Texte intégral
J'ai l'honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de réforme relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.
* L'esprit d'une loi
Un nouveau succès du dialogue social à la française
L'accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle du 14 décembre, qui inspire ce projet de loi, est le quatrième conclu depuis 18 mois. Les autres dispositions du texte qui apportent des avancées profondes dans le champ de l'apprentissage ou de la démocratie sociale sont également issues d'une large concertation et d'un dialogue social nourri.
Ce texte en est une nouvelle démonstration : la réforme est possible, en France, par le dialogue.
Pas « contre » mais « avec »,
Sans bulldozer, ni « coup de balai », ni karcher,
Sans rupture purement sémantique, ni grand soir qui ne vient jamais,
Pas avec un gagnant et des perdants,
Pas avec l'un qui recevrait des cadeaux et l'autre qui paierait pour tous,
Non !
Avec des gagnants des deux côtés,
Avec des conflits qui existent, ne le nions pas des antagonismes que l'on n'efface pas mais que l'on dépasse, par la négociation, par le compromis.
La démocratie sociale est une force, d'abord parce qu'elle fait confiance à la responsabilité des acteurs sociaux. Elle est fondée sur la certitude que si on leur fait confiance, les acteurs économiques et sociaux savent s'en saisir. Chacun peut alors agir dans le sens de l'intérêt général SANS trahir les intérêts des siens, de ses mandants, de ses collègues, de ses camarades.
Oui, Mesdames et Messieurs les Députés, il y a, chez les partenaires sociaux, lorsqu'ils trouvent ensemble des accords, un sens de l'intérêt général.
La confiance de la représentation nationale, issue de la légitimité électorale, les incite, à chaque étape, à chaque grand accord, à poursuivre sur cette voie.
Et que l'on ne vienne pas nous dire que cette méthode est un frein, une perte de temps, un luxe inutile en temps de crise : c'est tout le contraire !
C'est un temps gagné dans la mise en uvre effective, le moment venu ;
et c'est un temps court en vérité, en amont, dans la négociation elle-même. Ce projet en est une preuve : à peine plus de 6 mois se sont écoulés depuis la Grande conférence sociale de juin dernier qui lança le processus de réforme de la formation professionnelle, après tant d'années de petites réformes ou d'immobilisme
Une preuve que l'on peut faire vite et bien !
Voilà la méthode qui nous inspire, avec succès, vous le voyez.
J'en viens au projet de loi, qui traite trois domaines très complémentaires :
- la formation professionnelle, l'apprentissage et l'emploi
- la démocratie sociale
- et le renforcement de l'efficacité de l'administration du travail. Leur assemblage dans le même texte ne doit rien à un artifice de calendrier parlementaire. Il y a une profonde logique à traiter ces sujets ensemble.
* La cohérence du projet de loi
Pas plus pour la formation professionnelle aujourd'hui, qu'hier pour la sécurisation de l'emploi, je ne crois aux réformes « à la découpe », petits morceaux par petits morceaux, ajoutant ici une rustine, là une nouvelle couche de droits. C'est particulièrement vrai s'agissant d'un système aussi dense et complexe que la formation professionnelle.
Pour réussir, il fallait d'emblée être extrêmement ambitieux, et nous le fûmes. Je vais y revenir dans un instant.
Mais d'abord un mot de la cohérence d'ensemble du projet de loi, qui fonctionne pour faire image comme une partition accordant ensemble trois grands répertoires de la vie économique et sociale de notre pays.
Je m'explique.
Si l'on veut transformer la formation professionnelle donner envie aux salariés de se former, la regarder dans les entreprises comme un facteur de compétitivité il faut qu'elle devienne un élément central du dialogue social dans les branches professionnelles et les entreprises, et aussi un élément central du dialogue entre chaque salarié et son encadrement.
De nouveaux leviers sont créés à cette fin :
- au niveau collectif, avec les instances représentatives du personnel dans le cadre de l'information consultation sur le plan de formation comme avec les organisations syndicales- dans le cadre de la négociation relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
- au niveau individuel, par le biais de l'entretien professionnel.
