Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, au quotidien "La Repubblica" et à Radio France le 19 juillet 2001, sur les enjeux de la globalisation et les mesures préconisées par la Commission Mitchell pour faire baisser la tension au Proche-Orient.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères du G8 à Rome les 18 et 19 juillet 2001

Média : Emission Face à Radio France - La Repubblica - Radio France

Texte intégral

Interview au quotidien "LA REPUBBLICA", Rome le 19 juillet 2001 :
Q - J'aimerais savoir quel est le point de vue du gouvernement français vis-à-vis des mouvements non globaux qui, par certains pays, sont considérés comme un danger, la contestation?
R - Je dirais d'abord que le gouvernement français, lui aussi, n'est pas prêt à accepter n'importe quelle forme de globalisation. Et on ne peut pas dire qu'il y a les partisans de la globalisation d'un côté et les adversaires de la globalisation de l'autre. C'est beaucoup plus compliqué. La globalisation peut revêtir des visages très différents. Mais nous, nous ne sommes pas prêts à accepter n'importe quelle globalisation, n'importe quelle mondialisation. Dans la mondialisation, il y a des aspects positifs, des aspects négatifs et dangereux et, précisément des engagements forts du gouvernement français. Le Premier ministre, Lionel Jospin, a fait un discours très important au Brésil, il y a quelques semaines, à ce sujet : c'est de renforcer les règles, pas seulement les règles commerciales, mais aussi sociales, d'environnement, culturelles dans la mondialisation. Ce qui fait que, face à ces mouvements, nous avons une attitude qui n'est pas une attitude de rejet.
Naturellement, nous disons qu'il n'est pas acceptable de défendre ces idées par la violence. C'est une chose. On ne peut pas discuter avec les casseurs, et d'ailleurs les casseurs ne le demandent pas. Dans les mouvements qu'ils manifestent politiquement, tous ne demandent pas le dialogue. Certains veulent seulement la démonstration spectaculaire médiatique, mais certains d'entre eux veulent discuter sur le fond, pourquoi pas ? Même si nous pensons qu'ils font des contresens, nous devons, démocratiquement, discuter. Le contresens est que parfois vous avez des manifestations contre des sommets où on essaye d'humaniser la mondialisation, par exemple avec Göteborg. Vous avez les manifestations à un moment donné et au même moment le Conseil européen travaillait sur le développement durable. C'est une sorte de paradoxe.
Q - Quels sont, à votre avis, les points de vue négatifs de la globalisation, qui peuvent être dangereux ?
R - Il y a des bons et des mauvais côtés simultanément. Les bons côtés sont l'enrichissement, l'ouverture des sociétés les unes sur les autres : ce sont des bons côtés potentiels. Sortir de cette humanité qui est divisée en petits morceaux avec des conceptions complètement bornées, avec la peur de l'autre, la haine de l'autre, le rejet des différences : cela est le bon côté. Le mauvais côté, c'est qu'il est possible que cela fasse sauter tous les systèmes de protection et de garantie sociale, c'est le risque en tout cas, d'entraîner le nivellement culturel alors que les peuples sont attachés à leur identité. Il y a le sentiment du risque de la perte de contrôle sur les processus politiques et si la croissance économique s'emballe, il n'y a plus aucune règle, il y a une inquiétude écologique.
Je ne dis pas que ce sont des certitudes, je dis que ce sont des risques, qu'il faut les prendre au sérieux et c'est précisément pour cela qu'un certain nombre de gouvernements, j'ai cité le gouvernement français mais il y en a eu d'autres en fait, cherchent à trouver les meilleures règles possibles. Tout n'est pas à rejeter, il faut faire le tri. Il y a là matière à un vrai dialogue politique et démocratique pour les années qui viennent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juillet 2001)
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Interview à "RADIO-FRANCE", Rome le 19 juillet 2001 :
Q - La première question concerne le Moyen-Orient. Peut-on re-préciser les choses dans le détail, notamment au sujet des observateurs ? Est-ce que l'idée semble avoir avancé ?
