Texte intégral
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'abord de vous présenter tous mes vux de bonne année 2014 pour vous-mêmes et tous ceux que vous aimez. Je présente également mes vux à l'institution sénatoriale.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. C'est toujours avec un grand plaisir que je me retrouve devant vous. Pour répondre au souhait du président Carrère, je viendrai au Sénat chaque fois que vous le souhaiterez, soit en commission, soit dans l'hémicycle. Je prendrai toutefois le soin de ne pas vous mobiliser chaque semaine au point d'empêcher du même coup mes autres collègues d'avoir le plaisir de discuter avec vous. (Sourires.) Je suis d'autant plus à votre disposition que j'apprécie l'atmosphère qui règne à la Haute Assemblée. Elle permet de se dire des choses sans nécessairement s'apostropher comme les héros d'Homère, dont on sait, d'ailleurs, que, avant le combat, ils se défiaient avec des termes très durs mais qu'ils ne se combattaient jamais ! (Nouveaux sourires.)
Je vais passer en revue les principaux thèmes que vous avez abordés et qui se recoupent c'est très compréhensible. J'espère que l'on m'excusera si mes réponses ne comportent pas toutes les précisions que vous m'avez demandées mais nous aurons l'occasion, j'en suis certain, de satisfaire votre curiosité légitime lors d'autres débats, en séance publique ou en commission.
Je commencerai par faire écho aux propos tenus notamment par le président Carrère et Jean-Pierre Chevènement pour situer la perspective. J'ai eu l'occasion et je vois avec plaisir que cette analyse chemine dans les esprits des uns et des autres de définir à plusieurs reprises ce que je pensais être la conjoncture internationale particulière dans laquelle nous nous trouvons.
De très grands mouvements se font à travers la planète. M. Besson vient de nous parler de la Chine. D'autres ont abordé, avec raison, la question générale des pays émergents. Il y a la position tout à fait nouvelle prise par les États-Unis d'Amérique, qui hésitent entre présence et retrait. Il y a l'attitude de la Russie. Et, au-delà de ces positions diverses et toujours très importantes, il y a toute une série de mutations technologiques et le renversement d'un certain nombre de termes de l'échange entre le Nord et le Sud.
Pour résumer les choses, M. Jean-Pierre Chevènement a repris une expression que j'avais utilisée, je préfère qu'il me cite plutôt que je me cite moi-même car lorsque l'on se cite soi-même, il faut se méfier, c'est l'âge qui vient ! (Sourires.) Le monde vit un grand chambardement.
Ce chambardement, comment se traduit-il ? J'ai dit à plusieurs reprises tiens, je me contredis moi-même ! que pendant très longtemps le monde a été dans une situation bipolaire. Qu'on le déplore ou qu'on s'en félicite, c'étaient l'URSS et les États-Unis qui, par leur opposition ou leur complicité, subjective ou objective, dictaient, finalement, le cheminement du monde. La France avait cela variait selon les époques une position forte, indépendante, et elle avait bien raison de l'avoir. Il n'en demeurait pas moins que les deux régimes en question donnaient le la.
Ensuite, avec la chute du mur de Berlin et avec l'effondrement de l'Union soviétique, s'est ouverte une période où le monde était plutôt unipolaire. Les États-Unis possédaient, en effet, les éléments de la puissance, qu'elle soit économique, technologique, militaire ou puissance culturelle ; cette dernière n'est, d'ailleurs, pas la moins importante.
On dit parfois, c'est une facilité de langage, que nous sommes nombreux à utiliser, à mon sens à tort, que nous sommes entrés dans un monde multipolaire. Je pense que ce n'est pas tout à fait exact. Je considère que nous devons aller vers un monde multipolaire, organisé.
Et nous voyons bien quelle organisation pourrait porter cette nouvelle vision du monde, l'Organisation des Nations unies, avec un Conseil de sécurité qui fonctionnerait davantage, qui serait plus représentatif, avec des organisations régionales, l'Europe, l'Afrique, l'Asie ou les Asies Et nous souhaitons travailler, c'est, en tout cas, la position constante de la France, qui ne me paraît pas contestée ici, pour ce monde multipolaire organisé.
Pour le moment, nous sommes dans un monde que je qualifierai plutôt de « zéro polaire », non pas qu'il n'y ait pas des puissances qui l'emportent sur d'autres par leur rayonnement, mais il n'y a pas une seule puissance ou un groupe de puissances qui puisse trancher en dernière instance.
Et c'est ce qui explique deux phénomènes. D'une part l'absence regrettable de solution à beaucoup de crises, la paralysie du Conseil de sécurité ; il l'est avec l'affaire dramatique de la Syrie, et il l'a été dans d'autres circonstances. Donc, il n'y a pas des solutions faciles aux crises par le jeu des puissances ou de leurs alliances. D'autre part, en même temps, cela donne à la France, puissance globale, qui a toute la palette des instruments, même si elle ne compte que 65 millions d'habitants, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies merci au général de Gaulle ! , une force nucléaire et des capacités de projection, une langue, un rayonnement économique, un appareil diplomatique qui reste, par son extension, le troisième du monde, alors que l'appareil culturel, lui, est le premier, des principes, une voix. Dès lors, dans le tableau des puissances globales et là, je passe de l'abstrait au concret , quand je représente la France dans une réunion internationale, qui peut parler, engager son pays, prendre des décisions concrètes et, le cas échéant, risquer des hommes ?
Les États-Unis d'Amérique peuvent le faire mais ils ne veulent plus engager leurs troupes au sol. Ils sont intéressés par l'Asie, par le problème israélo-palestinien, mais il leur est difficile d'aller au-delà. Ils ont subi, c'est vrai, des revers terribles en Irak, des pertes considérables en Afghanistan.
La Grande-Bretagne, qui est un grand pays. Mais lorsque son gouvernement a soumis sa position vis-à-vis de la Syrie à la Chambre des Communes, celle-ci lui a demandé de reprendre sa copie.
Et il y a la France, puissance globale. Quand le Président de la République engage le pays en matière internationale, en matière de défense, eh bien, il engage vraiment le pays, quelles que soient nos contraintes et insuffisances. Vous avez mené sur le budget de la défense un combat très important et positif.
Monsieur Cambon, cher ami, je vous ai connu sous un meilleur jour. Vous avez, certes, rendu hommage à nos soldats et vous avez tout à fait raison. Toutefois, vous avez employé, à propos de nos armées et du budget, un terme tellement excessif que je me suis demandé dans quel état pourraient être les autres armées en Europe si vous aviez raison sur la nôtre, qui est la première ! Oui, bien sûr, vous connaissez la formule : quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console
En tout cas, avec toutes les imperfections qui sont les nôtres, nous sommes capables de faire ce que les autres ne peuvent pas faire !
Dans la description de la situation actuelle que j'ai entendue, une chose est revenue d'une façon parfois critique. Sans l'avoir prise pour moi, je la trouve assez injuste. Plusieurs d'entre vous ont souhaité connaître nos orientations générales. Je vais vous répondre pour que vous gardiez très précisément cela en tête.
Le Président de la République, qui définit les grands termes de notre diplomatie, et moi, qui dirige le Quai d'Orsay, nous voulons faire quatre choses, quatre pas huit !
Premièrement, la paix et la sécurité. Voilà l'objectif que nous poursuivons, y compris, cela ne peut paraître paradoxal qu'à des esprits superficiels, en intervenant.
Deuxièmement, la planète. Cela veut dire au moins deux séries de choses : d'une part, l'organisation générale de la planète ; d'autre part, j'ai d'ailleurs été étonné qu'on n'en parle pas les enjeux écologiques et environnementaux.
Au cours des deux années à venir, d'ici à décembre 2015, nous allons non seulement parler mais agir très concrètement, nous, la France, en particulier. En effet, la question du dérèglement climatique est absolument fondamentale, existentielle au sens étymologique de ce terme. Nous avons l'honneur de présider la Conférence de Paris « Climat 2015 », qui va décider, je l'espère, des mesures à prendre pour, sans exagérer, sauver la planète.
Troisièmement, l'Europe. Je vais en parler.
Quatrièmement, ce que j'appellerai d'un mot plus général, le redressement, le rayonnement. Vous avez, les uns et les autres, et je vous en remercie souligné cette évidence qu'est la diplomatie économique. Évidemment, elle est liée à la politique générale.
Tels sont les quatre objectifs.
Toute notre action doit être rapportée à ces quatre objectifs, l'organisation et l'administration du ministère étant elles-mêmes subordonnées à ces objectifs.
Si notre débat permet en particulier d'éclairer sur ces objectifs, tant mieux, car ils constituent le but que nous essayons d'atteindre, souvent avec succès, mais parfois avec des difficultés. En vous entendant les uns et les autres c'est le jeu normal du débat parlementaire , je me disais : quel dommage que la France ne soit pas le seul pays en Europe ! Mais nous sommes 28 États membres, que nous devons tout de même convaincre. Je pense en particulier à la défense européenne.
Ou bien on est contre une défense européenne, et les choses sont simples. Mme Demessine, qui a malheureusement dû partir avant la fin de notre débat, appartient à un parti dont il ne me semble pas qu'il soit un immense défenseur de la défense européenne. Sa position est cohérente. Mais il ne faut alors pas regretter que les Européens ne nous accompagnent pas !
Ou bien on est pour la défense européenne. J'ai entendu M. Cambon je ne vais pas m'en prendre à lui, d'autant que je l'estime beaucoup ! regretter, comme moi, que nos partenaires ne nous aident pas davantage. Mon cher ami, je vous ferai remarquer que votre parti appartient au PPE. Quand j'essaie de convaincre mes amis et collègues ministres des affaires étrangères de l'ensemble des pays européens, je me retrouve confronté à une immense majorité qui appartient à cette très estimable formation. Je vous demande d'utiliser votre talent il est grand ! et votre énergie elle est puissante ! pour les convaincre de venir aider nos soldats.
M. Christian Cambon. Vous avez raison !
M. Laurent Fabius, ministre. Si nous nous y mettons tous les deux, nous y arriverons peut-être. (M. Jean Besson applaudit.) Il ne faut pas qu'il y ait de confusion entre nous.
Après avoir mentionné les quatre objectifs que nous visons, j'aborderai une série de sujets que vous avez, les uns et les autres, évoqués.
S'agissant de l'Afrique, vous avez essentiellement évoqué deux pays : la République centrafricaine et, de façon quelque peu rétrospective, le Mali.
Concernant le Mali, soyons clairs et carrés ! Il y a suffisamment de sujets sur lesquels nous pouvons avoir des divergences pour ne pas en créer d'artificiels. Vous avez soutenu l'intervention au Mali, et vous avez eu raison. L'intervention a été exceptionnelle sur tous les plans, notamment militaire nos militaires ont été remarquables. Je reviendrai sur ce point dans ma conclusion, mais je ne voudrais pas que l'on se retrouve face à une situation paradoxale, avec, d'un côté, le monde entier qui félicite la France et, de l'autre, des voix qui s'élèvent dans les assemblées de la République française pour faire remarquer que tel ou tel point n'est pas tout à fait satisfaisant.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Cela relève de la psychanalyse !
M. Laurent Fabius, ministre. Le 11 janvier 2013, j'étais avec le Président de la République lorsqu'il a été appelé par M. Traoré, alors président de transition du Mali. La conversation a été simple et sans fioritures : « Monsieur le président de la République française, je vous demande d'intervenir car vous êtes les seuls à pouvoir le faire, sinon demain je serai probablement mort ». Une telle demande était formulée non pas pour M. Traoré lui-même, qui est un homme remarquable, mais parce que les terroristes étaient vous vous en souvenez certainement à 200 kilomètres de Bamako et que les jeeps étaient en marche. Seule la France pouvait intervenir. Le Président de la République a pris la bonne décision, et vous l'avez applaudi, tout comme moi. Aujourd'hui, une année plus tard, non seulement le terrorisme a été très largement éradiqué au Mali, mais une élection présidentielle a eu lieu, beaucoup plus régulière que toutes les élections qui avaient été précédemment organisées dans ce beau pays. (M. Jeanny Lorgeoux opine.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Avec une formidable participation !