Mais alors, si l'on veut que ce dialogue social soit légitime et crédible, il faut qu'il soit porté par des acteurs représentatifs, disposant de moyens transparents. Trop longtemps, la démocratie sociale a été suspectée d'être une « boîte noire ». C'est pourquoi le financement du paritarisme et celui de la formation professionnelle seront désormais scrupuleusement séparés.
En outre, si l'on veut garantir la transparence de la formation professionnelle, dissiper les fantasmes sur la « gabegie », il faut un ministère du travail fort, équipé de pouvoirs étendus de contrôle tant sur les structures, que sur les financements ou la qualité de l'offre de formation. Ce sont des missions régaliennes. Dans le projet de loi, ces pouvoirs de contrôle sont accrus.
De la formation professionnelle à la démocratie sociale, en passant par l'action du ministère du travail, la réforme sera un tout, une nouvelle pratique, une conviction tout autant que des règles de droit.
Il ne s'agit pas de changer la « tuyauterie des financements » mais de « rendre une âme », un sens, à des mécaniques qui en sont aujourd'hui dépourvues :
- La formation professionnelle ne transformera l'économie que si elle est un élan, porté par des moyens nouveaux, mais aussi par la conviction qu'elle est le cur de la performance des économies modernes.
- La démocratie sociale changera l'entreprise, non pas si elle se décompose en un chapelet d'instances et de procédures, mais si elle s'incarne dans des acteurs légitimes, ouverts au dialogue et qui jouent le jeu.
Voilà pourquoi, formation professionnelle, démocratie sociale et reconstruction d'un ministère fort se tiennent, se pensent ensemble et font bloc pour écrire cette nouvelle page de notre histoire sociale.
*Le contenu
Mesdames et messieurs les Députés, ce projet de loi né du dialogue social, cohérent, porte des changements d'ampleur que je veux maintenant détailler.
* La réforme de la formation professionnelle
Je voudrais d'abord parler de la formation professionnelle, et pour cela, emprunter avec vous le couloir du temps pour nous ramener en juin 1969. Jacques Chaban-Delmas, nouveau Premier ministre vient de recevoir une « Note sur la politique sociale » écrite par son conseiller social Jacques Delors. Elle disait ceci (je cite) : « la société française accomplit une mutation difficile caractérisée par la modernisation de ses structures économiques, l'ouverture à la compétition internationale, la poussée d'une jeunesse nombreuse, avide de connaissances et d'activités ayant un sens. Nous sommes au milieu du gué entre le rivage de la société préindustrielle que certains considèrent encore avec nostalgie et le rivage de la société postindustrielle que certains nous pressent d'atteindre au plus vite ».
Dans cette même note, Jacques Delors faisait une recommandation : « la mise en place progressive d'un système d'éducation permanente pour les adultes en liaison avec le développement de la formation professionnelle ».
Deux ans plus tard, le projet prend forme légale avec la grande loi du 16 juillet 1971 qui marque l'entrée dans l'ère moderne de la formation professionnelle. Moderne, car elle porte une révolution copernicienne dans l'organisation et la représentation de l'entreprise. Ce qui va devenir l'article L900-1 du Code du travail l'explicite (je cite) : « la formation professionnelle permanente constitue une obligation nationale. Elle comporte une formation initiale et des formations ultérieures destinées aux adultes et aux jeunes. La formation professionnelle continue fait partie de l'éducation permanente. Elle a pour objet de permettre l'adaptation des travailleurs au changement des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l'accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social ». Tout est dit.
La loi de juillet 1971 donne un véritable élan à la formation continue et la « révolution scolaire » des années 1980 élève le niveau de toute la société.
Mais depuis une décennie, l'effort de formation initiale et continue plafonne. L'investissement des entreprises dans la formation ne progresse plus.
En somme, la loi de 1971 a produit tous ses effets.
Un nouvel élan est nécessaire !
