Texte intégral
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenue Laurent FABIUS. Bonjour.
LAURENT FABIUS
Merci beaucoup.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans vos voyages à travers le monde, vous rencontrez beaucoup d'investisseurs étrangers, pourquoi 77% d'entre eux comme disait tout à l'heure Axel DE TARLE se détournent-ils de la France ?
LAURENT FABIUS
C'est un mauvais résultat, il faut être carré, et évidemment, comme par définition je passe mon temps à l'étranger, c'est quelque chose que je constatais, et qui est aujourd'hui avéré. Pourquoi ? Je pense qu'il y a trois grandes raisons, la première raison, c'est le manque de compétitivité de nos entreprises, la deuxième raison, c'est un manque d'attractivité en France, et la troisième raison, c'est qu'on n'a pas fait assez d'économies, et ça donne exactement le cap de ce qu'il faut faire. Il faut augmenter la compétitivité des entreprises, donc ça pose le problème des impôts, etc., il faut une
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La fiscalité
LAURENT FABIUS
Bien sûr, il faut une meilleure attractivité et des questions de complexité, et puis, il faut faire des économies. Et ça rejoint le pacte de responsabilité qui a été proposé. Donc c'est absolument clair et net.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous dites qu'il faut réduire les dépenses publiques sans compenser par des hausses d'impôts.
LAURENT FABIUS
Bien sûr parce que
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sinon ? Sinon ?
LAURENT FABIUS
Sinon, on n'obtient rien du tout.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc c'est un exercice difficile à faire ?
LAURENT FABIUS
Oui, difficile, nécessaire. François HOLLANDE s'est exprimé de manière extrêmement claire l'autre jour dans sa conférence de presse, maintenant, il faut faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec le pacte de responsabilité, ça va un peu mieux, dites-vous, mais les gens que vous avez vus attendent des actes, pour éviter l'échec de ce pacte qui est déterminant pour le pays, pour le quinquennat de François HOLLANDE, comment répondre à l'urgence ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, hier, j'ai rencontré monsieur GATTAZ, qui était venu me voir pour parler justement de diplomatie économique, et je pense que maintenant, les choses sont assez carrées, d'un côté, le gouvernement, l'Etat s'engagent à un allègement de charges, de l'autre, les entreprises vont faire un effort particulier sur l'emploi ; il n'y a que comme ça qu'on peut s'en sortir. L'emploi nécessite de la croissance, la croissance, il faut la chercher partout où elle est, elle est en particulier à l'étranger.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, le prochain gouvernement, est-ce qu'il devra être, Laurent FABIUS, plus réduit, plus professionnel, plus social démocrate pour appliquer ses idées ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, pour le moment, on est dans ce gouvernement-ci
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour le moment
LAURENT FABIUS
Non, non, mais
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est un moment qui va durer ?
LAURENT FABIUS
Non, écoutez, ça, la décision relève du président de la République. Je crois que les orientations fixées sont absolument claires, le président s'est engagé, le Premier ministre s'est engagé et le gouvernement aussi, maintenant, il faut y aller, et c'est ce qui est
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et aller vite !
LAURENT FABIUS
Oui, il faut aller vite, il faut aller vite.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dimanche, est prévue à Paris Thomas en parlait avec les équipes d'EUROPE 1 une nouvelle manifestation bric-à-brac et dangereuse, jour de haine et de colère contre messieurs HOLLANDE et AYRAULT. Comment réagir, si c'est encore possible ?
LAURENT FABIUS
Non, je pense que c'est complètement à côté de la plaque, le pays a besoin de se mobiliser, de se rassembler et non pas de division, exploitée d'après ce que j'ai compris par un certain nombre d'extrémistes. Donc c'est exactement le contraire de ce qu'il faut faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui mais il y a un danger ?
LAURENT FABIUS
Il faut toujours faire attention, parce que quand vous avez des gens excessifs, extrémistes, il peut y avoir des dérapages, et ils cherchent probablement ces dérapages, mais il ne faut pas du tout entrer là-dedans. Vous savez, les gens voient bien les difficultés européennes, les difficultés du pays, il faut retrousser les manches et y aller, et pas s'égarer dans des combats ridicules de troisième ordre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent FABIUS, l'Ukraine est au bord de la guerre civile, c'est l'un des chefs de l'opposition qui le dit, les pro-européens marquent des points, l'Union européenne, est ce qu'elle doit les encourager, les pro-européens, alors que Vladimir POUTINE dénonce l'ingérence étrangère, y compris l'ingérence russe, quand il le dit, est-ce que vous le croyez ?
