Texte intégral
BRUCE TOUSSAINT
Et tout de suite direction Davos, le Forum économique mondial. Sur place, notre invité, le ministre des Affaires étrangères, Laurent FABIUS. Bonjour et merci d'être en direct avec nous ce matin, sur I TELE.
LAURENT FABIUS
Avec plaisir.
BRUCE TOUSSAINT
On s'interroge un tout petit peu sur votre présence à Davos, vous n'avez pas été nommé ministre de l'Economie dans la nuit ?
LAURENT FABIUS
Non, mais vous êtes un bon observateur, ça se confirme, mais cette année à Davos, il y a une session importante sur le climat, et il se trouve, vous le savez, que l'année prochaine, en 2015, la France va accueillir la grande conférence mondiale sur le climat. Donc, comme c'est moi qui présidais cette conférence, il faut prendre les choses très en amont et donc toute la journée je vais participer à une série de tables rondes, rencontrer un certain nombre de gens, pour préparer la conférence climat. C'est ça.
BRUCE TOUSSAINT
Oui, et pour préparer cette conférence qui sera un enjeu important, et qui sera l'un des grands rendez-vous internationaux de l'année 2015, pour faire en sorte surtout qu'elle soit un succès, parce qu'il y a eu aussi des échecs en matière de conférences.
LAURENT FABIUS
Exactement, il y a eu beaucoup d'échecs. D'ailleurs quand on nous a désigné, nous, la France, pour être l'hôte de la conférence, la moitié de mes collègues m'a félicité et l'autre moitié m'a dit « on vous présente nos condoléances ». Non, c'est un sujet évidemment très important, parce que c'est vraiment notre vie elle-même. Vous savez que les scientifiques prévoient non pas une augmentation de 2° de la chaleur, si les émissions de gaz de serre continuent, mais de 4 à 5° ce qui serait absolument catastrophique. D'ailleurs, je ne parle pas, moi, de changement climatique, je parle de dérèglement climatique, et donc il faut, cette année 2014, déjà préparer les choses. Il va y avoir un sommet aux Nations Unies, organisé par Ban KI-MOON en septembre, il va falloir aussi, au Pérou, parce que c'est le Pérou qui accueille la conférence cette année, travailler avec eux, et puis les grandes décisions se prendront à Paris, décembre 2015, mais c'est quelque chose qu'il faut faire très à l'avance, voilà.
BRUCE TOUSSAINT
Mais pourquoi vos rendez-vous et vos échanges, vos contacts, au Forum économique mondial, vont-ils être si importants ? C'est plus de l'économie que de la diplomatie aujourd'hui, pour vous.
LAURENT FABIUS
C'est les deux. C'est les deux. Ce qu'il faut essayer de montrer, si vous voulez, c'est que changer les données du climat, essayer de lutter contre le dérèglement climatique, ça présente bien sûr des contraintes, parce qu'il va falloir changer une série de choses, notamment dans le domaine économique, mais ça peut être une occasion de croissance exceptionnelle, et c'est la raison pour laquelle il est très important que je rencontre toute une série de chefs d'entreprise, mondiaux, et aussi le secrétaire général des Nations Unies, et aussi mes collègues qui sont chargés de l'environnement et aussi les grands dirigeants des villes. Voyez, ça joue sur tous les sujets. Par exemple aujourd'hui, je vais avoir l'occasion de m'entretenir avec mon collègue chinois. Vous avez peut-être vu que Pékin a été quasiment bloqué par la pollution, là-bas ils parlent de air-pocalypse, c'est pas l'apocalypse, c'est air-pocalypse et donc la Chine est en train de bouger dans le bon sens, les Etats-Unis prennent conscience des problèmes et je crois que le président OBAMA est très engagé. Il reste des pays qui sont réticents, et il faut donc monter tout ça. Voilà.
BRUCE TOUSSAINT
Ça c'est la partie plus diplomatique, mais du côté des chefs d'entreprise que vous allez rencontrer, quel type de chef d'entreprise, quelles entreprises ?
LAURENT FABIUS
Eh bien, prenons un exemple, dans le domaine des ciments, qui sont très consommateurs d'éléments polluants, si les grands cimentiers du monde se mettent d'accord pour aller ensemble vers des économies d'énergie, ça a une incidence considérable. Dans le domaine, évidemment, du pétrole, des énergies renouvelables, donc ce sont ces dirigeants qui, poussés par nous, peuvent changer la donne. Alors il faut à la fois voir les dirigeants d'entreprise, voir les dirigeants des pays, voir les spécialistes de l'environnement, voir les ONG qui ont un rôle très important, et donc c'est tout ça qu'on fait ici. Moi, je suis venu ici, dans le passé, quand j'étais précisément ministre de l'Economie, mais là c'est autre chose, si vous voulez, l'intérêt de Davos, pour moi, c'est que ça m'épargne énormément de voyages, puisque sont rassemblés ici, toute une mais non, mais c'est comme ça, toute une série de gens, sinon qui demanderait des jours et des jours de voyages et de rendez-vous.
