Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à Cergy Pontoise le 4 février 2014.

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Circonstance : Mardis de l'Essec, à Cergy Pontoise (Val d'Oise) le 4 février 2014

Texte intégral

(...)
(Syrie)
Q - Monsieur le Ministre, au lendemain de bombardements à Alep, pourriez-vous nous expliquer le regard que vous portez sur cette crise dans le contexte de Genève II ?
R - Sur la Syrie - qui est une tragédie absolue avec 140.000 morts, des millions de gens déplacés, déportés et des conséquences extrêmement lourdes sur l'Irak, la Jordanie, le Liban et sur l'ensemble de la région. Il y a aussi des tortures et l'utilisation d'armes chimiques. Il faut rappeler que le début de ce conflit est une petite manifestation dans un village de Syrie où quelques jeunes n'étaient pas favorables au régime de Bachar Al-Assad. Ensuite la façon dont les choses ont été réprimées fait que nous nous retrouvons deux ans plus tard avec un conflit gravissime et des pays qui se font la guerre par personnes interposées.
C'est le premier conflit grave auquel j'ai été confronté depuis que j'ai été nommé à la tête du Quai d'Orsay, c'était en juin 2012. Il y a eu la conférence dite de Genève I et, à l'époque, il suffisait d'un mouvement, qui n'aurait pas été très fort, pour que Bachar Al-Assad tombe. À l'époque, il n'y avait en Syrie ni terroristes, ni Hezbollah, ni Iraniens et nous étions en juin 2012. Nous, nous avons pris une position à l'époque consistant à dire : «M. Al-Assad est le bourreau de son peuple, il n'est pas question de le soutenir ; donc, nous allons soutenir l'opposition modérée».
Mais notre position, qui était juste, ne s'est pas traduite au plan international, pourquoi ? Il y avait les élections américaines et les choses ont été neutralisées parce que les Américains n'ont pas voulu prendre de position forte sur le terrain. Et puis les pays arabes étaient eux-mêmes divisés.
On était en juin 2012, cela a duré jusqu'en février 2013 avec l'arrivée du nouveau secrétaire d'État, John Kerry, qui a succédé à Hillary Clinton. J'ai eu des conversations avec John Kerry, mais à ce moment-là le Hezbollah, Al Qaïda et les Iraniens ont commencé à s'installer en Syrie. Et puis les Russes avaient apporté chaque jour davantage de matériels. Du coup, M. Bachar Al-Assad s'en trouvait renforcé.
Là, nous sommes beaucoup plus tard. Quelle est notre position ? Qu'essaie-t-on de faire ? Que va-t-on essayer d'arriver à faire ? Nous disons : M. Al-Assad, bourreau de son peuple, ne peut certainement pas être son avenir. Mais nous ne sommes absolument pas prêts à soutenir les terroristes, Al-Qaïda, Al-Nosra, etc.
En conclusion, comme nous ne voulons ni de Bachar Al-Assad ni des terroristes - avec les conséquences que cela aurait sur l'ensemble de la région, et nous n'en sommes pas loin -, nous disons que nous soutenons ce que l'on appelle l'opposition modérée qui a pris des positions disant que la Syrie doit être unie, qu'il faut reconnaître les chrétiens et les différentes communautés.
Le problème est que cette opposition modérée doit se battre, et c'est extrêmement difficile, des deux côtés : d'un côté le clan de Bachar Al-Assad, et de l'autre les terroristes qui sont souvent d'ailleurs d'accord entre eux, même si, officiellement, ils se combattent.
L'objet de Genève II c'est, selon les termes de Genève I - et j'ai bien Genève I à l'esprit puisque c'est moi qui tenais la plume -, de créer, par consentement mutuel entre les gens de Bachar Al-Assad, mais sans lui, et l'opposition modérée, un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs, en formulation anglaise c'est «transitional body with full executive power».
Le deuxième objet, c'est arriver à prendre des mesures humanitaires pour établir des cessez-le-feu, débloquer les villes d'Homs et d'Alep. Il y a eu huit à dix jours de conversations. Pour le moment on n'arrive à rien mais il faut quand même continuer. Pourquoi ? Parce que la solution ne peut être que politique. Si elle n'est pas politique, elle est militaire. Qui peut croire raisonnablement que, dans un conflit où d'un côté il y a les Russes, les Iraniens, les Syriens et, de l'autre côté - sans trahir de grands secrets -, des pays arabes et puis le soutien direct ou indirect de pays occidentaux, qui peut croire qu'il va y avoir une victoire militaire ? Personne.
Q - Même si les États-Unis ont indiqué qu'ils aimeraient relancer la livraison d'armes...
R - ... Donc, il faut arriver à une solution politique. Mais il faut faire preuve d'une énorme détermination et de pressions notamment sur les Russes ; j'ai fait une déclaration aujourd'hui. M. Bachar Al-Assad avait accepté, et les Russes avec lui, de sortir les armes chimiques parce que la France avait menacé...
Q - 5 %...
R - ...Mais il devait sortir 100 % des armes chimiques aujourd'hui et seulement 5 % ont été sorties. Il faut que l'opinion publique internationale, nous et l'ONU, fassions pression. Cela ne veut pas dire que ce soit facile, que nous allons y arriver demain. Mais la diplomatie, épaulée par la force, c'est aussi cela, c'est-à-dire essayer de prendre la position la plus juste possible et, à partir de là, en nouant des alliances, pousser dans cette direction-là.
Les choses sont tragiques et il y a, en même temps, quelques petites zones d'espoir. J'étais ce week-end à Munich où j'ai eu pas mal de conversations avec les uns et les autres. Et il est possible, même si c'est fragile, que la contagion qui jusqu'à présent existait entre la Syrie et le Liban s'arrête, parce qu'il semble que les puissances voisines aient accepté de déconnecter le sort de la Syrie du sort du Liban. Ce qui permettrait à nos amis Libanais - peut-être suis-je trop optimiste - d'avoir un espoir que le drame syrien ne soit pas contagieux chez eux.
Q - Cela veut dire quoi une «déconnexion» ?
R - Cela veut dire que le Liban, qui est un petit pays, a actuellement 25 % de sa population qui vient de réfugiés syriens. Et Bachar Al-Assad, volontairement, fait en sorte que la population syrienne chassée aille au Liban car, lui, son intérêt c'est que le conflit soit régional et, donc, insoluble.
La déconnexion, cela veut dire que - alors qu'aujourd'hui il n'y a pas de gouvernement au Liban -, les puissances voisines, c'est-à-dire l'Iran, l'Arabie saoudite, d'autres accepteraient qu'il y ait un gouvernement entre, d'un côté M. Hariri et, de l'autre, le Hezbollah, ce qui a été refusé jusqu'à présent.
Du même coup, cela permettrait d'avoir un président qui prendrait la suite du président actuel, M. Sleimane. Si c'est le cas, cela voudrait dire que les puissances ont été convaincues - et nous avons travaillé à cela - que la Syrie était un drame horrible mais que personne n'avait à gagner à ce que ce drame horrible en plus se double d'un drame aussi horrible au Liban. Point d'interrogation.
(...)
Q - Bonjour Monsieur le Ministre. Je me permets d'approfondir votre question. Je suis un peu inquiet. Que vont devenir les 2 millions de chrétiens qui sont en Syrie et qui soutiennent Bachar ?
