Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la politique de l'emploi, la situation économique et sociale et le marché du travail, Paris le 23 janvier 2014.

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Circonstance : Voeux à la presse le 23 janvier 2014

Texte intégral


Merci monsieur le Président pour ce que vous venez de dire et pour les points que vous soulevez. Ils méritent des réponses.
Avant toute chose, je veux vous souhaiter à chacun et à chacune d'entre vous beaucoup de bonheur pour cette nouvelle année, sur le plan professionnel, et sur le plan personnel que nous ne devons jamais perdre de vue. Au journaliste (ou à la journaliste) mais aussi à l'homme ou à la femme que vous êtes.
Nous sommes ici dans un ministère où l'Humain tient la place centrale, la première place. Pas seulement comme une ressource –ressource humaine, c'est déjà un joli mot- mais comme une valeur, une finalité, le sens même de notre action, de nos combats. Ne l'oublions jamais. Je forme donc le vœu que cette année 2014 vous rapproche de ceux que vous aimez, et qui comptent pour vous, et pour qui vous comptez.
Je forme aussi des vœux pour la presse.
Des vœux d'exigence d'abord, dans la qualité des contenus et la justesse des informations. Je forme pour vous des vœux de résistance. Résistance contre la « machine médiatique » elle-même qui vous impose parfois un journalisme qui n'est pas au niveau de sa mission, un journalisme fait de petites phrases, de polémiques imaginées pour combler le vide, de pseudos couacs ou d'événements insignifiants qui ne disent rien de la richesse de la chose politique – ni des critiques nécessaires à y apporter.
Vous êtes le dernier rempart contre cela. Ne cédez pas. Je sais la pression forte, mais à long terme il en va peut être de votre profession, de son éthique, de la conception même de l'information.
Vous me répondrez que j'ai face à moi la presse de l'information sociale et qu'elle porte cette exigence plus que tout autre. C'est exact et je ne peux que vous encourager à résister plus fort encore.
Et cependant, je connais la situation de la presse.
Je veux dire un mot d'une forme de précarité de votre milieu professionnel. C'est toujours délicat. Le freelance et la pige peuvent être des modes de travail choisis, recouvrant une liberté assumée- je crois que c'est votre cas, monsieur le président - mais c'est aussi une forme de vulnérabilité quand elle est subie. Et le contexte économique n'est pas favorable. L'inspection du travail a d'ailleurs suivi quelques titres en redressement judiciaire. Structurellement, la presse est face à une grande mutation : le passage au numérique. Sur ce sujet, le ministère du travail s'est engagé auprès du secteur de la presse (toute forme de presses confondues) pour accompagner la mutation numérique et l'acquisition de compétences dédiées : veille et investigation sur le web, référencement, création et animation d'un blog, écriture web, gestion de la communauté en ligne.
Ce travail a permis, de 2009 à 2013, avec le soutien de l'AFDAS, d'accompagner chaque année de l'ordre de 300 entreprises et de 1500 stagiaires, particulièrement issus de PME.
Je forme enfin des vœux pour le pays.
Des vœux de redressements voire de renaissance.
2013 a été une année d'une grande densité dans le domaine dont j'ai la responsabilité. Il faut se rendre compte du chemin et du travail accompli
De 2013, je retire une certitude et une conviction renforcé. On ne réforme pas un pays au bulldozer en criant « rupture, rupture, rupture » : c'est le meilleur moyen pour que rien ne change.
Non :
- on reforme AVEC et pas contre les premiers intéressés ;
- on reforme en pariant sur l'intelligence collective des acteurs ;
- on reforme par le dialogue social, qui n'efface pas les divergences d'intérêts et les conflits –ils existent – mais qui permet de les dépasser ;
- on reforme avec le temps de ce dialogue, qui n'est pas un temps perdu mais un temps gagné.
Ce temps est nécessaire, vous le savez comme moi. Il n'est pas toujours bien accepté par nos concitoyens, par les chômeurs impatients de retrouver le chemin de l'emploi, par les salariés préoccupés de leur pouvoir d'achat, par les entreprises inquiètent d'une conjoncture difficile et en attente de simplifications et de réformes. Comment pourrait-il en être autrement ?
Il faut avoir cette science du temps pour comprendre que tout ne vient pas en « claquant des doigts ».
- Il a fallu s'employer pour que les emplois d'avenir montent en puissance. Nous y sommes.
- Il faut s'employer pour que le contrat de génération monte en puissance, c'est le cas. Gare aux commentaires répétés en boucle « ça ne marche pas ». Un jour vient où ils sont erronés, si l'on ne se donne pas le recul nécessaire. Le journalisme est aussi une science du temps. L'actualité ne supprime pas le recul.
Il en va de même pour la politique.