D'autant que le monde a changé. En 1971, dans une France sans chômage, où le nombre de bacheliers représente 7% de la population, la formation professionnelle a été pensée pour les salariés. Aujourd'hui, les demandeurs d'emploi en ont un besoin vital.
Mais le changement va bien au-delà : la discontinuité des trajectoires professionnelles et l'accélération des mutations économiques ont changé la donne et forgé une conviction : la formation professionnelle est encore plus nécessaire, comme levier d'accès, de maintien et de retour à l'emploi.
Aujourd'hui, notre devoir est de nous préoccuper
- des chômeurs pour qui la formation est un sésame vers l'emploi,
- des salariés menacésdans une économie qui change plus vite,
- des salariés des petites entreprises dans lesquelles un travailleur qui part en formation est un problème majeur, au risque d'arrêter l'activité.
- de tous ceux qui n'ont pas bénéficié comme ils le pouvaient de la formation initiale, et aspirent à une deuxième ou troisième chance.
Alors nous proposons de refonder le système de formation dans sa globalité.
Quatre constats guident cette refondation :
1. La formation continue est faiblement qualifiante. Si le taux d'accès des salariés à la formation a considérablement augmenté, passant de 17% en 1975 à 40% en 2010, les formations qualifiantes restent peu nombreuses : 11% des formations suivies.
2. De trop fortes disparités existent encore
- Disparités en fonction de la taille de l'entreprise. Plus l'entreprise est grande, plus les salariés accèdent à la formation continue : 53% d'entre eux dans les entreprises de plus de 1000 salariés, 29% seulement dans les entreprises de moins de 10.
- Disparités selon les catégories socioprofessionnelles : les cadres ont un taux d'accès à la formation de 57%, les ouvriers de 32%
- Disparités en fonction du sexe : les formations « qualifiantes » concernent 22% des hommes mais 15% des femmes.
- Disparités en fonction du statut des actifs : le taux d'accès des chômeurs à la formation reste faible. En 2011, 20% des chômeurs ont entamé une formation.
3. Troisième constat : un système trop complexe, avec trois contributions obligatoires distinctes (professionnalisation, congé individuel de formation et plan de formation), des taux variables selon les tailles d'entreprise, des collecteurs multiples (OPCA / OCTA, FONGECIF).
Enfin, 4ème constat, en forme de point d'interrogation : les entreprises consacrent à la formation des financements allant bien au-delà de leurs obligations légales plus de 13 milliards par an et pourtant, le système peine à répondre à ses enjeux prioritaires. S'appuyant sur le respect d'une obligation de financement, il apparaît comme focalisé sur les moyens au détriment des finalités, la dépense obligée plutôt que l'investissement.
Or ce sont justement ces finalités qu'il faut remettre au centre du jeu.
La première des finalités à affirmer, c'est la sécurisation des parcours professionnels. Puisque l'univers de l'emploi est mouvant, puisque les emplois se succèdent au cours d'une vie, nous voulons que la formation professionnelle soit présente et mobilisable à tout instant, surtout au moment où la fragilité survient, sous la forme d'un licenciement par exemple. Et si ce n'est pas une fragilité mais une opportunité qui surgit une promotion à saisir l'enjeu est le même : que la formation soit là et convertisse l'esquisse d'un rêve en réalité.
Eh bien, Mesdames et Messieurs les Députés, si vous adoptez ce projet de loi, ce sera le cas demain : la formation professionnelle sera davantage attachée à la personne et moins au poste de travail. Et elle la suivra tout au long de sa vie active, particulièrement dans les moments de transition, sans se soucier du statut. Peu importent les cases et les cloisons, les droits à la formation les enjamberont grâce au compte personnel de formation. Le DIF avait ouvert la voie, beaucoup trop timidement. Le nouveau Compte Personnel de Formation fait un pas immense. Il est la réponse sociale au changement économique et outille les salariés dans l'économie moderne.
La sécurité sociale professionnelle dont nous sommes nombreux sur ces bancs à rêver depuis longtemps devient aujourd'hui une réalité !