R - Alors c'est vrai que non seulement en Syrie, mais dans l'ensemble de l'Orient, il y a une situation extrêmement difficile des chrétiens d'Orient. C'est vrai partout et notamment en Syrie. La situation est assez étrange, car vous avez raison, beaucoup d'entre eux soutiennent Bachar Al-Assad. Non qu'ils aient un amour immodéré pour M. Bachar Al-Assad qui certainement ne le mériterait pas, mais parce qu'ils ont peur que si Bachar Al-Assad venait à disparaître ou à s'écarter, ce sont les terroristes, disons Al-Qaida pour simplifier, qui prennent le contrôle de la Syrie et qu'eux-mêmes voient leur vie menacée.
C'est une des raisons supplémentaires pour lesquelles nous disons que nous ne voulons ni des terroristes ni de Bachar Al-Assad, mais de l'opposition modérée qui, elle, reconnaît parfaitement évidemment les droits des chrétiens, comme les droits des kurdes, des alaouites et de toutes les communautés. Et c'est une des raisons pour lesquelles nous soutenons cette opposition modérée. Alors elle se trouve souvent entre le marteau et l'enclume. Mais nous disons, et j'ai l'occasion souvent de voir les autorités religieuses de ces pays, qu'ils font ce qu'ils jugent bon de faire, mais Bachar Al-Assad ne les protège pas réellement, il les expose comme une espèce de bouclier.
Je vais vous donner deux cas précis de complicité objective entre Bachar Al-Assad et les terroristes. Il n'y a pas si longtemps que cela, les groupes terroristes anti-chrétiens ont pris contrôle d'un puits de pétrole qui se trouve au nord de la Syrie Et ils ont vendu le pétrole au régime de Bachar. Quand on regarde les bombardements qui ont lieu, y compris récemment, on s'aperçoit que ces bombardements visent beaucoup plus l'opposition modérée que certains groupes terroristes, comme s'il y avait une espèce d'alliance objective.
Donc, concrètement, cela veut dire quoi ? Il faut que tous ceux qui partagent nos idéaux démocratiques affirment la nécessité de défendre les chrétiens, et que nous ne soutenions que les forces qui les défendent effectivement. Et pour ceux qui, comme le gouvernement français, font confiance à l'opposition modérée, qui d'ailleurs a des chrétiens dans ses représentants, il faut que nous leur donnions les moyens de s'affirmer et si possible de l'emporter. Mais votre remarque, qui peut choquer certains, est tout à fait juste malheureusement.
Q - Bonjour Monsieur Fabius. J'aimerais vous poser une question concernant l'attaque chimique qui a eu lieu en août dernier en Syrie. La France s'est illustrée par son empressement à condamner cette attaque, et de l'attribuer à Bachar Al Assad. Aujourd'hui, donc c'était le 14 janvier 2014, une étude publiée par le MIT affirme que Bachar Al-Assad n'était pas à l'origine de cette attaque chimique. Est-ce que aujourd'hui, devant cette assemblée, vous pouvez reconnaître que vous vous être trompé sur cette situation et présenter vos excuses ?
R - Certainement pas. M. Fabius n'est pas en cause. Il y a eu une enquête des Nations unies, qui a diligenté beaucoup d'experts, qui ont établi de la façon la plus ferme qu'il y avait eu un massacre chimique et que ce massacre chimique trouvait son origine dans les rangs du régime. Mais il y a toujours des gens pour contester l'évidence. Malheureusement l'évidence est absolument incontestable, et les mêmes personnes, en l'occurrence M. Bachar Al-Assad, qui deux jours auparavant niaient qu'ils possèdent des armes chimiques, ont été obligées de reconnaître deux jours après, non seulement qu'ils en possédaient mais aussi qu'ils les avaient utilisées. Faites attention, Monsieur, il faut bien sûr toujours être très méticuleux sur les preuves, mais quand on est en face d'un criminel, il faut dire que c'est un criminel.
(...)
(Iran)
La question posée est celle du nucléaire iranien. Depuis de nombreuses années, beaucoup suspecte l'Iran de vouloir se doter de l'arme nucléaire. Or nous avons - les Français, les Américains, les Britanniques, les Russes et les Chinois - une position qui consiste à dire aux Iraniens que pour le nucléaire civil il n'y a pas de problèmes mais que pour l'arme atomique c'est non. Nous considérons que le nucléaire civil est une source d'énergie dont chacun peut disposer, mais que la prolifération nucléaire est un énorme danger surtout dans cette zone. Si l'Iran se dote de l'arme nucléaire cela fera réagir ses voisins (la Turquie, l'Arabie Saoudite...) qui chercheront à s'en doter aussi. Autant l'arme nucléaire peut jouer un rôle de dissuasion, comme à l'époque de la guerre froide, autant si vous mettez dans la même région, en proie à des conflits religieux, des pays qui ont tous l'arme nucléaire vous êtes sûrs d'avoir une catastrophe.
Aussi notre position est simple : oui au nucléaire civil et non à l'arme atomique.
Quant à l'enrichissement cela pose différents problèmes. Nous avons des discussions entre le 5+1 (5 membres du conseil de sécurité plus l'Allemagne) avec l'Iran. Les États-Unis nous ont prévenus qu'ils avaient des discussions approfondies avec les Iraniens. Ensuite une conférence a été organisée à Genève pour savoir si on pouvait trouver un accord. Les Américains nous affirmaient, qu'à la suite de discussions avec les Iraniens, qu'il pourrait y avoir un terrain d?accord traduit par ce texte. Après examen de ce dernier nous avons pensé - sans que cela soit interprété comme une rebuffade - que ce texte ne comportait pas les clartés nécessaires notamment sur quatre points.
Tout d'abord il ne disait pas d'une façon claire et nette que l'Iran avait droit au nucléaire civil mais pas au nucléaire militaire. J'ai proposé d'inscrire, dans le prologue, une phrase prononcée par le président Rohani («under no circumstances will Iran ever seek or develop any nuclear weapon»). C'est clair et net.
Le deuxième élément portait sur le réacteur dit d'Arak. Il y a plusieurs modes de réacteurs dont ceux qui produisent du plutonium et qui sont particulièrement dangereux. Ils ne peuvent pas être détruits sous peine de prolifération nucléaire. Cette question n'était pas traitée dans l'accord qui nous était soumis et c'est évident que si l'on dit oui au nucléaire civil et non au volet militaire il fallait se préoccuper de ce réacteur d'Arak.
Les troisième et quatrième questions portaient sur l'enrichissement. Il est facile, sur un plan technique, de passer à l'uranium enrichi à 5 %. C'est un peu plus compliqué pour passer à 20 %. Mais une fois passé ce cap, il est relativement facile d'arriver jusqu'à 90 %. Aussi il fallait se préoccuper de chiffrer les objectifs pour l'enrichissement jusqu'à 5 % et des stocks d'uranium jusqu'à 20 %. Ces questions n'étaient pas traitées et tout le travail de la délégation française a été de dire que nous appuyons cet accord mais qu'il fallait que celui-ci soit clair et nous avons proposé d'y apporter quatre modifications. Nous en avons discuté avec nos partenaires du 5+1 et ils ont considéré que nos propositions étaient fondées. Nous sommes revenus vers les Iraniens et John Kerry, de manière très honnête, a présenté notre proposition. Les Iraniens n'ont pas été très heureux et ont répondu qu'ils se retiraient des discussions mais, quelques jours plus tard, ils ont finalement accepté ces positions.