C'est pourquoi nous avons le devoir de trouver le bon équilibre entre la réponse à l'urgence sociale et économique, et la conception de réponses durables, en profondeur, refondatrices, dont notre pays à besoin.
2013 llustré parfaitement cette recherche d'équilibre :
- D'un côté nous avons mobilisé pour engager le retournement de la courbe du chômage –et d'abord sa stabilisation- une politique de l'emploi extraordinairement active. Une politique basée sur de nouveaux outils comme les Emplois d'Avenir ou la Garantie jeunes, ou sur des formes existantes d'emplois aidés dont nous avons amélioré la qualité et la durée, ou encore sur des mobilisations partenariales comme nous l'avons fait avec les régions et les partenaires sociaux, sur les 30 000 formations prioritaires. Tout cela en une année !
- De l'autre côté 2013 a été exceptionnellement riche de ce que l'on appelle parfois des « réformes structurelles » -mais que je préfère appeler des changements en profondeurs, durables, des nouveaux équilibres « gagnant-gagnant » (gagnant pour la compétitivité de l'économie et des entreprises, gagnant pour l'emploi, gagnant pour le progrès social) :
* Sécurisation de l'emploi, avec l'accord du 11 janvier puis la loi du 14 juin, et les débuts de son application depuis le 1er juillet – première réforme globale du marché du travail depuis l'échec patent de 1984 !
* Contrat de génération avec la loi du 1er mars, traduction de l'accord d'octobre 2012.
* Qualité de vie au travail, avec l'accord du 19 juin et ses prolongements.
* Création de compte de prévention de la pénibilité, après le rapport Moreau, la concertation retraite, la loi bientôt promulguée –une vraie révolution sur un sujet agité depuis plus de 10 ans mais jamais résolu
* Formation professionnelle avec l'accord du 14 décembre, un projet de loi adopté hier en conseil des ministres. Elle sera une grande loi qui refonde – je n'ai pas peur du mot – la formation professionnelle dans notre pays, telle que la loi de 1971 l'avait fondée.
* Démocratie sociale, avec enfin un processus pour établir la représentativité patronale, avec enfin un mode de financement des organisations syndicales et professionnelles clair, transparent, juste, détaché des organismes gérés.
* Combat contre les fraudes au détachement, pour une directive européenne d'application ambitieuse et exigeante –que nous avons obtenue grâce à une position extrêmement ferme dans la négociation
* Refonte, là encore en profondeur, de notre système d'inspection du travail, pour l'adapter aux enjeux nouveaux du monde du travail, renforcer ses compétences, ses pouvoirs, l'efficacité de son organisation
Il faut bien mesurer ce que cela représente pour notre pays !
Du marché du travail à la formation professionnelle, ce sont des changements systémiques, profonds. Je pourrais encore allonger cette liste, parler réforme de l'insertion par l'activité économique, parler PPL sur les reprises de sites rentables, parler repos dominical, parler sauvetage de l'AFPA, parler égalité professionnelle, parler grande conférence sociale, etc
Ces réformes, nous en avons besoin. Notre modèle social – souvent moqué mais aussi admiré – les attendait.
Car c'est quoi un « ministre de gauche social-démocrate » ?
C'est transformer les systèmes sociaux pour les adapter au monde dans lequel on vit. Ni casser, ni conserver – ce pourrait être une devise – mais transformer, progresser.
Je prends le cas de l'inspection du travail. Vénérable institution centenaire, professionnelle, compétente, convaincue, mais qui a besoin de pouvoirs nouveaux, besoin de compétences accrues, besoin d'une organisation plus collective. L'inspection du travail est restée proche de son organisation d'il y a 100 ans, c'est-à-dire compétente sur un tout petit territoire, sur tous les secteurs et tout le code du travail ; un inspecteur et deux contrôleurs se répartissant les tâches selon la taille des entreprises.
Cette organisation, si elle demeure adaptée pour répondre aux questions de proximité (salaire non payé, accident du travail, plainte d'un délégué, etc.) ne l'est plus pour certaines sujets complexes (amiante et risques graves, détachement illicite, entreprises en réseau, etc.). Ne rien changer, ce serait cela la mise à mort de l'inspection du travail. Je ne pouvais pas l'accepter. Alors, demain, l'inspection du travail aura de nouveaux pouvoirs, ses contrôleurs seront devenus inspecteurs, elle sera capable d'une intervention plus collective, parfois spécialisée.
Qu'est-ce qu'être social-démocrate ? Cela semble la question à la mode en ce début d'année.
Etre social démocrate, c'est faire évoluer la société française vers plus de responsabilités ou une responsabilisation des acteurs eux-mêmes.
Je m'explique. C'est le point commun de la sécurisation de l'emploi, de la réforme de la formation professionnelle et de celle de la démocratie sociale. Prenons la suppression du fameux « 0,9 » : le pourcentage de la masse salariale consacré légalement au plan de formation de l'entreprise. C'est le même choix que de privilégier l'accord collectif – que ce soit pour le maintien dans l'emploi ou pour la conclusion de PSE, dans la loi de sécurisation de l'emploi : croire en la responsabilité des acteurs.