M. Laurent Fabius, ministre. Effectivement ! Il en a été de même de la participation aux élections législatives. Les choses sont en marche.
Je rappelle que 3,5 milliards d'euros ont été promis pour le développement, dont 800 millions ont déjà été engagés. Cher ami Peyronnet, la différence est que, aujourd'hui, l'utilisation de ces sommes est transparente. (M. Jean-Claude Peyronnet opine.) Ce n'est pas une mince différence, surtout si l'on songe à la Françafrique, évoquée par l'un des orateurs. Il ne faut pas faire de confusion : le partenariat avec l'Afrique ne signifie pas la reconduction de la Françafrique.
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Ce sont des choses tout à fait différentes ! Nous sommes et nous voulons être les partenaires des Africains. Un intervenant s'interrogeait sur la différence avec nos prédécesseurs. Certes, il ne faut pas chercher à se distinguer de ses prédécesseurs par principe ? Cependant, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à comparer les deux discours de Dakar. Si on les propose un jour comme sujet au baccalauréat ou à l'agrégation d'histoire, je suis sûr que l'on aura des copies intéressantes (M. Jean Besson sourit.)
Voilà où nous en sommes. Il reste bien sûr toute une série de choses à faire, notamment à développer le dialogue avec le Nord. Mais le Mali a dorénavant des autorités élues.
S'agissant de nos troupes, je vous confirme ce qu'a dit cet après-midi le Président de la République : le nombre de nos soldats sera de 1 600 au mois de février, pour revenir ensuite à un millier. Les engagements sont donc tenus. Il n'y a pas d'engrenage au Mali, pas plus qu'il n'y en aura en RCA.
Il arrive qu'il y ait des situations d'échec. Mais lorsque le résultat est positif, au-delà même de ce que nous pouvions espérer compte tenu de la difficulté de la tâche, il ne faut pas bouder ce résultat ! Certes, tout n'est pas terminé. C'est maintenant aux Maliens de prendre leurs affaires en mains, avec notre soutien, mais le résultat est tout de même exceptionnel.
En Centrafrique, c'est une autre affaire. Il ne s'agit pas de lutter contre le terrorisme. Là aussi, le problème est simple. Je comprends les exigences du débat parlementaire, mais il faut se mettre à la place de ceux qui gouvernent. Si un jour, par extraordinaire, je reviens dans l'opposition, comme je l'ai souvent, ou plutôt longtemps, été, je garderai cette idée en tête. Bien sûr, il y a les exigences de la contestation, mais vous imaginez bien que le Président de la République n'arrive pas le matin à son bureau en se demandant ce qu'il va bien pouvoir inventer en RCA pour engager à tort les troupes françaises, faire échouer la transition démocratique et s'exposer aux critiques des sénateurs ! Les choses ne se passent pas ainsi. Nous sommes des gens de bonne volonté, comme chacune et chacun d'entre vous.
En RCA, quel était le problème ? Nous étions face à un pays qui se noie, qui disparaît, qui implose. Quand on nous dit que nous ne sommes pas intervenus assez vite, il faut choisir ses arguments ! Si nous avions agi plus rapidement, cela aurait été fait sans le mandat de l'ONU, et nous aurions été alors critiqués !
C'est le Président de la République française qui, en septembre dernier, dans son discours devant l'assemblée générale des Nations unies a, le premier à ce niveau, sonné l'alarme. Il a alors déclaré : Attention, je vous avais mis en garde l'année dernière au sujet du Mali et, au mois de janvier, ça s'est réalisé. Eh bien, je vous dis cette année, en septembre, attention, la République Centrafricaine. Nous avons commencé d'être écoutés, au point que nous avons pu obtenir cela n'était pas du tout acquis au départ le vote à l'unanimité, y compris par les Africains, d'une résolution le 5 décembre dernier, résolution qui permet à la fois aux Africains et à la France d'intervenir.
Et nous sommes intervenus dans les vingt-quatre heures ! Si nous ne l'avions pas fait, alors qu'il y avait eu presque un millier de morts la veille, je puis vous assurer qu'il y aurait eu il suffit de se remémorer certaines situations similaires 50 000 ou 100 000 morts.
Bien sûr, il est légitime de contester ; c'est le propre d'une démocratie : toutes les opinions doivent être confrontées. Mais la question n'était pas théorique. Lorsqu'on est sollicité par les Nations unies, notamment par les Africains, lorsqu'on est ami d'un pays africain, que l'on connaît sa situation et qu'il vous demande d'intervenir, passez-vous votre chemin en sifflotant ? Eh bien, non lorsqu'on s'appelle la France !
Voilà la décision que nous avons prise. Cette décision est difficile parce qu'il s'agit d'envoyer des jeunes gens avec les risques que comporte une telle opération deux d'entre eux, comme vous le savez, y ont perdu la vie. Encore faut-il que cette décision intervienne dans les meilleures conditions, sans se substituer aux Africains. Là est la délicatesse. Il est fini le temps où l'on décidait à Paris, dans un bureau, que ce serait M. X ou Mme Y.
Nous apportons notre soutien, dans plusieurs domaines.
D'abord, un soutien sécuritaire, car, sans sécurité, rien n'est possible. C'est très difficile parce qu'il s'agit de désarmer, et de le faire de manière impartiale. Alors que ce n'était pas le cas par le passé, le conflit est devenu confessionnel et la situation est donc très compliquée. Nous avons procédé à ce désarmement, avec des succès divers, et nous devons continuer à le faire. L'aspect sécuritaire est indispensable. Nous tenons l'aéroport, nous faisons ce qu'il faut pour désarmer et nous protégeons un certain nombre de nos compatriotes et d'autres. Nos hommes sont au nombre de 1 600 ; les Africains, quant à eux, sont aujourd'hui 4 400 et devraient bientôt être 6 000.
Ensuite, il y a l'aspect humanitaire. La situation humanitaire est épouvantable. Cette question relève de l'ONU, mais nous apportons notre aide.
Enfin, il y a la transition démocratique, en deux étapes. D'abord, il faut que, aujourd'hui, l'État recommence à fonctionner. Certes, ce n'est pas nous qui allons lever ou baisser le pouce. Mais, nous le savons, il y a des difficultés avec l'équipe actuelle. Demain, aura lieu à N'Djamena une réunion, qui sera suivie par d'autres. Encore une fois, ce n'est pas nous qui allons décider de ce qui doit être fait, mais nous comprenons bien qu'il y a une difficulté politique. Ceux qui sont en place ou qui seront en place doivent préparer une élection. Cette dernière ne suffira pas à régler les problèmes, mais, dans une démocratie, aucun problème ne peut être durablement réglé sans élection.
Certains d'entre vous se sont interrogés sur le lien entre notre intervention et l'action de l'ONU, sur le fait que nous souhaitions une intervention des Nations unies, alors que, dans le même temps, le Tchad s'y opposait. Je veux être clair : il n'y a absolument aucune contradiction entre la présence des forces africaines, la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, les forces françaises qui les appuient, et la perspective de ce qu'on appelle une opération de maintien de la paix.
Le calendrier n'est pas le même. Si l'on décide une opération de maintien de la paix, elle interviendra dans six mois, car cela prend du temps. Par ailleurs, l'ONU, donc une opération Casques bleus, qui comprendra essentiellement des forces africaines, par conséquent les forces de la MISCA c'est non pas une contradiction, mais une complémentarité , pourra faire des choses que ne peut pas faire la MISCA.
Qui va préparer les élections ? Ce n'est pas la MISCA. Qui va s'occuper de l'humanitaire ? Ce n'est pas davantage la MISCA. Je m'en suis expliqué avec le président du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine et avec le président Déby. Nos amis africains en tout cas, certains d'entre eux se demandaient si cela n'apparaît comme un désaveu de la MISCA. Ce n'est pas du tout le cas ! La MISCA fait son travail. Certes, il faut encore qu'elle monte en régime, qu'elle s'aguerrisse, mais elle fait preuve d'un grand courage. Des améliorations doivent encore être apportées dans les relations avec les commandements des divers contingents. Mais nous tenons absolument à ce qu'elle joue son rôle et que, le moment venu, les Casques bleus, qui seront pour l'essentiel des Africains, prennent le relais.
Voilà où nous en sommes en Centrafrique. Nous ne pouvions pas ne pas intervenir. Je ne vais pas le cacher, nous devons être vigilants. Nous n'avons pas du tout l'intention de nous substituer aux Africains.
Nos actions au Mali puis en RCA ont soulevé beaucoup de problèmes, et notamment deux d'entre eux : quid de l'Europe ? Pourquoi est-ce nous qui sommes intervenus ?
Les crises existent et les pays africains, pour la plupart d'entre eux, n'ont pas les moyens militaires de les régler.
Pourquoi ? Nous en avons discuté lors du sommet de l'Élysée, qui était extrêmement intéressant ; c'était une discussion entre amis, dans une atmosphère vraiment très positive. Nos amis africains nous ont dit qu'il y avait deux grandes raisons, l'une plus facile à dire que l'autre.
La première est que cela coûte beaucoup d'argent et que nombre de ces pays n'ont pas les moyens matériels d'avoir une armée équipée. Ils peuvent avoir les forces, en théorie, mais il faut avoir des chaussures, des équipements, etc.
La seconde raison, qui a été moins citée mais qui peut nous venir à l'esprit, c'est qu'évidemment, qui dit armée dit état-major, qui dit état-major dit chef d'état-major et dans ces pays où la démocratie n'est pas d'une stabilité absolue, cela pose problème. C'est une solution, mais en même temps un problème.
Si l'on veut éviter que, quand il y a une difficulté, on appelle la France parce que la France est efficace et qu'on l'aime ! , il faut créer une force interafricaine pour répondre aux crises. C'est la proposition qui a été faite par l'Union africaine, proposition que nous soutenons, que nous aiderons, que les Européens aideront, et d'autres peut-être aussi : le Japon, les pays arabes, l'ONU. C'est cela qu'il faut faire. Ils nous ont parlé de 2015. Nous allons essayer de le faire, parce que c'est la seule manière de sortir de la contradiction. Mais aujourd'hui nous ne pouvions pas ne pas intervenir.
L'Europe ! On me dit que nous sommes seuls.
Je répondrai tout d'abord que nous avons abordé très souvent avec mes collègues européens la question du Mali et celle de la République centrafricaine, avant l'intervention. Ne croyez pas que, lorsque le Président de la République a dit qu'il souhaiterait qu'il y ait un peu plus d'Europe, c'était la première fois que nous parlions de cela.
Il n'existe pas de défense européenne. Nous le regrettons, mais c'est un fait.
Je prends un exemple : il existe des unités qui, sur le papier, peuvent réunir 1 500 hommes.
M. Jean-Louis Carrère. Les battlegroup.
M. Laurent Fabius, ministre. Ce concept, bâti il y a déjà quelque temps, existe bien sur le papier et, pour le semestre actuel, ce sont les Britanniques qui ont le leadership de cette unité. Cela a deux conséquences : d'une part, celui qui a le leadership assure les dépenses et, d'autre part, c'est une mécanique extrêmement européenne.
Nous avons donc demandé aux Britanniques, puisqu'ils avaient donc le leadership de ces groupes de 1 500 hommes. Sans grande surprise et très courtoisement, ils nous ont répondu que, premièrement, cela coûtait beaucoup d'argent et, deuxièmement, cela était trop européen.
Malgré tout le talent de nos diplomates auxquels vous avez rendu hommage, et je vous en remercie en leur nom , même si un élément existe, si celui qui le pilote refuse de l'engager, vous avez beau avoir beaucoup de talent et de conviction, c'est le principe un homme, une voix qui s'applique.
Les autres, tout d'abord ne soyons pas injustes ont, pour certains, apporté des moyens logistiques ou des financements, et c'est très bien. Ensuite, pour ce qui est des hommes, beaucoup n'en ont pas qui soient suffisamment équipés, d'autres ont des difficultés avec leur parlement, d'autres encore ne veulent tout simplement pas. On peut le regretter, mais c'est ainsi.