Les Français n'ont pas voulu faire un coup mais simplement nous pensons qu'il faut être clair. Où en sommes-nous actuellement ? Cet accord a été passé et il a commencé à être appliqué. Il comporte des engagements de part et d'autre. De la part des Iraniens, il s'agit, entre autres, d'arrêter l'enrichissement dans la centrale d'Arak et de notre côté il s'agit de suspendre les sanctions à hauteur de 10 % de l'ensemble des sanctions et nous respectons notre engagement.
La deuxième phase de la discussion, qui doit porter sur un accord définitif, est plus délicate et doit résoudre la question suivante : les Iraniens acceptent-ils de renoncer effectivement à la perspective d'avoir l'arme nucléaire ou veulent-ils rester au niveau technologique où ils se trouvent au début de 2014 ? Cette question est décisive. Nous allons en discuter durant les prochaines semaines (nous avons 6 mois pour nous mettre d'accord). Si nous y arrivons cela voudra dire que nous avons enlevé un élément majeur d'incertitude dans cette région. Si il n'y a pas d'accord, parce que les Iraniens ne l'accepte pas, c'est autre chose.
(...)
L'un de nos objectifs en matière de politique étrangère, c'est la sécurité et on a évoqué le Mali, la République centrafricaine, l'Ukraine et maintenant l'Iran. Le rôle d'un chef d'État c'est d'assurer la sécurité de ses habitants.
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Sur le point de la sécurité il faut saisir l'opportunité d'approfondir les discussions avec les Iraniens avant d'aboutir à un accord. Je souhaite qu'un accord soit trouvé mais que celui-ci ne soit pas approximatif et surtout qu'il y ait une renonciation à l'arme nucléaire de la part des Iraniens. Je dis souvent, et cela fait sourire mes interlocuteurs dans différents pays, que l'on est enceinte ou pas mais on ne peut pas être à moitié enceinte.
On ne peut pas jouer avec cela car il s'agit de la sécurité d'un pays, d'une région et même de notre sécurité. Derrière le nucléaire il y a des armes balistiques qui peuvent contenir des composantes nucléaires et être lancés sur des pays comme le nôtre. Je ne veux pas d'ambiguïté et je sais que la situation est difficile. D'ailleurs, quand nous discutons avec les Iraniens ils nous mettent en garde contre les opinions divergentes dans leur pays et qu'il faut profiter de leurs bonnes dispositions. Nous sommes d'accord sur ce point à condition qu'il n'y ait aucune ambiguïté.
(…)
(Ukraine)
Q - Quid de l'Ukraine ? On a quand même aux portes de l'Europe un régime qui cultive une terreur abominable, on connaît l'enfermement de l'opposante Timochenko, on a vu les dérives des lois de la Rada même si elle est récemment revenue sur certaines d'entre elles, que fait-on ? Agit-on ? Envoie-t-on Catherine Ashton ?
R - Elle y est. Jean Jaurès donnait sa définition du courage mais ce serait également une très bonne définition de la diplomatie : «aller à l'idéal et comprendre le réel».
Ce n'est pas de l'opportunisme que de dire cela. Il faut avoir une vision idéale, nous voulons une amélioration du monde et en même temps, nous sommes obligés de comprendre le réel, tel qu'il est.
Dans le cas de l'Ukraine, l'idéal est d'avoir un pays qui peut se déterminer librement, qui ne soit pas corrompu et où les gens votent librement et les votes sont respectés. L'idéal c'est aussi un pays qui soit indépendant par rapport à ses voisins ; on pense à la Russie et à l'Europe.
Le réel, contrairement à ce que l'on prétend parfois, c'est que l'Ukraine est divisée. Toute une partie de la population à l'ouest est proche de l'Europe et une partie de la population à l'est est russophone. On ne peut donc pas dire qu'il y a les bons et les mauvais.
Q - Il y a tout de même des mauvais et peu importe où on se place.
R - Bien sûr. Nous, notre coeur va évidemment à un rapprochement entre l'Ukraine et l'Europe. Et nous avons fait, comme vous le savez, une proposition d'accord d'association. Mais il y a le président actuel, M. Ianoukovytch, qui a presque tous les pouvoirs, et qui, compte tenu de la pression de la Russie, a pris une attitude inverse.
Ce que nous faisons en ce moment, c'est plusieurs choses. D'abord, condamner de façon extrêmement ferme, avec le cas échéant une menace de sanctions, tous les actes inacceptables qui ont été commis, les tortures et les violences.
Q - Les sanctions, ce sont les visas, les boycotts ?
R - Les sanctions, si on les utilise, seront des sanctions personnelles à l'égard des dirigeants. C'est, dans mon analyse, ce qu'il y a de plus efficace. Vous savez qu'il y a là-bas toute une série de personnes qui sont liées avec le régime et qui ont des fortunes considérables. Si on instaure des blocages sous forme de sanctions aux comptes qu'ils peuvent avoir dans tel ou tel pays, c'est très efficace ; nous ne l'avons pas encore décidé.
Q - Quel sera le feu vert ?
R - Si nous le décidons, ce sera une décision européenne, c'est comme cela que cela fonctionne en matière de sanctions. Nous sommes en relation avec Catherine Ashton et avec les autres collègues et si nous voyons que les choses dérivent encore plus, nous pourrons prendre ces sanctions.
Qu'essayons-nous de faire ? Nous essayons de dire à l'Ukraine : il y a notre proposition d'association qui est sur la table. Et ce n'est pas un choix entre la Russie ou l'Europe. Parce que, dans notre approche, si les Ukrainiens choisissent l'accord avec l'Europe, ce sera positif pour eux et, donc, la Russie en profitera parce que la Russie a de grands intérêts en Ukraine. D'autre part, nous disons que, quand il y a un problème aussi lourd, en général en démocratie cela doit se terminer par des élections.
Donc, tout ce qui sera fait dans le sens d'une modification constitutionnelle ou d'une préparation des élections aura notre soutien
(...).
(Afrique)
Q - Monsieur le Ministre, on a évoqué la défense des intérêts économiques français sur la scène internationale. En ce qui concerne cette défense des intérêts nationaux économiques, mais aussi politiques et stratégiques, une région du monde a souvent été considérée comme un pré-carré par la France, naturellement c'est l'Afrique post-coloniale francophone où l'ex-métropole n'a pas hésité, pendant des décennies suivant les décolonisations, à intervenir directement ou indirectement.
Précisément, la question de la relation franco-africaine se pose alors que la France intervient actuellement au Mali et en Centrafrique. Au Mali, on a compris que la France était intervenue face au risque que le pays devienne - je vous cite - «un sanctuaire narcoterroriste aux portes de l'Europe». Cela semble moins clair pour la RCA : qu'est-ce qui pousse la France à agir ? Est-ce le traumatisme du Rwanda ? Est-ce une responsabilité post-coloniale ? Des intérêts ?
R - Je vais prendre ces deux exemples car cela vous montre ce qu'est la diplomatie avec ses difficultés et ses possibilités.
Au Mali, le 10 janvier de l'année dernière, le président de transition du Mali, M. Traoré, a appelé François Hollande et lui a dit : «Monsieur le Président, je vous demande d'envoyer des militaires parce qu'il n'y a aucun autre pays qui puisse le faire, si vous ne le faites pas, demain je serai mort».