Outre le compte personnel de formation, la réforme porte d'autres mécanismes de sécurisation des parcours professionnels. Il en est ainsi de la nouvelle possibilité de conclure un contrat d'apprentissage dans le cadre d'un CDI.
Sécuriser les parcours, c'est aussi l'objet du renforcement des missions des CFA qui devront notamment assister les postulants à l'apprentissage dans la recherche d'un employeur, et accompagner les apprentis, en lien avec les Missions locales, pour résoudre leurs difficultés d'ordre social et matériel.
Sécuriser l'apprenti, son employeur, prévenir les ruptures, rendre attractif l'apprentissage, voilà de quoi soutenir l'objectif de 500 000 apprentis à l'horizon 2017 fixé dans le Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi.
Deuxième finalité, Mesdames et Messieurs les Députés : la qualification. La réforme affirme le droit à la qualification et reconnaît comme une nécessité la progression d'un ou de plusieurs niveaux de qualification au cours de sa vie. En effet, l'enjeu de l'époque que nous vivons n'est plus seulement le diplôme mais bien de se former tout au long de la vie. Oui, cela revient à remettre en cause le règne du seul diplôme initial, qui fait que l'essentiel d'une carrière se joue à l'école et qu'ensuite il est très difficile de rattraper les choses.
La réforme porte un message : vive la 2ème chance ! Etre brillant ou non à 20 ans ne signifie plus que vous le serez encore ou toujours pas à 50 ans.
Oui, nous pouvons rebattre les cartes sociales, même dans la société française ! Nous pouvons remettre en marche l'ascenseur social.
Cette ouverture vers la seconde chance est une ouverture vers la qualification, car le système français reste trop médiocrement qualifiant. On s'adapte sans se qualifier plus, malgré les progrès des réformes antérieures, sur les titres professionnels ou la validation des acquis de l'expérience.
Vincent MERLE, acteur clé de cette VAE, pour qui j'ai comme beaucoup d'entre vous certainement une pensée aujourd'hui, était le premier à dénoncer cette lenteur à progresser vers la qualification.
Cet accord, cette loi, nous invitent à faire un pari : la formation pour ne pas décrocher, c'est nécessaire.
La formation pour progresser, la formation comme promotion, c'est aussi ce qui est attendu de la réforme.
Troisième enjeu : l'envie. Pour les entreprises, les salariés, les chômeurs, les injonctions à se former sont multiples. Pourtant, l'envie importe au moins autant. Eh bien, elle sera une condition de succès du Compte Personnel de Formation qui fera des personnes les acteurs enfin majeurs de leur formation, en la mettant dans leurs mains. En effet, le compte donne une possibilité nouvelle aux salariés et aux demandeurs d'emploi de construire, choisir et négocier leur carrière. Leur initiative devient décisive dans un système où jusque-là celle de l'employeur restait la porte d'entrée quasi systématique vers la formation.
Quatrième enjeu : la responsabilité. Un changement majeur ! La formation d'adaptation au poste est de la responsabilité de l'entreprise. Chacun sait qu'elle est nécessaire à sa survie. Pour preuve, elle avoisine 3% de la masse salariale quand la loi impose 0,9%. Cette obligation n'est plus nécessaire. Demain, chaque entreprise sera face à ses choix ! Cela s'appelle la responsabilité !
En revanche, les fonds mutualisés de la formation professionnelle seront accrus et affectés à des enjeux d'intérêt général, qui dépassent le cadre singulier de chaque entreprise en particulier.
C'est là que la mutualisation fait sens
et qu'elle fonctionne.
C'est tellement nécessaire que la réforme le renforcera. Aujourd'hui, plus d'un euro sur 5 collecté via les dispositifs à financement contraint Congé Individuel de Formation, Droit Individuel à la Formation et professionnalisation est utilisé pour financer la formation d'entreprises plus petites que celles qui versent. Pour les moins de 20 salariés, cela représente 2 à 3 fois la somme versée aux Organismes Paritaires au titre de la professionnalisation et du DIF et plus de 5 fois pour le CIF. En revanche, les sommes collectées au titre du plan de formation participent très peu à la redistribution entre les classes de taille.