Le Président de la République et moi-même n'avons pas désarmé, si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots. Une réunion spéciale des ministres des affaires étrangères se tiendra donc le 20 janvier, avec un rapport introductif de Mme Ashton qui proposera des pistes, à court et moyen termes, pour tout de même apporter un soutien face aux besoins en République centrafricaine. J'espère que cela fonctionnera. Mais, je vous fais cet aveu, je ne peux pas à moi seul arriver à convaincre nos partenaires de la nécessité d'une défense européenne et d'une action européenne. Ce n'est pas faute de leur en avoir parlé. L'un d'entre nous a cité tel diplomate ou tel ministre qui disait qu'il ne faudrait pas après présenter l'addition. Bien évidemment, nous en avons parlé. N'ayons donc pas recours à des arguments qui ne sont pas réels.
Venons-en à la Syrie.
Je vous ai apporté, et je pense que cela vous intéressera, la lettre que je viens de recevoir de M. Ban Ki-moon qui invite la France en l'occurrence, son ministre des affaires étrangères à participer à la réunion de Genève. C'est le premier acte concret qui matérialise le souhait que ce que l'on appelle « Genève 2 » ait lieu.
De cette lettre, qui est très bien rédigée, je souhaiterais vous lire deux passages, parce qu'ils situent bien le débat.
M. Ban Ki-moon écrit : « La conférence a pour but d'aider les parties syriennes à mettre fin aux violences [ ] et à mettre intégralement en uvre le communiqué de Genève donc, Genève I en préservant la souveraineté, l'indépendance, l'unité et l'intégrité territoriale de la Syrie. »
Il ajoute : « Le communiqué de Genève 1 qui sert de base à Genève 2 comprend des lignes directrices et principes convenus pour une transition conduite par les Syriens. Il énonce un certain nombre d'étapes essentielles, à commencer par un accord sur une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs, formée sur la base du consentement mutuel ».
Il poursuit : « Comme le dit le communiqué de Genève, les services publics doivent être préservés ou rétablis, y compris les forces armées et les services de sécurité. Toutes les institutions de l'État et tous les services doivent respecter les droits de l'homme et les normes déontologiques et être placés sous une direction qui inspire confiance à la population, ainsi que sous le contrôle de l'autorité transitoire. »
C'est clair et net. L'objet de cette conférence à Genève n'est pas d'avoir une discussion générale sur la Syrie ; c'est, selon les termes du communiqué de Genève 1, repris dans la lettre d'invitation de Genève 2, de former une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs.
À la fin de la lettre, M. Ban Ki-moon conclut, en s'adressant à ceux auxquels il a fait parvenir cette lettre : « La confirmation de la participation sera considérée comme une adhésion aux objectifs de la conférence tels qu'ils sont énoncés ci-dessus. »
Il a tout à fait raison de le formuler ainsi, car cela signifie que Genève 2 qui, je l'espère sans en être sûr, aura lieu, et qui, je l'espère également et j'en suis encore moins sûr, parviendra à des résultats a un objectif précis, qui est d'arrêter les massacres, et de faire en sorte qu'un gouvernement soit formé c'est notre idée, l'idée de la France par, à la fois, des éléments du régime et l'opposition modérée..
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Laurent Fabius, ministre. Et c'est cela la réponse à toute une série de questions comme : qu'allons-nous faire en Genève ? Est-ce possible ? Quid de l'Iran ?
Pour ce qui est de l'Iran, nous avons dit à nos amis iraniens qu'ils pouvaient venir à Genève, à condition d'accepter les principes de Genève. Si on vient pour Genève, on ne va pas discuter d'autre chose. Les Iraniens ont répondu, usant de formules ambiguës pour le moment. Mais peut-être vont-ils changer de position ; il reste encore quelques jours. Si leur réponse peut être différente, peut-être la proposition aura-t-elle lieu. Pour le moment, ils disent qu'ils ne veulent pas de « conditions ».
Mais ce qu'ils appellent des conditions n'en sont pas : fixer l'objectif d'une rencontre, ce n'est pas en fixer les conditions. Ils ont dit qu'ils allaient aider. J'espère qu'ils le feront, puisqu'ils sont partie prenante, ne serait-ce que parce qu'ils ont beaucoup de personnes sur le terrain, soit directement, soit par l'intermédiaire du Hezbollah.
Voilà donc quelle est la réponse à l'Iran, puisque Mme Durrieu m'interrogeait sur la position de la France : nous souhaitons que l'Iran soit utile mais, pour être utile, encore faut-il que les Iraniens acceptent l'objectif de la conférence.
Pour ce qui est de la Syrie, la Syrie de M. Bachar El-Assad va se trouver dans une situation paradoxale. Nous verrons bien ce qu'il dit. Mais s'il envoie ce serait souhaitable des représentants, l'acceptation de l'invitation, c'est l'acceptation du mandat. Or le mandat précise « gouvernement transitoire doté de tous les pouvoirs exécutifs », c'est-à-dire des pouvoirs de M. Bachar El-Assad.
Quant à l'opposition modérée, celle que nous soutenons, pourquoi la soutenons-nous ? Nous n'allons pas soutenir M. Bachar El-Assad, criminel contre l'humanité. Il ne va pas être l'avenir de son peuple. Nous n'allons pas non plus soutenir les terroristes de Al-Nosra. Nous soutenons donc l'opposition modérée, qui rencontre de grandes difficultés parce qu'elle est attaquée des deux côtés, elle est divisée, mais qui acceptera peut-être de venir si le mandat est celui-là. Mais si on lui demande de venir pour discuter du sexe des anges, elle ne viendra pas.
La situation en Syrie est difficile. La position de la France, je la rappelle, car j'entends dire que nous n'avons pas de position. C'est la position que nous avons prise depuis le début, et qui est juste. On peut simplement regretter qu'elle n'ait pas été suivie par d'autres dès le début. Mais de même que j'ai dit que la France n'était pas l'Europe à elle toute seule, pour le regretter, de même, la France n'est pas le Conseil de sécurité des Nations unies à elle seule.
Nous l'avons dit dès le début. C'était, je crois, l'un de mes premiers actes en tant que ministre des affaires étrangères, en juin ou début juillet de l'année précédente. J'avais alors réuni au Quai d'Orsay l'ensemble de ceux que l'on appelle les « amis de la Syrie », une centaine de ministres des affaires étrangères, et nous avons dit que nous soutenions l'opposition modérée et que nous voulions Genève dans ces conditions. Nous avons même reconnu la coalition.
Que s'est-il passé ensuite ?
C'était une époque où il n'y avait pas de groupes terroristes en Syrie, pas d'Iraniens en Syrie, pas de Hezbollah en Syrie. On dit que nous avons fait une erreur d'analyse. Pas du tout ! C'était une époque où M. Bachar El-Assad était sur le fil. Seulement, il aurait fallu pousser un peu
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Eh oui ! Nous lui avons au contraire redonné une légitimité.
M. Laurent Fabius, ministre. C'était le début des élections américaines, les divisions que l'on connaît régnaient entre des pays arabes. Moyennant quoi l'affaire a été « gelée », si l'on peut dire, jusqu'au mois de février. Seulement en février, il y avait les Russes, les Iraniens, le Hezbollah, les terroristes, et la situation était tout autre !
Ce n'est pas pour autant qu'il faut changer de position ; la position est juste. Nous n'allons pas nous mettre à dire, comme on dit pour d'autres, que M. Bachar El-Assad, finalement, n'est certes pas un démocrate, mais qu'il est peut-être rempart Un rempart contre quoi ? Il existe une alliance objective, tout le monde le voit, entre, d'un côté, l'extrémisme que représente Bachar El-Assad et de l'autre, l'extrémisme terroriste.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. C'est sûr.
M. Laurent Fabius, ministre. L'argument de M. Bachar El-Assad est de dire aux chrétiens et aux autres : « Évidemment, je suis un dictateur, mais soutenez-moi, parce que, sinon, vous aurez les terroristes. » Et les terroristes disent : « Vous n'aimez pas Bachar El-Assad, n'allez pas au secours de l'opposition modérée, c'est une opposition en peau de lapin. Vous n'êtes pas terroristes, mais soutenez-nous quand même, sinon, vous aurez Bachar. »
Un groupe terroriste a pris le contrôle de puits de pétrole en Syrie. À qui croyez-vous que le pétrole est vendu ? Au régime syrien. Alors, il ne faut pas être aveugle !
Mais évidemment, maintenant, la Syrie est devenue une sorte de kyste qui s'étend, avec les linéaments en Jordanie, au Liban, en Irak.
Mme Nathalie Goulet. Sans oublier la Turquie.
M. Laurent Fabius, ministre. On voit ce qui se dessine, et qui est redoutable. Donc, nous travaillons. Ce dimanche, je recevrai les dix autres principaux pays qui soutiennent la coalition. Nous continuons à travailler avec les Russes, nous avons des discussions avec eux. Ils disent, à raison, qu'il ne faut surtout pas le chaos. Je réponds à mon collègue Sergueï Lavrov que le chaos, ce n'est pas demain, c'est aujourd'hui et que, pour éviter que ce mouvement terroriste se propage et vienne alimenter le Caucase et autre, il faut trouver une solution raisonnable, qui ne sera pas merveilleuse mais permettra tout de même de maintenir l'unité de la Syrie. Sinon, c'est l'explosion, peut-être la partition et en tout cas la poursuite du terrorisme.
Dans l'opinion française, on entend dire : « Qu'est-ce que vous nous ennuyez, l'Afrique, c'est loin ! La Syrie, c'est loin. » Mais non, c'est tout près.
D'abord, quand on est une puissance globale comme la France, on ne peut se détourner. Ce n'est pas un cadeau d'être membre permanent du Conseil de sécurité. Il faut prendre ses responsabilités. De plus, ne serait-ce que du point de vue du terrorisme, qui est quand même un phénomène et un fléau très préoccupant, c'est à côté. Interrogez notre ami M. Valls sur ce que cela représente. La Syrie n'est pas loin. L'Afghanistan était loin, et pourtant La Syrie, ce n'est vraiment pas loin, et l'Afrique non plus : vous passez la Libye et vous êtes en Méditerranée, puis, de l'autre côté de la Méditerranée, c'est nous ! Il faut donc avoir une vision globale, qui ne veut pas dire interventionniste, mais voilà quelle est la démarche.
L'Iran, j'en ai dit quelques mots. Nous avons été très actifs dans la négociation, qui s'est bien terminée, avec ce pays : d'un côté, les six les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité plus les Allemands et, de l'autre, l'Iran. Ce fut difficile, très difficile même. Sans entrer dans les détails, nous sommes arrivés à un accord qui, pour le moment, est un accord intérimaire.
Il faut déjà commencer par appliquer cet accord intérimaire. Les réunions techniques ont eu lieu et à la fin du mois de janvier, je pense je l'espère, en tout cas que nous serons en situation de pouvoir appliquer ce qui a été décidé. Des décisions sont à mettre en uvre des deux côtés : coté iranien, il y a toute une série de choses à ne pas faire, à supprimer, si je puis dire ; de l'autre côté, de notre côté, il y a notamment quelques sanctions à lever.
Nous sommes donc dans une période intérimaire. C'est déjà très bien, car cela crée un climat différent. Le climat, ça compte. Cependant, je veux être lucide : le problème le plus difficile concerne la phase d'après. Une question n'a pas encore été tranchée : nos partenaires iraniens veulent-ils seulement suspendre la production qui leur permettrait de posséder l'arme nucléaire, ou acceptent-ils d'y renoncer ? Ce n'est pas la même chose, et les conséquences ne sont pas les mêmes. Bien entendu, nous souhaitons que nos partenaires iraniens adoptent la seconde position. S'ils adoptaient la première position, de nombreux États, en tout cas les membres du groupe « cinq plus un », ne l'accepteraient pas. Cette discussion est devant nous. Néanmoins, il est déjà important d'avoir atteint la première phase, parce que cela crée un climat bien différent de celui qui prévalait depuis plusieurs années.
