Texte intégral
Q - Bonsoir Laurent Fabius. Vous avez fait le choix de dresser sur la façade du Quai d'Orsay le portrait de l'ancien président africain. Images essentielles qu'on avait tendance à oublier, celle du combat d'un homme, un homme quasiment seul, pas tellement soutenu par la communauté internationale au départ ?
R - Très peu. Plusieurs pays soutenaient en fait l'apartheid pour des raisons économiques. J'ai connu à deux moments de ma vie Nelson Mandela. Tout d'abord quand j'étais Premier ministre aux côtés de François Mitterrand. La France avait pris la tête du combat contre l'apartheid en obtenant un embargo aux Nations unies contre toute une série de livraisons économiques.
Q - Vous iriez jusqu'à dire que c'est le socle de votre combat politique au départ, ce combat-là ?
R - Oui, je suis venu aux idées qui sont les miennes pour les droits de l'Homme, dans la lutte contre l'apartheid. J'ai ensuite connu Nelson Mandela au moment où il est sorti de prison. De manière officielle, nous l'avons reçu à Paris, et je me suis rendu en Afrique du Sud pour le voir.
Q - Le 7 juin 1990, il se rend à Paris et vous le rencontrez. Qu'est-ce que vous ressentez ? Vous étiez à l'époque président de l'Assemblée nationale.
R - Ce qu'il m'a frappé, c'est d'abord sa stature. C'était un homme qui avait à la fois une énorme autorité et beaucoup d'humanité. Il y a peu de personnages dont le visage et la silhouette incarnent à ce point un idéal. C'est le cas pour Gandhi et son message de non-violence, pour le Général De Gaulle et l'indépendance. Nelson Mandela incarne la lutte contre le racisme. Quand je lui disais des choses élogieuses en Afrique du Sud, il rigolait et disait : « non, je ne suis pas du tout comme ça. Dans ma jeunesse, j'étais un dur. »
Q - Il a choisi le pragmatisme, la réconciliation car ce pays aurait pu également exploser.
R - Complètement ! C'est ça qui est extraordinaire dans la vie de Nelson Mandela. Au moment où il triomphe, il ne pense pas la vengeance. Il pense à l'unité. C'est la grande leçon de sa vie : rassembler.
Q - François Mitterrand sera ensuite en 1994 le premier chef d'État qui sera reçu par le nouveau président de la République ?
R - Oui. Il s'était d'ailleurs exprimé devant le Parlement africain. C'était le premier à parler devant cette assemblée. C'était l'un des discours les plus émouvants, m'a-t-il dit, qu'il avait fait de sa vie.
Q - Mme Thatcher et de Ronald Reagan aux États-Unis par rapport à l'apartheid ?
R - Au moment où la France a vraiment développé son combat contre l'apartheid, il y avait des pays tout à fait démocratiques qui étaient plutôt pour l'apartheid, à commencer par la Grande-Bretagne. Je me rappelle en particulier une conversation avec Mme Thatcher qui disait : «l'apartheid évidemment, a des côtés négatifs mais cela empêche les Noirs de se disputer entre eux.» C'était sa thèse !
Q - Merci beaucoup pour votre témoignage, merci Monsieur le Ministre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2013