez moi, je vais, j'ai fait plus de 50 pays cette année, François HOLLANDE quand j'arrive, quel que soit le pays, même anglophone on est dithyrambique sur ce qu'est François HOLLANDE dans son regard à hauteur d'homme, ce côté égalitaire, il est ressenti comme ça. Il a vécu et je pense qu'il a été éduqué, c'est les années 80, il a été éduqué dans toute cette vision de…
CHRISTOPHE BARBIER
Il ouvre le sommet France-Afrique, tout à l'heure…
YAMINA BENGUIGUI
Et il va, je pense que nous allons l'entendre à ce moment-là.
BRUCE TOUSSAINT
Alors on a évoqué avec vous, il y a quelques instants, le rôle des artistes, des cinéastes, des chanteurs, des musiciens Marie.
MARIE COLMANT
Alors si on devait faire la liste de tous les artistes qui se sont engagés contre l'apartheid et pour la libération de MANDELA, on y serait encore demain matin. Très vite ! Il y a juste une prise de conscience au milieu des années 80, c'est-à-dire qu'il y a une ville en dehors de Johannesburg qui s'appelle Sun City, qui est une espèce de Las Vegas sud-africain et il y a un début de polémique parce qu'il y a des artistes comme Bruce SPRINGSTEEN, comme Steven VAN ZANDT, qui commencent à lancer un mouvement en appelant les artistes à ne pas aller se produire à Sun City, à ne pas aller se produire en Afrique du Sud. Alors c'est un premier album, où on retrouve Miles DAVIS, Herbie HANCOCK, Ringo STARR, enfin la mobilisation est absolument inouïe. Et elle va mener fort naturellement à cet album, la prise de conscience, elle est mondiale, elle n'est pas seulement aux Etats-Unis, elle est aussi en Angleterre, avec les SPECIAL qui sont un groupe de ska, le ska c'est l'ancêtre du reggae, et les SPECIAL composent en 1984 cette chanson qui s'appelle « Free, Nelson MANDELA. »
EXTRAIT DE LA CHANSON « FREE, NELSON MANDELA »
(…)
BRUCE TOUSSAINT
Yamina BENGUIGUI, je rappelle que vous êtes ministre déléguée à la Francophonie, l'opération française en République Centrafricaine a démarré. Les premières patrouilles dans Bangui, pourquoi la France devait-elle intervenir en République Centrafricaine ?
YAMINA BENGUIGUI
Ecoutez, il y avait sur ce territoire une perte de contrôle terrible, une situation humanitaire tragique. J'ai reçu au mois de juin, plusieurs groupes de femmes de Centrafrique, qui sont venues témoigner de l'horreur, enfin c'était quand même un conflit sans image des hordes d'hommes qui viennent, qui massacrent des bébés, violent les femmes. En juin, il y avait un début de famine, ensuite nous avons reçu une dizaine d'ONG avec le président HOLLANDE donc on était déjà très, très inquiet. Alors effectivement, il était difficile de se dire, est-ce qu'il faut intervenir en Centrafrique alors qu'on était sur l'opération Serval. Mais ce n'est pas du tout la même opération, là, c'est à la demande…
BRUCE TOUSSAINT
Mais ça fait de la France, le gendarme de l'Afrique ?
YAMINA BENGUIGUI
Ce n'est pas le gendarme, non ! Ca fait de la France, la France est un pays allié des Etats africains. Elle nous le démontre aujourd'hui, avec la présence de plus d'une quarantaine de chefs d'Etat alliés des Etats africains. Dès lors qu'un Etat allié vous demande de l'aide, pour le Mali, c'est une aide militaire. Pour la Centrafrique, c'est de l'humanitaire. Et effectivement, elle n'est pas seule, elle arrive à la demande aussi de l'Union africaine donc…
BRUCE TOUSSAINT
Et avec un mandat de l'ONU !
YAMINA BENGUIGUI
Donc c'est peut-être, on est à un vrai tournant aujourd'hui, de cette relation France et pays alliés.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'on est là-bas en Centrafrique du côté des chrétiens contre les musulmans ? Est-ce que c'est une dimension religieuse qu'on prend à notre compte ?
YAMINA BENGUIGUI
Ecoutez, le conflit devient interreligieux, c'est-à-dire qu'aujourd'hui ce sont des hordes, encore une fois, on a parlé de la Seleka, quand Djotodia est rentré, il est rentré grâce à ses troupes et ses troupes sont devenues des troupes complètement autonomes, en pillant, en violant et ayant aussi un caractère religieux puisqu'il y a eu des pillages d'églises, on a brûlé des églises, mais là, cette nuit, enfin la nuit, dans l'autre sens, on a égorgé 54 musulmans… vous savez le bruit qui court…
CHRISTOPHE BARBIER
Ca ressemble à un guêpier quand même ! On y est pour longtemps ?
YAMINA BENGUIGUI
Alors je ne crois pas. Je vais vous dire, je ne crois pas. Parce que dans, lorsqu'il y a délitement de l'Etat et plus rien de la puissance politique, il y a une perte de contrôle totale du territoire, donc c'est l'abandon total. Mais il n'y a pas un pays qui attaque, je crois qu'il y a une remise d'ordre qui peut aller très vite. Maintenant les dégâts sont là. Maintenant que va nous dire l'avenir ? La Centrafrique, c'est un pays qui a beaucoup de frontières, il y a 47 000 réfugiés en RDC, d'ailleurs la frontière a été coupée cette nuit, il y a 17 000 au Sud Soudan, donc…
BRUCE TOUSSAINT
Et le président de la République a donc décidé d'intervenir au plus vite…
YAMINA BENGUIGUI
Il y a un conflit régional…
BRUCE TOUSSAINT
Il l'a annoncé hier soir, il était 19 heures 15, et dès ce matin, voilà, on a la confirmation et vous nous le confirmez, vous aussi, ce matin, l'opération française en Centrafrique a commencé avec des patrouilles à Bangui.
YAMINA BENGUIGUI
Mais ne pas sous-estimer l'union africaine et la MISCA vraiment !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 décembre 2013