Nous avions alerté sur la situation au Mali. Lors de l'Assemblée générale des Nations unies au mois de septembre précédent, François Hollande avait beaucoup surpris en disant «Attention, il se passe au Mali des choses très préoccupantes, il y a des groupes terroristes».
La situation s'est détériorée et il y a eu le coup de téléphone du président Traoré. François Hollande a décidé immédiatement d'intervenir. Et l'intervention s'est bien passée puisque, un an et quelques jours plus tard, la plupart des terroristes ont été éradiqués. De plus, il y a eu des élections présidentielles et législatives parfaitement régulières et des sommes ont été rassemblées auprès de la communauté internationale pour faire redémarrer le Mali. Je ne dis pas du tout que tout est réglé, mais c'est le jour et la nuit par rapport à la situation de l'année dernière.
Nous sommes intervenus au Mali avec l'aval des Nations unies - nous n'intervenons pas sinon -, à la demande du pays, avec l'appui de l'Union africaine. Pour lutter contre le terrorisme, je pense que cela a été efficace.
Dans le cas de la République centrafricaine, la situation est différente. En septembre 2013, un an après le Mali, François Hollande est monté à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies et a lancé un cri d'alerte sur le risque d'implosion de ce pays très pauvre. Évidemment, on ne pouvait pas intervenir s'il n'y avait pas une autorisation de l'ONU - c'est comme cela que cela fonctionne.
L'autorisation de l'ONU a été donnée le 5 décembre, et ce jour-là il y a eu mille personnes tuées parce que le conflit prenait une dimension religieuse entre les chrétiens et les musulmans. Nous sommes intervenus le 6 décembre, non pas pour lutter contre le terrorisme mais pour éviter un risque de génocide, on parle en ce moment beaucoup du Rwanda. À partir du moment où, d'un côté les musulmans, de l'autre les chrétiens, étaient en train de s'entretuer, on pouvait avoir des dizaines de milliers de morts.
Nous ne sommes pas intervenus de gaieté de coeur, mais parce que quand vous voyez un pays ami - alors que les Français sont installés dans différents pays d'Afrique, où nous avons des bases - qui vous demande, avec l'ONU et l'Union africaine, d'intervenir, vous ne pouvez pas dire que cela ne vous regarde pas.
Q - Donc, M. Djotodia vous a appelé ? Parce que, dans le cadre du Mali, on vous a appelé. Ce n'est pas Idriss Deby au Tchad qui a dit «attention», ou les présidents de la région... ? Est-ce qu'il y a eu un appel de l'UA ?
R - Nous n'avons pas découvert cela du jour au lendemain. Nous avons vu au mois de septembre déjà qu'il y avait de gros problèmes. Ensuite, nous sommes intervenus pour qu'il y ait une résolution de l'ONU avec, bien sûr, d'autres chefs d'État et de gouvernement de la région. Nous avons ensuite obtenu l'autorisation d'intervenir et, à ce moment-là, c'est le président, M. Djotodia et son Premier ministre qui nous ont demandé d'intervenir.
Si on se projette dans le futur, la France n'a pas vocation à intervenir tous les ans dans différents pays.
Quelle est la solution ? C'est celle que l'on est en train d'essayer de mettre en place et qui, je pense, si nous y arrivons, changera vraiment les choses. C'est la mise sur pied d'une force interafricaine d'intervention, qui serait dotée de 4 à 5.000 hommes bien équipés, qui soient capables d'intervenir au nom de l'Union africaine s'il y a des risques de crises. Ce n'est pas à la France de le faire.
Mais, aujourd'hui, la réalité c'est que la plupart de ces pays n'ont pas du tout les moyens d'intervenir. Pourquoi ? Parce que, d'abord, avoir des militaires coûte cher et ils n'en n'ont pas les moyens financiers. Ensuite, parce que, même s'ils avaient les moyens financiers, beaucoup de ces dirigeants craignent d'être renversés par le pouvoir militaire. Toujours est-il que la bonne solution n'est pas que la France intervienne à chaque fois, mais qu'il y ait une force interafricaine.
Alors, avez qui intervenons-nous ?
Dans le cas du Mali, il n'y avait pas d'armée malienne, donc, nous sommes intervenus, au départ, seuls, ensuite avec les Africains et, maintenant, ce sont les Africains et l'Europe qui ont pris largement le relais. Nous sommes montés jusqu'à 5.000 militaires français sur le terrain. Nous descendons progressivement à 1.000.
Q - On peut préciser : quand on dit «les Africains», c'est la MISCA ?
R - C'est le nom de la force africaine mandatée par les Nations unies en République centrafricaine.
En ce qui concerne la RCA, 5.000 militaires africains sont déployés et 1.600 soldats français. Les Européens, avec près de 500 hommes, ont accepté de venir les appuyer, ce qui est une bonne chose. Mais ce ne sera pas suffisant ; les spécialistes disent qu'il faudrait à terme 10.000 hommes. Ces 10.000 hommes, pour des raisons militaires et financières, seront pris sur les contingents de l'ONU.
Les deux opérations étaient absolument indispensables, mais, si l'on veut, à terme, éviter ces interventions qui évidemment nous posent des problèmes, ainsi qu'à l'opinion française...
Q - ...et des problèmes de moyens, certainement...
R - ... il faut que nous encouragions les Africains à se doter d'une force. Quant à votre question initiale, je considère que l'Afrique est un continent extraordinaire, un continent d'avenir : beaucoup d'entre vous travailleront avec l'Afrique ou en Afrique, qui a des possibilités magnifiques, mais aussi des grandes fragilités.
La France a la chance d'être présente en Afrique, pas seulement en Afrique francophone mais en Afrique anglophone, lusophone, arabophone. Il faut que l'on soit présent dans les différents pays d'Afrique. Et, en tant que chef de la diplomatie, c'est une des grandes perspectives du futur.
(...).
(Chine)
Q - Bonsoir Monsieur le Ministre, j'aurais une question sur un point chaud de la planète : Taïwan. C'est quand même une île donc de 23 millions d'habitants, et la 20ème puissance économique de la planète. Il me semble que la politique étrangère de la France est quand même assez claire. La France est notamment engagée pour l'unicité de la Chine, pour le fait que la solution doit être réglée pacifiquement. Mais il faut aussi noter que cette République de Chine est une puissance importante, démocratique, d'où ma question : est-ce que la France peut envisager une visite du ministre des affaires étrangères ou du chef de l'État dans cette province importante ?
R - Nous avons des relations avec Taïwan. Les choses dans les relations entre Taïwan et ce que l'on appelle le Mainland, la Chine continentale, se sont beaucoup améliorées depuis quelques années. Vous connaissez bien la situation. Il y a quelques années, il y avait une hostilité extrêmement forte et il y avait des déclarations très belliqueuses de part et d'autre, Chine et Taïwan. Donc petit à petit, les choses se sont beaucoup améliorées, dans mon analyse en tout cas.
Par exemple, il y a énormément d'investissements de la part des Chinois de Taïwan sur le continent. Et il y a des mouvements d'échanges qui sont considérables.
Ce que nous souhaitons nous, c'est qu'il y ait une solution pacifique, et la position officielle de la France est celle que vous avez rappelée. Je ne pense pas que le chef de l'État ira à Taïwan, mais il est tout à fait possible qu'il y ait des rencontres entre membres du gouvernement français et des représentants des autorités taiwanaises.