L'Iran est un grand pays, que nous respectons. J'ai fait ajouter dans le prologue de l'accord, que vous avez sans doute lu, puisqu'il a été publié, des phrases prononcées par le président Rohani ; n'y voyez aucune malice de ma part. Le prologue comporte ainsi la déclaration suivante : en aucune circonstance l'Iran ne se dotera de l'arme nucléaire ni ne la possédera. Nos partenaires iraniens ont signé ce texte ; c'est formidable. Cet ajout a été proposé par la France, puis accepté par les uns et par les autres. Nous devons maintenant nous donner les moyens de vérifier que l'accord est respecté.
L'un ou l'une d'entre vous a demandé si cela avait des incidences sur la situation en Israël et en Palestine. Oui, bien sûr. Il y a des éléments différents, mais aussi un contexte général. On comprend bien, même si les calculs sont si innombrables que l'on ne peut pas avoir de certitude absolue, que, selon qu'on accédera ou non à une solution en Syrie, selon qu'on accédera ou non à une solution en Irak, selon que l'Iran et la Russie feront ceci ou cela, les Palestiniens, les Israéliens et les Américains agiront d'une manière ou d'une autre. Tout cela est à la fois séparé et lié.
En outre, il existe un contexte politique, que l'on ne peut pas celer. Dans certains pays, la dimension électorale est, si j'ose dire, moins déterminante que dans d'autres, où la démocratie passe par les élections ; c'est évidemment ce dernier modèle que nous essayons de promouvoir. Il y a des décisions à prendre. Elles ne sont pas faciles, car elles demandent une grande élévation de pensée. Il ne suffit pas d'aller dans le sens du vent ; Paraphrasant Jean Guitton, je dirai que ceux qui s'exposent au vent s'exposent aussi à un destin de feuille morte.
J'en viens à l'Europe. Nous sommes européens. Cette année sera très importante et difficile. Des élections européennes seront organisées ; nous verrons quels en seront les résultats. Le Parlement européen a de plus en plus de poids. La Commission européenne sera renouvelée. De ce fait, sa situation sera ambivalente entre mars-avril et novembre, puisque certains de ses membres seront sur le départ tandis que d'autres n'auront pas encore pris leurs fonctions. Il faudra néanmoins travailler avec cette Commission.
Plusieurs d'entre vous Gilbert Roger, en particulier ont abordé la question de la défense européenne. Le sommet qui s'est déroulé au mois de décembre n'a pas apporté de grande surprise ; il a acté un certain nombre de choses intéressantes en matière d'équipements, de matériels. Ce n'est certes pas le grand élan que nous souhaiterions, mais il faudra revenir sur cette question sans naïveté, notamment avec nos partenaires allemands.
Il y a une concordance des calendriers. François Hollande et Angela Merkel sont au pouvoir pour une durée identique : ils ont environ trois ans et demi devant eux. Une rencontre a déjà eu lieu. Des travaux communs sont en cours. J'accueillerai dans quelques jours mon homologue Frank-Walter Steinmeier pour un séminaire de travail. Un premier conseil des ministres franco-allemand se tiendra le 19 février. Nous sommes donc en train de réfléchir à ce que pourraient être nos grands projets communs.
On pense tout de suite à trois séries de sujets. Tout d'abord, les questions économiques et sociales sont déterminantes. Il existe des contradictions, mais peut-être la participation du SPD au Gouvernement favorisera-t-elle une convergence sur les thèmes du sérieux budgétaire et de la croissance économique. Sans croissance, il n'y a pas de sérieux budgétaire, et réciproquement. Il y a également beaucoup de choses à faire dans le champ de l'énergie et de l'environnement ; ces enjeux sont d'ailleurs liés à la problématique de la croissance. Enfin, nous devons avancer dans le domaine de la défense.
Au-delà de ces trois séries de sujets, il faut que nous nous concertions pour déterminer nos positions sur les négociations avec les États-Unis, le Japon ou d'autres partenaires. L'alliance franco-allemande n'est certes pas exclusive, mais, même si elle est ouverte, elle reste déterminante. Nous allons donc continuer à travailler ensemble sur toutes les questions que j'ai évoquées.
Je veux maintenant revenir sur quelques points qui ont été soulevés par différents intervenants. Nathalie Goulet m'a posé des questions pertinentes, et en même temps facétieuses, sur les ambassadeurs. Oui, il existe plusieurs types d'ambassadeurs. Comme vous l'avez souligné, j'en ai trouvé quelques-uns en arrivant. Tout en tenant compte des réalités humaines, j'essaie de procéder aux nominations en fonction des résultats obtenus. Le nombre de ces ambassadeurs a été réduit, dans un souci de performance, mais je ne veux pas être injuste : plusieurs d'entre eux effectuent un réel travail, le plus souvent de manière bénévole.
Des questions m'ont également été posées au sujet de l'Agence française de développement, ou AFD. Un contrat d'objectifs et de moyens sera signé dans quelques jours. Il permettra de mieux connaître les objectifs, les résultats et les indicateurs ; ce sera intéressant pour vous. Je suis ce dossier en lien avec Pascal Canfin. L'AFD évolue dans le sens que vous souhaitez, même si cela prend un peu de temps. En ce qui concerne l'Azerbaïdjan, aucune somme n'a été affectée.
Mme Nathalie Goulet. Bon !
M. Laurent Fabius, ministre. L'information dont vous avez fait état n'est donc pas exacte.
Cependant, je reconnais volontiers qu'il nous reste beaucoup de travail à accomplir dans le domaine de l'aide au développement. Je serai toujours heureux de recevoir les propositions et les suggestions des sénatrices et des sénateurs.
Je terminerai en évoquant la Russie et la Chine. Mon homologue russe Sergueï Lavrov et moi-même avons échangé des lettres de fond au moment du nouvel an. Nous nous verrons probablement en début de semaine prochaine. Nous ne sommes pas d'accord sur tout avec la Russie, mais on n'a pas besoin d'être d'accord sur tout pour avoir une relation très profonde. Nous avons une relation historique, ainsi qu'une relation géographique évidente. Il y a également un choix politique, en tout cas du côté de la France. La Russie est l'un de nos grands partenaires. Jean-Pierre Chevènement le sait mieux que quiconque, puisque je lui ai demandé d'être mon représentant spécial pour nos relations économiques avec la Russie ; je tiens à vous remercier publiquement, cher ami, du travail remarquable que vous effectuez.
Le champ de nos relations avec la Russie est très vaste : il va du nucléaire au tourisme, en passant par les investissements dans les deux sens ; les investissements français en Russie sont toutefois bien plus importants que les investissements russes en France. Au-delà de l'économie, nos échanges portent sur la stratégie, sur une certaine vision des choses. Je désire avoir une très bonne relation avec nos amis russes ; je pense que nous allons y parvenir. Nous avons des approches divergentes sur certains points chacun les connaît , mais cela ne nous empêche pas de travailler ensemble.
La situation de l'Ukraine est complexe ; elle l'est plus qu'on ne le dit parfois. On sait bien où se portent nos regards, mais l'Ukraine ne se réduit pas à un seul bloc : sa réalité est diverse. Contrairement à ce que j'ai entendu, l'Union européenne ne propose pas une adhésion, mais un accord d'association à l'Ukraine. Je pense que le président Viktor Ianoukovitch s'est un peu servi de cette perspective pour obtenir des avantages importants de la part des Russes. Cependant, la situation de l'Ukraine est si difficile que, même si ces avantages lui sont vraiment octroyés nous verrons , cela ne suffira pas à résoudre ses problèmes. L'Ukraine est une terre magnifique, un grand pays, mais elle est confrontée à des problèmes considérables.
Nous avons dit que notre proposition restait sur la table, et nous avons ajouté c'est très important, tant vis-à-vis des Ukrainiens et des Russes que vis-à-vis des Européens que l'Ukraine n'avait pas à choisir entre l'accord avec l'Union européenne et l'amitié avec la Russie ; il n'y a pas d'opposition entre les deux. Après tout, si le rapprochement entre l'Ukraine et l'Union européenne est favorable à l'Ukraine, il sera également favorable à la Russie, puisque la Russie est très présente en Ukraine. Il faut présenter les choses de manière moins manichéenne qu'on ne le fait parfois.
J'en viens à la Chine en rappelant, comme M. Jean Besson tout à l'heure, que nous entrons dans l'année franco-chinoise, ce dont je suis extrêmement heureux. Nous aurons ainsi la visite du président Xi Jinping à la fin du mois de mars.
Le Président Hollande, pour sa part, a été accueilli de façon tout à fait exceptionnelle en Chine (M. Jean Besson opine.), pays avec lequel nous avons mille choses à faire. (M. Jean Besson opine de nouveau.)
À cet égard, si l'on peut dire que nos relations politiques sont excellentes, comme vous avez pu le constater, nos relations économiques, elles, doivent se développer. Elles sont en effet encore trop faibles et déséquilibrées. (M. Jean Besson opine.) Ainsi, pour ne prendre que l'exemple du tourisme, qui est une mine d'or, j'ai été frappé de lire dans un rapport très intéressant que vos collègues de l'Assemblée nationale ont fait à propos de la Chine qu'il y avait plus de touristes français qui s'y rendaient que l'inverse. Quand on voit les différences de population, il y a de quoi s'interroger sur ce constat.
Vous allez me reprocher d'avoir une approche mercantile, mais il est permis de faire des additions, voire des multiplications, quand on fait par ailleurs tellement de divisions
Il faut savoir que 1,2 million de touristes chinois viennent en France chaque année, chacun dépensant en moyenne 1 600 euros ; il y a 90 millions de Chinois qui voyagent et il y en aura 300 millions dans quelques années ; si au lieu d'accueillir 1,2 million Chinois, nous en recevions 5 millions, nous réduirions de 10 % notre déficit commercial, sans parler de la création d'emplois correspondante sur notre territoire. Vous conviendrez avec moi que si notre avantage comparatif ne paraît pas décisif en matière de pétrole, il semble plus important en matière touristique et patrimoniale par rapport à d'autres pays voisins.
Loin de moi l'idée de réduire nos relations avec la Chine à ce secteur d'activité, car il y a énormément de choses à faire dans tous les domaines. Or je pense que ce pays est tout à fait ouvert à l'approfondissement du dialogue.
J'ai été marqué par l'accueil des autorités chinoises à l'égard des Français. Il y a, comme vous l'avez souligné, le point commun de grande civilisation. Les Chinois ressentent une grande estime pour l'histoire française. Nombre d'entre eux, au temps de la révolution, ont étudié en France. La Chine possède une mémoire longue.
À mon sens, je le répète, nous avons énormément de choses à faire avec cette puissance, qui va devenir à terme la première du monde, d'autant que nous avons beaucoup d'analyses communes, notamment sur l'objectif de multipolarité.
Cette année franco-chinoise va donc être très riche ; beaucoup de choses vont être organisées en France et en Chine, sur le plan culturel, bien sûr, mais aussi sur le plan technologique, sur le plan économique, et je suis sûr que les échanges parlementaires y contribueront.
Il n'y a pas à choisir entre la Chine, l'Inde, la Russie, le Japon ou que sais-je encore. Quand on est une puissance globale comme la France et un des pays qui comptent, il faut avoir des relations, un objectif j'ai essayé de le montrer et avancer dans ce sens-là.
Pour terminer, je dirai qu'il ne faut jamais être totalement satisfait de ce que l'on fait, et je comprends les exigences du débat. En même temps, on me permettra d'être parfois un peu surpris par le débat, lorsqu'il existe, sur la politique étrangère. Car enfin, vous lisez comme moi la presse internationale : si des critiques, souvent d'ailleurs injustes, y sont portées sur notre réalité économique, s'agissant de la politique étrangère de la France, cette même presse nous apprend que s'il existe un pays, j'ajouterai en Europe, pour être modeste, qui a une politique internationale, à laquelle beaucoup rendent hommage, c'est la France.
Un tel constat ne doit pas nécessairement conduire les sénateurs à applaudir debout la politique étrangère du Gouvernement, mais essayons de ne pas être trop paradoxaux en y voyant beaucoup plus de difficultés que les observateurs étrangers eux-mêmes. Il s'agit non pas d'un argument d'autorité, mais d'une remarque que je me permets de faire en conclusion, tout en vous remerciant de votre patience. (Applaudissements.)
