Texte intégral
Q - Un mois après le début de l'opération Sangaris en Centrafrique, on a l'impression que la France risque déjà l'enlisement...
R - La situation est difficile mais on ne doit certainement pas parler d'enlisement. Que se serait-il passé si nous n'étions pas intervenus ? Probablement dix fois, cinquante fois plus de victimes ! On ne peut pas, quand on s'appelle la France et qu'on est sollicité par les Africains et par l'ONU, passer à côté et fermer les yeux. Des problèmes existent, la situation politique n'est pas stabilisée, mais l'objectif doit être maintenu : désarmer impartialement, rétablir la sécurité, faciliter l'aide humanitaire, préparer la transition politique. Personne ne pouvait penser qu'en un mois tout serait réglé.
Q - La France doit-elle envoyer des renforts militaires sur place ?
R - Nous n'avons pas vocation à nous substituer aux Africains. La Misca (force d'interposition africaine) monte en régime et passera bientôt à 6.000 hommes. Elle joue déjà son rôle sur le terrain. Nous maintiendrons notre contingent de 1.600 hommes. Une stabilisation politique de la situation sera capitale.
Q - Les sondages montrent que cette intervention n'est pas très populaire...
R - C'est compréhensible. Beaucoup estiment que la Centrafrique est loin, que les problèmes sont complexes, que cela a un coût, ce qui est exact ; mais d'un autre côté, ils admettent tout à fait qu'on doive venir en aide à des amis qui sont en train de se noyer et assumer nos responsabilités internationales. En RCA, nous tiendrons nos engagements comme nous l'avons fait au Mali. Il n'y aura pas d'engrenage.
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Q - Deux ans et demi après le début de la guerre en Syrie, l'opposition modérée semble laminée. Que faire ?
R - En Syrie, la France a pris une position juste : Bachar Al-Assad ne peut pas conduire l'avenir de son pays après y avoir commis des crimes contre l'humanité. On peut regretter que nous n'ayons pas été davantage suivis dès le début, à une époque où la situation était un peu moins tragique. Dimanche, je présiderai à Paris la réunion des onze pays qui forment le coeur du soutien à l'opposition modérée. Si nous voulons éviter Assad d'un côté, Al-Qaïda et les groupes terroristes de l'autre, donc l'affrontement des extrémistes avec ses conséquences terribles pour la région, il faut soutenir l'opposition modérée. L'objet de la conférence de Genève II, c'est précisément de chercher à construire un gouvernement de transition grâce à un accord entre certains éléments du régime et cette opposition modérée. Ce ne sera pas facile, évidemment.
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Q - L'accord de décembre par lequel l'Iran accepte de geler le développement de ses activités nucléaires sensibles est-il suffisant ?
R - C'est positif et son application devrait démarrer en janvier. Restera à conclure un accord permanent où l'Iran accepte de renoncer définitivement à l'arme nucléaire. La France jouera là encore son rôle pour la sécurité et la paix.
Q - Faites-vous confiance au nouveau président, Hassan Rohani ?
R - Les discours sont nouveaux et positifs, mais nous devrons juger aussi et surtout les actes.
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Q - Dans ses voeux du 31 décembre, le président évoquait des initiatives à venir avec Angela Merkel. 2014 peut-elle être une année de renouveau ?
R - Je l'espère, une année de relance franco-allemande et européenne. Par exemple, il faut compléter l'union bancaire : cela peut paraître abstrait, mais il s'agit en réalité de garantir l'argent des déposants et la solidité du système bancaire ! Pour l'énergie, nous pouvons mettre en commun nos techniques afin de consommer moins, nos actions indispensables contre le dérèglement climatique. En matière de défense, fabriquer un drone ensemble, lutter contre le terrorisme...
Q - Rapprocher les systèmes fiscaux, est-ce envisageable ?
R - Oui. Par exemple, l'Allemagne a un taux d'impôt sur les sociétés plus bas que nous, mais moins d'exemptions. Nous, c'est le contraire. Pourquoi pas une sorte de «serpent fiscal» commun avec un taux maximal et minimal d'impôt sur les sociétés ?
Q - Cette relance, c'est important en vue des élections européennes de mai ? L'Europe n'a pas bonne presse...
R - Nous devons redonner aux citoyens le goût de l'Europe. C'est compliqué, car on a tendance à confondre la gestion européenne, critiquée, et l'idée européenne elle-même, qui se trouve ainsi remise en cause. Plutôt que des révisions institutionnelles, les gens veulent du concret. Regardez ce que nous avons obtenu pour la directive sur les travailleurs détachés : les Français ont compris que nous avions réussi concrètement à améliorer un dispositif socialement dangereux
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2014