Vous avez dans ces chiffres l'une des explications de la réforme
- qui remplace le DIF par le CPF et le dote de plus d'un milliard par an contre 180 millions.
- qui renforce le financement du CIF. Il est aujourd'hui de 1,2 milliard par an. Demain, avec l'augmentation des fonds destinés au CIF et la création d'un financement dédié au CPF, 2,3 milliards d'euros pourraient être consacrés au financement de formations qualifiantes mobilisées à l'initiative des salariés et des chômeurs. C'est une augmentation de 72%.
Cinquième enjeu : la bataille des connaissances et des compétences. Elles sont le nouveau « nerf de la guerre » de la compétition mondiale. Cet enjeu guide la réforme de la formation professionnelle et l'inscrit dans le même mouvement que la refondation de l'école ou que la loi sur l'université. Nous sommes le gouvernement qui promeut les connaissances et soutient les compétences !
L'économie des connaissances, ce n'est pas élitiste, c'est la progression de tous.
- Celui qui ne sait pas lire doit pouvoir accéder aux savoirs de base.
- Celui qui a un CAP doit pouvoir aller vers le bac pro.
- Celui qui a le bac doit pouvoir viser le niveau BTS
- et ainsi de suite jusqu'aux plus hauts niveaux
- de même pour ceux qui sont dans l'emploi et qui doivent pouvoir accéder à des formations leur permettant, soit d'actualiser une compétence, soit de prendre des responsabilités, soit de changer totalement de métier.
Autre finalité encore dont vous avez déjà vu poindre l'ambition : une action plus forte en faveur des demandeurs d'emploi. Précisément, ce sont ces personnes qui ont le plus besoin d'accéder à une formation qualifiante, gage de meilleure insertion ou de reconversion et qui, jusqu'à présent, bénéficiaient le moins de formation professionnelle. 560 000 demandeurs d'emploi sont entrés en formation en 2011 : nous devons pouvoir faire mieux !
Là aussi, un chiffre est à retenir dans cette réforme : une augmentation de 50% des financements des partenaires sociaux pour former les demandeurs d'emploi, dont 300 millions apportés par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels pour abonder le compte personnel de formation des demandeurs d'emplois. Par ailleurs, s'ils le souhaitent, les régions et l'Etat pourront abonder, de manière supplémentaire, le compte personnel des demandeurs d'emploi.
Enfin, enjeu d'importance encore, cette réforme se fait aussi en faveur d'une simplification radicale du système de collecte, d'affectation et de mobilisation des fonds pour le rendre plus transparent, lisible et simple d'accès, grâce à la réforme des contributions obligatoires et à la rationalisation du réseau des organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage. Leur nombre sera divisé par trois et le produit de la taxe sera davantage affecté à l'apprentissage lui-même.
Quant à la gouvernance, elle sera décentralisée, transférée aux régions pour créer un bloc de compétence homogène et incarné dans un service public régional de la formation professionnelle. Les régions vont avoir la main pour :
- rendre effectif l'accès de tous à un premier niveau de qualification.
- faciliter l'insertion et les transitions professionnelles
- adapter les qualifications à chaque territoire, au regard de son tissu économique. Pourquoi ?
Parce que la formation professionnelle est gage d'insertion si elle est adaptée aux besoins en compétences d'un territoire. Cela ne peut se faire qu'au plus près de la vie économique.
La région garantira encore le droit d'accès à la formation quel que soit son lieu de résidence,
Elle mettra en place des programmes dédiés aux personnes en grande difficulté d'apprentissage, en habilitant des organismes de formation.
Et elle fédèrera les différents acteurs comme les politiques de l'emploi et de la formation.
Les régions sont des acteurs essentiels et elles joueront demain un rôle décisif pour réussir enfin à croiser logique sectorielle et logique territoriale, autant que développement économique et développement des compétences.