En revanche, je dois dire mon inquiétude, même si cela peut paraître vraiment très surprenant, sur la tension grandissante qui existe entre la Chine elle-même et le Japon. Vous connaissez le conflit qui d'un côté porte sur les îles et de l'autre côté sur la visite du Premier ministre japonais au sanctuaire de Yasukuni. Mais quand j'entends - parce que je les reçois - les autorités japonaises évoquer la situation chinoise, et les autorités chinoises évoquer le Japon, nous ne pouvons qu'appeler à des solutions pacifiques conformes au droit international parce que partout les conflits sont à éviter, mais en particulier lorsqu'il s'agit de puissances de cette sorte. Donc pour autant que la France peut jouer un rôle, comment dire, d'apaisement, nous souhaitons que ce rôle soit rempli.
(…)
(Etats-Unis)
Q - On a évoqué la relation entre l'UE et les États-Unis. Dans cette relation, l'Europe, encore une fois, apparaît désunie. À la veille d'un début de négociation sur le traité transatlantique et alors que l'on a assisté au scandale des écoutes de la NSA. En ce qui concerne les États-Unis, on peut se demander quelles relations de confiance on peut entretenir avec un allié qui nous espionne....
R - Ce ne sont certainement pas les seuls...
Q - ... Justement, c'est la question de l'absence de réaction qui se pose. Je rappelle que vous aviez défendu, en 2009, avec force l'opposition de la réintégration de la France au Commandement intégré de l'OTAN.
Parallèlement, l'UE a-t-elle besoin, sur certaines questions, d'un format plus restreint, plus intime, par exemple la zone euro, pour s'étendre, pour agir et pour avancer ?
R - Oui, nous pensons qu'il est très difficile d'imaginer une Europe dynamique - qui a de plus en plus de pays, nous sommes 28, peut-être demain nous serons 30, 35 - et active s'il y n'a pas d'uniformité de tous les pays d'Europe et si le plus petit des pays d'Europe peut bloquer l'ensemble de la machine.
C'est pourquoi nous pensons plutôt à ce que l'on appelle une Europe différenciée. C'est-à-dire qu'il y a des pays d'Europe qui veulent aller plus loin ensemble, vraisemblablement la zone euro, et il y a des pays d'Europe qui veulent avoir des coopérations renforcées dans tel ou tel domaine. Mais nous avons à l'idée que, si l'Europe doit encore s'élargir - vous parliez tout à l'heure de l'Ukraine, certains parlent de la Turquie, d'autres évoquent les Balkans -, cela provoquerait la paralysie s'il n'y avait pas une différenciation entre les différents pays d'Europe.
Q - Donc, une Europe à deux vitesses ?
R - À plusieurs vitesses et un peu différenciée selon les objectifs. Par exemple, nous travaillons en ce moment avec les Allemands pour savoir si, en matière d'énergie qui est un domaine évidemment fondamental, économiquement, pour l'indépendance, on ne peut pas faire l'équivalent d'une communauté européenne de l'énergie comme on avait la CECA au début.
Votre question sur les États-Unis porte sur les relations de confiance. Les États-Unis sont nos partenaires, nos amis, nos alliés. En même temps, chaque pays défend ses intérêts.
Nous allons, la semaine prochaine, aller aux États-Unis avec François Hollande à l'invitation du président Obama. Il y a un début de partenariat transatlantique qui commence d'être négocié. Nous ne sommes pas au bout de nos difficultés, parce que les États-Unis ont des intérêts et nous, nous avons nos intérêts qui peuvent être différents sur les plans de l'agriculture et de l'exception culturelle. C'est une négociation qui va prendre du temps.
Sur l'affaire de l'espionnage, nous ne sommes pas angéliques mais, en même temps, nous avons des principes et nous essayons de les respecter et de les faire respecter par les autres. Il est inadmissible - nous l'avons dit et je le rappelle ce soir - qu'il y ait un espionnage individuel entre partenaires et un espionnage des dirigeants. Je ne vois pas comment on pourrait admettre que telle autorité américaine ait les conversations de Mme Angela Merkel...
Q - Avant de dire que c'est inadmissible, a-t-on fait réellement des actions concrètes ? Parce que, à part refuser l'asile politique à Snowden, effectivement dire que c'est inadmissible....
R - On essaie de temps en temps de faire autre chose qu'uniquement parler.
Il y a eu des négociations qui ont été menées avec les Américains. D'ailleurs, les Américains, à charge qu'un contrôle soit fait, ont dit expressément que, désormais, en ce qui concerne les chefs de leurs alliés il n'y aurait plus d'espionnage.
Mais cela ne règle pas le problème. Parce que le problème n'existe pas seulement avec les chefs mais avec les autres. Le problème existe en matière économique - et c'est un des plus gros problèmes, l'espionnage économique - et avec différents autres aspects.
Nous avons déjà avancé, il y a eu un certain nombre de conversations qui ont eu lieu entre nos services. Mais nous avons encore des avancées à opérer. Et il est évident que, sans être naïfs, il y a des choses que nous ne devons absolument pas accepter et que, donc, nous n'acceptons pas et nous prenons les moyens de ne pas les accepter.
(…)
(Union Européenne)
Q - Juste pour revenir sur l'Europe, on ne peut pas s'empêcher de penser que la France porte quand même le chapeau. Quand vous avez dit que l'UE a envoyé 500 soldats en République centrafricaine, vous avez dit : on nous avait dit qu'on était les seuls, en fait non on était les premiers...
R - Je n'emploierais pas l'expression «porter le chapeau», mais c'est vrai que nous prenons l'essentiel des responsabilités.
Q - ... les gendarmes de l'Europe...
R - ... mais, vous savez, s'il existait une défense européenne cela se saurait.
Q - Faut-il qu'elle existe ?
R - Oui, je pense que oui. Cela demande qu'on ait une vision du monde tel qu'on veut le construire.
Quelle est notre vision ? Il faut qu'il y ait, sous des règles internationales qui sont définies par l'ONU, des organisations régionales, en Amérique, en Chine, en Inde, en Afrique, en Europe et que chacun de ces continents ou de ces sous-continents ait une organisation avec des forces de défense pour pouvoir assurer leur protection.
Les États-Unis ont, pendant très longtemps, assuré la protection de plusieurs continents, y compris du continent européen. Aujourd'hui, nous sommes très amis avec les Américains, mais, très légitimement, ils disent : «vous êtes la première puissance commerciale du monde, est-ce à nous, les Américains, de payer pour votre défense» ?
Donc, nous, Français, nous sommes partisans d'aller vers une défense européenne. Le problème, c'est qu'un certain nombre de pays disent...
Q - Cameron ?
R - Non, les Anglais sont pour la défense, pas pour une défense européenne mais pour la défense. Ils font un gros effort. Mais beaucoup de pays ne font aucun effort.
Quand vous dites «porter le chapeau», ce n'est pas cela. Nous ne pouvons pas dire : «il y a quelqu'un qui se noie, on passe et puis on s'en fiche». Mais, en plus, nous prenons nos responsabilités, nous demandons aux autres de nous accompagner et nous souhaitons qu'ils nous accompagnent de plus en plus. Et ce n'est pas parce qu'ils ne nous accompagnent pas suffisamment que nous devons abandonner notre responsabilité.