M. le président. Merci, monsieur le ministre !
Source http://www.senat.fr, le 10 janvier 2014
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. C'est toujours avec un grand plaisir que je me retrouve devant vous. Pour répondre au souhait du président Carrère, je viendrai au Sénat chaque fois que vous le souhaiterez, soit en commission, soit dans l'hémicycle. Je prendrai toutefois le soin de ne pas vous mobiliser chaque semaine au point d'empêcher du même coup mes autres collègues d'avoir le plaisir de discuter avec vous. (Sourires.) Je suis d'autant plus à votre disposition que j'apprécie l'atmosphère qui règne à la Haute Assemblée. Elle permet de se dire des choses sans nécessairement s'apostropher comme les héros d'Homère, dont on sait, d'ailleurs, que, avant le combat, ils se défiaient avec des termes très durs mais qu'ils ne se combattaient jamais ! (Nouveaux sourires.)
Je vais passer en revue les principaux thèmes que vous avez abordés et qui se recoupent c'est très compréhensible. J'espère que l'on m'excusera si mes réponses ne comportent pas toutes les précisions que vous m'avez demandées mais nous aurons l'occasion, j'en suis certain, de satisfaire votre curiosité légitime lors d'autres débats, en séance publique ou en commission.
Je commencerai par faire écho aux propos tenus notamment par le président Carrère et Jean-Pierre Chevènement pour situer la perspective. J'ai eu l'occasion et je vois avec plaisir que cette analyse chemine dans les esprits des uns et des autres de définir à plusieurs reprises ce que je pensais être la conjoncture internationale particulière dans laquelle nous nous trouvons.
De très grands mouvements se font à travers la planète. M. Besson vient de nous parler de la Chine. D'autres ont abordé, avec raison, la question générale des pays émergents. Il y a la position tout à fait nouvelle prise par les États-Unis d'Amérique, qui hésitent entre présence et retrait. Il y a l'attitude de la Russie. Et, au-delà de ces positions diverses et toujours très importantes, il y a toute une série de mutations technologiques et le renversement d'un certain nombre de termes de l'échange entre le Nord et le Sud.
Pour résumer les choses, M. Jean-Pierre Chevènement a repris une expression que j'avais utilisée, je préfère qu'il me cite plutôt que je me cite moi-même car lorsque l'on se cite soi-même, il faut se méfier, c'est l'âge qui vient ! (Sourires.) Le monde vit un grand chambardement.
Ce chambardement, comment se traduit-il ? J'ai dit à plusieurs reprises tiens, je me contredis moi-même ! que pendant très longtemps le monde a été dans une situation bipolaire. Qu'on le déplore ou qu'on s'en félicite, c'étaient l'URSS et les États-Unis qui, par leur opposition ou leur complicité, subjective ou objective, dictaient, finalement, le cheminement du monde. La France avait cela variait selon les époques une position forte, indépendante, et elle avait bien raison de l'avoir. Il n'en demeurait pas moins que les deux régimes en question donnaient le la.
Ensuite, avec la chute du mur de Berlin et avec l'effondrement de l'Union soviétique, s'est ouverte une période où le monde était plutôt unipolaire. Les États-Unis possédaient, en effet, les éléments de la puissance, qu'elle soit économique, technologique, militaire ou puissance culturelle ; cette dernière n'est, d'ailleurs, pas la moins importante.
On dit parfois, c'est une facilité de langage, que nous sommes nombreux à utiliser, à mon sens à tort, que nous sommes entrés dans un monde multipolaire. Je pense que ce n'est pas tout à fait exact. Je considère que nous devons aller vers un monde multipolaire, organisé.
Et nous voyons bien quelle organisation pourrait porter cette nouvelle vision du monde, l'Organisation des Nations unies, avec un Conseil de sécurité qui fonctionnerait davantage, qui serait plus représentatif, avec des organisations régionales, l'Europe, l'Afrique, l'Asie ou les Asies Et nous souhaitons travailler, c'est, en tout cas, la position constante de la France, qui ne me paraît pas contestée ici, pour ce monde multipolaire organisé.
Pour le moment, nous sommes dans un monde que je qualifierai plutôt de « zéro polaire », non pas qu'il n'y ait pas des puissances qui l'emportent sur d'autres par leur rayonnement, mais il n'y a pas une seule puissance ou un groupe de puissances qui puisse trancher en dernière instance.
Et c'est ce qui explique deux phénomènes. D'une part l'absence regrettable de solution à beaucoup de crises, la paralysie du Conseil de sécurité ; il l'est avec l'affaire dramatique de la Syrie, et il l'a été dans d'autres circonstances. Donc, il n'y a pas des solutions faciles aux crises par le jeu des puissances ou de leurs alliances. D'autre part, en même temps, cela donne à la France, puissance globale, qui a toute la palette des instruments, même si elle ne compte que 65 millions d'habitants, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies merci au général de Gaulle ! , une force nucléaire et des capacités de projection, une langue, un rayonnement économique, un appareil diplomatique qui reste, par son extension, le troisième du monde, alors que l'appareil culturel, lui, est le premier, des principes, une voix. Dès lors, dans le tableau des puissances globales et là, je passe de l'abstrait au concret , quand je représente la France dans une réunion internationale, qui peut parler, engager son pays, prendre des décisions concrètes et, le cas échéant, risquer des hommes ?
Les États-Unis d'Amérique peuvent le faire mais ils ne veulent plus engager leurs troupes au sol. Ils sont intéressés par l'Asie, par le problème israélo-palestinien, mais il leur est difficile d'aller au-delà. Ils ont subi, c'est vrai, des revers terribles en Irak, des pertes considérables en Afghanistan.
La Grande-Bretagne, qui est un grand pays. Mais lorsque son gouvernement a soumis sa position vis-à-vis de la Syrie à la Chambre des Communes, celle-ci lui a demandé de reprendre sa copie.
Et il y a la France, puissance globale. Quand le Président de la République engage le pays en matière internationale, en matière de défense, eh bien, il engage vraiment le pays, quelles que soient nos contraintes et insuffisances. Vous avez mené sur le budget de la défense un combat très important et positif.
Monsieur Cambon, cher ami, je vous ai connu sous un meilleur jour. Vous avez, certes, rendu hommage à nos soldats et vous avez tout à fait raison. Toutefois, vous avez employé, à propos de nos armées et du budget, un terme tellement excessif que je me suis demandé dans quel état pourraient être les autres armées en Europe si vous aviez raison sur la nôtre, qui est la première ! Oui, bien sûr, vous connaissez la formule : quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console
En tout cas, avec toutes les imperfections qui sont les nôtres, nous sommes capables de faire ce que les autres ne peuvent pas faire !
Dans la description de la situation actuelle que j'ai entendue, une chose est revenue d'une façon parfois critique. Sans l'avoir prise pour moi, je la trouve assez injuste. Plusieurs d'entre vous ont souhaité connaître nos orientations générales. Je vais vous répondre pour que vous gardiez très précisément cela en tête.
Le Président de la République, qui définit les grands termes de notre diplomatie, et moi, qui dirige le Quai d'Orsay, nous voulons faire quatre choses, quatre pas huit !
Premièrement, la paix et la sécurité. Voilà l'objectif que nous poursuivons, y compris, cela ne peut paraître paradoxal qu'à des esprits superficiels, en intervenant.
Deuxièmement, la planète. Cela veut dire au moins deux séries de choses : d'une part, l'organisation générale de la planète ; d'autre part, j'ai d'ailleurs été étonné qu'on n'en parle pas les enjeux écologiques et environnementaux.
Au cours des deux années à venir, d'ici à décembre 2015, nous allons non seulement parler mais agir très concrètement, nous, la France, en particulier. En effet, la question du dérèglement climatique est absolument fondamentale, existentielle au sens étymologique de ce terme. Nous avons l'honneur de présider la Conférence de Paris « Climat 2015 », qui va décider, je l'espère, des mesures à prendre pour, sans exagérer, sauver la planète.
Troisièmement, l'Europe. Je vais en parler.
Quatrièmement, ce que j'appellerai d'un mot plus général, le redressement, le rayonnement. Vous avez, les uns et les autres, et je vous en remercie souligné cette évidence qu'est la diplomatie économique. Évidemment, elle est liée à la politique générale.
Tels sont les quatre objectifs.
Toute notre action doit être rapportée à ces quatre objectifs, l'organisation et l'administration du ministère étant elles-mêmes subordonnées à ces objectifs.
Si notre débat permet en particulier d'éclairer sur ces objectifs, tant mieux, car ils constituent le but que nous essayons d'atteindre, souvent avec succès, mais parfois avec des difficultés. En vous entendant les uns et les autres c'est le jeu normal du débat parlementaire , je me disais : quel dommage que la France ne soit pas le seul pays en Europe ! Mais nous sommes 28 États membres, que nous devons tout de même convaincre. Je pense en particulier à la défense européenne.
Ou bien on est contre une défense européenne, et les choses sont simples. Mme Demessine, qui a malheureusement dû partir avant la fin de notre débat, appartient à un parti dont il ne me semble pas qu'il soit un immense défenseur de la défense européenne. Sa position est cohérente. Mais il ne faut alors pas regretter que les Européens ne nous accompagnent pas !
Ou bien on est pour la défense européenne. J'ai entendu M. Cambon je ne vais pas m'en prendre à lui, d'autant que je l'estime beaucoup ! regretter, comme moi, que nos partenaires ne nous aident pas davantage. Mon cher ami, je vous ferai remarquer que votre parti appartient au PPE. Quand j'essaie de convaincre mes amis et collègues ministres des affaires étrangères de l'ensemble des pays européens, je me retrouve confronté à une immense majorité qui appartient à cette très estimable formation. Je vous demande d'utiliser votre talent il est grand ! et votre énergie elle est puissante ! pour les convaincre de venir aider nos soldats.
M. Christian Cambon. Vous avez raison !
M. Laurent Fabius, ministre. Si nous nous y mettons tous les deux, nous y arriverons peut-être. (M. Jean Besson applaudit.) Il ne faut pas qu'il y ait de confusion entre nous.
Après avoir mentionné les quatre objectifs que nous visons, j'aborderai une série de sujets que vous avez, les uns et les autres, évoqués.
S'agissant de l'Afrique, vous avez essentiellement évoqué deux pays : la République centrafricaine et, de façon quelque peu rétrospective, le Mali.
Concernant le Mali, soyons clairs et carrés ! Il y a suffisamment de sujets sur lesquels nous pouvons avoir des divergences pour ne pas en créer d'artificiels. Vous avez soutenu l'intervention au Mali, et vous avez eu raison. L'intervention a été exceptionnelle sur tous les plans, notamment militaire nos militaires ont été remarquables. Je reviendrai sur ce point dans ma conclusion, mais je ne voudrais pas que l'on se retrouve face à une situation paradoxale, avec, d'un côté, le monde entier qui félicite la France et, de l'autre, des voix qui s'élèvent dans les assemblées de la République française pour faire remarquer que tel ou tel point n'est pas tout à fait satisfaisant.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Cela relève de la psychanalyse !
M. Laurent Fabius, ministre. Le 11 janvier 2013, j'étais avec le Président de la République lorsqu'il a été appelé par M. Traoré, alors président de transition du Mali. La conversation a été simple et sans fioritures : « Monsieur le président de la République française, je vous demande d'intervenir car vous êtes les seuls à pouvoir le faire, sinon demain je serai probablement mort ». Une telle demande était formulée non pas pour M. Traoré lui-même, qui est un homme remarquable, mais parce que les terroristes étaient vous vous en souvenez certainement à 200 kilomètres de Bamako et que les jeeps étaient en marche. Seule la France pouvait intervenir. Le Président de la République a pris la bonne décision, et vous l'avez applaudi, tout comme moi. Aujourd'hui, une année plus tard, non seulement le terrorisme a été très largement éradiqué au Mali, mais une élection présidentielle a eu lieu, beaucoup plus régulière que toutes les élections qui avaient été précédemment organisées dans ce beau pays. (M. Jeanny Lorgeoux opine.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Avec une formidable participation !
M. Laurent Fabius, ministre. Effectivement ! Il en a été de même de la participation aux élections législatives. Les choses sont en marche.