Vous le constatez, mesdames et messieurs les députés, nous franchissons une étape dans la mobilisation de tous pour l'emploi. Le projet comporte aussi une disposition d'assouplissement du contrat de génération « création d'entreprise » (jusqu'à 30 ans désormais) et des dispositions de mise en oeuvre de la réforme du financement de l'insertion par l'activité économique. Nous y reviendrons dans le débat.
* La démocratie sociale
J'en viens à la démocratie sociale, qui forme le titre II du projet de loi
Renforcer la démocratie sociale, c'est renforcer la maturité démocratique de notre pays, capable de dialogue pour réformer sans se renier.
Le dialogue social tient une place centrale dans la conception et la mise en oeuvre des politiques d'emploi, de travail, de formation et cela, à tous les niveaux : dans l'entreprise, les branches, au niveau interprofessionnel. Salaires, temps de travail, protection sociale, droits collectifs : c'est la vie quotidienne de millions de salariés qui est au cur de la négociation collective.
Pour assumer cette responsabilité de négocier, les partenaires sociaux ont besoin d'une légitimité confortée et de moyens solides. Oui, il faut des syndicats forts, un patronat fort, pour construire des compromis forts. Ceux qui s'assoient autour de la table doivent être légitimes aux yeux de ceux qu'ils représentent, et en capacité d'exercer leur responsabilité.
Le volet « démocratie sociale » fait une percée décisive.
- Il est marqué par une double ambition : la légitimité et la transparence.
- Il parachève des années de réflexions sur la représentativité, en tranchant la question laissée pendante de la représentativité patronale.
Le paysage patronal est trop éclaté. La majorité des branches couvrent moins de 5000 salariés. À l'issue d'un recensement effectué depuis 5 ans, nous dénombrons l'existence de 1043 confédérations et organisations professionnelles signataires ou adhérentes d'une convention collective ou d'un accord de branche. Cet émiettement nuit à l'action comme à la légitimité ; à la force comme à la responsabilité. Il faut changer.
Le projet de loi porte l'ambition de la structuration des branches et pose enfin des règles claires en matière de représentativité patronale. Il est la traduction des préconisations du rapport du Directeur général du travail, Jean-Denis COMBREXELLE, elles-mêmes prolongeant des premières propositions des organisations patronales lors de la grande conférence sociale de juin 2013 :
- un socle de critères communs avec la représentativité syndicale,
- une mesure de l'audience adaptée à la spécificité de la représentation patronale en la fondant sur l'adhésion.
La précédente majorité a lancé le mécanisme de la représentativité syndicale. Gérard LARCHER était ministre du travail. Nous pouvons nous entendre sur celui de la représentativité patronale. Ce serait un signe fort !
S'agissant justement de la représentativité syndicale, le projet de loi tire les conclusions de l'évaluation de la loi de 2008. Les aménagements proposés visent une plus grande proximité de la représentation syndicale des salariés et davantage sécurité juridique dans l'organisation des élections professionnelles.
La réforme poursuit un second objectif : garantir la transparence de notre jeu social. La démocratie sociale a un coût. Il doit être assumé.
Au-delà des cotisations des adhérents, qui demeurent naturellement le socle nécessaire à l'indépendance des organisations, nous voulons sortir d'un système éclaté et précaire parce que non encadré. D'autant plus que l'absence de transparence donne prise à tous les fantasmes, si erronés soient-ils.
La réforme créé un cadre transparent et assumé pour les missions d'intérêt général accomplies par les partenaires sociaux. Il reposera sur une gouvernance paritaire au travers d'un fonds dédié.
Ce dernier c'est là la grande innovation sera alimenté par une contribution des entreprises, des organismes paritaires et des pouvoirs publics en fonction des missions qu'il sera amené à financer : paritarisme, participation à la construction des politiques publiques, formation syndicale.
Ce cadre se substituera aux financements existants, en premier lieu ceux qui sont aujourd'hui issus de la formation professionnelle, avec lesquels la séparation sera désormais nette et franche. Aucune charge nouvelle ne sera supportée par les entreprises, un simple transfert assurera l'étanchéité et la transparence.