BRUCE TOUSSAINT
C'est bien pour votre empreinte carbone, aussi, du coup.
LAURENT FABIUS
Ah oui, ça c'est vrai.
BRUCE TOUSSAINT
La 44ème édition du Forum économique mondial, vous y êtes, c'est aussi un moment où on s'interroge sur le futur de l'économie, sur les politiques économiques occidentales notamment. Est-ce que vous pensez que le virage social, libéral, de François HOLLANDE, va être salué à Davos ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, la présentation des dernières décisions, je pense est saluée partout. Moi, par définition, je vais dans le vaste monde, et donc j'entends, il ne s'agit pas de faire un jugement et donc j'entends et notamment j'entends tout ce qui est opinion anglosaxonne, etc. et c'est vrai que les propos qui ont été tenus par François HOLLANDE dans sa conférence de presse, sont bien acceptés, simplement maintenant, les gens disent : voilà, c'est très bien, vous avez décidé de faire des économies, de relancer l'emploi par la croissance, de faire confiances aux entreprises, mais maintenant, il faut, comme on dit en anglais, « deliver », c'est-à-dire, nous voulons que vous nous examinions vos premières décisions. Et donc c'est ce qui a commencé d'être fait. Hier, j'étais en Afrique, à l'investiture de la présidente centrafricaine, mais j'ai vu qu'il y avait une réunion à l'Elysée sur toute une séries d'économies, eh bien c'est dans ce sens là qu'il faut aller.
BRUCE TOUSSAINT
On a entendu, une phrase choc, évidemment, on a entendu le patron de TOTAL, Christophe de MARGERIE, dire que l'Europe, en fait, devait être considérée comme un pays émergent, parce qu'il n'y a pas assez de croissance, parce qu'il y a toujours trop de chômage, est-ce que vous avez envie de réagit à cette phrase de Christophe de MARGERIE ?
LAURENT FABIUS
Que j'ai vu d'ailleurs tout à l'heure en venant à cette interview. Ecoutez, il faut regarder les chiffres. Quand on regarde les chiffres, il y a toute une série de pays qui ont des taux de croissance de 7, 8, 10 %, qui sont des pays moins développés que nous. Il y a les Etats-Unis qui sont en train de repartir, de manière assez forte, et l'Europe, elle, va faire des résultats qui sont meilleurs que l'année dernière, mais c'est une croissance qui est de 1 %, 1,5 % maximum, donc il faut booster l'économie européenne. Ça demande des décisions par chaque pays national, notamment en France, mais ça demande aussi que l'ensemble de l'Europe soit plus orienté vers la formation, vers l'investissement, vers la recherche, et pas uniquement, même si c'est nécessaire, vers les mesures budgétaires. Et donc le diagnostic est juste, il faut qu'on pousse notre croissance, parce que le grand problème de l'Europe, partout, c'est l'emploi, et si on veut plus d'emploi, il faut plus de croissance et donc mettre du gaz dans le moteur, enfin, du carburant en tout cas.
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS, un mot sur la situation en Ukraine, le Premier ministre ukrainien a qualifié hier de véritable tentative de coup d'Etat les manifestations organisées par l'opposition, est-ce que vous êtes inquiet de la situation à Kiev ?
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr, inquiet et indigné. D'ailleurs j'ai donné instruction au Quai d'Orsay, de convoquer aujourd'hui l'ambassadeur d'Ukraine en France, qui est un geste pour montrer que vraiment il y a une condamnation de la part de la France. Alors, c'est une situation très difficile, nous, nous appelons au dialogue entre à la fois IANOUKOVYTCH, qui est le président, et puis les représentants de l'opposition. Je suis en contact avec en particulier monsieur KLITSCHKO, qui est l'un des grands dirigeants de l'opposition, mais les lois qui ont été passée qui sont des lois extrêmement répressives, je l'espère, vont être modifiées, et il faut que le dialogue s'instaure. Quant au Premier ministre ukrainien, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne s'est pas illustré positivement les derniers jours, puisque vous avez vu qu'il y a eu des ordres de tirer sur la foule, etc. ce qui est évidement inadmissible.
BRUCE TOUSSAINT
Un mot également sur la conférence qui se déroule actuellement, pas très loin de vous, d'ailleurs, en Suisse, sur la Syrie. Est-ce que cette
LAURENT FABIUS
Oui, j'y étais avant-hier.
BRUCE TOUSSAINT
Oui, vous y étiez.
LAURENT FABIUSJ
'y étais avant-hier à l'ouverture, bien sûr.