Je rappelle que 3,5 milliards d'euros ont été promis pour le développement, dont 800 millions ont déjà été engagés. Cher ami Peyronnet, la différence est que, aujourd'hui, l'utilisation de ces sommes est transparente. (M. Jean-Claude Peyronnet opine.) Ce n'est pas une mince différence, surtout si l'on songe à la Françafrique, évoquée par l'un des orateurs. Il ne faut pas faire de confusion : le partenariat avec l'Afrique ne signifie pas la reconduction de la Françafrique.
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Ce sont des choses tout à fait différentes ! Nous sommes et nous voulons être les partenaires des Africains. Un intervenant s'interrogeait sur la différence avec nos prédécesseurs. Certes, il ne faut pas chercher à se distinguer de ses prédécesseurs par principe ? Cependant, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à comparer les deux discours de Dakar. Si on les propose un jour comme sujet au baccalauréat ou à l'agrégation d'histoire, je suis sûr que l'on aura des copies intéressantes (M. Jean Besson sourit.)
Voilà où nous en sommes. Il reste bien sûr toute une série de choses à faire, notamment à développer le dialogue avec le Nord. Mais le Mali a dorénavant des autorités élues.
S'agissant de nos troupes, je vous confirme ce qu'a dit cet après-midi le Président de la République : le nombre de nos soldats sera de 1 600 au mois de février, pour revenir ensuite à un millier. Les engagements sont donc tenus. Il n'y a pas d'engrenage au Mali, pas plus qu'il n'y en aura en RCA.
Il arrive qu'il y ait des situations d'échec. Mais lorsque le résultat est positif, au-delà même de ce que nous pouvions espérer compte tenu de la difficulté de la tâche, il ne faut pas bouder ce résultat ! Certes, tout n'est pas terminé. C'est maintenant aux Maliens de prendre leurs affaires en mains, avec notre soutien, mais le résultat est tout de même exceptionnel.
En Centrafrique, c'est une autre affaire. Il ne s'agit pas de lutter contre le terrorisme. Là aussi, le problème est simple. Je comprends les exigences du débat parlementaire, mais il faut se mettre à la place de ceux qui gouvernent. Si un jour, par extraordinaire, je reviens dans l'opposition, comme je l'ai souvent, ou plutôt longtemps, été, je garderai cette idée en tête. Bien sûr, il y a les exigences de la contestation, mais vous imaginez bien que le Président de la République n'arrive pas le matin à son bureau en se demandant ce qu'il va bien pouvoir inventer en RCA pour engager à tort les troupes françaises, faire échouer la transition démocratique et s'exposer aux critiques des sénateurs ! Les choses ne se passent pas ainsi. Nous sommes des gens de bonne volonté, comme chacune et chacun d'entre vous.
En RCA, quel était le problème ? Nous étions face à un pays qui se noie, qui disparaît, qui implose. Quand on nous dit que nous ne sommes pas intervenus assez vite, il faut choisir ses arguments ! Si nous avions agi plus rapidement, cela aurait été fait sans le mandat de l'ONU, et nous aurions été alors critiqués !
C'est le Président de la République française qui, en septembre dernier, dans son discours devant l'assemblée générale des Nations unies a, le premier à ce niveau, sonné l'alarme. Il a alors déclaré : Attention, je vous avais mis en garde l'année dernière au sujet du Mali et, au mois de janvier, ça s'est réalisé. Eh bien, je vous dis cette année, en septembre, attention, la République Centrafricaine. Nous avons commencé d'être écoutés, au point que nous avons pu obtenir cela n'était pas du tout acquis au départ le vote à l'unanimité, y compris par les Africains, d'une résolution le 5 décembre dernier, résolution qui permet à la fois aux Africains et à la France d'intervenir.
Et nous sommes intervenus dans les vingt-quatre heures ! Si nous ne l'avions pas fait, alors qu'il y avait eu presque un millier de morts la veille, je puis vous assurer qu'il y aurait eu il suffit de se remémorer certaines situations similaires 50 000 ou 100 000 morts.
Bien sûr, il est légitime de contester ; c'est le propre d'une démocratie : toutes les opinions doivent être confrontées. Mais la question n'était pas théorique. Lorsqu'on est sollicité par les Nations unies, notamment par les Africains, lorsqu'on est ami d'un pays africain, que l'on connaît sa situation et qu'il vous demande d'intervenir, passez-vous votre chemin en sifflotant ? Eh bien, non lorsqu'on s'appelle la France !
Voilà la décision que nous avons prise. Cette décision est difficile parce qu'il s'agit d'envoyer des jeunes gens avec les risques que comporte une telle opération deux d'entre eux, comme vous le savez, y ont perdu la vie. Encore faut-il que cette décision intervienne dans les meilleures conditions, sans se substituer aux Africains. Là est la délicatesse. Il est fini le temps où l'on décidait à Paris, dans un bureau, que ce serait M. X ou Mme Y.
Nous apportons notre soutien, dans plusieurs domaines.
D'abord, un soutien sécuritaire, car, sans sécurité, rien n'est possible. C'est très difficile parce qu'il s'agit de désarmer, et de le faire de manière impartiale. Alors que ce n'était pas le cas par le passé, le conflit est devenu confessionnel et la situation est donc très compliquée. Nous avons procédé à ce désarmement, avec des succès divers, et nous devons continuer à le faire. L'aspect sécuritaire est indispensable. Nous tenons l'aéroport, nous faisons ce qu'il faut pour désarmer et nous protégeons un certain nombre de nos compatriotes et d'autres. Nos hommes sont au nombre de 1 600 ; les Africains, quant à eux, sont aujourd'hui 4 400 et devraient bientôt être 6 000.
Ensuite, il y a l'aspect humanitaire. La situation humanitaire est épouvantable. Cette question relève de l'ONU, mais nous apportons notre aide.
Enfin, il y a la transition démocratique, en deux étapes. D'abord, il faut que, aujourd'hui, l'État recommence à fonctionner. Certes, ce n'est pas nous qui allons lever ou baisser le pouce. Mais, nous le savons, il y a des difficultés avec l'équipe actuelle. Demain, aura lieu à N'Djamena une réunion, qui sera suivie par d'autres. Encore une fois, ce n'est pas nous qui allons décider de ce qui doit être fait, mais nous comprenons bien qu'il y a une difficulté politique. Ceux qui sont en place ou qui seront en place doivent préparer une élection. Cette dernière ne suffira pas à régler les problèmes, mais, dans une démocratie, aucun problème ne peut être durablement réglé sans élection.
Certains d'entre vous se sont interrogés sur le lien entre notre intervention et l'action de l'ONU, sur le fait que nous souhaitions une intervention des Nations unies, alors que, dans le même temps, le Tchad s'y opposait. Je veux être clair : il n'y a absolument aucune contradiction entre la présence des forces africaines, la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, les forces françaises qui les appuient, et la perspective de ce qu'on appelle une opération de maintien de la paix.
Le calendrier n'est pas le même. Si l'on décide une opération de maintien de la paix, elle interviendra dans six mois, car cela prend du temps. Par ailleurs, l'ONU, donc une opération Casques bleus, qui comprendra essentiellement des forces africaines, par conséquent les forces de la MISCA c'est non pas une contradiction, mais une complémentarité , pourra faire des choses que ne peut pas faire la MISCA.
Qui va préparer les élections ? Ce n'est pas la MISCA. Qui va s'occuper de l'humanitaire ? Ce n'est pas davantage la MISCA. Je m'en suis expliqué avec le président du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine et avec le président Déby. Nos amis africains en tout cas, certains d'entre eux se demandaient si cela n'apparaît comme un désaveu de la MISCA. Ce n'est pas du tout le cas ! La MISCA fait son travail. Certes, il faut encore qu'elle monte en régime, qu'elle s'aguerrisse, mais elle fait preuve d'un grand courage. Des améliorations doivent encore être apportées dans les relations avec les commandements des divers contingents. Mais nous tenons absolument à ce qu'elle joue son rôle et que, le moment venu, les Casques bleus, qui seront pour l'essentiel des Africains, prennent le relais.
Voilà où nous en sommes en Centrafrique. Nous ne pouvions pas ne pas intervenir. Je ne vais pas le cacher, nous devons être vigilants. Nous n'avons pas du tout l'intention de nous substituer aux Africains.
Nos actions au Mali puis en RCA ont soulevé beaucoup de problèmes, et notamment deux d'entre eux : quid de l'Europe ? Pourquoi est-ce nous qui sommes intervenus ?
Les crises existent et les pays africains, pour la plupart d'entre eux, n'ont pas les moyens militaires de les régler.
Pourquoi ? Nous en avons discuté lors du sommet de l'Élysée, qui était extrêmement intéressant ; c'était une discussion entre amis, dans une atmosphère vraiment très positive. Nos amis africains nous ont dit qu'il y avait deux grandes raisons, l'une plus facile à dire que l'autre.
La première est que cela coûte beaucoup d'argent et que nombre de ces pays n'ont pas les moyens matériels d'avoir une armée équipée. Ils peuvent avoir les forces, en théorie, mais il faut avoir des chaussures, des équipements, etc.
La seconde raison, qui a été moins citée mais qui peut nous venir à l'esprit, c'est qu'évidemment, qui dit armée dit état-major, qui dit état-major dit chef d'état-major et dans ces pays où la démocratie n'est pas d'une stabilité absolue, cela pose problème. C'est une solution, mais en même temps un problème.
Si l'on veut éviter que, quand il y a une difficulté, on appelle la France parce que la France est efficace et qu'on l'aime ! , il faut créer une force interafricaine pour répondre aux crises. C'est la proposition qui a été faite par l'Union africaine, proposition que nous soutenons, que nous aiderons, que les Européens aideront, et d'autres peut-être aussi : le Japon, les pays arabes, l'ONU. C'est cela qu'il faut faire. Ils nous ont parlé de 2015. Nous allons essayer de le faire, parce que c'est la seule manière de sortir de la contradiction. Mais aujourd'hui nous ne pouvions pas ne pas intervenir.
L'Europe ! On me dit que nous sommes seuls.
Je répondrai tout d'abord que nous avons abordé très souvent avec mes collègues européens la question du Mali et celle de la République centrafricaine, avant l'intervention. Ne croyez pas que, lorsque le Président de la République a dit qu'il souhaiterait qu'il y ait un peu plus d'Europe, c'était la première fois que nous parlions de cela.
Il n'existe pas de défense européenne. Nous le regrettons, mais c'est un fait.
Je prends un exemple : il existe des unités qui, sur le papier, peuvent réunir 1 500 hommes.
M. Jean-Louis Carrère. Les battlegroup.
M. Laurent Fabius, ministre. Ce concept, bâti il y a déjà quelque temps, existe bien sur le papier et, pour le semestre actuel, ce sont les Britanniques qui ont le leadership de cette unité. Cela a deux conséquences : d'une part, celui qui a le leadership assure les dépenses et, d'autre part, c'est une mécanique extrêmement européenne.
Nous avons donc demandé aux Britanniques, puisqu'ils avaient donc le leadership de ces groupes de 1 500 hommes. Sans grande surprise et très courtoisement, ils nous ont répondu que, premièrement, cela coûtait beaucoup d'argent et, deuxièmement, cela était trop européen.
Malgré tout le talent de nos diplomates auxquels vous avez rendu hommage, et je vous en remercie en leur nom , même si un élément existe, si celui qui le pilote refuse de l'engager, vous avez beau avoir beaucoup de talent et de conviction, c'est le principe un homme, une voix qui s'applique.
Les autres, tout d'abord ne soyons pas injustes ont, pour certains, apporté des moyens logistiques ou des financements, et c'est très bien. Ensuite, pour ce qui est des hommes, beaucoup n'en ont pas qui soient suffisamment équipés, d'autres ont des difficultés avec leur parlement, d'autres encore ne veulent tout simplement pas. On peut le regretter, mais c'est ainsi.