Ici, le pari de la responsabilité prend la forme suivante : la formation d'adaptation au poste de travail appartiendra désormais à chaque entreprise. Chacun sait qu'elle est nécessaire à sa survie. Pour preuve, elle avoisine les 3% de la masse salariale là où l'obligation légale impose 0,9%. Une obligation administrative n'est pas nécessaire. Chacun est face à ses choix. Les fonds mutualisés de la formation professionnelle seront en revanche affectés à des enjeux plus difficiles et pour lesquels l'intervention de l'Etat est nécessaire. Former n'est pas une obligation, c'est un investissement et une responsabilité !
Et vous comprendrez donc que, pour être à la hauteur de cette responsabilité, il faut des acteurs sociaux capables, forts, compétents, légitimes.
Vous avez là le projet de loi que j'ai présenté hier !
Alors parlons de 2014.
Et 2014, la lutte contre le chômage sera encore et toujours une priorité, une exigence, une bataille mère de toutes les batailles : inverser durablement la courbe du chômage !
Une inversion engagée avec le ralentissement puis la stabilisation de la fin de 2013, pour qui veut bien regarder les chiffres avec sérieux et rigueur, et même déjà réalisée depuis 6 mois pour les jeunes.
Je veux y revenir un instant, même si j'ai l'impression de m'être si souvent exprimé sur cette ambition.
Par la politique de l'emploi comme par la politique de croissance, nous nous battons farouchement contre des ennemis parfois invisibles et qui nous dépassent : la conjoncture, le moral des entrepreneurs, les fermetures d'usines, le déficit de formation de travailleurs, la difficulté d'employeurs à formaliser les compétences qu'ils recherchent, l'absence de visibilité.
Nous ne promettons pas des miracles, mais le volontarisme d'une mobilisation de tous. Cette mobilisation nous lui avons donné un nom : l'inversion de la courbe du chômage. Je le redis, une fois encore : ce n'est pas un pari, une pièce jetée en l'air. Ce n'est pas plus un serment – ce ne serait pas prendre les Français au sérieux. C'est un engagement, dans le sens premier du terme, celui de toutes nos forces engagées et mises au service d'un objectif !
Il trouvera dans le « Pacte de responsabilité » que vient de lancer le Président de la République un élan et une force renouvelée, une accélération nécessaire. Je ne vais pas développer sur ce Pacte dont le Président de la République a tracé avant-hier les contours, et qui fera l'objet de discussions chez le Premier Ministre avec les partenaires sociaux lundi prochain. Mais vous avez compris que le ministre de l'emploi que je suis, le ministre du travail que je suis, le ministre de la formation professionnelle que je suis, le ministre du dialogue social enfin que je suis, sera en première ligne de l'élaboration et de la mise en œuvre de ce Pacte et de ses contreparties.
Nous aurons donc bien des occasions d'en reparler ensemble dans les jours, les semaines et les mois qui viennent !
Et bien sûr pour la prochaine Grande conférence sociale, qui sera cette année celle du Pacte !
Je crois que 2014 démontrera quelque chose de manière plus éclatante encore
- Notre pays peut avancer, trouver de nouveaux équilibres dynamiques,
- Il peut le faire en visant des résultats à court terme, il peut le faire aussi en visant des résultats à plus long terme, des changements profonds.
- Il peut le faire en prenant le temps du dialogue, de la concertation, de la négociation,
- Mais il peut le faire vite, et bien : même si tout n'est pas parfait, tout n'est pas réussi, regardez ce que nous avons fait, ensemble, en seulement une petite année !
- Il peut aussi préparer l'avenir – parfois sans que cela se voit. N'avez-vous pas remarqué que le compte personnel de formation et le compte de prévention de la pénibilité sont des comptes d'un nouveau genre : attaché à la personne et non au poste de travail ?
Oui, un nouveau modèle social se créé sous nos yeux, celui d'une sécurité personnelle et dynamique, capable d'encaisser les transitions et changements des trajectoires professionnelles. C'est un horizon formidable, quelques graines semées ici ou là, mais dont, un jour ou l'autre, « la germination fera éclater la terre » pour citer nos classiques.
Nous nous efforcerons ici,
Moi-même,
Vanessa et Stéphanie et tout le service de presse,
Gilles et Nicolas et tout le cabinet,
d'être toujours à votre disposition, pour répondre à vos attentes légitimes, celles de vos lecteurs, dans un climat de sérieux, de rigueur, d'honnêteté, et pourquoi pas de convivialité, et je conclue ainsi, en vous invitant à partager –en tout bien tout honneur – ce buffet amical.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 28 janvier 2014