Le projet de loi porte enfin les règles de transparence des comptes des comités d'entreprises, adaptées à la taille de chacun. La transparence ne vaut pas pour le seul niveau central. Elle s'impose à tous et à tous les niveaux. Je m'y étais engagé devant vous. Voilà le cadre aujourd'hui clairement établi.
Avec ce texte, une étape nouvelle va être franchie. La démocratie sociale à la française atteint l'âge de raison.
* Pour un ministère fort
J'aborde maintenant le dernier titre du projet de loi.
Défier le chômage, lutter pour l'emploi, sont des priorités qui ne doivent pas s'exercer au détriment du travail. Je l'ai toujours dit :
- Il n'y a pas de lutte contre le chômage sans lutte pour la qualité du travail
- Et il n'y aura pas chez nous de stratégies de mini-jobs à l'allemande.
Le salut ne viendra pas d'une précarisation générale du travail, de moindres garanties collectives pour les salariés. La bataille de l'emploi, c'est aussi la bataille du travail. Je l'assume totalement.
C'est pourquoi nous devons nous donner les moyens de veiller aux droits des travailleurs. C'est le troisième volet du projet de loi. Il me tient à coeur.
Quand je suis arrivé au ministère du Travail, j'ai trouvé une inspection du travail en plein doute sur ses missions, face à des questions laissées trop longtemps sans réponse comme celle de l'avenir des contrôleurs du travail, mais aussi une organisation qui doit être adaptée.
C'est le sens de la reforme du système d'inspection du travail.
Chaque jour, les agents de l'inspection répondent aux demandes des salariés et des entreprises : des heures non payées, un risque d'accident grave, une information sur la convention collective, une liberté publique bafouée, etc. Chaque jour, inspecteurs et contrôleurs vont dans les entreprises pour faire appliquer ces règles : plus de 260 000 contrôles sont effectués en une année.
Cette mission indispensable est bien sûr maintenue et confortée. Mais il faut aller plus loin pour que l'inspection du travail pèse davantage sur le monde du travail d'aujourd'hui. Car de nombreux changements ont lieu :
- le code du travail, comme les autres codes, s'est élargi et complexifié.
- les précarités se sont développées sous de multiples formes, notamment du détachement international illicite. Mais comment agir contre le détachement illégal de travailleurs si l'inspection du travail ne collabore pas avec les autres services de contrôle et les pays d'origine ?
- l'entreprise classique a souvent laissé place à l'entreprise en réseau. Aujourd'hui, le véritable décisionnaire économique est souvent lointain, invisible, dilué. Or c'est lui qu'il faut atteindre. Comment agir sur la filiale d'une entreprise si l'on ne se préoccupe pas de la maison-mère ?
- Et si les risques professionnels classiques demeurent, de nouveaux risques liés se sont répandus. Comment identifier les nouveaux risques technologiques, si la veille n'est pas activée partout ?
Cela veut dire que, pour être véritablement utiles aux salariés, nous devons être capables dans certains cas de compléter la réponse de terrain par une réponse plus spécialisée, tout en maintenant une réponse généraliste et de proximité. Demain nous devons pouvoir agir sur les deux fronts.
Une action construite est nécessaire, avec une dimension collective qui implique toutes nos forces et à tous les niveaux. Voilà l'enjeu.
C'est pourquoi demain :
- Sans faire disparaitre les sections qui resteront l'échelon de base un inspecteur = une section = un territoire des unités de contrôle seront mises en place regroupant 8 à 12 agents sur un territoire, animés par un responsable chargé de faire vivre le collectif de travail.
- Cette organisation territoriale sera complétée par la création d'une unité spécialisée de contrôle sur le travail illégal dans chaque région et de réseaux régionaux sur des risques particuliers (comme l'amiante).
- Au niveau national, des priorités d'action seront définies.
Et le tout, en garantissant naturellement l'indépendance des inspecteurs du travail. Ce principe résulte d'une convention internationale et le Conseil d'Etat comme le Conseil constitutionnel l'ont érigé en principe général du droit.