J'ai dit que nous étions une puissance globale et que, donc, nous devons, non pas faire n'importe quoi, non pas nous précipiter derrière chaque crise, mais assumer notre rôle.
(...)
Q - Bonjour Monsieur le Ministre, j'ai écouté ce matin le 7/9 de France Inter et il y avait Philippe Vilain qui était invité, qui est un banquier d'affaires, qui expliquait que les conditions économiques de l'euro faisaient qu'on avait siphonné le travail de la France vers l'Allemagne. J'ai voté Oui au traité européen, donc convaincu, vous avez voté Non, je voulais savoir qu'elle était votre position maintenant par rapport à l'euro et est-ce que vous-mêmes vous cautionnez les propos de M. Vilain ?
R - Alors Philippe Vilain, qui est un ancien directeur du Figaro et maintenant banquier d'affaires, est un homme estimable que je connais bien par ailleurs. C'est vraiment son credo : «l'euro nous mène à l'abîme, et il faut rompre avec l'euro moyennant quoi tout fonctionnera bien». Je ne suis pas d'accord avec lui. Je pense au contraire que l'euro nous a protégés. Ce n'est pas ce que pensent beaucoup de Français qui sont critiques par rapport à l'euro, mais qui à mon avis confondent deux choses : l'euro et la gestion européenne. Ce sont deux choses différentes. J'ai été un des artisans de l'euro parce que, quand vous reprenez l'histoire économique de la France, j'ai vécu, j'ai même été un des responsables, à un moment où nous n'avions pas l'euro. L'histoire de la France, c'est l'histoire des dévaluations. Et les dévaluations étaient toujours trop fortes pour qu'elles n'entachent pas notre compétitivité, et trop faibles pour nous donner un avantage de change. À l'époque on pouvait dévaluer, pourquoi ? Parce qu'il n'y avait pas le problème du prix de l'énergie comme aujourd'hui et donc on dévaluait périodiquement. L'euro nous a protégés de cela, et beaucoup d'entre vous sont familiers des mécanismes économiques.
L'euro nous assure des taux d'intérêt qui évidemment ne seraient absolument pas les mêmes si nous avions notre simple monnaie nationale. Nous empruntons à combien en ce qui concerne la France ? On doit emprunter à 2 %, quelque chose comme ça. Qui ici peut penser que si nous n'avions pas la monnaie euro, les taux d'intérêt seraient de cet ordre ? Alors vous me répondrez «oui, mais c'est les taux d'intérêt de la maison France et moi ce qui m'intéresse c'est ma propre maison». Oui, mais il y a un lien entre les deux. Et il faut quand même que les gens qui s'intéressent à ces sujets sachent que si nous n'avions pas l'euro, les taux d'intérêt, c'est-à-dire les taux d'intérêt que nous payons pour le logement, pour les voitures, seraient non pas à 2 %, 3 % mais seraient à 10 %, 15 %, 17 % voire 20 %. Donc je pense que l'euro est un élément de force.
Maintenant il y a la gestion de l'euro. Et c'est une critique que j'avais faite à l'époque en votant non. Non pas comme on le dit parfois à l'Europe, mais au traité européen. Je suis profondément européen mais je considérais que l'Europe filait un mauvais coton et que ce n'était pas le texte qui nous était soumis qui permettait d'améliorer les choses. C'est cela le sens de mon vote, même si beaucoup d'autres avaient voté comme moi mais pour d'autres raisons. Depuis, il y a eu des évolutions. Je considère par exemple que la gestion de M. Draghi, qui est actuellement le patron de la Banque centrale européenne, est beaucoup plus audacieuse et finalement beaucoup plus positive que ce que permettaient les textes et que ce qui a été fait à d'autres moments.
Mais il reste qu'il y a des problèmes. Par exemple, si vous parlez avec le patron actuel d'Airbus, ou son prédécesseur, il vous dira qu'à chaque fois que l'euro s'apprécie de 10 centimes, cela coûte 1 milliard à sa société. Et c'est un argument que développe beaucoup M. Vilain. Cela c'est la gestion de l'euro, c'est autre chose. Et je pense que de la même façon que toutes les monnaies internationales sont gérées d'une façon politique, il faudrait - et j'espère qu'on le fera avec le temps, - qu'il y ait une gestion de l'euro qui soit vraiment dans l'intérêt de notre industrie. Je vais prendre un exemple : la Federal Reserve est gérée différemment de nous ; les rôles, les textes ne sont pas les mêmes. Quand je m'occupais de l'économie et des finances de la France il y a dix ans, j'étais toujours frappé par ce fait : la Réserve fédérale était totalement indépendante, mais son indépendance coïncidait toujours avec l'intérêt des États-Unis. Ce que je demande, c''est que nous ayons une banque centrale indépendante au niveau européen, mais qui corresponde avec l'intérêt de l'ensemble européen. Et l'intérêt de l'ensemble européen, c'est que l'euro soit à son prix, et compte tenu de l'incidence que cela a sur l'exportation et l'importation, il ne faut pas qu'il soit trop cher.
(...).
(Diplomatie économique)
Q - Monsieur le Ministre, nous sommes ce soir à l'ESSEC, vous comprendrez que ce parterre d'étudiants d'écoles de commerce qui est devant vous n'attend qu'une seule chose, c'est de comprendre les tenants et les aboutissants de notre diplomatie économique, fer de lance désormais de votre ministère, même si un patron du CAC 40 ironisait récemment en disant que ce n'est pas la première fois que l'on entend un ministre des affaires étrangères nous dire qu'il en fera sa priorité.
Pourriez-vous nous expliquer Monsieur le Ministre, les grandes lignes, les priorités de cette diplomatie économique en termes de secteurs, en termes de zones géographiques.
Pourriez-vous indiquer également quelles seront les actions concrètes que vous envisagez et quels seront les acteurs qui interviendront au premier plan ?
R - Merci beaucoup, j'ai beaucoup de plaisir à me retrouver ici. Concernant la diplomatie économique, lorsque j'ai été nommé, j'avais déjà beaucoup d'expérience ministérielle et je me suis demandé quelle devait être la priorité. Elle s'est imposée d'elle-même. Compte tenu de la situation économique de notre pays, compte tenu du fait que maintenant, l'économie est prégnante dans presque toutes les activités, il est évident que si le Quai d'Orsay, c'est-à-dire notre réseau diplomatique, ne se préoccupait pas d'économie, il n'aurait aucune possibilité d'action. Je ne veux pas dire que l'influence de la France ne se limite qu'à l'économie, mais s'il n'y a pas derrière cette influence comme composante de celle-ci, une vraie puissance économique, ladite influence va reculer.
C'était de ma part, une conviction forte. J'aime la matière économique, j'ai été ministre des finances. J'ai donc pris un certain nombre de décisions qui ont été à la fois bien accueillies par les diplomates et par les responsables d'entreprises, je crois.
Quelles sont ces décisions ? Je ne voudrais pas être exhaustif mais c'est pour vous donner des exemples. Il y a le Quai d'Orsay à Paris et il y a les diplomates dans le monde. Selon moi, le Quai d'Orsay doit être au contact avec les entreprises pour être une interface.
Lorsqu'une entreprise souhaite réaliser un marché à l'extérieur, elle doit pouvoir trouver une oreille attentive de l'administration française. Lorsqu'il y a une négociation à mener qui porte sur des normes, sur des contacts avec l'étranger, c'est au Quai d'Orsay à la mener. Lorsqu'il y a un projet à construire qui demande l'accueil d'étrangers en France, ceux-ci doivent être bien entourés.