R - L'idée, en effet, chemine et on a constaté au niveau du G8 que les Européens, les Américains, les Russes se retrouvaient tous ensemble maintenant sur une position comparable à celle que nous avons maintenant en Europe, au sein des Quinze, qui est que cela rendrait service aussi bien aux Israéliens qu'aux Palestiniens, qu'il faut un mécanisme impartial d'observation d'une tierce partie, qui puisse interrompre cet engrenage de la peur et de la haine et lui permettre d'avancer, qui aiderait à mettre en place les conclusions de la Commission Mitchell - cet ensemble de mesures pour faire baisser la tension - puis se rapprocher de la recherche d'une solution. Il y a maintenant un accord sur ce point qui s'élargit et c'est très important pour la suite, même si les Israéliens continuent à ne pas être d'accord. Nous sommes de bonne foi, nous sommes convaincus que cela serait utile et nous espérons pouvoir les persuader.
Q - Concrètement, quelle est la prochaine étape au sujet de ces observateurs ?
R - Il n'y a pas que la question des observateurs. La réunion de Rome a montré que les pays du G8 étaient d'accord pour demander le démarrage, sans délai et sans manuvre dilatoire, des mesures de la Commission Mitchell. Ils sont également d'accord pour demander aux Palestiniens de faire un surcroît d'effort pour empêcher toute forme de violence qui vient de leur camp ; qu'ils le disent d'une façon crédible, qui puisse être entendue par cette partie de l'opinion israélienne qui n'est pas contre la paix mais qui a peur. Il y a un dialogue à rétablir sur ce plan et nous avons été heureux de voir, nous les Européens, que les Etats-Unis, par l'intermédiaire de M. Colin Powell, voulaient vraiment rester engagés dans la recherche de la paix avec aussi la Russie, naturellement. Ce sont donc des éléments qui ne fournissent pas une solution immédiate ou facile mais qui sont relativement encourageants et qui nous incitent à persévérer.
Q - Sur la globalisation. Quelle est la tâche que les Huit ont confiée au Canada exactement ? Est-ce que vous pouvez nous détailler un tout petit peu ce que sera l'idée du prochain G8 ?
R - C'est trop tôt pour parler de l'idée du prochain G8 alors que l'actuel G8 n'a pas encore eu lieu puisqu'il commence demain. Ce qui est sûr, c'est que les gouvernements qui se réunissent dans les G8, les Conseils européens, à l'OMC ou ailleurs, sont tous très sensibles à la question de l'organisation de la mondialisation. Et je dirais que nous, les gouvernements, nous ne sommes pas d'accord avec n'importe quelle forme de globalisation ; en particulier le gouvernement français, qui a fait beaucoup de propositions, la dernière fois notamment dans le discours du Premier ministre au Brésil. Nous n'acceptons pas les formes les plus sauvages et les plus destructrices de la globalisation.
Il y a dans ces phénomènes des possibilités d'enrichissement, notamment pour les pays les plus pauvres mais il y a aussi beaucoup de risques et de possibilités de destruction des garanties sociales et des pertes de contrôle sur les décisions politiques. Il y a plusieurs formes de globalisation et celles que nous soutenons, nous, c'est une globalisation organisée et humanisée. A ce sujet, la Présidence italienne a eu la très bonne idée d'organiser un débat entre les ministres. Ce débat a montré une très grande convergence sur l'analyse et une grande richesse dans les formes de dialogues qui sont proposées ou suggérées. Comme après la Présidence italienne il y aura une Présidence canadienne pour le G8, déjà on a dit qu'il faudra que le Canada prenne le relais le moment venu pour poursuivre cela. Mais la discussion sur les formes de dialogue qui doivent se poursuivre, cela cette organisation le demande, d'autres ne le souhaitent pas, ils ne veulent simplement pas témoigner. Il faut bien distinguer les manifestants et les casseurs et puis le dialogue, s'il est global, c'est compliqué.
Q - Est-ce que l'on a des exemples sur ces formes de discussion dont vous parlez ?
R - Vous savez, cette discussion démocratique existe partout, dans tous les pays développés, à l'occasion de chaque élection, de chaque décision économique, de chaque décision sociale, le dialogue a lieu. Comment s'adapter à la mondialisation tout en gardant une société humaine, tout en gardant l'identité, la personnalité de chaque pays ? C'est la question politique numéro 1 à peu près partout maintenant. On ne va pas enfermer cet immense dialogue vivant dans une seule boite, mais à travers ces nouvelles forces qui se développent, ces organisations qui rencontrent un vrai écho, même quand nous pensons qu'elles font certains contresens. Par exemple en manifestant contre ceux qui précisément essaient de réguler la mondialisation. Nous pensons que nous devons les écouter, que c'est une exigence démocratique. Ce sont plutôt des formes originales et modernes de dialogue politique qui ont tendance à se développer en plus du dialogue démocratique existant dans chaque pays.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2001)