Indépendance, c'est très concret, cela veut dire liberté de l'agent d'organiser le contrôle et de donner des avertissements ou des conseils, d'intenter ou de recommander des poursuites. Cela veut dire impossibilité de le dessaisir d'un dossier, de l'écarter d'une entreprise. Cela veut dire protection contre toute influence indue : ingérence, pressions, menaces.
Mais ce principe intangible d'indépendance ne s'oppose pas à la coopération entre collègues et avec d'autres services, ni même à l'action collective qui sait se focaliser, quand c'est utile, sur des priorités partagées par exemple contre les fraudes au détachement ou pour l'égalité hommes/femmes.
Cette réforme engagée il y a 18 mois est le contraire d'un affaiblissement de l'inspection du travail. La lecture du projet de loi vous en aura convaincu : c'est un renforcement de ses pouvoirs, de son utilité, et de ses moyens, car la réforme s'accompagne d'un mouvement de promotion professionnelle sans précédent puisque les postes de contrôleurs du travail seront progressivement transformés, sur une dizaine d'années, en postes d'inspecteurs du travail.
Faire du ministère du travail un ministère plus fort suppose également de conforter notre compétence régalienne sur le champ de la formation professionnelle. Trop souvent sont mises en cause - à tort ou à raison l'utilité des dépenses de formation professionnelle et l'activité de certains organismes de formation. Le présent projet de loi permet à nos services d'étendre le champ de leur regard, de mieux lutter contre certaines dérives et, au final, de contribuer à l'amélioration de la qualité de la formation professionnelle dans notre pays.
Alors je conclus en remerciant chaleureusement votre rapporteur Jean-Patrick GILLE qui a su, dans des délais très contraints j'en ai conscience, travailler avec beaucoup de précisions pour améliorer le texte.
Je remercie également la présidente de la commission des affaires sociales Catherine LEMORTON qui a mené les débats avec l'efficacité, le franc-parler et l'humour qu'on lui connaît.
Je remercie les services de la commission des affaires sociales qui ont déployé des trésors d'énergie pour faciliter l'examen du texte.
Un mot, aussi, à l'égard de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, à sa rapporteure pour avis, Colette LANGLADE.
Et un mot de remerciement encore à la délégation aux droits des femmes, à sa présidente Catherine COUTELLE et sa rapporteure sur le texte, Ségolène NEUVILLE.
J'associe bien sûr l'ensemble des députés qui ont travaillé en alliant vitesse et précision. Je pense notamment à Denys ROBILIARD pour le groupe SRC, à Monique IBORRA, Monsieur CAVARD pour le groupe ecolo, comme à Madame FRAYSSE pour le groupe GDR. Je pense aussi à Messieurs CHERPION et TARDY pour l'UMP, comme à Monsieur VERCAMER pour l'UDI
ainsi que les autres députés que je ne peux pas tous nommer.
Soyez ici tous remerciés.
Mesdames et Messieurs les Députés, vous le voyez, notre pays se transforme.
- La France change, les acteurs sociaux se prennent en main, se parlent, s'accordent, avancent !
Trop souvent notre pays est décrié. Nous avons là un motif légitime de fierté.
Nous vivons un moment important, celui d'une réforme au long cours, qui refonde la formation professionnelle, peut-être pour 40 ans à nouveau ; qui réorganise l'inspection du travail dont la structure n'avait pas évolué depuis presque un siècle et qui créé les règles de la représentativité patronale sans doute pour longtemps.
Nous avons ensemble l'occasion de faire date. Vous avez l'occasion de prendre date avec nos lointains successeurs.
Ce texte est désormais dans vos mains car la démocratie sociale à la française est une « relation à trois ». La démocratie sociale a besoin de la force de la représentation nationale pour, de l'accord entre certains, patronats et syndicats, elle devienne la loi de tous, l'intermédiaire de votre vote.
Je m'en remets à vous.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 12 février 2014