Le Président de la République et moi-même n'avons pas désarmé, si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots. Une réunion spéciale des ministres des affaires étrangères se tiendra donc le 20 janvier, avec un rapport introductif de Mme Ashton qui proposera des pistes, à court et moyen termes, pour tout de même apporter un soutien face aux besoins en République centrafricaine. J'espère que cela fonctionnera. Mais, je vous fais cet aveu, je ne peux pas à moi seul arriver à convaincre nos partenaires de la nécessité d'une défense européenne et d'une action européenne. Ce n'est pas faute de leur en avoir parlé. L'un d'entre nous a cité tel diplomate ou tel ministre qui disait qu'il ne faudrait pas après présenter l'addition. Bien évidemment, nous en avons parlé. N'ayons donc pas recours à des arguments qui ne sont pas réels.
Venons-en à la Syrie.
Je vous ai apporté, et je pense que cela vous intéressera, la lettre que je viens de recevoir de M. Ban Ki-moon qui invite la France en l'occurrence, son ministre des affaires étrangères à participer à la réunion de Genève. C'est le premier acte concret qui matérialise le souhait que ce que l'on appelle « Genève 2 » ait lieu.
De cette lettre, qui est très bien rédigée, je souhaiterais vous lire deux passages, parce qu'ils situent bien le débat.
M. Ban Ki-moon écrit : « La conférence a pour but d'aider les parties syriennes à mettre fin aux violences [ ] et à mettre intégralement en uvre le communiqué de Genève donc, Genève I en préservant la souveraineté, l'indépendance, l'unité et l'intégrité territoriale de la Syrie. »
Il ajoute : « Le communiqué de Genève 1 qui sert de base à Genève 2 comprend des lignes directrices et principes convenus pour une transition conduite par les Syriens. Il énonce un certain nombre d'étapes essentielles, à commencer par un accord sur une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs, formée sur la base du consentement mutuel ».
Il poursuit : « Comme le dit le communiqué de Genève, les services publics doivent être préservés ou rétablis, y compris les forces armées et les services de sécurité. Toutes les institutions de l'État et tous les services doivent respecter les droits de l'homme et les normes déontologiques et être placés sous une direction qui inspire confiance à la population, ainsi que sous le contrôle de l'autorité transitoire. »
C'est clair et net. L'objet de cette conférence à Genève n'est pas d'avoir une discussion générale sur la Syrie ; c'est, selon les termes du communiqué de Genève 1, repris dans la lettre d'invitation de Genève 2, de former une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs.
À la fin de la lettre, M. Ban Ki-moon conclut, en s'adressant à ceux auxquels il a fait parvenir cette lettre : « La confirmation de la participation sera considérée comme une adhésion aux objectifs de la conférence tels qu'ils sont énoncés ci-dessus. »
Il a tout à fait raison de le formuler ainsi, car cela signifie que Genève 2 qui, je l'espère sans en être sûr, aura lieu, et qui, je l'espère également et j'en suis encore moins sûr, parviendra à des résultats a un objectif précis, qui est d'arrêter les massacres, et de faire en sorte qu'un gouvernement soit formé c'est notre idée, l'idée de la France par, à la fois, des éléments du régime et l'opposition modérée..
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Laurent Fabius, ministre. Et c'est cela la réponse à toute une série de questions comme : qu'allons-nous faire en Genève ? Est-ce possible ? Quid de l'Iran ?
Pour ce qui est de l'Iran, nous avons dit à nos amis iraniens qu'ils pouvaient venir à Genève, à condition d'accepter les principes de Genève. Si on vient pour Genève, on ne va pas discuter d'autre chose. Les Iraniens ont répondu, usant de formules ambiguës pour le moment. Mais peut-être vont-ils changer de position ; il reste encore quelques jours. Si leur réponse peut être différente, peut-être la proposition aura-t-elle lieu. Pour le moment, ils disent qu'ils ne veulent pas de « conditions ».
Mais ce qu'ils appellent des conditions n'en sont pas : fixer l'objectif d'une rencontre, ce n'est pas en fixer les conditions. Ils ont dit qu'ils allaient aider. J'espère qu'ils le feront, puisqu'ils sont partie prenante, ne serait-ce que parce qu'ils ont beaucoup de personnes sur le terrain, soit directement, soit par l'intermédiaire du Hezbollah.
Voilà donc quelle est la réponse à l'Iran, puisque Mme Durrieu m'interrogeait sur la position de la France : nous souhaitons que l'Iran soit utile mais, pour être utile, encore faut-il que les Iraniens acceptent l'objectif de la conférence.
Pour ce qui est de la Syrie, la Syrie de M. Bachar El-Assad va se trouver dans une situation paradoxale. Nous verrons bien ce qu'il dit. Mais s'il envoie ce serait souhaitable des représentants, l'acceptation de l'invitation, c'est l'acceptation du mandat. Or le mandat précise « gouvernement transitoire doté de tous les pouvoirs exécutifs », c'est-à-dire des pouvoirs de M. Bachar El-Assad.
Quant à l'opposition modérée, celle que nous soutenons, pourquoi la soutenons-nous ? Nous n'allons pas soutenir M. Bachar El-Assad, criminel contre l'humanité. Il ne va pas être l'avenir de son peuple. Nous n'allons pas non plus soutenir les terroristes de Al-Nosra. Nous soutenons donc l'opposition modérée, qui rencontre de grandes difficultés parce qu'elle est attaquée des deux côtés, elle est divisée, mais qui acceptera peut-être de venir si le mandat est celui-là. Mais si on lui demande de venir pour discuter du sexe des anges, elle ne viendra pas.
La situation en Syrie est difficile. La position de la France, je la rappelle, car j'entends dire que nous n'avons pas de position. C'est la position que nous avons prise depuis le début, et qui est juste. On peut simplement regretter qu'elle n'ait pas été suivie par d'autres dès le début. Mais de même que j'ai dit que la France n'était pas l'Europe à elle toute seule, pour le regretter, de même, la France n'est pas le Conseil de sécurité des Nations unies à elle seule.
Nous l'avons dit dès le début. C'était, je crois, l'un de mes premiers actes en tant que ministre des affaires étrangères, en juin ou début juillet de l'année précédente. J'avais alors réuni au Quai d'Orsay l'ensemble de ceux que l'on appelle les « amis de la Syrie », une centaine de ministres des affaires étrangères, et nous avons dit que nous soutenions l'opposition modérée et que nous voulions Genève dans ces conditions. Nous avons même reconnu la coalition.
Que s'est-il passé ensuite ?
C'était une époque où il n'y avait pas de groupes terroristes en Syrie, pas d'Iraniens en Syrie, pas de Hezbollah en Syrie. On dit que nous avons fait une erreur d'analyse. Pas du tout ! C'était une époque où M. Bachar El-Assad était sur le fil. Seulement, il aurait fallu pousser un peu
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Eh oui ! Nous lui avons au contraire redonné une légitimité.
M. Laurent Fabius, ministre. C'était le début des élections américaines, les divisions que l'on connaît régnaient entre des pays arabes. Moyennant quoi l'affaire a été « gelée », si l'on peut dire, jusqu'au mois de février. Seulement en février, il y avait les Russes, les Iraniens, le Hezbollah, les terroristes, et la situation était tout autre !
Ce n'est pas pour autant qu'il faut changer de position ; la position est juste. Nous n'allons pas nous mettre à dire, comme on dit pour d'autres, que M. Bachar El-Assad, finalement, n'est certes pas un démocrate, mais qu'il est peut-être rempart Un rempart contre quoi ? Il existe une alliance objective, tout le monde le voit, entre, d'un côté, l'extrémisme que représente Bachar El-Assad et de l'autre, l'extrémisme terroriste.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. C'est sûr.
M. Laurent Fabius, ministre. L'argument de M. Bachar El-Assad est de dire aux chrétiens et aux autres : « Évidemment, je suis un dictateur, mais soutenez-moi, parce que, sinon, vous aurez les terroristes. » Et les terroristes disent : « Vous n'aimez pas Bachar El-Assad, n'allez pas au secours de l'opposition modérée, c'est une opposition en peau de lapin. Vous n'êtes pas terroristes, mais soutenez-nous quand même, sinon, vous aurez Bachar. »
Un groupe terroriste a pris le contrôle de puits de pétrole en Syrie. À qui croyez-vous que le pétrole est vendu ? Au régime syrien. Alors, il ne faut pas être aveugle !
Mais évidemment, maintenant, la Syrie est devenue une sorte de kyste qui s'étend, avec les linéaments en Jordanie, au Liban, en Irak.
Mme Nathalie Goulet. Sans oublier la Turquie.
M. Laurent Fabius, ministre. On voit ce qui se dessine, et qui est redoutable. Donc, nous travaillons. Ce dimanche, je recevrai les dix autres principaux pays qui soutiennent la coalition. Nous continuons à travailler avec les Russes, nous avons des discussions avec eux. Ils disent, à raison, qu'il ne faut surtout pas le chaos. Je réponds à mon collègue Sergueï Lavrov que le chaos, ce n'est pas demain, c'est aujourd'hui et que, pour éviter que ce mouvement terroriste se propage et vienne alimenter le Caucase et autre, il faut trouver une solution raisonnable, qui ne sera pas merveilleuse mais permettra tout de même de maintenir l'unité de la Syrie. Sinon, c'est l'explosion, peut-être la partition et en tout cas la poursuite du terrorisme.
Dans l'opinion française, on entend dire : « Qu'est-ce que vous nous ennuyez, l'Afrique, c'est loin ! La Syrie, c'est loin. » Mais non, c'est tout près.
D'abord, quand on est une puissance globale comme la France, on ne peut se détourner. Ce n'est pas un cadeau d'être membre permanent du Conseil de sécurité. Il faut prendre ses responsabilités. De plus, ne serait-ce que du point de vue du terrorisme, qui est quand même un phénomène et un fléau très préoccupant, c'est à côté. Interrogez notre ami M. Valls sur ce que cela représente. La Syrie n'est pas loin. L'Afghanistan était loin, et pourtant La Syrie, ce n'est vraiment pas loin, et l'Afrique non plus : vous passez la Libye et vous êtes en Méditerranée, puis, de l'autre côté de la Méditerranée, c'est nous ! Il faut donc avoir une vision globale, qui ne veut pas dire interventionniste, mais voilà quelle est la démarche.
L'Iran, j'en ai dit quelques mots. Nous avons été très actifs dans la négociation, qui s'est bien terminée, avec ce pays : d'un côté, les six les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité plus les Allemands et, de l'autre, l'Iran. Ce fut difficile, très difficile même. Sans entrer dans les détails, nous sommes arrivés à un accord qui, pour le moment, est un accord intérimaire.
Il faut déjà commencer par appliquer cet accord intérimaire. Les réunions techniques ont eu lieu et à la fin du mois de janvier, je pense je l'espère, en tout cas que nous serons en situation de pouvoir appliquer ce qui a été décidé. Des décisions sont à mettre en uvre des deux côtés : coté iranien, il y a toute une série de choses à ne pas faire, à supprimer, si je puis dire ; de l'autre côté, de notre côté, il y a notamment quelques sanctions à lever.
Nous sommes donc dans une période intérimaire. C'est déjà très bien, car cela crée un climat différent. Le climat, ça compte. Cependant, je veux être lucide : le problème le plus difficile concerne la phase d'après. Une question n'a pas encore été tranchée : nos partenaires iraniens veulent-ils seulement suspendre la production qui leur permettrait de posséder l'arme nucléaire, ou acceptent-ils d'y renoncer ? Ce n'est pas la même chose, et les conséquences ne sont pas les mêmes. Bien entendu, nous souhaitons que nos partenaires iraniens adoptent la seconde position. S'ils adoptaient la première position, de nombreux États, en tout cas les membres du groupe « cinq plus un », ne l'accepteraient pas. Cette discussion est devant nous. Néanmoins, il est déjà important d'avoir atteint la première phase, parce que cela crée un climat bien différent de celui qui prévalait depuis plusieurs années.