BRUCE TOUSSAINT
On vous a entendu, d'ailleurs, assez remonté contre votre homologue syrien, quelles sont les dernières avancées ? Y en-a-t-il d'ailleurs ?
LAURENT FABIUS
Alors, vous savez, c'est en deux parties. Le premier jour il y avait tous les représentants de tous les pays, enfin, en tout cas, de beaucoup de pays, et le climat d'ailleurs était assez convergeant, sauf le ministre des Affaires étrangères syrien, qui lui a lu pendant 35 minutes son discours, qui était, j'ai dit, ce sont des élucubrations. A l'entendre, monsieur Bachar EL-ASSAD était responsable de rien, tous les gens qui étaient contre Bachar EL-ASSAD, ils ont tué les bébés, les femmes, etc., c'était des terroristes, enfin c'est absolument surréaliste, alors qu'au contraire, le représentant de l'opposition était très responsable. Mais ça, si vous voulez, c'était la première phase. Après, commence aujourd'hui la vraie discussion, c'est-à-dire entre d'un côté l'opposition syrienne, de l'autre les représentants du gouvernement syrien, et au milieu monsieur BRAHIMI qui est le représentant de l'ONU et de la Ligue arabe. Bon. Le premier jour, c'était très tendu, mais ça peut pas être autrement, quand on voit le comportement de Bachar. Simplement, il faut espérer qu'il va y avoir deux séries de discussions, d'une part pour faire en sorte, si c'est possible, parce que c'est ça l'objet de la conférence, qu'on bâtisse un gouvernement de transition, qui ait tous les pouvoirs exécutifs, c'est très difficile mais c'est l'objet de la conférence, et puis de l'autre côté, qu'on prenne des mesures humanitaires, c'est-à-dire couloirs humanitaires, c'est-à-dire cesser le feu dans tel ou tel endroit, c'est-à-dire apport de vivres, de médicaments. Et donc ça va être difficile, bien sûr mais on espère, il y a un petit espoir, comme ça, en tout cas la France, elle, dit « il n'y a pas de solution autre que politique », simplement il faut que l'on arrive à rapprocher opposition modérée, opposition responsable, et certains éléments du régime et Bachar n'a pas sa place, évidemment, dans le schéma.
BRUCE TOUSSAINT
Laurent FABIUS, vous êtes sur tous les fronts, vous le disiez à l'instant, vous étiez hier en Centrafrique, aujourd'hui à Davos, alors je ne sais pas, je ne sais pas si vous avez eu le temps d'acheter PARIS MATCH, mais quand même, je voudrais vous signaler que vous avez droit à plusieurs pages dans PARIS MATCH, ce matin, très belle photo le long de la Seine, avec ce titre : « Laurent FABIUS sur la route de Matignon ».
LAURENT FABIUS
Oui, on m'a dit, le titre on ne me l'avait pas dit, l'interview ça je l'ai corrigée, mais le titre, ça appartient à vos confrères de PARIS MATCH, je suis sûr que ça va me faire beaucoup d'amis ici et là. Non, c'est sans aucun fondement, mais est-ce que c'est un titre vendeur ? Je l'espère pour PARIS MATCH, je n'en suis pas tout à fait sûr.
BRUCE TOUSSAINT
Oui, bon, ça confirme quand même implicitement que vous êtes candidat, non ?
LAURENT FABIUS
Non, non non non pas du tout. Moi je fais mon travail, qui est passionnant, qui est difficile, et je ne demande absolument rien d'autre. Je suis, bien, si on peut dire, au Quai d'Orsay et partout dans le monde, les problèmes sont considérables, j'essaie d'aider et la France a une position dans ce domaine, qui est forte, donc quand on parle, on est entendu.
BRUCE TOUSSAINT
Et Matignon, vous avez déjà donné.
LAURENT FABIUS
Voilà, comme vous dites.
BRUCE TOUSSAINT
Un tout dernier mot, Laurent FABIUS, avant de vous remercier, on apprend ce matin que Valérie TRIERWEILER va effectuer un voyage humanitaire en Inde, ce weekend, pour l'association ACTION CONTRE LA FAIM, c'est un voyage qui était prévu de longue date, j'imagine que les services du Quai d'Orsay sont au courant de ce voyage, vont peut-être même l'encadrer.
LAURENT FABIUSJ
e ne sais pas. Non, honnêtement, je ne sais pas du tout si ce voyage va être fait ou pas, et je n'en ai pas entendu parler, mais ça ne signifie rien sur le fond. Non, je ne peux pas vous donner de renseignement utile, je suis désolé.
BRUCE TOUSSAINT
Merci Laurent FABIUS, merci d'avoir été avec nous, en direct de Davos, pour I TELE.
LAURENT FABIUS
Merci, bonne journée.
BRUCE TOUSSAINT
Très bonne journée à vous.
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 janvier 2014