Bien évidemment, le Quai d'Orsay n'est pas le seul à travailler en ce sens. Il y a aussi le ministère des finances avec l'aspect commerce extérieur, le ministère des transports ou même celui de l'agriculture etc. Pourtant, il m'a semblé que le Quai d'Orsay devait s'équiper pour être l'interface avec les entreprises.
J'ai donc créé une direction des entreprises, j'ai appelé 70 personnes qui se trouvaient dans différents services et j'ai confié cette direction à une personne qui avait la double qualité d'avoir été diplomate et d'avoir passé dix ans dans le secteur privé, ayant travaillé chez Axa. À présent, les entreprises savent que, aussi bien à titre individuel que collectif, elles ont une interface au Quai d'Orsay.
Par ailleurs, nous avons de nombreux diplomates à l'étranger, et comme vous le savez, la France a le troisième réseau diplomatique du monde. À l'étranger, c'est l'ambassadeur qui coordonne l'action de la France de la même façon que le préfet est le représentant de l'État dans un département.
J'ai donc indiqué aux ambassadeurs que, désormais, ils seraient nommés aussi pour fixer un projet économique. Bien sûr, l'administration ne va pas remplacer les entreprises, mais compte tenu de ce qu'est la situation, en fonction du pays où vous vous trouvez, en relation avec les entreprises, avec ce que vous savez des marchés, vous me fixerez et me proposerez un plan pour les quatre années de votre mandat. Il y a donc maintenant un plan économique dans chaque poste.
J'ai également demandé aux ambassadeurs de réunir autour d'eux un conseil économique avec les représentants du public et du privé afin que dans chaque pays, on puisse voir ce qui fonctionne ou non. Vous me direz que c'est une évidence, certes mais cela n'existait pas avant pour des raisons que j'ai du mal à déceler.
Il y a une dizaine de pays où il fallait une action particulière et j'ai choisi des personnalités qui me semblaient utiles pour donner une impulsion forte aux relations avec ces pays.
Le Mexique, par exemple, était un pays avec lequel nous étions malheureusement brouillés à cause de l'affaire Cassez. Depuis, Mme Cassez est sortie de prison et nous avons repris des relations avec le Mexique qui est un pays appelé à un avenir magnifique. J'ai pensé que, compte tenu du retard, il fallait donner une impulsion nouvelle. Parmi les gens que je connaissais, il y a un ancien ambassadeur qui fut ambassadeur dans ce pays et qui fut également secrétaire général au Quai d'Orsay, - c'est donc quelqu'un de très compétent - qui est Philippe Faure. Il a également fait un passage dans le privé. Il connaît très bien le Mexique. Je l'ai donc nommé représentant spécial pour tenter de passer la surmultipliée avec le Mexique.
Depuis, il a agi de telle manière qu'il en est venu à penser qu'il y avait quelque chose à faire dans le domaine de l'aéronautique. Il a levé, à partir de financiers mexicains, un fond de 500 millions de dollars qui prend des participations dans de moyennes entreprises de l'aéronautique française.
Q - Ces ambassadeurs ont-ils des objectifs chiffrés ou des exigences de résultats ?
De même, le pôle entreprise du Quai d'Orsay va-t-il avoir des exigences de résultats ou est-ce simplement de grandes orientations ?
R - De temps en temps, on peut fixer des objectifs chiffrés. Par exemple, nous étions en Turquie avec le président de la République récemment, pays avec lequel nous devons développer nos échanges. Le mouvement d'échanges est actuellement de l'ordre de 12 milliards d'euros. Après toute une série d'études, nous nous sommes fixés comme objectif dans quatre ans, d'arriver à 20 milliards d'euros.
Généralement, il n'y a pas d'objectif aussi précis car c'est très difficile. En revanche, il y a des secteurs d'activité à privilégier.
En Russie, nous sommes très présents par nos investissements mais nous avons des difficultés à faire venir les investissements russes en France. J'ai nommé là-bas M. Chevènement, sénateur et ministre dans le passé, qui a des affinités avec la culture russe. Son rôle est de développer les affaires, de voir quels sont les problèmes et d'essayer de les résoudre.
La diplomatie économique, c'est une évidence. Ce qui dépend de moi, c'est le service diplomatique, tout ce qui concerne le rayonnement indicatif et la culture car nous avons de nombreuses écoles dans le monde. Nous sommes probablement le premier réseau culturel et éducatif qui dépend du Quai d'Orsay.
Il y a d'autres aspects dans la diplomatie comme l'aspect scientifique mais l'économie en fait partie. Mais il y a une chute considérable des investissements étrangers en France même s'il y a des contestations à ce propos. La réalité que j'avais pressenti malheureusement dans toute une série de déplacements, c'est que la France, singulièrement au cours de la dernière année, a vu une baisse des investissements de l'étranger. C'est très préoccupant car, si nous voulons parvenir à faire repartir l'emploi, il n'y a pas trois mille solutions. Il faut faire redémarrer la croissance, et pour la nourrir, la consommation, l'investissement et les échanges extérieurs sont nécessaires.
Ce n'est donc pas du tout suffisant car si les entreprises étrangères n'investissent pas comme nous le souhaiterions en France, c'est aussi un manque d'attractivité du site France, ce qui ne dépend pas du tout de mon ministère. Je dirai qu'il y a un travail à faire pour aider le développement des investissements.
Nous avions jusqu'à présent deux organisations publiques qui s'occupaient de sujets voisins mais différents. D'une part, l'Agence française des Investissements internationaux (AFII) qui est chargée de susciter des investissements vers la France et d'autre part, il y a UbiFrance qui est chargé de favoriser les investissements ou les marchés de la France vers l'étranger. Le gouvernement a décidé de fusionner ces deux organismes pour simplifier les choses et essayer d'avoir une taille plus importante.
Il faut donc développer les investissements étrangers mais la situation est difficile compte tenu de la fiscalité et de la complexité administrative. Nous connaissons un moment négatif alors que dans le même temps, dans d'autres pays, ce mouvement est positif. Il nous faut donc redresser la barre. C'est la raison pour laquelle tout ceci est lié aussi à ce que vous avez pu entendre sur le pacte de responsabilité.
Q - Et du coup, me semble-t-il, les gens investissent aussi parce qu'ils y voient clair n'est-ce pas ? Le président de la République a évoqué un choc de simplification, on a l'impression que les investisseurs étrangers qui pourraient le faire en France n'y voient pas clair et qu'il existe un conflit de compétences entre Bercy et le ministère du commerce extérieur qui s'occupe également de ce que revendique le pôle entreprise du Quai d'Orsay aujourd'hui.
R - S'il y a des insuffisances d'investissements de l'étranger en France, ce n'est pas à cause de ce phénomène, c'est à cause de choses beaucoup plus profondes.
Q - Certes mais cela n'arrange rien.
R - De toute façon, c'est à nous, les ministres et les dirigeants de l'administration, à organiser notre «back office». Il faut que les personnes soient accueillies, que nous traitions leurs problèmes. Chacun doit y apporter sa pierre. Le ministère des finances a un certain nombre de choses à faire et à l'intérieur de ce ministère il y a le commerce extérieur. Vous savez, il y a aussi d'autres ministères comme celui de l'agriculture et des industries agro-alimentaires, le ministère du tourisme qui chapote un secteur extraordinaire et qui peut apporter des potentialités formidables.