L'Iran est un grand pays, que nous respectons. J'ai fait ajouter dans le prologue de l'accord, que vous avez sans doute lu, puisqu'il a été publié, des phrases prononcées par le président Rohani ; n'y voyez aucune malice de ma part. Le prologue comporte ainsi la déclaration suivante : en aucune circonstance l'Iran ne se dotera de l'arme nucléaire ni ne la possédera. Nos partenaires iraniens ont signé ce texte ; c'est formidable. Cet ajout a été proposé par la France, puis accepté par les uns et par les autres. Nous devons maintenant nous donner les moyens de vérifier que l'accord est respecté.
L'un ou l'une d'entre vous a demandé si cela avait des incidences sur la situation en Israël et en Palestine. Oui, bien sûr. Il y a des éléments différents, mais aussi un contexte général. On comprend bien, même si les calculs sont si innombrables que l'on ne peut pas avoir de certitude absolue, que, selon qu'on accédera ou non à une solution en Syrie, selon qu'on accédera ou non à une solution en Irak, selon que l'Iran et la Russie feront ceci ou cela, les Palestiniens, les Israéliens et les Américains agiront d'une manière ou d'une autre. Tout cela est à la fois séparé et lié.
En outre, il existe un contexte politique, que l'on ne peut pas celer. Dans certains pays, la dimension électorale est, si j'ose dire, moins déterminante que dans d'autres, où la démocratie passe par les élections ; c'est évidemment ce dernier modèle que nous essayons de promouvoir. Il y a des décisions à prendre. Elles ne sont pas faciles, car elles demandent une grande élévation de pensée. Il ne suffit pas d'aller dans le sens du vent ; Paraphrasant Jean Guitton, je dirai que ceux qui s'exposent au vent s'exposent aussi à un destin de feuille morte.
J'en viens à l'Europe. Nous sommes européens. Cette année sera très importante et difficile. Des élections européennes seront organisées ; nous verrons quels en seront les résultats. Le Parlement européen a de plus en plus de poids. La Commission européenne sera renouvelée. De ce fait, sa situation sera ambivalente entre mars-avril et novembre, puisque certains de ses membres seront sur le départ tandis que d'autres n'auront pas encore pris leurs fonctions. Il faudra néanmoins travailler avec cette Commission.
Plusieurs d'entre vous Gilbert Roger, en particulier ont abordé la question de la défense européenne. Le sommet qui s'est déroulé au mois de décembre n'a pas apporté de grande surprise ; il a acté un certain nombre de choses intéressantes en matière d'équipements, de matériels. Ce n'est certes pas le grand élan que nous souhaiterions, mais il faudra revenir sur cette question sans naïveté, notamment avec nos partenaires allemands.
Il y a une concordance des calendriers. François Hollande et Angela Merkel sont au pouvoir pour une durée identique : ils ont environ trois ans et demi devant eux. Une rencontre a déjà eu lieu. Des travaux communs sont en cours. J'accueillerai dans quelques jours mon homologue Frank-Walter Steinmeier pour un séminaire de travail. Un premier conseil des ministres franco-allemand se tiendra le 19 février. Nous sommes donc en train de réfléchir à ce que pourraient être nos grands projets communs.
On pense tout de suite à trois séries de sujets. Tout d'abord, les questions économiques et sociales sont déterminantes. Il existe des contradictions, mais peut-être la participation du SPD au Gouvernement favorisera-t-elle une convergence sur les thèmes du sérieux budgétaire et de la croissance économique. Sans croissance, il n'y a pas de sérieux budgétaire, et réciproquement. Il y a également beaucoup de choses à faire dans le champ de l'énergie et de l'environnement ; ces enjeux sont d'ailleurs liés à la problématique de la croissance. Enfin, nous devons avancer dans le domaine de la défense.
Au-delà de ces trois séries de sujets, il faut que nous nous concertions pour déterminer nos positions sur les négociations avec les États-Unis, le Japon ou d'autres partenaires. L'alliance franco-allemande n'est certes pas exclusive, mais, même si elle est ouverte, elle reste déterminante. Nous allons donc continuer à travailler ensemble sur toutes les questions que j'ai évoquées.
Je veux maintenant revenir sur quelques points qui ont été soulevés par différents intervenants. Nathalie Goulet m'a posé des questions pertinentes, et en même temps facétieuses, sur les ambassadeurs. Oui, il existe plusieurs types d'ambassadeurs. Comme vous l'avez souligné, j'en ai trouvé quelques-uns en arrivant. Tout en tenant compte des réalités humaines, j'essaie de procéder aux nominations en fonction des résultats obtenus. Le nombre de ces ambassadeurs a été réduit, dans un souci de performance, mais je ne veux pas être injuste : plusieurs d'entre eux effectuent un réel travail, le plus souvent de manière bénévole.
Des questions m'ont également été posées au sujet de l'Agence française de développement, ou AFD. Un contrat d'objectifs et de moyens sera signé dans quelques jours. Il permettra de mieux connaître les objectifs, les résultats et les indicateurs ; ce sera intéressant pour vous. Je suis ce dossier en lien avec Pascal Canfin. L'AFD évolue dans le sens que vous souhaitez, même si cela prend un peu de temps. En ce qui concerne l'Azerbaïdjan, aucune somme n'a été affectée.
Mme Nathalie Goulet. Bon !
M. Laurent Fabius, ministre. L'information dont vous avez fait état n'est donc pas exacte.
Cependant, je reconnais volontiers qu'il nous reste beaucoup de travail à accomplir dans le domaine de l'aide au développement. Je serai toujours heureux de recevoir les propositions et les suggestions des sénatrices et des sénateurs.
Je terminerai en évoquant la Russie et la Chine. Mon homologue russe Sergueï Lavrov et moi-même avons échangé des lettres de fond au moment du nouvel an. Nous nous verrons probablement en début de semaine prochaine. Nous ne sommes pas d'accord sur tout avec la Russie, mais on n'a pas besoin d'être d'accord sur tout pour avoir une relation très profonde. Nous avons une relation historique, ainsi qu'une relation géographique évidente. Il y a également un choix politique, en tout cas du côté de la France. La Russie est l'un de nos grands partenaires. Jean-Pierre Chevènement le sait mieux que quiconque, puisque je lui ai demandé d'être mon représentant spécial pour nos relations économiques avec la Russie ; je tiens à vous remercier publiquement, cher ami, du travail remarquable que vous effectuez.
Le champ de nos relations avec la Russie est très vaste : il va du nucléaire au tourisme, en passant par les investissements dans les deux sens ; les investissements français en Russie sont toutefois bien plus importants que les investissements russes en France. Au-delà de l'économie, nos échanges portent sur la stratégie, sur une certaine vision des choses. Je désire avoir une très bonne relation avec nos amis russes ; je pense que nous allons y parvenir. Nous avons des approches divergentes sur certains points chacun les connaît , mais cela ne nous empêche pas de travailler ensemble.
La situation de l'Ukraine est complexe ; elle l'est plus qu'on ne le dit parfois. On sait bien où se portent nos regards, mais l'Ukraine ne se réduit pas à un seul bloc : sa réalité est diverse. Contrairement à ce que j'ai entendu, l'Union européenne ne propose pas une adhésion, mais un accord d'association à l'Ukraine. Je pense que le président Viktor Ianoukovitch s'est un peu servi de cette perspective pour obtenir des avantages importants de la part des Russes. Cependant, la situation de l'Ukraine est si difficile que, même si ces avantages lui sont vraiment octroyés nous verrons , cela ne suffira pas à résoudre ses problèmes. L'Ukraine est une terre magnifique, un grand pays, mais elle est confrontée à des problèmes considérables.
Nous avons dit que notre proposition restait sur la table, et nous avons ajouté c'est très important, tant vis-à-vis des Ukrainiens et des Russes que vis-à-vis des Européens que l'Ukraine n'avait pas à choisir entre l'accord avec l'Union européenne et l'amitié avec la Russie ; il n'y a pas d'opposition entre les deux. Après tout, si le rapprochement entre l'Ukraine et l'Union européenne est favorable à l'Ukraine, il sera également favorable à la Russie, puisque la Russie est très présente en Ukraine. Il faut présenter les choses de manière moins manichéenne qu'on ne le fait parfois.
J'en viens à la Chine en rappelant, comme M. Jean Besson tout à l'heure, que nous entrons dans l'année franco-chinoise, ce dont je suis extrêmement heureux. Nous aurons ainsi la visite du président Xi Jinping à la fin du mois de mars.
Le Président Hollande, pour sa part, a été accueilli de façon tout à fait exceptionnelle en Chine (M. Jean Besson opine.), pays avec lequel nous avons mille choses à faire. (M. Jean Besson opine de nouveau.)
À cet égard, si l'on peut dire que nos relations politiques sont excellentes, comme vous avez pu le constater, nos relations économiques, elles, doivent se développer. Elles sont en effet encore trop faibles et déséquilibrées. (M. Jean Besson opine.) Ainsi, pour ne prendre que l'exemple du tourisme, qui est une mine d'or, j'ai été frappé de lire dans un rapport très intéressant que vos collègues de l'Assemblée nationale ont fait à propos de la Chine qu'il y avait plus de touristes français qui s'y rendaient que l'inverse. Quand on voit les différences de population, il y a de quoi s'interroger sur ce constat.
Vous allez me reprocher d'avoir une approche mercantile, mais il est permis de faire des additions, voire des multiplications, quand on fait par ailleurs tellement de divisions
Il faut savoir que 1,2 million de touristes chinois viennent en France chaque année, chacun dépensant en moyenne 1 600 euros ; il y a 90 millions de Chinois qui voyagent et il y en aura 300 millions dans quelques années ; si au lieu d'accueillir 1,2 million Chinois, nous en recevions 5 millions, nous réduirions de 10 % notre déficit commercial, sans parler de la création d'emplois correspondante sur notre territoire. Vous conviendrez avec moi que si notre avantage comparatif ne paraît pas décisif en matière de pétrole, il semble plus important en matière touristique et patrimoniale par rapport à d'autres pays voisins.
Loin de moi l'idée de réduire nos relations avec la Chine à ce secteur d'activité, car il y a énormément de choses à faire dans tous les domaines. Or je pense que ce pays est tout à fait ouvert à l'approfondissement du dialogue.
J'ai été marqué par l'accueil des autorités chinoises à l'égard des Français. Il y a, comme vous l'avez souligné, le point commun de grande civilisation. Les Chinois ressentent une grande estime pour l'histoire française. Nombre d'entre eux, au temps de la révolution, ont étudié en France. La Chine possède une mémoire longue.
À mon sens, je le répète, nous avons énormément de choses à faire avec cette puissance, qui va devenir à terme la première du monde, d'autant que nous avons beaucoup d'analyses communes, notamment sur l'objectif de multipolarité.
Cette année franco-chinoise va donc être très riche ; beaucoup de choses vont être organisées en France et en Chine, sur le plan culturel, bien sûr, mais aussi sur le plan technologique, sur le plan économique, et je suis sûr que les échanges parlementaires y contribueront.
Il n'y a pas à choisir entre la Chine, l'Inde, la Russie, le Japon ou que sais-je encore. Quand on est une puissance globale comme la France et un des pays qui comptent, il faut avoir des relations, un objectif j'ai essayé de le montrer et avancer dans ce sens-là.
Pour terminer, je dirai qu'il ne faut jamais être totalement satisfait de ce que l'on fait, et je comprends les exigences du débat. En même temps, on me permettra d'être parfois un peu surpris par le débat, lorsqu'il existe, sur la politique étrangère. Car enfin, vous lisez comme moi la presse internationale : si des critiques, souvent d'ailleurs injustes, y sont portées sur notre réalité économique, s'agissant de la politique étrangère de la France, cette même presse nous apprend que s'il existe un pays, j'ajouterai en Europe, pour être modeste, qui a une politique internationale, à laquelle beaucoup rendent hommage, c'est la France.
Un tel constat ne doit pas nécessairement conduire les sénateurs à applaudir debout la politique étrangère du Gouvernement, mais essayons de ne pas être trop paradoxaux en y voyant beaucoup plus de difficultés que les observateurs étrangers eux-mêmes. Il s'agit non pas d'un argument d'autorité, mais d'une remarque que je me permets de faire en conclusion, tout en vous remerciant de votre patience. (Applaudissements.)
M. le président. Merci, monsieur le ministre !
Source http://www.senat.fr, le 10 janvier 2014