LAURENT FABIUS
Moi, je suis en contact avec à la fois les responsables du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères ukrainien et à la fois avec les responsables de l'opposition ; il faut essayer de faire tout ce qu'on peut, et la France y contribue, l'Allemagne aussi, d'autres, pour rétablir un dialogue. On ne va pas aller vers la guerre civile. Ça veut dire que ce n'est pas soit l'Europe soit la Russie, la géographie est ce qu'elle est ! La Russie est à côté de l'Ukraine, l'Europe est également à côté de l'Ukraine, enfin, l'Union européenne, donc il faut trouver des moyens d'en sortir. Alors, c'est ce qui est en train d'être discuté, il y a déjà eu, 1°) : une bonne chose, c'est que les lois dites scélérates ont été rapportées, mais l'amnistie n'est pas complète, mais on ne sait pas exactement si et quand vont avoir lieu des élections
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous recommandez
LAURENT FABIUS
Il faut dialoguer, il n'y a pas d'autre solution
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous recommandez de ne pas s'en mêler, qu'il y a trop de risques à s'en mêler ?
LAURENT FABIUS
Non, s'en mêler, c'est un mot un peu général, et ça nous concerne, parce que, il y a des hommes et des femmes qui sont en train d'être tués, il y a un régime qui est en grande difficulté, il y a des exactions de toutes sortes. Donc on ne peut pas dire : ça ne nous regarde pas. Mais il faut le faire sans qu'on pousse à ou bien la Russie ou bien l'Europe, il faut trouver les chemins du dialogue
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi Vladimir POUTINE devient-il ce que L'EXPRESS appelle aujourd'hui une super star ? Pourquoi il s'affirme aujourd'hui dans le monde de cette manière ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, Vladimir POUTINE a une politique étrangère bien précise, en même temps, je pense que c'est la faiblesse d'un certain nombre d'autres puissances qui
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez dire les Etats-Unis ?
LAURENT FABIUS
Non, d'une manière générale
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'Europe ?
LAURENT FABIUS
D'une manière générale. Et puis, en même temps, il a une habileté qui le conduit, par exemple alors que, vous le rappelez, pendant longtemps, il a dit qu'il n'y avait pas d'armes chimiques en Syrie non seulement, un jour, à les reconnaître, mais en plus, à aider à leur démantèlement. Il faudrait d'ailleurs aller plus vite. Donc voilà. Mais la Russie est un ami traditionnel de la France, ça ne veut pas dire que nous partagions toutes ses positions, bien au-delà, mais il faut compter avec la Russie, voilà.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et il faut accorder plus de visas malgré Schengen ou en assouplissant Schengen aux étudiants
LAURENT FABIUS
Ah oui, ça, c'est une position
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aux hommes d'affaires, aux touristes russes
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr, moi, c'est une position que j'ai prise, qui n'est pas partagée jusqu'ici par tous les Européens, mais je vais continuer, je pense que si on veut aider justement la société russe à évoluer, et si on veut développer le mouvement d'échanges, il faut supprimer des visas de la part des Russes vers la France et réciproquement
JEAN-PIERRE ELKABBACH
A Genève, il y avait deux délégations syriennes, Bachar EL ASSAD et les opposants se parlent, est-ce qu'elles vont finir par s'accorder sur un cessez-le-feu ?
LAURENT FABIUS
Difficile pour le moment
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Au moins pour que l'action humanitaire sauve les Syriens de la famine, de la maladie et de la mort !
LAURENT FABIUS
Voilà, c'est la priorité. C'est la priorité, parce que, il ne faut pas oublier que tous les jours, il y a des dizaines et des dizaines de morts en Syrie, même si on en parle beaucoup moins parce que les journalistes sont menacés, parce que, bon mais c'est une situation abominable. Moi, j'ai participé à la conférence de Genève, et c'était absolument manifeste, d'un côté, vous avez les hommes de Bachar et leur objectif, c'est : protéger son clan, et de l'autre, vous avez l'opposition modérée, qui veut protéger le peuple syrien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, qu'est-ce qu'on fait ? L'autre, il reste en place ?
LAURENT FABIUS
On a poussé pour qu'il y ait une discussion, elle a lieu, mais elle ne donne pas grand-chose jusqu'ici, il faut accélérer, notamment ce plan humanitaire, et si les Russes, les Iraniens et les Syriens, etc., ne bougent pas, il faut ré-envisager d'aller devant l'ONU pour dire : l'humanitaire d'abord, il est inadmissible que des dizaines et des dizaines de gens, tous les jours, qui n'ont absolument rien fait, soient tués.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Autrement dit, ça va être long, mais la solution, elle reste politique pour vous ?