Il y a également les ministères des transports et celui de la défense car nous sommes un grand producteur et vendeur d'armements. On peut discuter sur le plan moral mais sur le plan des comptes, cela apporte beaucoup de choses.
Je vous parlais du tourisme, c'est un secteur extraordinaire, - j'espère que nombre d'entre vous se dirigeront vers cette branche - c'est un secteur où la France a un avantage comparatif mais on dit souvent des choses inexactes, notamment que si la France a des résultats magnifiques, c'est parce que nous avons beaucoup de touristes. C'est vrai mais nous n'avons pas le record des recettes touristiques. Je vous donne un ordre de grandeur qui vous surprendra : l'Espagne a 25 % de touristes de moins que la France mais elle a 25 % de recettes de plus. Ce qui signifie qu'il y a donc un problème
Il y a eu par ailleurs au cours de la dernière année, 1.400.000 touristes chinois. Chacun d'entre eux dépense en moyenne 1 600 euros lorsqu'il est en France. On estime qu'il y aura dans les années qui viennent, 200 millions de Chinois qui voyageront. Si nous passons de 1.400.000 à 5 millions, nous aurons réduit le déficit extérieur de la France de 10 %.
Q - Monsieur le Ministre, vous parliez de la Chine, de l'armement, d'un point de vue purement théorique mais non moins important, ce primat donné à l'économie au Quai d'Orsay officialise-t-il une logique diplomatique de réalpolitique davantage assumée ? On a vu la France, au cours des dernières années se rapprocher du Qatar, de l'Arabie Saoudite, alors cela implique-t-il plus de compromis du point de vue des valeurs universelles que la France souvent se targue de défendre au nom des intérêts économiques français, ce qui pourrait se comprendre ?
R - Dans ma vie pratique, je ne ressens pas cela. Qu'est-ce qui fait le rayonnement de la France ? C'est assez étonnant car ce pays n'a que 66 millions d'habitants, mais est néanmoins l'une des rares puissances globales qui existe dans le monde. Cela vient d'un mixte assez étrange où s'additionne des éléments complètement disparates.
D'abord, nous sommes l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est lié à l'Histoire. Il n'y a que cinq pays qui, lors de crises, peuvent lever ou baisser le pouce et la France fait partie de ces cinq-là. Nous sommes aussi non seulement une puissance nucléaire mais aussi une puissance qui a une capacité de projection. Il y a très peu de pays dans le monde qui peuvent se projeter. Le président de la République prend une décision et quelques heures plus tard, des militaires exécutent le travail qu'il a demandé.
Malgré toutes nos faiblesses, nous sommes la cinquième puissance économique du monde, une puissance qui a des principes issus de la révolution française et qui y tient. Cette puissance utilise une langue parlée par 250 millions de personnes qui seront 750 millions dans trente ans compte tenu du développement de l'Afrique.
Tout ceci fait que nous sommes une puissance singulière. On nous connait tels que nous sommes, on sait que la France a supprimé la peine de mort mais qu'elle milite pour l'abrogation universelle de la peine de mort. J'ai donné mandat à mes ambassadeurs, quel que soit le pays où ils se trouvent, de mener campagne pour dire que nous sommes pour l'abrogation de la peine de mort au nom d'une certaine idée de l'homme et même si on est dans des pays qui pratiquent la peine de mort, nous expliquons pourquoi nous n'y sommes pas favorables. Nous ne sommes pas provoquants mais nous sommes à la fois des gens qui défendons notre économie et qui défendons nos principes.
Vous citez le Qatar et l'Arabie Saoudite : il y a une tradition de la part de la France, puissance indépendante, d'avoir à la fois de bonnes relations avec Israël, avec les Palestiniens et aussi avec les pays du golfe. C'est le cas aujourd'hui.
(...).
(Climat)
Q - Bonjour, vous avez cité la planète et l'environnement parmi les quatre objectifs-clefs de la France. Je voulais vous demander, est-ce que selon vous la grande distribution française peut ou, du moins, doit donner l'exemple en matière de responsabilité sociétale ? Notamment lorsque l'on imagine - et l'on peut savoir l'impact que peut avoir une enseigne comme Carrefour, qui est présente dans plus de 34 pays et qui réalise son chiffre d'affaires à plus de 60 % hors de la France ?
R - Oui, mais bien sûr, et je crois que l'état d'esprit des nouveaux dirigeants de Carrefour va dans cette direction.
Un mot si vous le permettez, puisqu'on en a peu parlé, de la dimension environnement-climat. Ce n'est pas du tout un gadget. Je ne suis pas un spécialiste, mais il se trouve que la France va accueillir l'année prochaine la Conférence mondiale sur le Climat qui doit prendre des décisions qui conditionnent l'avenir de la planète. Je suis donc amené à me pencher là-dessus.
Pendant longtemps on a dit que si on ne diminuait pas les émissions de gaz à effet de serre, la façon dont on travaille, dont on consomme et dont on produit, occasionneraient une augmentation de température de 2 degrés. Ces chiffres ne sont plus ceux qu'avancent les spécialistes. Les spécialistes parlent maintenant de 4 à 5 degrés. On parle souvent de réchauffement climatique. C'est une très mauvaise expression. Réchauffement climatique, c'est scientifiquement absurde puisque il s'agit plutôt de dérèglement climatique, c'est-à-dire de catastrophes climatiques qui, dans beaucoup de cas, vont se traduire par un refroidissement à cause des mécanismes du Gulf Stream.
Et s'il n'y a pas des actions très rapides et très importantes menées dans ce domaine, l'humanité sera confrontée à un monde absolument invivable pas seulement en termes de températures, mais également sur les questions liées aux migrations, à la conquête des ressources pouvant engendrer des guerres. Donc c'est un problème absolument majeur.
Et là où je fais la connexion avec votre question, c'est que cette situation démontre qu'elle doit aussi être une opportunité en termes de croissance, de nouveaux produits. Et il y a des choses extraordinaires qu'on peut faire. Par exemple, l'autre jour j'étais à la réunion de Davos et on parlait de ce sujet avec un certain nombre de grands chefs d'entreprise. Il y avait en particulier les dirigeants d'Unilever et de Nestlé, qui se sont engagées par exemple contre la déforestation, une des sources principales de l'émission de gaz à effet de serre, en n'utilisant plus comme ils le font actuellement, les forêts pour la production de toute une série de biens de consommation.
Je pense qu'il est temps que nous envisagions rapidement les différentes manières de faire évoluer nos modes de consommation et de production de façon à préserver la planète. Il faut également l'organiser d'une meilleure façon et c'est le rôle de l'ONU, notamment en matière de normes.
J'ai été frappé - et peut-être l'êtes-vous comme moi - du fait qu'il n'y a pour ainsi dire plus de contestation sur la réalité du phénomène. Il y a encore 2, 3 ans, voire 4 ans, il y avait encore un certain nombre de gens qui disaient que les dérèglements climatiques n'existaient pas ou bien qu'ils n'étaient pas liés à nos modes de production industriels. Cette contestation n'existe plus. Il faut maintenant prendre les dispositions pour faire en sorte que les choses soient modifiées, et cela vous revient en tant que futurs responsables économiques. C'est très important.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2014