LAURENT FABIUS
Ah oui, il n'y a pas d'autre solution que politique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec l'Iran, les négociations reprennent mi-février, à New York.
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sur l'accord de six mois et sur le nucléaire militaire. Est-ce que vous croyez que les Iraniens vont vraiment renoncer à construire la bombe et
LAURENT FABIUS
Je n'en sais rien, je n'en sais rien. La première partie de l'accord que nous avons négociée est bonne, et on est en train de l'appliquer. Mais elle ne dure que six mois. La deuxième partie, ça va être le moment de vérité, est-ce que les Iraniens sont prêts à accepter la perspective d'aller vers le nucléaire militaire ou bien est-ce qu'ils disent simplement : on reste au niveau du seuil, la France est ferme, tout à fait ferme, mais bien sûr, nous voulons une solution qui serait positive pour la sécurité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous avez confiance en ROHANI, Hassan ROHANI ?
LAURENT FABIUS
J'ai adopté une attitude depuis que je suis aux Affaires étrangères, la question n'est pas de savoir si vous avez confiance ou pas dans les gens qui sont encore en face de vous, la question est de faire en sorte qu'ils ne puissent pas vous tromper, voilà, et pour ça, il faut prendre des garanties.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous faites plus attention que Barack OBAMA que vous allez rencontrer avec le président, et je suppose dans quelque temps et que vous préparez ces entretiens
LAURENT FABIUS
François HOLLANDE sera reçu en visite d'Etat effectivement dans une dizaine de jours, et je l'accompagnerai.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez félicité, Laurent FABIUS, le nouveau gouvernement de Tunis et sa marche vers la démocratie
LAURENT FABIUS
Oui, oui, oui
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ça, c'est un point très positif ?
LAURENT FABIUS
Très bonne nouvelle, il n'y a pas beaucoup de bonnes nouvelles en ce moment, notamment dans le monde arabe, mais le fait que les Tunisiens aient adopté à la quasi-unanimité une Constitution ouverte qui garantit l'égalité entre les hommes et les femmes, la liberté de conscience, le fait qu'il y ait maintenant un nouveau Premier ministre, que j'ai félicité, le fait qu'on aille vers des élections, ça, c'est une très, très bonne nouvelle.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En revanche, vous êtes inquiet sur l'Irak et surtout la Libye, simplement, dites-nous ce que vous pensez de ce qu'on entend, que l'ONU aurait autorisé les Occidentaux à des opérations militaires prochaines en Libye, c'est vrai, c'est faux ?
LAURENT FABIUS
Non, c'est inexact. En revanche, la situation en Libye est très difficile parce qu'il y a beaucoup d'armes, parce qu'il y a beaucoup de tribus, parce que l'Etat a du mal à imposer son autorité. Et donc il faut être extrêmement vigilant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes inquiet, vous êtes inquiet.
LAURENT FABIUS
Oui, je suis inquiet, de même que les Algériens, de même que les Tunisiens, de même que les Américains, de même que les Italiens. Donc il faut aider le gouvernement libyen à être plus comment dire efficace en matière de sécurité.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Laurent FABIUS d'être venu sur EUROPE 1. Merci Jean-Pierre ELKABBACH. J'ai un texto de votre ORL, qui dit : taisez-vous ELKABBACH jusqu'à demain !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec nous et nous aussi
LAURENT FABIUS
Non, non, moi, je formule mes souhaits de meilleure santé, comment on a dit, au renard de l'atlas ?
THOMAS SOTTO
C'est Nicolas CANTELOUP
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est la seule fragilité du moment, et vous savez ce que c'est, Thomas, la voix s'améliore chaque jour.
THOMAS SOTTO
Oui, absolument
LAURENT FABIUS
Et c'est aussi mauvais pour des journalistes que pour des hommes politiques de perdre des voix.
THOMAS SOTTO
Comment vous faites, vous, quand vous perdez des voix ?
LAURENT FABIUS
Pardon ?
THOMAS SOTTO
Comment vous faites quand vous perdez des voix ?
LAURENT FABIUS
Ah, je fais quelque chose que vous ne pouvez pas faire, je me tais.
THOMAS SOTTO
Ah, c'est sûr. Merci Laurent FABIUS. Jean-Pierre, on vous retrouve demain avec Olivier SCHRAMECK. Bonne récupération d'ici là !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 février 2014